Déclaration de M. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées sur les risques de bio-terrorisme et sur le programme français de préparation à la réponse contre le bio-terrisme, Paris le 17 juin 2003.

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Circonstance : Formation nationale des référents zonaux pour la gestion des risques exceptionnelsà l'Hôpital Necker à Paris le 17 juin 2003

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, bonjour

J'ai tenu à venir vous saluer pour souligner devant vous les enjeux actuels de la lutte contre le bioterrorisme.
La menace bioterroriste n'est pas une menace comme les autres. Elle procède d'une volonté de nuire en créant l'épouvante, en désorganisant le fonctionnement de notre société, en attaquant les fondements même de notre vie sociale.
Notre système de santé, notre système de sécurité sanitaire et notre système de sécurité civile ont été conçus avec comme toile de fond la protection des personnes contre les aléas qui menacent leur santé et leur sécurité. Ils n'ont pas été organisés pour faire face à la volonté délibérée de répandre de façon massive des agents physiques, chimiques ou biologiques. Cette menace transforme en faiblesse la force de notre société qui repose sur la confiance et le respect du droit des personnes.
Par conséquent, le fait que nous soyons prêts à réagir correctement face à cette menace n'est pas seulement un enjeu de santé publique. C'est de la survie de notre société et de ses valeurs fondamentales dont il s'agit.
De tout temps, les épidémies ont constitué de puissantes forces de déstabilisation sociale, économique et politique. Regardez le SRAS, ses effets sur le transport aérien, ses implications diplomatiques, ses conséquences économiques.
Dès le début du mois de mars, quand un foyer a été découvert à Hanoi, j'ai demandé à la DGS et à l'InVS de faire de cette menace un exercice grandeur réel de nos capacités à faire face à une menace de grande ampleur. C'est grâce à cette mobilisation précoce que nous sommes arrivés à maîtriser ce risque dont on voit bien au travers de l'exemple canadien qu'il peut bouleverser les pays les mieux organisés au plan sanitaire.
La rapidité de la réaction est le facteur clé de la maîtrise des épidémies. Le temps perdu lors des premiers moments ne se rattrape jamais ou au prix d'une énergie et d'un coût considérables que la Chine doit payer aujourd'hui.
C'est pourquoi je veux rendre hommage à tous les soldats du SRAS. Les centres 15 qui ont joué un rôle essentiel d'orientation, de conseils et de prévention. Les établissements de référence qui ont montré leur expertise. L'équipe des Samu qui a accepté de partir à Hanoi et grâce à qui ce foyer a été éteint. Je salue le rôle pivot joué par le Samu 75 qui vous accueille aujourd'hui. Le Professeur CARLI, le docteur JANNIERE ont joué pendant toute ses périodes un rôle majeur. Je les félicite en leur disant qu'ils incarnent la compétence et le dévouement qui font la force de notre médecine.
Nous devons tous prendre conscience que la menace bioterroriste ne relève pas de craintes excessives. L'arme biologique est peu coûteuse, à efficacité égale, 2 000 fois moins coûteuse que les armes traditionnelles et 800 fois moins que l'arme nucléaire.
D'ores et déjà, l'utilisation terroriste des armes biologiques est une réalité. A la fin de 2001, le charbon a provoqué cinq décès aux Etats-Unis. La secte Aum au Japon a expérimenté des agents biologiques et chimiques. Elle a utilisé dans le métro de Tokyo le gaz sarin. Après le 11 septembre 2001, les investigations menées dans les milieux liés à Al Quaïda ont révélé des projets bioterroristes. La récente découverte de ricine en Grande Bretagne, ainsi que les arrestations effectuées en France, montrent que cette menace est réelle. Ces éléments, renforcés par un contexte international incertain, conduisent les pouvoirs publics à faire preuve d'une vigilance renforcée.
Alors que les risques chimiques, nucléaires et explosifs ne posent pas de problème de diagnostic, les risques biologiques sont d'une nature différente, je tiens à le souligner. D'abord, le diagnostic n'est pas évident car la plupart des effets redoutés se présentent sous la forme de pneumonie, d'éruptions ou d'atteintes neurologiques a priori banales. Ensuite, une fois l'agent identifié, il faut évaluer sa sensibilité aux agents anti-infectieux. Enfin, certains pathogènes suspects (dont la peste et la variole) peuvent se révéler contagieux.
