Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur les conclusions de la réunion ministérielle du G8 sur la prévention des conflits, Myiazaki le 12 juillet 2000.

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Circonstance : Réunion des ministres des affaires étrangères du G8 à Miyazaki (Japon), le 12 juillet 2000

Texte intégral

S'attaquer aux causes économiques des conflits
J'approuve nos projets de conclusion sur la prévention des conflits.
Je voudrais y ajouter quelques commentaires.
Nous représentons avec des différences quelques pays parmi les plus riches, les plus sûrs, les plus libres de l'histoire de l'humanité.
Et nous abordons ces situations tragiques où aucun droit n'est garanti pour personne, où il n'y a d'autres perspective que de tenter de survivre par n'importe quel moyen, où les Etats n'existent pas, où les sociétés sont totalement déstructurées, y compris pour les enfants ou pour les malades.
Pourtant il faut agir.
Nous ne découvrons pas la prévention des conflits. Nous menons déjà à titre national et dans les organisations internationales des politiques actives dans ce domaine.
Par exemple, les politiques américaine et sud-coréennes actuelles dans la péninsule coréenne, certaines politiques de défense qui dissuadent les conflits. Nous pourrions faire la liste des conflits qui n'ont pas éclaté, ne se sont pas aggravés ou pas étendus grâce à nos actions. Ce serait encourageant.
Nous examinons en fait ici les moyens supplémentaires pour prévenir les conflits, empêcher leur extension, leur perpétuation et leurs conséquences humaines les plus atroces et les plus insupportables.
Comment améliorer les choses ?
Les réponses de fond résident dans le développement de ces pays et de leurs économies et dans le processus de démocratisation. Mais en attendant il est nécessaire de ré-attirer l'attention sur la dimension économique des conflits armés, qui est un phénomène ancien mais que nous devons plus que jamais avoir à l'esprit.
1.- Il faut en premier lieu tarir les sources de financement, même si certains conflits, comme au Rwanda par exemple, n'ont pas nécessité de financement particulier.
Nous devons faire des progrès sur l'identification de la provenance des matières premières rares, même si c'est compliqué. Nous connaissons tous le rôle des diamants dans les conflits de la Sierra Leone, de la République démocratique du Congo ou de l'Angola. Je veux rendre hommage aux propositions du Royaume-Uni sur ce point.
C'est la voie ouverte par la résolution 1306 que nous avons adoptée le 5 juillet dernier au sein du Conseil de sécurité. L'importation de diamants sierra-leonais est interdite jusqu'à la mise en place d'un régime efficace de certificat d'origine.
La résolution 1306 prie aussi le Secrétaire général des Nations unies de constituer un groupe d'experts pour établir le lien entre le trafic de diamants et l'achat d'armements.
Cette démarche, éloignée de celle des sanctions systématiques et routinières, en général inefficaces et d'ailleurs largement contournées, pourrait être systématisée par la création, sous le contrôle du Conseil de sécurité des Nations unies, d'un groupe permanent d'experts indépendants nommés par le Secrétaire général des Nations unies et chargé dans chaque cas des modalités de mise en oeuvre de l'interdiction du trafic illicite de matières premières lorsqu'il contribue à financer des conflits armés.
Tout cela ne fonctionnera bien sûr que si le comportement des consommateurs dans les pays riches évolue. Cela est également vrai pour la lutte contre le trafic de drogue.
2.- Il faut également associer les diasporas aux efforts de financement de la paix, et contrôler les mouvements de fonds par lesquels elles contribuent souvent de manière décisive, à l'effort de guerre. C'est ainsi que les dépenses d'armement de l'Erythrée ont été pour une bonne part financées par une taxe de 2 % instituée sur les revenus de la diaspora erythréenne. En disant cela, je ne cherche pas à prendre parti entre l'Erythrée et l'Ethiopie.
3.- Nous devrions également mettre l'accent dans le cadre des prochains travaux de surveillance du GAFI sur la lutte contre le blanchiment de l'argent de la drogue qui permet à certains mouvements de financer leurs achats d'armes. C'est ainsi que, selon la Banque mondiale, certains mouvements de guérilla en Colombie disposeraient grâce au narcotrafic de 700 millions de dollars par an.
4.- Favorisons également la diversification des économies par l'aide publique au développement et par des concessions commerciales. La démarche de l'Union européenne qui avec le Système de préférences généralisées spécifique pour les pays andins ("SPG Drogue") accorde des concessions commerciales particulières à ces pays me paraît aller à cet égard dans la bonne direction. C'est ainsi que l'Europe importe plus de thon équatorien et de fleurs colombiennes.
5.- Il est enfin un dernier point qui nous est souvent signalé par les organisations humanitaires : c'est la confiscation d'une partie de l'aide humanitaire par les "seigneurs de guerre" lorsqu'ils contrôlent le terrain. Ces organisations sont alors souvent confrontées au terrible choix entre partir pour ne pas alimenter ces mouvements ou rester pour continuer à aider les populations. Ce choix est de leur responsabilité, mais nous devons en avoir conscience et agir pour notre part avec prudence./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 août 2000)