Interview de Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF, à Europe 1 le 25 juillet 2000, sur le refus du Gouvernement d'avaliser la convention assurance chômage signée avec la CFTC et la CFDT.

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Média : Europe 1

Texte intégral

ARLETTE CHABOT : Denis Kessler bonjour !
DENIS KESSLER : Bonjour
ARLETTE CHABOT : Alors, vous êtes à l'origine de la grande négociation de la Refondation sociale, le Pare c'était également votre idée. Alors le refus du gouvernement hier, c'est votre échec ?
DENIS KESSLER : Non, parce que lorsque l'on a choisi la voie de la négociation du dialogue avec l'ensemble des partenaires syndicaux, ce qui était notre choix, lorsque la négociation a été loyale, approfondie, lorsqu'elle parvient à un accord qui est ratifié par la majorité de ceux qui ont participé à la négociation Je rappelle que 5 organisations sur 8 étaient d'accord avec les propositions qui avaient été faites et qui avaient été modifiées au cours de négociations, eh bien on considère qu'on a fait ce que l'on devait faire et au contraire c'est l'Etat, c'est le gouvernement aujourd'hui qui prend une décision absolument catastrophique, extrêmement grave à la fois pour l'assurance chômage mais aussi pour le dialogue social dans notre pays.
ARLETTE CHABOT : Alors, quand même vous allez engager une épreuve de force avec le gouvernement en disant " c'est tout ou rien " : ou le gouvernement avale tout ou bien il n'y a qu'à dire non tant pis, c'est à prendre ou à laisser.
DENIS KESSLER : Attendez, l'Unedic a été créée par les partenaires sociaux en 1958. Depuis 1958, l'Unedic est entièrement gérée par les partenaires sociaux, cela dépend d'eux, nous prenons nos responsabilités, nous fixons les cotisations, nous décidons des allocations. Ça a toujours été fait comme cela et nous fait avons face par exemple en 1996 à une grande crise et nous avons pris des décisions extrêmement lourdes. Je rappelle simplement que nous avons augmenté les cotisations à l'époque de 209 milliards de francs pour pouvoir indemniser les chômeurs. Et donc la tradition en France n'est pas que l'Etat s'occupe de l'Unedic, c'est l'inverse et à chaque fois que la question s'est posée, les partenaires sociaux négocient et l'Etat valide le résultat des partenaires sociaux.
ARLETTE CHABOT : Mais il a quand même son mot à dire, il y a tout un chapitre sur le domaine de la loi, c'est le gouvernement qui fait la loi, c'est le Parlement qui fait la loi, ce ne sont pas les partenaires sociaux.
DENIS KESSLER : L'essentiel des dispositions qui avaient été fixés par les partenaires sociaux étaient de dispositions conventionnelles qui s'appliquent, il y avait effectivement quelques conséquences législatives, nous les avions d'ailleurs tout à fait identifiées, nous avions souhaité que le gouvernement les présente au Parlement. En dernier ressort c'est bien le Parlement qui vote les modifications de la loi. Le refus en bloc de cet accord est quelque chose d'extrêmement grave, nous le disons aujourd'hui. Grave d'abord et en tout premier point pour les demandeurs d'emplois parce que tous les services qui étaient proposés, je rappelle que nous proposions la suppression de la dégressivité des allocations qui bénéficie à l'ensemble des demandeurs d'emplois, eh bien tout ceci n'aura pas lieu. C'est extrêmement grave pour tous les cotisants, je rappelle qu'il y avait 15 millions de salariés qui voyaient leur pouvoir d'achat augmenter avec notre accord dès la fin du mois de juillet, c'est à dire dans 5 jours et pendant les 3 ans qui viennent. Et c'est évidemment une très, très mauvaise mesure pour l'ensemble des entreprises parce que là aussi on allégeait le coût du travail, ce qui permettait d'intensifier l'emploi.
