Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur l'enseignement de la langue française à l'étranger et l'ouverture d'un portail Internet au service des enseignants de français dans le monde, Paris le 17 juillet 2000.

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Circonstance : Ouverture du Xème congrès mondial de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF) à Paris le 17 juillet 2000

Texte intégral

Monsieur le Secrétaire général de la Francophonie,
Mesdames et Messieurs les Présidents, Ministres et Ambassadeurs,
Monsieur le Maire adjoint de Paris,
Monsieur le Président de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Chers amis,
Bienvenue en France, bienvenue à Paris : en vous accueillant si nombreux pour votre Xème Congrès mondial, je veux vous dire l'honneur et l'immense plaisir que vous nous faites d'être venus, du monde entier, témoigner chez nous de votre foi dans la vitalité de la langue française.
Votre fédération s'était jusqu'ici attachée à prouver qu'il n'était aucune région du monde où elle soit totalement étrangère ; aucun lieu aussi où elle ne puisse susciter l'intérêt des jeunes générations qui, de plus en plus, ouvrent grands les yeux sur un monde sans frontières. Vous y avez merveilleusement réussi.
Mais ce Congrès de l'an 2000 voit plus loin. Il met au défi votre réseau de penser la langue française au diapason d'un monde formidablement complexe. Il y a bien des manières de décliner cette complexité : certains raccourcis décourageants la réduisent à la mondialisation et à des rapports de force perdus d'avance. A cela, vous répondez diversité et richesse des cultures. Au constat si fréquent et désabusé que l'uniformisation culturelle est une fatalité, vous choisissez de répondre, ce qui a toujours été votre credo, par la modernité des langues, et du français en particulier. Il est enfin une valeur que vous affichez et qui, tout à l'honneur de votre mouvement, le signale dans la communauté internationale, c'est la solidarité. Si la langue française a su aider, et dans un passé tout récent encore, des communautés entières à supporter le joug de l'oppression, à maintenir en elles la chaleur de l'espoir et de la dignité, il est frappant que vous tous, de tous horizons, sentiez que son avenir est aujourd'hui intimement lié au combat contre toutes les formes d'inégalité et que ce combat est à partager, tant il est vrai que la marginalisation d'une communauté humaine, par la pauvreté ou par la guerre, conduit à la désertification d'une part de la société des hommes.

