Texte intégral
Q - On vous a parfois reproché d'en faire trop à la tête de ceux qui ne jugeaient pas la guerre en Irak inéluctable. Avec le recul, aurait-il été possible de préserver l'unité des Occidentaux ?
R - En fait-on jamais assez quand on se bat pour la paix ? Tout au long de cette crise, la France a été fidèle à ses valeurs, ses principes et ses convictions, avec le souci, à chaque étape, de trouver des solutions.
Le but, défini à l'unanimité du Conseil de sécurité par la résolution 1441, c'était de désarmer l'Irak. Peu à peu, on a vu l'administration américaine avancer d'autres objectifs : changement de régime à Bagdad, remodelage politique de la région Cela nous a éloigné de la démarche des inspections qui était bien celle de la 1441 et qui, avec le soutien d'une large majorité de la communauté internationale, donnait des résultats : on l'a vu avec la destruction des missiles Al Samoud. Comment aurions-nous pu alors accepter d'entrer dans une logique militaire ? C'est pourquoi le président de la République a dit qu'il voterait "non" contre toute résolution prévoyant un recours automatique à la force. Nous avons constamment fait des propositions pour trouver des points d'entente. Mais il a bien fallu constater que les Etats-Unis étaient décidés à aller de l'avant.
Q - La guerre, qui a eu lieu quand même, ne change-t-elle pas la donne ?
R - Durant tout le conflit, la France a fait preuve d'esprit de responsabilité. Nous nous sommes réjouis de la chute du régime de Saddam Hussein. Nous sommes maintenant dans une autre phase, où il faut nous tourner vers l'avenir et construire ensemble la paix. Notre objectif principal, c'est de répondre aux besoins du peuple irakien et de lui rendre sa pleine souveraineté. Travaillons ensemble à la meilleure façon de réussir la reconstruction de l'Irak. Nous voulons faire preuve d'ouverture en proposant, par exemple, la suspension des sanctions qui frappent ce pays depuis plus de dix ans.
Q - Notre diplomatie ne devrait-elle pas faire plus de cas du sort des peuples soumis à des dictatures ?
R - C'est bien pour cela que nous défendons une diplomatie de mouvement car la voie militaire peut-elle être la solution ? Certains voudraient nous enfermer dans un faux dilemme : soit le recours à la force, soit l'impuissance collective. Notre conviction, c'est qu'entre les deux, il y a la mobilisation de la communauté internationale, que seul peut exprimer le Conseil de sécurité. Plus elle avance unie, plus son action est légitime et donc efficace, qu'il s'agisse de désarmement, de Droits de l'Homme, de démocratie. Cette volonté collective doit se traduire par de nouveaux instruments, comme la création d'un corps d'inspection, que la France a proposé pour mieux faire face aux différentes crises de prolifération.
Q - En constituant la Force de stabilisation, les Américains ne confirment-ils pas leur volonté de se passer, en Irak, de l'Onu, de l'Otan, de l'Union européenne ?
R - Dans cette première phase, la responsabilité de la coalition est particulièrement engagée sur le terrain. La Force de stabilisation risque de n'offrir que des solutions limitées et temporaires ; elle n'est autre que la coalition élargie autour du noyau américano-britannique. Or, pour ancrer durablement la stabilité et la démocratie en Irak et dans la région, il faut se doter d'une force qui rassemble la communauté internationale et qui se situe dans le cadre d'un mandat du Conseil de sécurité. C'est ce que souhaite aujourd'hui la plupart des Etats, y compris parmi ceux qui envisagent de participer à cette force. La France est prête à examiner favorablement une implication de l'OTAN qui devrait se situer dans le cadre des Nations Unies comme cela a été le cas dans les Balkans. Le dispositif retenu, qui a fait ses preuves, pourrait associer des pays de la région.
Q - Regrettez-vous que les Américains n'aient, à ce stade, consulté ni la France, ni l'ONU ?
R - La France veut être à la fois fidèle à ses principes et avancer la main tendue. Les Américains préparent actuellement un projet de résolution pour le Conseil de sécurité. Nous sommes prêts à y travailler dans un esprit de concertation car nous sommes convaincus que les Nations unies ont un rôle central à jouer.
