Déclaration de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur le bilan de l'accord salarial signé dans la fonction publique et sur le contenu et le calendrier des futures discussions salariales, Paris le 11 juillet 2000.

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Circonstance : Réunion entre le ministre de la Fonction publique et les sept fédérations de fonctionnaires, à Paris le mardi 11 juillet 2000

Texte intégral

La politique salariale est, dans toutes les organisations, un élément fondamental des relations sociales et de la gestion des ressources humaines. J'attache donc un prix particulier à notre rencontre d'aujourd'hui, que je conçois, bien que j'ai hérité de son principe et de son moment, non pas comme une obligation mais comme une nécessité.
J'ai déjà eu l'occasion de vous dire l'importance que revêtait à mes yeux le dialogue social dans la fonction publique. Je vous ai dit aussi que je pensais que ce dialogue social méritait d'être rénové et en tout cas plus dynamique.
Je n'oublie pas cependant que le fonctionnaire est, vis à vis de l'administration, dans une situation statutaire et réglementaire et que, s'il a aujourd'hui des droits alors qu'il n'avait hier que des obligations, nous vivons toujours juridiquement sous l'empire de la décision unilatérale. Si les fonctionnaires ont droit après service fait à une rémunération, celle-ci dépend de la loi et des règlements et non d'un engagement contractuel. La différence même des appellations - traitement dans la fonction publique, salaire dans l'entreprise privée - est significative : la puissance publique traite, c'est à dire entretient ses agents, cependant que l'employeur privé échange un travail contre une somme d'argent.
Mais. comme en d'autres domaines, - et nous l'avons vu ensemble sur la résorption de la précarité - la négociation s'est acclimatée en matière salariale dans la fonction publique, depuis 1974, si je fais exception de l'année particulière de 1968.
C'est ce gouvernement qui, après le mauvais souvenir de l'année blanche de 1996, qui ne trouvait de précédent aussi fâcheux qu'en remontant à 1986, a souhaité emprunter la voie contractuelle pour aboutir à un accord que mon prédécesseur et certains d'entre vous ont signé.
Notre rencontre d'aujourd'hui a pour premier objet de tirer un bilan définitif de cet accord, dès lors que nous connaissons maintenant le taux d'inflation officiel pour l'ensemble de l'année 1999.
Cet accord était un bon accord dès l'origine puisque, outre une revalorisation du point, fonction de l'inflation prévue à l'époque, il prévoyait notamment des dispositions relatives aux traitements les plus faibles, une amélioration des perspectives de carrière pour les fonctionnaires de catégorie C et une poursuite du CFA. Mais cet accord s'est révélé encore bien plus favorable dès lors que l'inflation de 1998 s'est située à un niveau extrêmement faible : au terme de l'accord, c'est-à-dire fin 1999, le point a gagné 1,1 % de pouvoir d'achat. Ce gain peut paraître faible en valeur absolue, tant nous conservons en mémoire les années difficiles où l'inflation galopait et où les revalorisations annuelles pouvaient tourner autour de 10 %, sans parvenir toutefois à rattraper le coût de la vie ; mais il est considérable, lorsque nous vivons avec une inflation de l'ordre de 1 %, puisque, - nous le voyons avec le taux prévu pour cette année -, en deux ans d'accord, ce sont trois ans d'inflation qui sont compensés.
Je souhaite que notre discussion d'aujourd'hui et celles qui suivront soient parfaitement transparentes. L'accord a été appliqué. J'ai toutefois relevé quelques sujets qui ont souffert de retards, de réserves ou de malentendus, qu'il s'agisse des frais de déplacement, du barème d'invalidité ou du minimum de pensions. Des raisons diverses expliquent le retard pris sur ces dossiers : elles ne les excusent pas.
