Texte intégral
- Bonjour François Bayrou, merci d'être là. Jacques Chirac a dit : il faudrait que dans cette réforme des retraites il n'y ait ni gagnants, ni perdants. Aujourd'hui, le mouvement s'essouffle sérieusement. Il n'y aura ni gagnants ni perdants ?
- Jacques Chirac a dit, à juste titre : "ni vainqueur, ni vaincu". Ce mouvement social s'achève, et il ne s'achève pas très bien. Alain Duhamel vient de le dire à l'instant, je suis d'accord avec lui. Il ne s'achève pas très bien parce qu'il va rester beaucoup d'amertume, et il y a beaucoup de tensions dans la société française. Au fond, la société française risque d'être plus divisée après le mouvement, qu'elle ne l'était avant. Or, pour réussir les réformes dont un pays a besoin, on a besoin d'un pays rassemblé, et pas d'un pays divisé, affronté, amer et agressif.
- Alors, concrètement, quelle porte de sortie, quelle aurait été la sortie idéale selon vous ?
C'est impossible à dire comme ça. Simplement, pour l'avenir, parce qu'il faut regarder l'avenir maintenant, puisque cette réforme des retraites s'achève avec ses avantages et ses inconvénients.
- Vous l'avez soutenue.
- Je l'ai soutenue. Parce qu'il faut bien à un moment que les réformes s'imposent, et passent. Naturellement, j'avais d'autres idées sur le texte où il me semblait qu'on pouvait ici ou là l'améliorer, ou le prendre de manière différente. Mais il faut à un moment donné que les réformes réussissent, surtout dans la situation où la France se trouve... Simplement, pour l'avenir, il faut que nous réfléchissions tous ensemble à une méthode de réformes qui réussisse à entraîner davantage, au-delà des frontières d'un camp contre l'autre. Et c'est très important pour moi que les réformes, je pense à la réforme de la sécu, apparaissent un jour comme les réformes de la société française, tout entière, dans toutes ses composantes. C'est ainsi qu'elles réussiront, et c'est ainsi autour de nous... je prends le cas de l'Allemagne et de l'Espagne, par exemple, qu'on a réussi pour les grandes réformes à asseoir autour de la table les syndicats, les représentants des entreprises, les pouvoirs publics, la majorité, et l'opposition. Les forces politiques dans leur ensemble.
- Oui mais vous voulez dire qu'il n'y avait pas cette volonté de la part du gouvernement, ou qu'il y avait une résistance de la part de certains syndicats ? J'ai envie de dire, à qui la faute selon vous ?
- La faute est partagée. La faute est partagée parce que le gouvernement a pensé qu'un accord avec la CFDT et la CGC suffisait, et il est vrai que de ce point de vue-là il a eu raison, et que d'autres syndicats ont pensé qu'une fois de plus, l'épreuve de force ne tournerait pas bien pour le gouvernement. On va être devant un paysage politique et syndical complètement nouveau. Ce paysage politique et syndical pour l'instant n'est pas fixé. Et ce que je souhaiterais c'est que les pouvoirs publics aient à l'esprit que les bonnes réformes et le bon climat, ce serait que tout le monde y participe, et que les uns entendent les arguments des autres.
- Alors concrètement, est-ce que par exemple il faut en profiter pour pousser l'avantage, on parlait de l'étalement du remboursement des jours de grève, on parle aussi du service minimum. Est-ce qu'il faut aujourd'hui que le gouvernement continue à être très ferme, et fasse passer un certain nombre de choses ?
- Le service minimum que je préfère appeler "un service garanti", il en faudra un.
- Mais tout de suite ?
- A la rentrée on pourra en parler, ou un peu plus tard... il en faudra un, à mes yeux, en ajoutant, ou en associant la loi et la négociation dans les entreprises. Une loi qui forme un cadre, et puis le temps à l'intérieur des entreprises de négocier dans le cadre de cette loi. Mais un jour ou l'autre, un pays moderne, surtout avec l'histoire de la France, ne peut pas défendre la notion de service public, si le service public n'est pas un service qui ait une part garantie. Autrement, c'est la notion même de service public qui est mise par terre ! et donc, un jour ou l'autre, il est nécessaire que l'on pose cette question-là.
