Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur l'attrait de la culture chinoise en France et la défense partagée par la France et la Chine de la diversité culturelle, et plus globalement la qualité des relations et de la concertation diplomatiques entre les deux pays, Paris le 6 octobre 2003.

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Circonstance : Conférence de presse pour le lancement de l'Année de la Chine en France : inauguration au Musée des Arts océaniens et africains (Palais de la Porte dorée) de deux expositions, à Paris le 6 octobre 2003

Texte intégral

Madame le Conseiller d'Etat,
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec un grand plaisir que je participe aujourd'hui, avec Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture, et Jean-Pierre Angremy, président du Comité des années France-Chine, au lancement officiel de l'Année de la Chine en France.
Permettez-moi tout d'abord d'adresser mes remerciements à Mme Chen Zhili, conseiller d'Etat de la République populaire de Chine, pour avoir accepté de présider, avec M. Sun Jiazheng, ministre de la Culture et M. Zhou Ji, ministre de l'Education, le lancement de cette année exceptionnelle.
Pour la première fois, la Chine s'engage à présenter à un public occidental, pendant une année entière, son patrimoine, sa culture, ses créations et ses modes de vie. Nous sommes particulièrement honorés de ce que la Chine ait choisi la France pour cette ambitieuse entreprise. Dans un an, vous le savez, commencera l'année de la France en Chine, et nous nous y préparons d'ores et déjà avec un fort esprit de mobilisation.
Voulues par nos chefs d'Etat, inscrites dans notre partenariat politique, ces années croisées sont aussi l'aboutissement de près de cinq siècles d'échanges entre nos deux pays, et surtout la promesse de leur renouvellement. Civilisation plurimillénaire, la Chine n'a jamais cessé d'exercer un attrait considérable sur notre pays.
A l'origine, la France se passionne pour la Chine à travers l'aventure des Jésuites, dans un mouvement d'étonnement d'abord, puis de fascination et d'admiration mutuellement partagés.
A l'intérêt de l'élite chinoise pour l'astronomie, les mathématiques et la cartographie occidentale, répond une curiosité analogue pour les théories cosmiques, les conceptions politiques et sociales, les arts et les techniques des Chinois. En suivant Etiemble dans ses travaux sur l' "Europe chinoise", on mesure aujourd'hui la part de la Chine dans la formation du monde moderne en Occident : utilisation par Leibniz de la notion de "li" comme équivalent du principe d'immanence, idéalisation par les libres penseurs du Siècle des Lumières d'un Etat fondé sur la Raison et le droit naturel, emprunt de la Révolution française au système de recrutement des mandarins par concours, autant de contributions exemplaires de la Chine au développement de notre propre modernité. Dès cette période, la Chine est inscrite une fois pour toutes au coeur du débat des idées et alimente les sources de notre imaginaire.
Plus proche de nous, après les défricheurs et les savants, vient le temps des poètes, Claudel, Segalen, Saint John Perse, Michaux, chacun avec une intuition fulgurante et prodigieusement féconde de la Chine : "quelque chose d'immémorial, de permanent, de démesuré et de clos " pour Claudel, "terre arable du songe" et "l'envers et comme le spectre même de la mer" pour Saint John Perse.
Tout en refusant de céder aux tentations nostalgiques, nous devons rester pleinement conscients de ce précieux héritage, qu'il nous appartient aujourd'hui de prolonger et d'enrichir. Les nombreuses manifestations qui vont se succéder sur l'ensemble de notre territoire à l'occasion de l'Année de la Chine s'inscrivent à mes yeux dans cette histoire multiple, ce dialogue inspiré entre nos deux pays.
Au cours des années récentes, la culture chinoise a su capter l'attention d'un public toujours croissant. Elle n'est plus désormais le seul apanage des sinophiles : je pense en particulier au cinéma chinois, régulièrement primé dans les grands festivals internationaux, et qui a su gagner le coeur des cinéphiles français, aux lettres chinoises, grâce aux traduction de plus en plus nombreuses, mais aussi sous la plume d'auteurs d'origine chinoise écrivant directement avec brio dans notre langue, tels que Shan Sa, avec La Joueuse de Go et l'Impératrice ou Dai Sijie, avec Balzac et la Petite Tailleuse chinoise. Je pense enfin à vos jeunes artistes, comme en a témoigné, tout récemment le succès de l'exposition "Alors la Chine ?" au centre Pompidou, formidable panorama prouvant la vitalité de la création chinoise contemporaine.