ARLETTE CHABOT : Disons les choses clairement. Pour vous, c'est une décision politique ?,
DENIS KESSLER : Oui, parce que quand on regarde la lettre qui nous a été envoyée tous les arguments qui nous sont, qui sont avancés pour dire que le gouvernement ne veut pas valider cet accord sont des arguments qui sont faux. Or çà, c'est très préoccupant si vous voulez, parce que
ARLETTE CHABOT : On va revenir sur les arguments, je veux juste vous poser cette question. Est-ce que aujourd'hui on est parti dans un débat droite gauche ? Alors, en un mot Jospin, Aubry ont voulu faire plaisir à la majorité plurielle contre vous ?
DENIS KESSLER : Oui, mais ce qu'il y a dans, je refuse cette analyse parce que notre projet n'est ni de droite ni de gauche, c'est un projet qui permettait de moderniser, de rénover le système d'assurance chômage en, j'allais dire, tenant compte des principales expériences réalisées à l'étranger. Donc, ceci n'est pas de gauche et de droite, c'était un projet de réforme, c'est un projet de modernisation qui permettait une modernisation, c'est un projet qui permettait de tenir compte de l'évolution
ARLETTE CHABOT : Oui, mais quand je dis que c'est une décision politique, vous me dites oui.
DENIS KESSLER : Non, une décision politique .
ARLETTE CHABOT : De gauche !
DENIS KESSLER : Elle n'a pas de fondement, on regarde encore une fois les objectifs affichés. Qu'est-ce que nous avions comme objectifs ? La diminution du taux de chômage structurel. Mais qui peut s'opposer à cela ? Nous savons, d'ailleurs toutes les organisations internationales l'ont dit,. nous savons que pour atteindre un taux de chômage de l'ordre de 4 à 5 %, il faut gagner encore 5 points de chômage ! Eh bien pour obtenir ce taux de chômage de 4 à 5 points, il faut modifier la façon dont on indemnise le chômeur, il faut avoir un traitement personnalisé, individualisé de chacun des demandeurs d'emploi et c'est ce que nous proposons.
ARLETTE CHABOT : Alors, Denis Kessler, on va reprendre deux arguments mais ce matin, vous voyez bien, je reviens sur cela, la presse insiste ce matin sur cette décision politique du gouvernement et vous, vous dites : oh non, non, c'est autre chose, je ne veux pas rentrer là dedans. Mais on dit depuis des mois, et vous le savez, que face à une opposition qui est un peu en difficulté en ce moment, le MEDEF, c'est le parti de l'opposition. Et vos êtes en affrontement avec Martine Aubry.
DENIS KESSLER : Non, non, nous ne sommes pas le parti de l'opposition . Cet accord, c'est l'ensemble des signataires qui l'ont mis au point, deux organisations syndicales très importantes, la CFDT et la CFTC, l'ensemble des employeurs, nous ne faisons pas des projets contre Martine Aubry, nous faisons des projets parce que nous avons des responsabilités historiques dans le système d'assurance-chômage que nous exerçons. Et quand vous me dites ceci, moi je crois malheureusement qu'il y a une vieille tradition en France d'étatisme, d'intervention bureaucratique, il y a une vieille tradition en France dans laquelle l'Etat veut être omnipotent, on s'aperçoit en fait qu'il est largement impotent dans ce domaine-là, si vous voulez, c'est en fait une réaction des bureaucrates qui veulent absolument s'occuper de l'assurance-chômage et retirer aux partenaires sociaux leur responsabilité, c'est cela qui est dramatique. Ce qui me semble vraiment, j'allais dire, de forme de coup d'Etat social dans lequel on nationalise un régime qui est paritaire depuis sa création. Et alors le paradoxe, c'est que cette nationalisation du régime d'assurance-chômage, l'étatisation du régime d'assurance-chômage se fait avec la complicité d'organisations syndicales dont le fond de commerce historique était au contraire de lutter contre la nationalisation et l'étatisation des régimes de protection sociale. C'est à n'y rien comprendre ! En ce qui nous concerne, nous maintenons que nous sommes des acteurs principaux de la démocratie sociale. Une démocratie fonctionne bien, madame Chabot, lorsque la démocratie sociale fonctionne bien. Nous en sommes les acteurs, nous prenons nos responsabilités et nous regrettons que l'Etat veuille s'immiscer en permanence dans le dialogue social au point aujourd'hui de le rompre !