Il faut, tous ensemble, contribuer à la satisfaction des besoins immédiats de la population. Six Irakiens sur dix dépendaient, pour leur survie, du programme "Pétrole contre nourriture". Nous devons donc mettre en place une gestion transparente des ressources pétrolières de ce pays. Dans le domaine du désarmement, on peut très bien combiner le souci des Américains et des Britanniques de déployer leurs propres experts sur le terrain et le besoin de certification de la communauté internationale, afin de garantir le processus de contrôle. Mais l'enjeu principal reste la formation d'une autorité politique légitime en Irak. Sa pleine reconnaissance par les Irakiens, les pays voisins et la communauté internationale exigent une implication significative de l'ONU, comme en Afghanistan ou au Kosovo. C'est l'intérêt de tous. Sur les modalités, nous sommes ouverts.
Q - Comment la France peut-elle renouer avec les Etats-Unis sans se renier ?
R - Personne ne remet en cause ce qui fonde l'amitié et la relation entre nos deux pays. La clé, désormais, c'est d'agir en commun pour définir les bases d'un monde plus juste et plus stable. Les Américains peuvent avoir le sentiment de pouvoir faire les choses seuls, dans le cadre de simples coalitions. Cela ne fournit pas une base suffisante et n'est pas à la hauteur des défis que sont le Proche-Orient, le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive.
N'oublions pas que nous avons affaire aujourd'hui, dans la guerre que nous livrent les mouvements terroristes, à un ennemi invisible, au visage caché, qui entend jouer des divisions du monde. Ne lui prêtons pas le flanc : se diviser c'est s'affaiblir.
Q - Colin Powell et vous, qui vous rendrez en Israël et en Palestine presque au même moment, vous êtes-vous concertés sur ce dossier ?
R - Nous avons, de longue date, un dialogue très étroit sur ces questions. Il existe, aujourd'hui, un consensus historique sur les objectifs : un Etat palestinien à côté d'un Etat d'Israël, dans des frontières sûres et reconnues. A partir de la "feuille de route" proposée par la communauté internationale et publiée le 30 avril, chacun doit faire sa part du chemin : les Palestiniens doivent renoncer à la violence et poursuivre les réformes, Israël doit abandonner sa politique de colonisation et retirer ses troupes sur les lignes de septembre 2000. La formation et l'investiture du gouvernement palestinien d'Abou Mazen constituent des signaux très positifs.
Q - De quels moyens de pression la France et l'Europe disposent-elles pour vaincre les réticences de part et d'autre ?
R - Aujourd'hui, l'Europe est engagée et unie au Proche-Orient. Elle dispose de leviers politiques, financiers et économiques importants. La France, au sein de l'Union, entend continuer à jouer son rôle d'impulsion. Elle a proposé d'accueillir une conférence internationale.
L'important, c'est de multiplier les dialogues avec chacune des parties. C'est ce que j'ai fait en Egypte, en Jordanie, en Syrie, au Liban. J'ai pu constater à Damas que les autorités syriennes avaient conscience de la nécessité du mouvement. Il est indispensable qu'Israël accepte la négociation avec la perspective d'un retour du Golan à la Syrie. Une paix est possible entre le Liban et Israël. Il faut que l'indépendance et la souveraineté du Liban soient respectées. Si l'on s'enferme dans le jeu des extrêmes, cette région restera l'otage du terrorisme et de la violence. Il faut donc sortir de la logique des préalables.
Q - Est-il possible de construire une même Europe entre pays qui ont des visions divergentes de l'organisation du monde et de leurs relations avec l'Amérique ?
R - On sait bien que l'Europe hésite, écartelée entre sa fidélité atlantique et son ambition européenne. Mais nous savons tous que ces deux exigences sont complémentaires. Notre devoir aujourd'hui est d'avancer ensemble : pour assurer la stabilité du monde, nous avons besoin de tous.
Depuis l'effondrement du mur de Berlin, nous sommes entrés dans un monde nouveau, avec l'émergence de plusieurs pôles régionaux, notamment la Russie, la Chine ou encore l'Inde. L'Europe constitue l'un de ces grands pôles. Les relations transatlantiques seront d'autant plus fortes et le monde d'autant plus stable qu'elle saura prendre ses responsabilités, dans une relation d'égalité. L'Europe doit se faire en complémentarité et non en rivalité avec les Etats-Unis. C'est vrai en particulier dans le domaine de la défense. Nous avons fait des propositions en ce sens avec l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, le 29 avril dernier, comme nous l'avions fait en 1998, à Saint-Malo, avec la Grande-Bretagne. Pour jouer tout son rôle, l'Europe doit à la fois être plus efficace, plus démocratique et plus transparente. C'est tout l'enjeu de la Convention sur l'avenir de l'Europe, présidée avec exigence et courage par Valéry Giscard d'Estaing, qui prépare un nouveau schéma institutionnel. C'est aussi notre chance.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mai 2003)
R - En fait-on jamais assez quand on se bat pour la paix ? Tout au long de cette crise, la France a été fidèle à ses valeurs, ses principes et ses convictions, avec le souci, à chaque étape, de trouver des solutions.