En termes de contagion, le seul agent qui puisse largement se diffuser est la variole. Les autres agents classés prioritaires comprennent les microorganismes qui peuvent être disséminés facilement et qui déterminent une mortalité élevée. Outre la variole, il s'agit du charbon, de la peste, de l'agent du botulisme, de la tularémie et de divers virus.
Ainsi, le charbon est très facile à cultiver. Certains scénarios crédibles indiquent des dizaines de milliers de morts. La variole, pour sa part, est considérée comme le plus grand danger mondial dans le cadre d'une attaque bioterroriste. Jusqu'à 30% des personnes malades peuvent décéder. Le botulisme est dû à la sécrétion d'une toxine par une bactérie facile à cultiver.
Charbon, variole et botulisme sont nos principales préoccupations dans le contexte actuel. Mais le risque chimique est aussi très préoccupant avec par exemple les gaz de combat tels que l'Ypérite, le sarin, le phosgène, le cyanure d'hydrogène.
Je tiens à souligner devant vous que la préparation de la réponse aux attaques bioterroristes est interministérielle. Si le Ministère chargé de la Santé figure au premier rang des acteurs impliqués compte tenu de la nature sanitaire des phénomènes que je viens de vous décrire, les ministres chargés de la Défense, de la Justice et de la Sécurité intérieure sont également mobilisés au premier chef. C'est vrai au niveau national. C'est aussi vrai au niveau zonal et je vous demande d'y veiller pour le bon rendement de notre action.
Le programme de préparation à la réponse bioterroriste en France que j'ai présenté en février au conseil des Ministres comprend sept volets principaux et 28 chapitres d'action.
Le premier volet est de constituer un corpus de connaissances et de compétences qui permette de recenser les agents de la menace bioterroriste.
Le deuxième volet est un ensemble de mesures de police sanitaire qui comportent un encadrement strict de la détention des agents biologiques. Certaines industries pharmaceutiques sont protégées comme des points sensibles. La protection des réseaux de distribution d'eau a été renforcée et leur chloration augmentée.
Le troisième volet consiste en un renforcement de la veille sanitaire. La notification des pathologies a été complétée par une obligation de signalement en urgence du charbon, de la variole et de la tularémie. L'astreinte permanente des Centres anti-poison a été renforcée. Le corps médical a été sensibilisé et il existe des guides méthodologiques d'investigation pour chaque agent de la menace. Les administrations centrales et déconcentrées et l'Institut de Veille Sanitaire ont été renforcés et formés à ces nouveaux dangers.
Le quatrième volet concerne le renforcement des moyens de diagnostic. Des fiches de diagnostic sur les pathologies mal connues sont accessibles par internet. Les centres nationaux de référence de l'Institut Pasteur ont été renforcés. Dans chaque zone de défense, vous le savez, un hôpital (9 au total) a été doté de matériel d'analyse permettant de faire face à un diagnostic biologique d'orientation. Des détecteurs de toxines (botulisme, ricine, charbon, peste) ont été livrés aux laboratoires d'analyse de l'eau.
Sous l'égide du SGDN, une réorganisation du dispositif de prise en charge des lettres et envois suspects, avec tri à la source et un réseau renforcé de laboratoires, a été mise en place pour tirer les leçons de la crise d'il y a un an.
Le cinquième volet porte sur la préparation de la réponse à une action bioterroriste. Refonte des guides de permanence pour les services publics, nouveaux plans blancs des hôpitaux en cas d'afflux massif des victimes, constitution des stocks de médicaments (antibiotiques, antidotes) et préparation d'une stratégie de vaccination en cas d'agression par la variole en sont les principaux éléments.
Un effort de recherche et développement constitue le sixième volet. Il est bien évidemment indispensable pour mettre au point de nouveaux vaccins et traitements ou encore des méthodes d'analyse performante.