Le moment était donc venu de nous montrer ambitieux, de proposer au grand public français et, au-delà, européen, les moyens de satisfaire une curiosité en expansion, de renouveler et d'approfondir la connaissance qu'ont d'eux-mêmes nos deux peuples. De son côté, la Chine est engagée dans un processus d'ouverture remarquable. Elle a adhéré à l'Organisation mondiale du commerce, elle organisera les Jeux olympiques en 2008 à Pékin, et l'Exposition universelle à Shanghai en 2010, autant d'échéances majeures auxquelles la France a d'emblée apporté son soutien actif. La volonté d'échanges est donc intense, de part et d'autre. C'est pourquoi, au-delà des gouvernements, ce sont tous les acteurs de la vie économique et sociale de nos pays qui vont participer à ces événements. Je tiens en particulier à saluer les entreprises qui ont choisi d'apporter une généreuse contribution à l'organisation de certains de ces événements, et tout particulièrement l'une des expositions phares de cette Année de la Chine qui sera consacrée au thème des "Montagnes Sacrées".
Des manifestations d'envergure et de grande qualité, qu'évoquera plus précisément Jean-Jacques Aillagon, nous permettront ainsi d'appréhender la Chine sous toutes ses facettes, et en particulier sa diversité, son dynamisme, son effervescence créatrice.
En décidant de s'ouvrir plus largement l'une à l'autre, la France et la Chine entendent également célébrer les liens si étroits qui les unissent et mettre en valeur leur souci partagé en faveur du renforcement d'un système multilatéral, fondé sur la responsabilité collective et le respect du droit.
Dans cet esprit, les Années croisées entendent faire la démonstration des mérites et des exigences de la diversité culturelle. Je suis frappé à cet égard de voir à quel point nos amis chinois et nous-mêmes nous rejoignons dans une ambition commune, consistant à défendre un monde ouvert à la différence, où la culture de l'autre doit être jugée comme une chance et non comme une menace. La diversité, qui suppose sans doute le respect de nos traditions respectives, passe surtout par la multiplication des passerelles et des échanges culturels entre les peuples, grâce au dialogue et dans une optique d'enrichissement mutuel.
Loin d'adhérer à l'idée d'un monde confronté au choc des civilisations, la France et la Chine soutiennent une conception des relations internationales fondée sur le dialogue et l'utilisation des instruments de concertation entre les nations. A l'ONU ou à l'Organisation mondiale du commerce, sur l'Irak ou la mondialisation, la France et la Chine se retrouvent ensemble, de plus en plus souvent, pour défendre le dialogue et la concertation. Elles cherchent ensemble les moyens de répondre aux défis d'aujourd'hui, qu'il s'agisse du désarmement, de l'aide aux pays les plus pauvres ou de la promotion du développement durable. Là où nous avons des divergences, et ceci est inévitable entre deux authentiques partenaires, nous avons choisi d'en parler de manière franche et constructive, en évitant la polémique stérile et la diplomatie déclaratoire.
L'enjeu des Années croisées ne s'arrête donc pas à l'échanges des différentes expressions culturelles, qu'il s'agisse du patrimoine ou de la création, entre nos deux pays. Comme il y a près de cinq siècles, c'est une même démarche, qui s'attache, en jetant des passerelles entre les cultures, à faire émerger un monde solidaire, privilégiant la concertation entre les membres de la communauté internationale, et respectueux de la diversité. François Cheng, académicien et guide incontournable pour notre apprentissage de la Chine, l'a superbement dit, dans son bref texte Le Dialogue : "l'image idéale d'une culture n'est-elle pas un jardin à multiples plantes qui rivalisent et qui, par leurs résonances réciproques, participent à une oeuvre commune ?".
Je forme aujourd'hui des voeux de réussite pour ces deux magnifiques événements de la Porte dorée, "La Chine vue de près" et "Premières lueurs sur l'Orient, l'aventure de la peinture chinoise au XXème siècle", qui ouvrent l'Année de la Chine. Je suis convaincu que le public français y répondra avec enthousiasme et avec reconnaissance. J'y vois, pour ma part, le symbole de la coopération renouvelée entre nos deux pays.
Je vous remercie.
