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Q - Nous allons évoquer essentiellement deux dossiers aujourd'hui : tout d'abord, la Suède côté mauvaises nouvelles ; pour l'Estonie, ce sera plutôt les bonnes nouvelles. La Suède tout d'abord avec les Suédois qui ont dit "non" à l'euro par plus de 56 % des voix. Ils rejettent clairement la monnaie unique, c'est un échec pour l'Europe ?
R - C'est dommage. Je dois dire qu'après la mort dramatique d'Anna Lindh, la ministre des Affaires étrangères suédoise, qui était une amie et une femme très admirée en Europe, il est un peu triste que la campagne qu'elle a menée avec ferveur n'ait pas réussi à emporter le "oui". Cela dit, il faut, d'une part, respecter le verdict du peuple suédois et d'autre part, relativiser ce résultat. Il signifie non pas que les Suédois veulent se mettre en dehors de l'Europe mais qu'ils ne s'estiment pas encore prêts pour entrer dans la zone euro.
Q - La Suède reste un partenaire européen à part entière ?
R - La Suède est un partenaire européen qui a d'ailleurs manifesté, encore récemment, sous sa présidence en 2001, sa foi dans la construction européenne. Mais c'est un pays qui a ses spécificités, qui entend les garder et qui, surtout, a actuellement des "fondamentaux" économiques extrêmement bons. Les Suédois observent donc avec suspicion les difficultés que traversent en ce moment certains autres pays européens.
Q - On a également beaucoup montré du doigt la France et de l'Allemagne, deux pays qui ont un rôle de locomotive dans la construction européenne, deux pays qui laissent un peu filer leur déficit et qui ne remplissent pas vraiment leur rôle de modèle. Quel est votre sentiment la dessus ?
R - Les deux pays ont bien l'intention de ne pas "laisser filer" les déficits et Francis Mer l'a encore dit à Stresa. Nous souhaitons absolument que le Pacte de stabilité et de croissance puisse être respecté le plus tôt possible. Je crois que plusieurs facteurs ont joué : d'une part, la Suède n'est entrée dans l'Europe que très récemment puisqu'elle n'est membre de l'Union européenne que depuis 1995, après un référendum en 1994 qui n'a été emporté qu'à une très courte majorité - un peu plus de 52 % je crois. Par ailleurs, il y a eu une donnée un peu spéciale : le gouvernement social-démocrate était divisé sur le sujet. Une partie du parti mais aussi du gouvernement - la ministre des Finances, le vice-Premier ministre - était opposée à l'entrée du pays dans la zone euro alors que le Premier ministre, et Anna Lindh, s'étaient très fortement engagés en faveur de l'euro. Je crois que cela a pu perturber l'électeur sans que la Suède ne rejette d'aucune manière l'Europe.
Q - Mais, concernant le rôle de l'Allemagne et de la France, qui sont quand même des modèles, des moteurs, est-ce que vous, vous estimez que l'on devrait retourner davantage à ce rôle d'exemple ?
R - La France et l'Allemagne ont des difficultés notamment parce que les deux pays avaient dû engager des réformes structurelles bien avant. Je ne mets en cause aucun gouvernement. Il faut quand même se souvenir que nous avons connu trois années de très forte croissance autour de l'année 2000 en France, et que cela n'a pas été mis à profit pour engager des réformes structurelles comme celle des retraites, des réformes en matière de santé ou encore en matière de modernisation de l'Etat. Nous avons tardé. Maintenant nous devons donc les mettre en oeuvre et c'est ce que nous avons engagé. L'objectif du Pacte de stabilité est non seulement un objectif européen mais aussi un objectif national que nous devons poursuivre pour le bien de la France. Car si la dette publique est excessive, si les déficits - qui sont comblés par un endettement sur le marché international - s'accentuent, ce sont les générations futures qui auront les mains liées et ne pourront plus rien faire. Il n'y a aucune ambiguïté sur la volonté déterminée du gouvernement français de poursuivre cet objectif du Pacte de stabilité et de croissance, sans casser la croissance, mais en respectant les équilibres nécessaires.
Q - C'est peut-être l'Estonie qui pourra en profiter prochainement. La bonne nouvelle d'hier pour l'Europe est le "oui" des Estoniens à une grande majorité. Ils ont voté en faveur de l'adhésion de leur pays à l'Union européenne en 2004. L'Europe attire toujours les pays, notamment les anciens pays de l'Est.
R - Il s'agit d'un geste politique majeur. L'Estonie était l'avant-dernier pays dont la population devait se prononcer sur l'élargissement. Le dernier sera la Lettonie dont le peuple est appelé à se prononcer le 20 septembre, également par référendum. Que signifient ces référendums qui sont pratiquement tous de très grands succès ? Que ces pays qui viennent de recouvrer leur souveraineté après la chute du mur de Berlin souhaitent revenir dans la "famille" européenne qui est la leur. C'est le juste retour des choses, le retour vers leur histoire, vers leur culture, vers leur destin politique.
Q - C'est ce qu'a dit le Premier ministre estonien : "Nous sommes de retour en Europe".
R - Absolument. Je trouve formidable que les peuples de ces pays - qui, depuis une dizaine d'années, et plus particulièrement depuis l'ouverture des négociations d'adhésion - connaissent un train de réformes accéléré avec la reprise de ce que l'on appelle "l'acquis communautaire" - aient le désir d'être parmi nous. Je crois que c'est un geste politique tout à fait majeur qui me laisse à penser que le projet européen est une réussite.
Q - Il fonctionne. Est-ce avant tout l'aspect économique ou politique qui fonctionne ? Lorsqu'il y a des divergences politiques - on l'a vu sur le dossier irakien notamment - cela devient un peu plus compliqué. L'adhésion de ces pays se fait-elle d'abord par l 'économie ?
R - La France a toujours considéré que le projet européen était un projet politique. Certes, dans les années 50, après l'échec de la Communauté européenne de défense, qui comportait une sorte d'armée commune avec l'Allemagne - et qui a été refusée par l'Assemblée nationale française - les Pères fondateurs de l'Europe, les Français Robert Schuman et Jean Monnet, ont mis en avant une nouvelle méthode pour faire l'Europe : commencer par des projets économiques, des actions de terrain, notamment dans le domaine industriel et agricole, et ensuite, petit à petit, progressivement faire prospérer l'Europe politique. Maintenant, il est clair que le projet est celui d'une Europe politique apte à maîtriser son destin ; une Europe qui soit, de plus, à la fois un pôle de croissance, mais qui mette également en avant son propre modèle social. C'est ainsi que nous compterons, y compris sur la scène internationale. Cela a été dit et redit tout au long des travaux de la Convention. C'est à cela qu'ont adhéré les pays qui nous rejoindront le 1er mai 2004, et c'est à cela que va adhérer la Lettonie, je le souhaite, le 20 septembre
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 septembre 2003)