Interview de M. Jacques Barrot, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 2 octobre 2003, sur les relations entre le gouvernement et la majorité à l'occasion de la rentrée parlementaire.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Vous conduisez à l'Assemblée nationale une majorité abondante. Qu'est-ce qui la rend, en ce moment et dès le début de son retour de vacances, si soucieuse et si nerveuse : la croissance et l'emploi en vrille ? ou son Premier ministre en désamour ?
- "Si vous aviez été avec moi, hier, dans cette grande salle où nous étions, presque complets - 300 députés étaient là -, vous auriez dit : "Mais ils ont le coeur à l'ouvrage !". Ils ne sont pas moroses, comme on le dit, parce qu'en fait, ils sont assez fiers d'avoir accompagné le Gouvernement dans la réforme des retraites, dans la remise en ordre d'un certain nombre de choses dans la maison France. Ils ont envie de continuer, ils ont toujours un petit peu la crainte que la technocratie soit un peu comme une tentation permanente dans ce vieux pays."
Pourquoi ? Elle est là ?
- "Elle peut toujours retrouver sa place, si les politiques ne sont pas là, engagés dans l'action quotidienne."
Donc, votre majorité dit à J.-P. Raffarin : "Encore, encore, encore, on en veut !" ?
- "Oui, ils ont dit surtout qu'ils ont fait une part du chemin, qu'ils ne vont pas s'arrêter au milieu. Il faut continuer l'adaptation du pays, parce que le vrai rendez-vous, c'est la reprise. La croissance va revenir, est-ce que oui ou non nous allons en tirer tout le bénéfice ? Est-ce que nous sommes prêts à nous remettre vraiment, avec ardeur, à un travail qui doit être mieux rémunéré, qui doit être mieux organisé, pas avec de grands oukases genre 35 heures, mais avec la négociation de tous les jours..."
Et si elle ne revient pas ? Parce que vous avez l'air de prier...
- "Je ne prie pas ! Nous savons bien que dans la vie économique, il y a heureusement des potentiels de développement dans le monde. Mais il faut savoir les saisir."
D'après les sondages, celui de la Sofres qui va être publié demain par Le Figaro Magazine, J.-P. Raffarin a un noyau dur de 37 % de fidèles. Mais il est, tel un sous-marin, en plongée : il descend en ce moment. A partir de quelle profondeur serez-vous inquiets ?
- "Il y a des moments où, quand on fait une ascension, il y a des moments un peu rudes, où cela monte un peu plus... Quand il faut moderniser l'Etat, quand il faut secouer les vieilles habitudes, les vieilles routines, c'est dur. Alors, que se passe-t-il ? Il y a, en effet, une partie de l'opinion française qui a un peu tendance à demander pourquoi tous ces efforts. Et il y a en même temps la France active, celle qui est tous les jours au travail et qui dit "enfin, nous voilà reconnus". Alors, il faut continuer. Il y a là une ambiguïté dans l'opinion..."
Mais qu'est-ce qui paye, J.-P. Raffarin, et pour quoi, si cela ne marche pas ? Je lisais le papier de J. Julliard dans le Nouvel Observateur : "Raffarin avance à la godille, semble avoir renoncé à tout projet réformateur"...
- "Franchement, j'aime bien J. Julliard, mais regardons derrière nous. Pendant les cinq années de Jospin, on a eu l'impression qu'il ne se passait pas grand-chose..."
Regardons devant nous !
- "Devant nous, c'est vrai, il y a l'assurance-maladie, il y a la modernisation de l'Etat. J'ai proposé, au nom de tous les députés, un partenariat beaucoup plus actif. Nous allons commencer nos journées parlementaires, le mardi, par une rencontre avec le Gouvernement, le Premier ministre. Nous allons désormais exiger que chaque loi soit évaluée dans ses effets : est-ce qu'elles amènent un peu plus de complexité ou un peu moins, dans un pays hyper réglementé ?"
Mais les Français croyaient que vous faisiez déjà tout cela...
- "Les Français doivent découvrir qu'à certains moments, la politique n'est pas très efficace. Et ce que nous voulons, c'est lui redonner de l'efficacité. J'ai appris que quand on me donne un travail, il faut le mener à bout. Et on y arrivera."
Le Premier ministre répète souvent qu'il veut réussir en 2006, pour que vous gagniez en 2007. Est-ce que cela veut dire qu'il sacrifie 2004 et toutes les élections qui arrivent ?
- "On ne sacrifie jamais une élection, quand on est en politique. En 2004, nous allons expliquer que nous sommes en effet vers la voie d'un renouveau français, mais qu'il nous faut un peu de temps et que ce n'est sûrement pas en désavouant ceux qui ont commencé à bosser pour ce pays, que les Français feront une bonne affaire. Ils ne vont pas rappeler en service les socialistes et la gauche plurielle qui, pendant des années de croissance, n'ont pas modernisé ce pays. Ce serait un comble !"