Q - Monsieur le Ministre, comme vous l'avez souligné dans votre discours, la Chine et la France ont toutes les deux une ambition de construire un monde multipolaire qui fait épanouir la diversité culturelle. D'après vous, comment les activités culturelles d'une année de Chine en France et une autre année de France en Chine, pourraient-elles concrétiser cette volonté ? Parmi cet éventail de manifestations, y a-t-il une manifestation qui vous intéresse particulièrement ?
R - Sur l'importance que la France accorde à ces années croisées qui mettent en avant bien évidemment la dimension culturelle, je voudrais tout d'abord dire à quel point la culture se situe, pour la France, au tout premier plan de notre ambition diplomatique et au tout premier plan de ce que nous croyons être une nécessité dans le monde d'aujourd'hui. Chacun voit bien à quel point les identités, quand elles sont blessées, quand elles sont froissées, peuvent être sources de tensions et de divisions sur la scène internationale. Les nombreuses crises que connaît la situation internationale d'aujourd'hui nous le montrent. Ce respect des identités et tout ce qui va avec, la tolérance, la connaissance de l'autre, l'ouverture à l'autre, sont, pour nous, le vrai ferment de la refondation nécessaire de l'ordre international. Que ces années croisées entre la France et la Chine, entre la Chine et la France, puissent trouver leur place dans ces deux années qui s'ouvrent, c'est pour nous un symbole très fort de la volonté entre le peuple chinois et le peuple français, de s'ouvrir à cette dimension du respect et de l'identité.
Il ne vous a pas échappé que cette ouverture de l'année de la Chine en France coïncide avec l'anniversaire symbolique de la 40ème année de l'établissement de relations diplomatiques entre nos deux pays. C'est donc une année forte et nous sommes heureux que cet anniversaire soit placé sous le signe de la culture. Il est important aussi de souligner que dans l'ouverture de la Chine - et j'ai cité tout à l'heure l'importance de l'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce, les années importantes qui vont venir, les Jeux olympiques, l'Exposition universelle de 2010 - la force de la culture, la force des valeurs qui sous-tendent la culture sont évidemment des éléments essentiels.
Vous me demandez d'exposer une exposition ou une action particulière de cette année de la Chine en France qui me touche. Je citerai principalement en ce qui me concerne, l'exposition qui concernera les Montagnes célestes. Vous savez l'importance que le paysage a dans l'art, dans la peinture chinoise. Vous savez aussi l'importance que le paysage a dans la peinture française. Je crois que situer à la fois l'homme et la femme chinoise dans ce paysage, situer l'homme et la femme française dans notre propre culture, permet de mieux comprendre la culture de l'autre. Il y a donc, pour moi, là, un symbole très fort de cette volonté de se situer les uns par rapport aux autres sous le signe de la culture.
Q - Au-delà de la culture pure qui avance assez bien, même sans les gouvernements, y a-t-il un nouvel élan à donner aux 40 ans des relations diplomatiques franco-chinoises ? Aujourd'hui, que peuvent faire les deux pays l'un pour l'autre dans le domaine purement diplomatique ?
R - La volonté, du côté de la France et du côté de la Chine, c'est bien d'établir un partenariat global. C'est ce qu'on a affirmé au plus haut niveau de nos deux pays en 1997 avec une volonté très forte de donner une nouvelle impulsion dans tous les domaines, qu'il s'agisse des domaines culturel, économique, politique, diplomatique, stratégique. C'est cette vision globale à laquelle nous attachons beaucoup d'importance.
Dans le domaine diplomatique, il ne vous aura pas échappé que la concertation entre nos deux pays depuis de longs mois, s'est considérablement intensifiée et en particulier - malheureusement j'allais dire, parce que les crises dominent l'actualité internationale - sur toutes les grandes crises internationales. Je ne prendrai que pour exemple la crise irakienne où les convergences entre nos deux pays ont été marquées à chacune des étapes et, encore aujourd'hui, dans la discussion sur le nouveau projet de résolution américain qui a été déposé devant le Conseil de sécurité.
C'est dire que nous partageons, en ce qui concerne le nouvel ordre international à bâtir, des points de vue très proches et que nous avons le souci d'établir et de développer en permanence notre dialogue. J'ai pu rencontrer à Genève, à l'invitation du Secrétaire général des Nations unies qui réunissait les membres permanents du Conseil de sécurité, mon nouvel homologue chinois et nous avons pu longuement discuter des visions de nos deux pays. Nous nous sommes à nouveau rencontrés longuement à New York, à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies. C'est pour vous dire que la concertation diplomatique entre nos deux pays est permanente et excellente.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 octobre 2003)