Et finalement, un volet international est nécessaire. Un réseau européen d'experts a été constitué avec une cellule d'alerte opérationnelle en permanence. Les ministres de la santé du G7 et le Mexique se réunissent deux fois par an.
Tous les pays industrialisés sont confrontés à la même menace et les programmes de préparation reflètent une grande convergence.
La lutte contre le bioterrorisme demande un effort permanent. Un cadre existe, il faut l'enrichir et l'adapter en permanence. Les priorités actuelles sont dictées par le souci d'améliorer nos capacités opérationnelles.
Ainsi, une stratégie de réponse à la réintroduction délibérée de la variole a été adoptée. C'est une stratégie graduée qui peut aller jusqu'à la vaccination de l'ensemble de la population.
De même, nous allons nous doter d'un stock d'immunoglobulines antibotuliques.
Dans le même esprit, il faut développer la communication d'urgence entre les pouvoirs publics et les médecins : c'est l'objet de la procédure DGS-URGENT qui permet à tous les médecins qui le souhaitent de donner une adresse électronique pour recevoir des messages d'alerte. Nous devons poursuivre la sécurisation des réseaux d'eau et mieux nous préparer à prendre en charge les attaques chimiques.
La France dispose d'un outil précieux avec un laboratoire P4 de la fondation Mérieux (à Lyon) qui permet l'étude des agents les plus dangereux.
Nous disposons maintenant d'un plan d'intervention Biotox pour la réponse à une attaque biologique qui vient compléter le plan Piratox répondant à la menace chimique et le plan Piratome pour la menace radiologique et nucléaire. Ces plans sont coordonnés par le SGDN. Un nouveau plan Vigiepirate est désormais opérationnel.
En conclusion, je veux souligner à quel point la préparation de la prise en charge de menaces de ce type représente une rupture profonde dans notre organisation. Il nous faut non seulement être en mesure de faire face à des dangers redoutables mais identifiés mais aussi et peut être surtout développer une capacité à réagir à l'imprévu, ce qui suppose une réflexion approfondie sur la gestion des situations de crises et la multiplication des exercices en grandeur réelle.
Nous ne devons pas laisser croire que nous possédons la parade à toutes les attaques terroristes possibles. Ce n'est pas vrai et c'est pourquoi la formation est aussi importante. Je voulais vous le dire moi-même pour remercier tous ceux qui ont travaillé à ce programme. La DHOS qui en a été le chef de file ; les SAMU de France ; le haut fonctionnaire de défense ; le service de santé des armées ; les universitaires ; la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection qui apporte sa compétence spécialisée.
Je vous demande de veiller à ce que toutes les compétences disponibles soient mobilisées. Celles de tous nos services, de nos agences, de nos enseignants, de nos instituts de recherche.
C'est dans cet esprit que j'ai le plaisir de vous annoncer la nomination de Monsieur Gérard Dumont comme chargé de mission qui assurera en mon nom la coordination des actions du Ministère dans ce domaine sensible.
Tenant compte de sa double expérience dans le corps préfectoral et dans une Agence Régionale de l'Hospitalisation, Monsieur Dumont saura donner à cette action l'impulsion qu'elle nécessite.
Il assurera la coordination de tous les services. Il supervisera le programme de travail et en surveillera le déroulement. Il devra promouvoir de nouveaux outils de préparation, tels que la formation des personnels, la simulation, les exercices, les communications. Il organisera une veille permanente sur l'actualité scientifique, réglementaire et médiatique nationale et internationale.
Ainsi nous allons mettre en place une organisation solide pour faire face aux risques nouveaux que la situation internationale fait courir à la population et dont je redis l'importance cruciale.
J'attache une importance particulière à la montée en puissance rapide de cette coordination et à la collaboration de tous les responsables du Ministère et des services de santé. D'avance je vous remercie de l'accueil que vous lui réserverez.
Soyez bien conscients que ce problème est devant nous pour des années. Nous ne devons pas le gérer comme une crise passagère.
Je vous souhaite de très bonnes journées de formation. M. Couty et M. Dumont m'en rendront compte et je vous assure de ma disponibilité sur ce sujet.

(Source http://www.sante.gouv.fr, le 19 juin 2003)