Vous voulez donc dire que votre chance, c'est que les socialistes ne sont pas prêts et que même si vous n'êtes pas très bons, vous resterez ?
- "Mais on est bons ! Mais le problème, c'est qu'il faut nous laisser un peu de temps. Vous ne pouvez pas, d'un coup de cuillère à pot, tout changer, réformer une assurance-maladie..."
Ce que je voudrais savoir, c'est si, avec la grande majorité que vous avez, vous dites à J.-P. Raffarin de continuer, de ne pas faire de pause dans les réformes ou, au contraire, d'être prudent ?
- "On dirait que vous étiez à la réunion hier, parce c'est exactement ce qu'ont dit les députés : "Allons-y, Jean-Pierre, on est derrière toi !". Parce qu'il faut que ce pays se prépare à profiter d'une reprise mondiale qui finira par arriver. Il faut une stratégie offensive de l'emploi, pas la stratégie défensive de la gauche plurielle, qui consistait à créer des emplois publics et à réduire le temps de travail !"
Avec le Gouvernement tel qu'il est ?
- "Il y a, me semble-t-il, des ministres qui travaillent. Le ministre de l'Education est en plein débat national..."
Il suffit que vous me disiez "oui" ou "non" : tel qu'il est, le Gouvernement ?
- "Oui, on ne va pas changer tous les jours, on ne va pas zapper tous les jours. Il faut que les gens qui sont là, au travail, sur les chantiers, mènent ces chantiers."
La CGT a décidé de signer l'accord important sur la formation professionnelle, qui donne aux salariés un nouveau droit. Cela fait plus de trente ans que la CGT ne signait pas d'accords qu'elle avait négociés. Sentez-vous que la CGT engage sa mutation ? Est-ce que c'est un coup ou est-ce le début de la stratégie que B. Thibault voulait appliquer, qu'il va appliquer maintenant ?
- "C'est un grand tournant, pas seulement pour la CGT, mais pour la société française. Nous avons besoin d'un syndicalisme fort, d'un syndicalisme réformiste, qui n'hésite pas à prendre des risques en signant des contrats. Et je dois dire que dans la formation tout au long de la vie, le patronat a d'ailleurs fait des concessions significatives. Et c'est bien que la CGT soit entrée dans cet engagement contractuel, qu'elle avait un peu perdu de vue depuis les années 70. B. Thibault a raison : je crois que si l'on veut que les Français retrouvent confiance dans le syndicalisme, il faut que le syndicalisme accepte de temps en temps de signer, même si ce n'est pas parfait."
Donc vous, les libéraux, même si la vie devient plus dure, vous dites "oui" à un syndicalisme plus fort, pour aller davantage vers les réformes ?
- "Mais oui ! Je vous donne un exemple : on ne va pas refaire une loi qui défait la loi des 35 heures. On va simplement rendre aux partenaires sociaux, dans l'entreprise, la possibilité, le moment venu, de créer les souplesses nécessaires, à la fois pour tenir compte du choix des salariés et, bien sûr, des besoins de la clientèle. C'est du sur-mesure que l'on va faire."
L'Assemblée va créer une mission d'information sur la fin de vie, comme J.-M. Ayrault et vous aussi l'aviez réclamée. Sur de grands sujets, la droite et la gauche peuvent-elles proposer ensemble ?
- "Elles doivent en tout cas travailler dans un climat de sérénité, sur un sujet qui est difficile. Vous avez vu la dénomination : "sur la fin de vie". Je veux dire ici qu'il ne faut pas oublier que nous avons, partout en France, des bénévoles, des soignants qui se sont engagés dans les soins palliatifs."
Comprenez-vous le geste du docteur Chaussoy ?
- "Ce que je crois, c'est que tous ces drames peuvent être d'abord très largement évités par l'accompagnement. Et deuxièmement, je pense que ces gestes se font dans l'intimité de la conscience et qu'il n'y a pas toujours à aller chercher le droit pour résoudre ce qui est du domaine de la conscience personnelle, conscience que l'on peut éclairer par une concertation familiale, médicale. Il n'y a pas besoin a priori de mettre tout cela sur la place publique."
Madame Chirac, dans une interview au Nouvel Observateur, dit : "Convenez que mon mari, c'est un destin comme nous n'en reverrons pas", qu'il sera très difficile à remplacer. Elle ajoute : "Jacques à la retraite ? Je ne vois pas". Est-ce que vous vous préparez à l'idée d'un troisième mandat de J. Chirac ?
- "Il ne faut pas faire dire à Madame Chirac ce qu'elle n'a pas dit. Elle veut simplement dire que J. Chirac est un homme d'action, un homme d'engagement et que, quel que soit l'avenir, il aura des engagements et il les remplira d'autant plus qu'il a derrière lui une expérience et une reconnaissance internationale tout à fait irremplaçables."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 octobre 2003)