Ces certitudes, la France les partage ; ces combats, elle les fait siens.
Ce moment, Mesdames et Messieurs, est émouvant. Car ce n'était pas une mince gageure que de réunir près de 3 000 congressistes en ce Palais mis à votre disposition par la Chambre de commerce et d'industrie de Paris : je sais les trésors de dévouement, d'ingéniosité, qu'ont dû déployer à cette fin le président et les membres du Conseil d'administration de votre Fédération, du Comité d'organisation et du Comité thématique. Qu'ils en soient du fond du coeur remerciés : le résultat est là, sous nos yeux, et il augure d'une rencontre d'une exceptionnelle densité. Il fallait, il est vrai, se montrer à la hauteur d'une date emblématique, celle de l'an 2000, occasion de dresser un bilan et de bâtir un projet.
Est-il une autre langue qui puisse se prévaloir de fédérer un réseau mondial ? Le président Alain Braun rappelait il y a quelques instants la profonde originalité de la FIPF, organisation internationale non gouvernementale, bien plus universelle encore que la francophonie institutionnelle : fédérant plus de 150 associations regroupant quelques 80 000 adhérents dans plus de 110 pays, voici un réseau où le soleil ne couche jamais. Il ne cesse d'ailleurs de s'étendre, faisant ainsi la preuve de son pouvoir d'attraction. Parmi les nouveaux adhérents, je relève des enseignants de l'Afrique lusophone, de l'Europe orientale et balkanique, mais aussi d'Algérie. Le choix de l'importante association américaine des professeurs de français de jumeler sa propre Convention avec votre congrès m'apparaît également très significatif.
La présence de tous les continents, dans leur diversité, autour du français est un évènement unique permettant de croiser l'histoire de votre réseau, l'actualité de la langue française dans le monde et les aspirations qu'elle porte. Et pour mieux cerner celles-ci, quel meilleur témoignage que le vôtre, puisque vous faites vivre la langue française dans le contact avec les jeunes générations ? Tout enseignant est un " passeur ", mais vers quel monde s'agit-il de passer et pour répondre à quelles attentes ?
Cette réflexion, vous l'aviez déjà menée à Tokyo en 1996, lors d'un congrès qui avait témoigné de votre dynamisme et de la mobilisation de vos diverses associations autour d'une thématique développée dans la devise que vous avez choisi de mettre en exergue pour ce nouveau rendez-vous : " modernité, diversité, solidarité ". Il se trouve, je vous l'ai dit, que ces trois thèmes sont également au coeur des préoccupations françaises, et c'est un honneur pour notre pays de constater qu'elles sont un dénominateur commun pour tous ceux qui ont la langue française en partage.
La diversité tout d'abord : c'est l'un des grands enjeux de notre temps, au point que le prochain Sommet de la francophonie à Beyrouth l'a inscrite au coeur de son agenda. Le danger ne vient pas tant des politiques d'influence supposées de tel ou tel Etat que de la commercialisation croissante du fait culturel dans les échanges : la formation, l'audiovisuel, les nouvelles technologies sont devenues autant de " marchés " où l'usage de langues tierces est censé augmenter les " coûts de transaction ", pour parler comme les économistes.
L'antidote, c'est le principe de l'égalité des langues et des cultures, chacune d'entre elles étant considérée comme un trésor de l'humanité. Le corollaire n'en est cependant pas un musée ou une archéologie des langues, mais bien l'engagement dans un plurilinguisme convivial. Nous savons que, tel Janus aux deux visages, l'uniformisation a pour revers le repli identitaire, porteur d'intolérance, voire de violence. Le plurilinguisme est donc une nécessité heureuse, orientation pleine de conséquences, notamment parce qu'elle ne peut conduire à la défense d'une sorte de "pré carré" linguistique. Une francophonie active suppose ainsi une stratégie de coopération avec les autres grandes familles linguistiques : pour reprendre une formule forte, "le dialogue, le commerce des langues, le pluralisme sont l'avenir de la francophonie".
Ce commerce des langues, la France est remarquablement bien armée pour le mener, proposant dans son système scolaire et universitaire une palette de choix unique par sa richesse, unique par son encadrement académique. A tout le moins peut-elle faire valoir, lorsqu'elle défend l'enseignement de la langue française dans un pays donné, que la langue de celui-ci est enseignée chez elle. Mais le principe de réciprocité, cher aux diplomates, est en l'occurence dépassé par un argument encore plus déterminant : la maîtrise d'une langue étrangère permet une meilleure appropriation de sa propre langue, tout comme la maîtrise de plusieurs langues étrangères, dans un processus cumulatif où la connaissance de chaque langue enrichit celle de l'autre, assure d'une bien meilleure performance linguistique.
Bien entendu, au sein d'une mondialisation qui se vit dans des entités géographiques régionales de plus en plus intégrées, la présence de la langue française doit être conçue dans le cadre correspondant : le plurilinguisme régional précède alors le plurilinguisme universel. Et pour ne prendre qu'un exemple, la résolution en faveur de l'enseignement obligatoire de deux langues dans le secondaire que nous avons fait adopter sous la précédente présidence française de l'Union européenne lors du conseil d'éducation du 31 mars 1995, a entraîné, pour la seule Espagne, le quadruplement des apprenants de français, les portant à un effectif de 1 300 000 élèves pour l'année 1999-2000.
Si la diversité peut cependant paraître menacée, c'est aussi parce que nous vivons dans un monde inégal, qu'il s'agisse des rapports entretenus entre le Nord et le Sud, mais aussi entre l'Ouest et l'Est. La promotion de la diversité est donc inséparable d'une action forte en faveur de la solidarité : la dictature des indicateurs économiques, si prégnante dans les années quatre-vingt, cédant, heureusement, peu à peu le pas à l'humain, il est réjouissant de constater que cette préoccupation refait surface dans les grands débats internationaux, comme en témoigne la réflexion menée à l'UNESCO sur le principe de diversité, ou le récent forum mondial de Dakar sur l'éducation pour tous. Votre Congrès est d'ailleurs lui-même l'expression de cette solidarité, puisque des dispositions particulières ont été prévues pour permettre la présence des Associations les plus démunies, y compris des associations africaines.
Venons-en enfin à la modernité, dernier élément de notre tryptique, qui est liée à l'apparition d'une société mondiale plaçant les langues en position de concurrence : soit celles-ci parviennent à rester dans la course et peuvent prétendre constituer des codes de référence dotés d'un pouvoir d'attraction, soit, cantonnées au patrimoine, elles sont condamnées à coexister avec une autre langue assurant l'interface avec le monde extérieur.
La situation de la langue française, de ce point de vue, n'a rien de désespéré : 82 millions de personnes font aujourd'hui l'effort de l'apprendre, un chiffre en constante augmentation ces dernières années. Mais la modernité d'une langue ne peut être un simple postulat : dans la concurrence actuelle, elle se prouve chaque jour, par l'acquisition de "parts de marché", qu'il s'agisse de l'audiovisuel, de la formation ou des industries numériques.