Je ne vous cacherai pas non plus que le contexte budgétaire dans lequel s'inscrit l'exercice que nous ouvrons aujourd'hui n'est pas aussi favorable que nous le souhaiterions et que nous pourrions l'imaginer si nous nous bornions à constater la forte croissance de l'économie française. Les finances publiques accusent aujourd'hui un retard par rapport au cycle de la croissance. Sur le budget de l'Etat pèsent encore la charge de nouveau croissante cette année de la dette héritée des périodes de récession, le poids aussi de politiques sociales ou d'aides à l'emploi qui ont permis d'amortir les effets dévastateurs du chômage et dont la poursuite est nécessaire tant que les personnes qui en bénéficient n'auront pas retrouvé leur place sur le marché du travail. Nous devons également honorer des engagements européens, qui ne doivent pas être vécus comme des contraintes que nous subirions impuissants, mais comme des objectifs que nous nous sommes collectivement et librement fixés pour garantir la croissance européenne, la stabilité de l'Euro, la convergence de nos économies, et donc la création d'emplois et le retour progressif au plein emploi.
Parmi ces objectifs figurent le niveau de la dette publique, qui doit être réduit, celui du déficit annuel des administrations publiques, qui doit diminuer, mais aussi un objectif de limitation à 1 % en volume sur les trois prochaines années de la progression des dépenses de l'Etat. Sur cette base, et à structure constante des dépenses de l'Etat, la marge supplémentaire disponible annuellement est d'environ 20 milliards de francs, cependant que l'augmentation spontanée du coût des pensions est d'environ 6 milliards et demi que l'effet du GVT peut être évalué à un peu plus de 4 milliards et demi.
Le taux d'inflation prévisible pour l'année 2000 s'établit autour de 1% en glissement, comme pour 2001.
-Ne tirez pas de ces constats francs la conclusion que le pouvoir d'achat des fonctionnaires ne saurait que se dégrader pour les prochaines années. S'il en était ainsi, je n'aurais pas indiqué que l'année 2000 ne sera pas une année blanche, ce que je vous confirme solennellement aujourd'hui : le point sera revalorisé d'ici la fin de cette année.
Au-delà du bilan de l'accord 1998-1999, qu'il nous revient d'arrêter définitivement, je souhaiterais que nous mettions au point aujourd'hui, et compte tenu du contexte que je viens de rappeler, le contenu et le calendrier de nos discussions salariales dans les prochains mois. Elles devront porter bien évidemment sur l'année 2001 et s'articuler avec 1'année 2000. Je m'interroge et je vous interroge sur la prise en compte dès maintenant de l'année 2002 : il y a quelque avantage à prévoir pour deux années et quelques incertitudes à cette prévision.
Quant aux modalités de nos discussions, je vous propose qu'elles débutent à la rentrée et qu'elles portent non seulement sur la question de la revalorisation proprement dite mais aussi sur un nombre plus significatif que d'ordinaire de sujets liés directement à la rémunération ou connexes à celle-ci. Je vous propose enfin que nous débutions nos travaux à la rentrée par ces derniers sujets.
Je crois cependant utile de régler autant que faire se peut dés aujourd'hui les questions liées au protocole 98-99 et restées en suspens.
Le dossier des frais de déplacement, dont la complexité a motivé à deux reprises de repousser l'application des mesures de contrôle de l'effectivité de la dépense, sera réglé rapidement : le décret du 30 août 1999 sera appliqué à compter du 30 août prochain : le dispositif forfaitaire de 1990 sera actualisé et amélioré, les barèmes forfaitaires de remboursement des nuitées seront revalorisés pour les mettre au niveau de ceux établis pour la Poste, et les conditions de recours à l'expérimentation assouplies.
Par ailleurs, le barème d'invalidité sera prochainement mis en uvre par décret cependant que le haut comité de l'invalidité sera créé et installé.
Enfin. la question du relèvement du minimum de pension par augmentation de l'indice 204 sera abordée à l'automne pour être définitivement réglée.