ARLETTE CHABOT : Est-ce que vous pensez franchement que le gouvernement pouvait accepter un texte qui avait été refusé par la CGT, par Force Ouvrière, par la CGC ? Ca fait beaucoup, quand vous dites il y a effectivement beaucoup d'organisations syndicales, il y a la CFTC, il y a la CFDT mais, mais .
DENIS KESSLER : Je vais droit au but. La CGT n'a jamais rien signé ! Alors dire qu'il y a une novation, elle n'a jamais signé depuis 1958, elle n'a rien signé dans le domaine de l'assurance-chômage. Quant à FO, déjà en 1993 quand nous avons pris des décisions extrêmement lourdes d'augmentation des cotisations, FO non plus n'a pas signé !
ARLETTE CHABOT : Donc vous ne regrettez pas qu'ils ne vous aient pas suivi dans cette négociation, vous dites c'est comme d'habitude
DENIS KESSLER : Je veux dire que ce qui est absolument épouvantable, c'est que les organisations syndicales n'ont pas compris que notre projet de Refondation sociale pour trouver des nouvelles règles du jeu, c'est un projet fondamental pour notre pays, pour l'ensemble des salariés, pour l'ensemble des entreprises. Nous avons cette volonté intacte de moderniser notre pays parce que nous savons que c'est la condition sine qua non pour pouvoir faire face à la globalisation et çà la mondialisation.
ARLETTE CHABOT : Très vite, sur deux points qui sont particulièrement contestés par le gouvernement , on dit : vous créez un système de chômage à deux vitesses. Il y a ceux qui sont facilement, j'allais dire réinsérables, qui sont suivis par les Assedic et qui bénéficieront du PARE et puis alors ceux qui sont déjà exclus, ils n'ont aucune chance d'en bénéficier. C'est-à-dire que ça aggrave la fracture sociale, votre texte. Vrai ou faux ?
DENIS KESSLER : Ceci est totalement faux dans la mesure où nous avons proposé au gouvernement que tous les gens qui relèvent du régime de solidarité, et non pas du régime d'assurance, aient droit aux mêmes prestations. Ceci est faux, c'est explicite dans la convention et vous pouvez imaginer que la CFDT ; qui a accepté, n'aurait pas signé un texte s'il n'y avait pas cette disposition, au contraire, qui supprime la fracture sociale existante qui ne sera pas remise en cause d'ailleurs par le gouvernement.
ARLETTE CHABOT : Deuxième point, c'est le financement. 75 milliards d'excédents à l'horizon 2203, là-dessus 71 milliards sont consacrés à des allègements de charges qui profitent au patronat, et alors le reste, 4 milliards seulement pour mieux indemniser les chômeurs et puis le PARE, il sera autofinancé. Donc en gros, ça vous profite plus qu'aux chômeurs !
DENIS KESSLER : Alors écoutez, ça c'est scandaleux ! Puisque, puisque dans l'accord il y a 50 milliards et non pas 4 milliards qui sont consacrés à l'AMELIORATION de la situation des demandeurs d'emploi. On ne peut pas laisser dire des choses comme cela !
ARLETTE CHABOT : Donc, c'est faux !