- Sur les jours de grève, vous avez dit : c'est bien de rappeler que la grève c'est sérieux, et qu'il faut en quelque sorte en payer les conséquences. Mais est-ce qu'il faut être très ferme ?
- Personne ne fait grève à la légère ! moi je ne crois pas à l'idée - répandue quelquefois - que les gens qui décident de faire grève, le font parce que c'est la mode, et que de toute façon ils n'en ont pas de conséquence sur leur feuille de paye... Ca n'a jamais été le cas. Et donc il y a deux aspects à ces choses-là : les retenues pour jours de grève sont un fait, et c'est la loi... Après, l'étalement sur quelques mois pour que ça pèse moins lourd, ça s'est toujours fait, et ça se négociera, j'en prends le pari, ministère par ministère... vous verrez qu'au bout du compte ce sera un des éléments de sortie de cette crise.
- Donc François Bayrou, pour l'apaisement, et pour plus de consensus.
- Mais il n'y a rien de possible autrement !
- En un mot, si on parlait très bientôt de la laïcité avant de parler tout de suite de l'Europe. Comment remettre tout le monde autour de la table ? parce que là aussi il peut y avoir conflit grave.
- La première chose sur la question de la laïcité, que j'ai eu à traiter autrefois en prenant, vous le savez, une circulaire sur le voile, qui a divisé par vingt, ou trente, les voiles présents dans les écoles. On était entre 9 et 10.000 avant ; on s'est retrouvé autour de 300, après ma circulaire. Donc on peut y arriver. La première qui me parait indispensable, c'est qu'on fasse un bilan. Pour l'instant, tout le monde parle dans le vide. J'ai demandé il y a déjà plusieurs semaines au gouvernement qu'il veuille bien nous communiquer les chiffres de présence de voiles dans les écoles. Je recevais des responsables d'établissements de Seine-St-Denis la semaine dernière, et ils me disaient : nous on n'a pas de voiles dans nos écoles.
- Donc ce n'est pas la peine d'aller vers une loi à tout prix ?
- Qu'on nous dise d'abord où on en est ! et qu'on évite de faire monter des sujets si la situation ne le justifiait pas. J'ai toujours pensé qu'on pouvait traiter cette question par circulaire ; peut-être faut-il une loi, mais au moins doit-on avoir sous les yeux - et on peut l'avoir dans la semaine - le bilan exact du nombre de voiles présents dans les établissements scolaires français, pour qu'on puisse se faire une opinion sur l'état actuel des choses.
- Dernière question... évidemment François Bayrou, l'Europe, la Constitution, le projet de Constitution va être présenté à Salonique, au sommet européen de Salonique... Vous dites : c'est bien, mais il y a des réserves, vous regrettez certaines choses... très concrètement, en un mot, est-ce qu'il faudra faire un référendum en France sur cette question ?
- Je ne vois pas comment dans la tradition française on peut adopter une Constitution sans faire de référendum. Ca a toujours été le cas, songez qu'on a fait un référendum sur le traité de Maastricht, à juste titre, et c'est pour cela que nous avons l'euro aujourd'hui. Donc, pour moi, si projet de Constitution il y a, il doit y avoir évidemment un référendum pour que ce projet soit adopté par le peuple, adopté à tous les sens du terme. Alors quel est l'état exact de cette affaire ? d'abord on en saura plus après le sommet. Le président Giscard d'Estaing a fait un très gros travail. Et probablement était-il une des seules personnalités à pouvoir le faire. Parce qu'il a l'expérience et l'habileté. Ensuite, en effet on n'est pas allé très loin. D'abord on a une question qui va être pesante, qui est la concurrence entre le président du conseil et le président de la commission dont on ne sait pas lequel des deux va l'emporter... et donc ça va faire une espèce de cohabitation à l'européenne... et puis surtout il y a des sujets entiers et cruciaux, qui sont exclus. Je les cite : rien sur la fiscalité. Rien sur une manière d'obliger à adopter des positions de politique étrangère commune. Sur la Défense, idem. Bref, on est loin de l'Europe.
- Vous restez sur votre faim.
- On est loin de l'Europe qu'il faudrait, que je voudrais et un jour cette Europe-là il faudra bien la construire, c'est-à-dire la proposer au peuple !