A ces défis, la France essaie de répondre de façon offensive, en ayant fait le choix, il y a trois ans, d'un combat moderne pour la culture française, débarrassé de tout "Don Quichottisme". Parmi bien des initiatives, je citerai le programme d'action gouvernemental pour la société de l'information, la rénovation de l'offre de formation supérieure avec la création de l'agence Edufrance, la relance de l'audiovisuel francophone à l'international, l'épanouissement du plurilinguisme à l'école, l'ouverture et la transparence des réseaux de la francophonie institutionnelle... Ce combat est, bien entendu, de notre seule responsabilité, mais je suis persuadé qu'il ne se gagnera qu'en résonance avec vos propres préoccupations, avec le concours aussi de tous les autres acteurs concernés, qu'il s'agisse d'Etats, d'organisations multilatérales ou de réseaux non gouvernementaux.
Nous ne sommes pas seuls en effet et, à cet égard, je dois saluer la chance que représente pour la France d'accueillir votre Congrès. Je ne choisis pas le mot au hasard : il sera bel et bien pour nous une chance supplémentaire de retour "sur soi" par rapport à la francophonie. Un pays comme le nôtre, caractérisé depuis toujours par un monolinguisme d'Etat - et le Breton que je suis en mesure le prix, je crois même qu'il est le seul pays francophone à vivre cette situation, a beaucoup à apprendre de votre expérience de praticiens : confrontés à des contextes sociaux très différents - selon que vous enseignez le français langue maternelle, langue seconde ou langue étrangère, exerçant dans des systèmes éducatifs accordant un statut variable à l'enseignement des langues en général et du français en particulier, vous êtes probablement les mieux à même de questionner notre conception de la norme linguistique. Il est en effet parfois des façons d'appréhender une langue qui l'inscrivent d'emblée parmi les langues " mortes " : la pluralité des pratiques francophones devrait nous en préserver.
En tant que ministre français en charge de la coopération, je vous dis également l'intérêt que je porte à la coopération pédagogique dont vous êtes les acteurs : bien enseigner la langue française dans des contextes différents, voilà une base de discussion fructueuse avec ceux qui ont la charge d'enseigner une autre langue. C'est ce type d'échanges croisés que nous souhaitons développer, par exemple dans les pays du Maghreb entre enseignants de langue française et enseignants de langue arabe : cela suppose que le français se reconnaisse dans un statut de langue seconde, voire de langue étrangère, mais n'est-ce pas là également un simple constat de modernité, au-delà de toute nostalgie coloniale ?
Si la France a donc beaucoup à attendre et espérer de la vitalité de votre réseau, elle est tout naturellement soucieuse de vous faire bénéficier de ses propres outils : je pense notamment à notre réseau mondial d'établissements culturels et d'enseignement. Dans le domaine des nouvelles technologies, je mentionnerai également au moins deux projets vous concernant directement : l'ouverture d'un site portail "franc-parler.org" doté de toutes les ressources nécessaires à votre activité, inauguré à l'occasion de votre congrès, qui sera au service de la communauté mondiale que vous formez. Dans cette même perspective, la revue " Le français dans le monde " sera désormais diffusée en ligne de manière à en assurer une diffusion gratuite et en améliorer encore le contenu. La revue, votre revue, devrait ainsi bénéficier des points d'accès mutualisés à l'internet que le réseau des Affaires Etrangères compte développer partout où ils pourraient contribuer à combler le " fossé numérique " entre le Nord et le Sud.
Mesdames et Messieurs,
J'espère vous avoir convaincu par ce propos liminaire du profond intérêt que portent les autorités françaises à votre action et vos travaux, qui va bien au-delà du plaisir de l'hospitalité. Si le ministère des Affaires étrangères vous a soutenu à ce point dans la préparation et l'organisation de ce Congrès, c'est précisément parce que vous ne nous êtes en rien étrangers. Jack Lang, en charge de l'éducation nationale, redira combien vos préoccupations nous sont proches. Lionel Jospin, qui a personnellement veillé à l'implication de tous les départements ministériels concernés dans l'évènement de ce Congrès, vous exprimera, j'en suis sûr, la profonde reconnaissance de notre pays pour votre rôle de " citoyens du monde ".
Quant à moi qui mets à profit tous mes déplacements à l'étranger pour vous rencontrer dans l'exercice de votre mission, que ce soit à l'Université Lomonossov à Moscou, au lycée René Cassin à Jérusalem ou en bien d'autres établissements, notamment en Afrique, je me réjouis de vous voir rassemblés à Paris : je souhaite un plein succès à vos travaux et vous assure d'ores et déjà de la disponibilité de la France à en accompagner les conclusions.
Je vous remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 août 2000).