Le but, défini à l'unanimité du Conseil de sécurité par la résolution 1441, c'était de désarmer l'Irak. Peu à peu, on a vu l'administration américaine avancer d'autres objectifs : changement de régime à Bagdad, remodelage politique de la région Cela nous a éloigné de la démarche des inspections qui était bien celle de la 1441 et qui, avec le soutien d'une large majorité de la communauté internationale, donnait des résultats : on l'a vu avec la destruction des missiles Al Samoud. Comment aurions-nous pu alors accepter d'entrer dans une logique militaire ? C'est pourquoi le président de la République a dit qu'il voterait "non" contre toute résolution prévoyant un recours automatique à la force. Nous avons constamment fait des propositions pour trouver des points d'entente. Mais il a bien fallu constater que les Etats-Unis étaient décidés à aller de l'avant.
Q - La guerre, qui a eu lieu quand même, ne change-t-elle pas la donne ?
R - Durant tout le conflit, la France a fait preuve d'esprit de responsabilité. Nous nous sommes réjouis de la chute du régime de Saddam Hussein. Nous sommes maintenant dans une autre phase, où il faut nous tourner vers l'avenir et construire ensemble la paix. Notre objectif principal, c'est de répondre aux besoins du peuple irakien et de lui rendre sa pleine souveraineté. Travaillons ensemble à la meilleure façon de réussir la reconstruction de l'Irak. Nous voulons faire preuve d'ouverture en proposant, par exemple, la suspension des sanctions qui frappent ce pays depuis plus de dix ans.
Q - Notre diplomatie ne devrait-elle pas faire plus de cas du sort des peuples soumis à des dictatures ?
R - C'est bien pour cela que nous défendons une diplomatie de mouvement car la voie militaire peut-elle être la solution ? Certains voudraient nous enfermer dans un faux dilemme : soit le recours à la force, soit l'impuissance collective. Notre conviction, c'est qu'entre les deux, il y a la mobilisation de la communauté internationale, que seul peut exprimer le Conseil de sécurité. Plus elle avance unie, plus son action est légitime et donc efficace, qu'il s'agisse de désarmement, de Droits de l'Homme, de démocratie. Cette volonté collective doit se traduire par de nouveaux instruments, comme la création d'un corps d'inspection, que la France a proposé pour mieux faire face aux différentes crises de prolifération.
Q - En constituant la Force de stabilisation, les Américains ne confirment-ils pas leur volonté de se passer, en Irak, de l'Onu, de l'Otan, de l'Union européenne ?
R - Dans cette première phase, la responsabilité de la coalition est particulièrement engagée sur le terrain. La Force de stabilisation risque de n'offrir que des solutions limitées et temporaires ; elle n'est autre que la coalition élargie autour du noyau américano-britannique. Or, pour ancrer durablement la stabilité et la démocratie en Irak et dans la région, il faut se doter d'une force qui rassemble la communauté internationale et qui se situe dans le cadre d'un mandat du Conseil de sécurité. C'est ce que souhaite aujourd'hui la plupart des Etats, y compris parmi ceux qui envisagent de participer à cette force. La France est prête à examiner favorablement une implication de l'OTAN qui devrait se situer dans le cadre des Nations Unies comme cela a été le cas dans les Balkans. Le dispositif retenu, qui a fait ses preuves, pourrait associer des pays de la région.
Q - Regrettez-vous que les Américains n'aient, à ce stade, consulté ni la France, ni l'ONU ?
R - La France veut être à la fois fidèle à ses principes et avancer la main tendue. Les Américains préparent actuellement un projet de résolution pour le Conseil de sécurité. Nous sommes prêts à y travailler dans un esprit de concertation car nous sommes convaincus que les Nations unies ont un rôle central à jouer.
Il faut, tous ensemble, contribuer à la satisfaction des besoins immédiats de la population. Six Irakiens sur dix dépendaient, pour leur survie, du programme "Pétrole contre nourriture". Nous devons donc mettre en place une gestion transparente des ressources pétrolières de ce pays. Dans le domaine du désarmement, on peut très bien combiner le souci des Américains et des Britanniques de déployer leurs propres experts sur le terrain et le besoin de certification de la communauté internationale, afin de garantir le processus de contrôle. Mais l'enjeu principal reste la formation d'une autorité politique légitime en Irak. Sa pleine reconnaissance par les Irakiens, les pays voisins et la communauté internationale exigent une implication significative de l'ONU, comme en Afghanistan ou au Kosovo. C'est l'intérêt de tous. Sur les modalités, nous sommes ouverts.