- Merci François Bayrou
(Source http://www.udf.org, le 20 juin 2003)
- Jacques Chirac a dit, à juste titre : "ni vainqueur, ni vaincu". Ce mouvement social s'achève, et il ne s'achève pas très bien. Alain Duhamel vient de le dire à l'instant, je suis d'accord avec lui. Il ne s'achève pas très bien parce qu'il va rester beaucoup d'amertume, et il y a beaucoup de tensions dans la société française. Au fond, la société française risque d'être plus divisée après le mouvement, qu'elle ne l'était avant. Or, pour réussir les réformes dont un pays a besoin, on a besoin d'un pays rassemblé, et pas d'un pays divisé, affronté, amer et agressif.
- Alors, concrètement, quelle porte de sortie, quelle aurait été la sortie idéale selon vous ?
C'est impossible à dire comme ça. Simplement, pour l'avenir, parce qu'il faut regarder l'avenir maintenant, puisque cette réforme des retraites s'achève avec ses avantages et ses inconvénients.
- Vous l'avez soutenue.
- Je l'ai soutenue. Parce qu'il faut bien à un moment que les réformes s'imposent, et passent. Naturellement, j'avais d'autres idées sur le texte où il me semblait qu'on pouvait ici ou là l'améliorer, ou le prendre de manière différente. Mais il faut à un moment donné que les réformes réussissent, surtout dans la situation où la France se trouve... Simplement, pour l'avenir, il faut que nous réfléchissions tous ensemble à une méthode de réformes qui réussisse à entraîner davantage, au-delà des frontières d'un camp contre l'autre. Et c'est très important pour moi que les réformes, je pense à la réforme de la sécu, apparaissent un jour comme les réformes de la société française, tout entière, dans toutes ses composantes. C'est ainsi qu'elles réussiront, et c'est ainsi autour de nous... je prends le cas de l'Allemagne et de l'Espagne, par exemple, qu'on a réussi pour les grandes réformes à asseoir autour de la table les syndicats, les représentants des entreprises, les pouvoirs publics, la majorité, et l'opposition. Les forces politiques dans leur ensemble.
- Oui mais vous voulez dire qu'il n'y avait pas cette volonté de la part du gouvernement, ou qu'il y avait une résistance de la part de certains syndicats ? J'ai envie de dire, à qui la faute selon vous ?
- La faute est partagée. La faute est partagée parce que le gouvernement a pensé qu'un accord avec la CFDT et la CGC suffisait, et il est vrai que de ce point de vue-là il a eu raison, et que d'autres syndicats ont pensé qu'une fois de plus, l'épreuve de force ne tournerait pas bien pour le gouvernement. On va être devant un paysage politique et syndical complètement nouveau. Ce paysage politique et syndical pour l'instant n'est pas fixé. Et ce que je souhaiterais c'est que les pouvoirs publics aient à l'esprit que les bonnes réformes et le bon climat, ce serait que tout le monde y participe, et que les uns entendent les arguments des autres.
- Alors concrètement, est-ce que par exemple il faut en profiter pour pousser l'avantage, on parlait de l'étalement du remboursement des jours de grève, on parle aussi du service minimum. Est-ce qu'il faut aujourd'hui que le gouvernement continue à être très ferme, et fasse passer un certain nombre de choses ?
- Le service minimum que je préfère appeler "un service garanti", il en faudra un.
- Mais tout de suite ?
- A la rentrée on pourra en parler, ou un peu plus tard... il en faudra un, à mes yeux, en ajoutant, ou en associant la loi et la négociation dans les entreprises. Une loi qui forme un cadre, et puis le temps à l'intérieur des entreprises de négocier dans le cadre de cette loi. Mais un jour ou l'autre, un pays moderne, surtout avec l'histoire de la France, ne peut pas défendre la notion de service public, si le service public n'est pas un service qui ait une part garantie. Autrement, c'est la notion même de service public qui est mise par terre ! et donc, un jour ou l'autre, il est nécessaire que l'on pose cette question-là.
- Sur les jours de grève, vous avez dit : c'est bien de rappeler que la grève c'est sérieux, et qu'il faut en quelque sorte en payer les conséquences. Mais est-ce qu'il faut être très ferme ?