Le gouvernement a décidé récemment d'un relèvement important du SMIC si bien qu'il dépasse à nouveau, d'un peu plus de 55 francs mensuels, le minimum de traitement brut de la fonction publique. Je vous annonce que je mettrai en uvre à compter du 1er juillet le mécanisme de l'indemnité différentielle qui permettra ainsi de recaler le minimum de rémunération dans la fonction publique sur le SMIC. J'ajoute que nous aurons à inscrire les effets de cette revalorisation dans la suppression de l'échelle 1 que nous envisageons par ailleurs.
Au-delà de ces décisions immédiates, ou à terme, qui manifestent le souci du gouvernement d'appliquer les accords passés et de porter une attention particulière aux rémunérations les plus basses, je souhaiterais vous proposer l'ouverture des dossiers suivants à l'automne prochain :
- une réforme du régime des indemnités horaires pour travaux supplémentaires, le dispositif actuel méritant d'être révisé,
- ainsi que nous en avions discuté à l'occasion du dossier sur l'aménagement et la réduction du temps de travail;
- une réflexion sur l'adaptation des règles régissant la promotion pour atténuer les effets des déformations des pyramides des âges ;
- une refonte des dispositions relatives au suivi médical des travailleurs de nuit, pour transposer la directive européenne ;
- une réflexion sur l'emploi dans la fonction publique des travailleurs handicapés.
Enfin, je souhaiterais que nous nous interrogions ensemble sur les conditions dans lesquelles est conduite la politique salariale dans la fonction publique. Je suis d'abord frappé de constater, lorsque le regard se porte en arrière, que cette politique salariale se déroule par-à-coups tant au fond que dans la forme. Pour reprendre un anglicisme adopté par nos économistes, je dirai qu'il s'agit d'une politique de stop and go. Nous avons recours alternativement à l'accord et à la mesure unilatérale, certaines revalorisations sont généreuses au regard de l'inflation, d'autres ont été insuffisantes, surtout pendant les années blanches que j'ai rappelées tout à l'heure.
Par ailleurs, les négociations salariales, lorsqu'elles ont lieu, portent sur le traitement et sur quelques éléments connexes au traitement, mais sans lien aucun avec la politique de l'emploi. Les conditions de travail ou la gestion des carrières. C'est dire que nous nous focalisons sur la seule question salariale, qui plus est en nous intéressant quasi exclusivement au traitement de base, dont l'évolution n'est de surcroît appréhendée qu à travers la seule évolution du point. Et cette évolution du point n'est mesurée qu'en niveau, ce qui est sans doute réducteur. Pouvons nous continuer à traiter isolément la valeur du point sans nous intéresser à la progression des carrières, à l'évolution des missions ou aux accessoires du traitement ? Lorsqu un fonctionnaire regarde son avenir, le fait-il en distinguant la valeur du point et ses perspectives de carrière ou regarde-t-il globalement, dans un même mouvement, son pouvoir d'achat, ses espoirs de promotion et ses conditions de travail ?
Je sais la difficulté de ces questions et le trouble qu'un tel constat peut produire et je n'ai d'ailleurs pas de réponse définitive à ces interrogations. Mais la qualité du dialogue social que je souhaite dans la fonction publique suppose que nous acceptions sans arrière-pensée et sans précipitation d'examiner nos méthodes de travail et nos modes de raisonnement.
Mon souci est de discuter avec vous sans passion, de mettre dans nos débats plus de lucidité et de transparence. Je crois profondément que notre fonction publique est un formidable atout pour notre pays. Je crois aussi que son avenir dépend de notre capacité à construire ensemble un dialogue social plus riche, à nous projeter dans l'avenir par un effort de gestion prévisionnelle et à affronter globalement les questions qui concernent les fonctionnaires, qu'il s'agisse de la rémunération, de la carrière, des conditions de travail ou de l'emploi.
(Source : http://www.fsu.fr, le 9 août 2000)