Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, à des médias le 19 septembre 2003 à Stockholm, sur l'action et la personnalité d'Anna Lindh, ministre suédoise des affaires étrangères, victime d'un assassinat, et sur les choix européens de la Suède, en particulier sur l'euro.

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Circonstance : Cérémonie d'hommage à la mémoire de Mme Anna Lindh, ministre suédoise des affaires étrangères, à Stockholm le 19 septembre 2003

Média : Télévision

Texte intégral

Q - Vos réflexions aujourd'hui ?
R - C'est un moment de grande émotion pour moi, pour l'ensemble d'entre nous, toute cette communauté des ministres européens qui, semaine après semaine, mois après mois, essaient de défendre la même idée, la même idée de l'Europe. Je garde le souvenir d'Anna comme une femme d'une grande humanité, d'une humanité simple, souriante, d'une humanité attentive et en même temps d'une femme de grande conviction, de principes et d'idéaux. Elle était assise juste à côté du siège de la France au Conseil européen, elle était la voisine du président de la République. Et nous avons donc passé de nombreuses heures à essayer de faire avancer l'Europe, et nous gardons l'image de quelqu'un qui était toujours disponible pour avancer des idées, pour avancer des propositions. C'était une merveilleuse amie.
Q - Qu'est-ce que vous pensez maintenant de la Suède sans Anna Lindh ?
R - Je crois que la Suède perd une grande voix, une conscience, une femme qui avait une très haute idée de ce que devait être l'Europe, de ce que devait être le monde. Nous l'avons vu nous Français tout particulièrement tout au long de ces mois de la crise irakienne. Je crois qu'elle reste un exemple, une référence et elle montre un chemin pour les Suédois, mais aussi pour tous les Européens.
Q - Et vous pensez que la position suédoise maintenant est plus faible sans elle ?
R - Je crois qu'elle restera une très forte inspiration pour l'ensemble des Suédois et pour la diplomatie suédoise. Et je crois que les principes, les convictions, les idéaux qui étaient les siens, restent aujourd'hui très présents chez tous les Suédois et que c'est un défi à relever, c'est un exemple à suivre. Donc j'ai confiance dans la capacité de la Suède, j'ai confiance dans l'engagement du peuple suédois pour défendre ces grandes valeurs.
Q - Sur le plan personnel, qu'est-ce que vous ressentez ?
R - C'est une douleur, parce qu'elle faisait partie de ces amis qu'on avait plaisir à retrouver pour les Conseils européens, et puis elle avait cet enthousiasme, elle avait cette passion qui donnait une couleur, un parfum, un sens particulier à la diplomatie. Avec elle c'est vrai et cela a été dit à la cérémonie, nous nous sentions une même famille. Cette communauté, dans l'épreuve, va chercher d'autres raisons d'avancer. Et son souvenir restera très présent parmi nous.
Q - Qu'est-ce que vous pensez des risques d'être politicien ?
R - Les risques existent, mais je crois qu'ils doivent être appréciés à la lumière du rôle et du devoir qui est le nôtre. Je crois que c'est la force de la démocratie que d'amener ceux qui représentent leur pays, qui défendent des idées, à aller jusqu'au bout de ces idées et Anna Lindh reste de ce point de vue un grand exemple.
Q - Est-ce que vous voyez une contradiction entre le fait qu'Anna Lindh ait combattu pour le oui à l'euro et que la Suède ait dit non ? Qu'est-ce que vous pensez ?
R - Je crois que c'est un choix du peuple suédois que nous respectons infiniment. Anna Lindh avait une très haute idée de l'Europe et un très grand engagement de l'Europe. L'Europe reste attentive et nous sommes sûrs de l'appartenance et de la détermination européenne de nos amis suédois. Je crois que c'est un combat qui continuera dans les prochaines années et je suis sûr qu'au bout du compte, cette grande famille, y compris sur l'euro, se trouvera réunie.
Q - (A propos de la personnalité d'Anna Lindh)
R - C'est la force de la dimension humaine, la force de l'amitié en diplomatie, la force de la fidélité. Ce sont des hommes et des femmes qui font la diplomatie et Anna Lindh était une de ces femmes, engagée, avec un idéal, avec une conviction, une très haute idée de son pays, une très haute idée de l'Europe. Je crois que cette dimension de la conviction, de l'idéal était constamment présente. Cela montre à quel point ce sont aussi effectivement des êtres humains qui s'impliquent, s'investissent, consacrent du temps, de l'énergie, mettent de la passion et prennent des risques. Je crois que dans le lien démocratique, entre ceux qui ont pour vocation de représenter, l'honneur et la chance de représenter leur pays et le peuple, il y a là une dimension très forte qui nous est rappelée dans ces circonstances dramatiques et qui fait, plus que jamais, la force et la noblesse de cet idéal démocratique.
Q - (A propos des choix européens de la Suède après la mort d'Anna Lindh)
R - Je suis confiant de la capacité de la Suède à suivre et continuer dans cette direction avec la même exigence.
Q - Et le vide que laisse Anna Lindh, comment allez-vous le remplir ?
R - Ecoutez, la Suède, j'en suis convaincu, saura trouver un ou une ministre des Affaires étrangères qui pourra défendre avec force les convictions de la Suède en Europe. Et je suis convaincu que nous arriverons tous ensemble à permettre à cette Europe de faire face aux difficultés et aux défis qui sont les siens.
Q - Au niveau sécurité, avez-vous un peu peur, parce que chez nous c'est la deuxième fois quand même ?
R - Je sais, et, malheureusement, de nombreuses menaces à travers le monde montrent qu'il y a un risque, un danger, mais je crois que cela vient rappeler aussi à nos peuples, à nos opinions publiques, que ceux qui choisissent de défendre les positions de leur pays, de représenter leur pays, le font avec le souci de cet idéal et, en l'occurrence, de cette ambition pour un pays et pour l'Europe. Donc je crois que cela ne fait que renforcer la conviction démocratique.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 septembre 2003)