- Personne ne fait grève à la légère ! moi je ne crois pas à l'idée - répandue quelquefois - que les gens qui décident de faire grève, le font parce que c'est la mode, et que de toute façon ils n'en ont pas de conséquence sur leur feuille de paye... Ca n'a jamais été le cas. Et donc il y a deux aspects à ces choses-là : les retenues pour jours de grève sont un fait, et c'est la loi... Après, l'étalement sur quelques mois pour que ça pèse moins lourd, ça s'est toujours fait, et ça se négociera, j'en prends le pari, ministère par ministère... vous verrez qu'au bout du compte ce sera un des éléments de sortie de cette crise.
- Donc François Bayrou, pour l'apaisement, et pour plus de consensus.
- Mais il n'y a rien de possible autrement !
- En un mot, si on parlait très bientôt de la laïcité avant de parler tout de suite de l'Europe. Comment remettre tout le monde autour de la table ? parce que là aussi il peut y avoir conflit grave.
- La première chose sur la question de la laïcité, que j'ai eu à traiter autrefois en prenant, vous le savez, une circulaire sur le voile, qui a divisé par vingt, ou trente, les voiles présents dans les écoles. On était entre 9 et 10.000 avant ; on s'est retrouvé autour de 300, après ma circulaire. Donc on peut y arriver. La première qui me parait indispensable, c'est qu'on fasse un bilan. Pour l'instant, tout le monde parle dans le vide. J'ai demandé il y a déjà plusieurs semaines au gouvernement qu'il veuille bien nous communiquer les chiffres de présence de voiles dans les écoles. Je recevais des responsables d'établissements de Seine-St-Denis la semaine dernière, et ils me disaient : nous on n'a pas de voiles dans nos écoles.
- Donc ce n'est pas la peine d'aller vers une loi à tout prix ?
- Qu'on nous dise d'abord où on en est ! et qu'on évite de faire monter des sujets si la situation ne le justifiait pas. J'ai toujours pensé qu'on pouvait traiter cette question par circulaire ; peut-être faut-il une loi, mais au moins doit-on avoir sous les yeux - et on peut l'avoir dans la semaine - le bilan exact du nombre de voiles présents dans les établissements scolaires français, pour qu'on puisse se faire une opinion sur l'état actuel des choses.
- Dernière question... évidemment François Bayrou, l'Europe, la Constitution, le projet de Constitution va être présenté à Salonique, au sommet européen de Salonique... Vous dites : c'est bien, mais il y a des réserves, vous regrettez certaines choses... très concrètement, en un mot, est-ce qu'il faudra faire un référendum en France sur cette question ?
- Je ne vois pas comment dans la tradition française on peut adopter une Constitution sans faire de référendum. Ca a toujours été le cas, songez qu'on a fait un référendum sur le traité de Maastricht, à juste titre, et c'est pour cela que nous avons l'euro aujourd'hui. Donc, pour moi, si projet de Constitution il y a, il doit y avoir évidemment un référendum pour que ce projet soit adopté par le peuple, adopté à tous les sens du terme. Alors quel est l'état exact de cette affaire ? d'abord on en saura plus après le sommet. Le président Giscard d'Estaing a fait un très gros travail. Et probablement était-il une des seules personnalités à pouvoir le faire. Parce qu'il a l'expérience et l'habileté. Ensuite, en effet on n'est pas allé très loin. D'abord on a une question qui va être pesante, qui est la concurrence entre le président du conseil et le président de la commission dont on ne sait pas lequel des deux va l'emporter... et donc ça va faire une espèce de cohabitation à l'européenne... et puis surtout il y a des sujets entiers et cruciaux, qui sont exclus. Je les cite : rien sur la fiscalité. Rien sur une manière d'obliger à adopter des positions de politique étrangère commune. Sur la Défense, idem. Bref, on est loin de l'Europe.
- Vous restez sur votre faim.
- On est loin de l'Europe qu'il faudrait, que je voudrais et un jour cette Europe-là il faudra bien la construire, c'est-à-dire la proposer au peuple !
- Merci François Bayrou
(Source http://www.udf.org, le 20 juin 2003)