DENIS KESSLER : Mais non seulement c'est faux mais c'est même grossier ! Comprenons-nous ! Je veux bien que l'on utilise tous les arguments pour masquer une décision politique mais sur le fond cet accord, et nous allons répondre point par point au gouvernement, la CFDT, la CFTC, l'ensemble des organisations d'employeurs, nous allons prendre point par point, nous considérons vraiment que la lettre que nous avons reçue hier est inadmissible. Peut-être d'ailleurs n'ont-ils pas lu la convention. En tout cas, en ce qui nous concerne, nous ferons valoir nos droits auprès des juridictions compétentes parce qu'il y a là vraiment un abus de pouvoir. Il y a un abus de pouvoir de la part du gouvernement, cet abus de pouvoir est tout à fait manifeste et caractérisé et vraiment il est très regrettable pour notre pays.
ARLETTE CHABOT : Pour être précis, vous avez dit hier que vous suspendez votre participation à l'Unedic. Pourquoi ne pas avoir claqué la porte ? Vous menacez de partir depuis de longs mois, pourquoi ne pas avoir dit d'une seul coup : ça y est, on s'en va ?
DENIS KESSLER : C'est une décision extrêmement lourde, nous la prendrons en temps et en heure, nous avons décidé de suspendre notre participation à effet immédiat de toutes les instances de l'Unedic, nous allons nous réunir le 4 septembre l'ensemble des organisations signataires
ARLETTE CHABOT : Vous partirez à votre avis ?
DENIS KESSLER : Et à ce moment-là nous allons d'abord informer nos partenaires d'une décision, puisque nous sommes liés. Je vous promets une chose, c'est que nous prendrons nos responsabilités
ARLETTE CHABOT : Est-ce que vous ne dites pas toujours : retenez-nous on va faire un malheur ? Non ?
DENIS KESSLER : Oh non, pas du tout ! oh mais ce n'est pas comme ça que l'on gère. Vous savez, on est des gens relativement responsables, nous avons des responsabilités dans les entreprises, nous avons des responsabilités économiques, nous avons des responsabilités sociales. Nous les assumerons. Mais lorsqu'on nous interdit de le faire, lorsque l'Etat prend le risque majeur, le risque historique de déstabiliser l'ensemble des relations sociales en France, l'ensemble des partenaires sociaux, nous disons : attention, c'est vraiment un écart fondamental par rapport à la tradition française et c'est exactement l'inverse de ce que l'on constate dans les autres pays. On verra comment la France assure sa crédibilité sociale en Europe aujourd'hui.
ARLETTE CHABOT : Marc Blondel dit aujourd'hui : le fait que vous ne claquiez pas la porte tout de suite c'est encourageant, ça veut dire que vous allez reprendre la discussion ? Vrai ?
DENIS KESSLER : Mais non, nous n'allons pas renégocier quoi que ce soit
ARLETTE CHABOT : C'est fini pour vous ?
DENIS KESSLER : Mais bien entendu, nous avons fait un accord, nous avons respecté la totalité de la tradition en matière d'accords sociaux
ARLETTE CHABOT : Donc vous ne discutez plus
DENIS KESSLER : Nous n'avons pas à discuter. D'ailleurs vous avez pu remarquer que la lettre que nous a envoyée le gouvernement n'est pas une lettre qui ouvre une discussion, c'est une lettre dans laquelle il y a beaucoup d'arguments de mauvaise foi pour rejeter cet accord. Il n'y a aucune demande, il n'y a aucune proposition, aucune suggestion. Je me demande d'ailleurs très honnêtement quel est le projet du gouvernement en matière d'assurance-chômage ? Qu'est-ce qu'ils veulent ? Je ne sais plus mais j'ai l'impression que personne ne sait.
ARLETTE CHABOT : Vous attendez le départ de Martine Aubry avec impatience, ça ira mieux après ?
DENIS KESSLER : Ecoutez je ne suis pas sûr que le bilan que l'on fera de son action, que c soit dans le domaine de la couverture maladie universelle, de la loi sur les exclusions, maintenant de l'assurance-chômage et du dialogue social sera un bilan positif. Je crains malheureusement que tout ce qu'elle a semé n'engendre que conflits ; désillusions, et éventuellement rupture.
(source http://www.medef.fr, le 27 juillet 2000)