Q - Comment la France peut-elle renouer avec les Etats-Unis sans se renier ?
R - Personne ne remet en cause ce qui fonde l'amitié et la relation entre nos deux pays. La clé, désormais, c'est d'agir en commun pour définir les bases d'un monde plus juste et plus stable. Les Américains peuvent avoir le sentiment de pouvoir faire les choses seuls, dans le cadre de simples coalitions. Cela ne fournit pas une base suffisante et n'est pas à la hauteur des défis que sont le Proche-Orient, le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive.
N'oublions pas que nous avons affaire aujourd'hui, dans la guerre que nous livrent les mouvements terroristes, à un ennemi invisible, au visage caché, qui entend jouer des divisions du monde. Ne lui prêtons pas le flanc : se diviser c'est s'affaiblir.
Q - Colin Powell et vous, qui vous rendrez en Israël et en Palestine presque au même moment, vous êtes-vous concertés sur ce dossier ?
R - Nous avons, de longue date, un dialogue très étroit sur ces questions. Il existe, aujourd'hui, un consensus historique sur les objectifs : un Etat palestinien à côté d'un Etat d'Israël, dans des frontières sûres et reconnues. A partir de la "feuille de route" proposée par la communauté internationale et publiée le 30 avril, chacun doit faire sa part du chemin : les Palestiniens doivent renoncer à la violence et poursuivre les réformes, Israël doit abandonner sa politique de colonisation et retirer ses troupes sur les lignes de septembre 2000. La formation et l'investiture du gouvernement palestinien d'Abou Mazen constituent des signaux très positifs.
Q - De quels moyens de pression la France et l'Europe disposent-elles pour vaincre les réticences de part et d'autre ?
R - Aujourd'hui, l'Europe est engagée et unie au Proche-Orient. Elle dispose de leviers politiques, financiers et économiques importants. La France, au sein de l'Union, entend continuer à jouer son rôle d'impulsion. Elle a proposé d'accueillir une conférence internationale.
L'important, c'est de multiplier les dialogues avec chacune des parties. C'est ce que j'ai fait en Egypte, en Jordanie, en Syrie, au Liban. J'ai pu constater à Damas que les autorités syriennes avaient conscience de la nécessité du mouvement. Il est indispensable qu'Israël accepte la négociation avec la perspective d'un retour du Golan à la Syrie. Une paix est possible entre le Liban et Israël. Il faut que l'indépendance et la souveraineté du Liban soient respectées. Si l'on s'enferme dans le jeu des extrêmes, cette région restera l'otage du terrorisme et de la violence. Il faut donc sortir de la logique des préalables.
Q - Est-il possible de construire une même Europe entre pays qui ont des visions divergentes de l'organisation du monde et de leurs relations avec l'Amérique ?
R - On sait bien que l'Europe hésite, écartelée entre sa fidélité atlantique et son ambition européenne. Mais nous savons tous que ces deux exigences sont complémentaires. Notre devoir aujourd'hui est d'avancer ensemble : pour assurer la stabilité du monde, nous avons besoin de tous.
Depuis l'effondrement du mur de Berlin, nous sommes entrés dans un monde nouveau, avec l'émergence de plusieurs pôles régionaux, notamment la Russie, la Chine ou encore l'Inde. L'Europe constitue l'un de ces grands pôles. Les relations transatlantiques seront d'autant plus fortes et le monde d'autant plus stable qu'elle saura prendre ses responsabilités, dans une relation d'égalité. L'Europe doit se faire en complémentarité et non en rivalité avec les Etats-Unis. C'est vrai en particulier dans le domaine de la défense. Nous avons fait des propositions en ce sens avec l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, le 29 avril dernier, comme nous l'avions fait en 1998, à Saint-Malo, avec la Grande-Bretagne. Pour jouer tout son rôle, l'Europe doit à la fois être plus efficace, plus démocratique et plus transparente. C'est tout l'enjeu de la Convention sur l'avenir de l'Europe, présidée avec exigence et courage par Valéry Giscard d'Estaing, qui prépare un nouveau schéma institutionnel. C'est aussi notre chance.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mai 2003)