Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, sur les recommandations du rapport provisoire sur la recherche au service du développement durable, et sur les programmes de recherche porteurs d'une démarche de développement durable, Paris le 2 juin 2003

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation du rapport provisoire sur la recherche au service du développement durable lors du colloque "La recherche au service du développement durable, du diagnostic à l'aide à la décision" à Paris le 2 juin 2003

Texte intégral

Madame la Ministre,
Monsieur le Professeur et Président,
Mesdames et Messieurs les Présidents et Directeurs généraux,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi d'abord d'exprimer ma satisfaction d'ouvrir cet important colloque, ce matin, en votre compagnie. Il marque la première journée de la semaine du développement durable, rencontre originale rassemblant la communauté scientifique sur un enjeu majeur de société.
Je remercie la Cité des Sciences, son Président et les équipes de la Cité, d'accueillir cette rencontre entre les acteurs du développement durable, le public et la communauté scientifique. Je trouve particulièrement significatif que ce colloque ait lieu dans cette Maison qui prépare le programme ambitieux intitulé "Gérer la planète".
Monsieur le Professeur, vous venez de présenter les éléments essentiels du rapport du groupe de travail que vous avez présidé et je vous en remercie, ainsi que tous les membres du groupe qui ont apporté une riche contribution à vos travaux.
Je remercie aussi les rapporteurs : Pierre-Cyrille Hautcoeur, que le Cercle des Economistes a désigné comme meilleur jeune économiste de l'année il y a quinze jours, et que je tiens donc à féliciter publiquement ici devant vous, ainsi que Philippe Blanchard qui a apporté son appui rédactionnel et sa sensibilité externe.
J'ai pris connaissance de votre rapport avec beaucoup d'intérêt. Vous avez remarquablement répondu à la commande que Tokia Saïfi et moi-même vous avions passée en lui donnant une ampleur et une portée que les termes de référence ne pouvaient anticiper.
Ce rapport a le grand mérite d'aborder la question de la recherche pour le développement durable de façon globale, d'expliciter les concepts et de placer l'analyse et les propositions dans une perspective dynamique et ouverte. Les acquis de la recherche sont nombreux tant en terme de connaissances, de méthodes que de technologies. Pour autant, vous faites bien ressortir la nécessité d'une remise en cause profonde de toutes les activités de recherche.
Et ce message qui ressort de votre rapport est essentiel.
En effet, comme vous l'avez dit, Madame la Ministre et Chère Tokia, le développement durable est un projet politique qui modifie dans son ensemble les principes de l'action publique.
C'est d'ailleurs pour cela que le Président de la République et le Premier Ministre ont fait du développement durable une priorité de l'action gouvernementale et que va se tenir demain le Comité interministériel du développement durable pour adopter la stratégie nationale de développement durable. C'est aussi pour cette raison que le Président de la République propose l'adoption d'une Charte constitutionnelle de l'Environnement.
C'est pourquoi le développement durable doit être abordé par la communauté scientifique avec une vision d'ensemble. Le développement durable confère à la politique de recherche un sens et des principes nouveaux. Certes, la recherche française s'y est engagée depuis de nombreuses années et les exemples qui vont illustrer les tables rondes de cet après-midi en apporteront des démonstrations concrètes.
Mais il faut aller plus loin.
Le développement durable doit d'abord constituer un des axes majeurs qui fondent les relations entre la science et la société.
Les nouvelles attentes de la société portent sur les priorités thématiques telles que la santé, l'environnement et la sécurité. Mais elles portent aussi sur la manière de faire. La société souhaite un meilleur accès à l'information, plus de transparence, l'ouverture de débats, la compréhension des processus de décisions, le respect de principes éthiques. Toutes ces aspirations rejoignent les principes du développement durable.
La communauté scientifique est décidée à faire siens ces principes et à les intégrer dans ses modes de fonctionnement. Elle veut engager une démarche ouverte qui contribue à rapprocher la société de la science autour de valeurs partagées.
Les missions des scientifiques ont évolué et leur rôle de médiateur entre le monde de la connaissance et de la technologie et la société doit être assuré pleinement.
Vous dites que le développement durable replace le temps long, l'espace élargi et l'interconnexion des phénomènes au cur de la démarche scientifique.
Vous traduisez ainsi pour la recherche les notions de solidarité des territoires et des générations. Mais vous redonnez aussi à l'anticipation et à la responsabilité individuelle et collective une force essentielle.
Cela doit conduire la communauté scientifique à s'assurer que les travaux de recherche, l'élaboration des innovations avec les acteurs, les conditions de diffusion des résultats respectent ces exigences d'anticipation et de responsabilité.
Une première contribution du Ministère à cet objectif est le lancement d'une démarche de qualité, de certification environnementale, de suivi et de contrôle des expérimentations à risques. De même, l'expertise doit désormais être perçue au regard des principes auxquels la Charte de l'environnement va donner une valeur constitutionnelle.
Une telle démarche d'anticipation, de précaution et de prévention inclut les actions de recherche et d'innovation dans les priorités de l'action publique.
Nous irons plus loin en améliorant les processus délibératifs dans la politique de recherche, en approfondissant les débats sur l'éthique et la déontologie et en consolidant le statut de l'expert et de l'expertise.
C'est la démarche de recherche exemplaire qui figure dans la stratégie nationale.
Vous dites que les questions que le développement durable pose à la recherche concerne toutes les disciplines et toutes les activités scientifiques. Vous dites que ces questions remettent en cause les catégories classiques des travaux de recherche et qu'il faut concevoir des interventions rétablissant une plus grande fluidité entre elles.
Vous avez raison.
Tous les types de recherche sont appelés à apporter leur contribution à la conception comme à la réussite des démarches de développement durable.
En effet, les relations entre les océans et le climat, la réduction et le traitement des pollutions, la conception de matériaux recyclables, la détermination du potentiel des organismes vivants, pour prendre quelques exemples concrets, exigent des connaissances de chimie et de physique fondamentales.
De même, le contrôle de la production, du transport et de la consommation d'énergie exige l'apport des mathématiques, de la physique, de l'informatique et de l'automatisme. L'élaboration de nouveaux systèmes de production agricoles mobiliseront les sciences de l'écologie, tout autant que les biotechnologies, la biochimie ou l'informatique.
Ce rapport insiste sur les inflexions qu'il faut rapidement donner à la politique de recherche. Vous appelez à un renforcement des modèles de représentation et de simulation, à la mobilisation des sciences humaines, économiques et sociales, au recours aux sciences et aux technologies de l'information, à l'accroissement des échanges entre la société et la recherche, de l'expertise et de l'aide à la décision, au recours incontournable à certaines ruptures technologiques.
Je pense que la société souhaite que l'on parte de ses interrogations, qu'on l'associe au raisonnement et qu'on lui donne les éléments qui l'aident à modifier ses comportements.
De ce point de vue, un grand projet d'échanges, d'informations et de communication scientifique est nécessaire. Ce grand projet doit réunir les compétences pour comprendre les questions, les moyens pour y répondre et les méthodes pour organiser les débats. A l'heure où sont engagées, en région et à Paris, des réflexions sur la culture scientifique, il est indispensable que ce besoin soit pris en compte.
Le rapport évoque aussi des thématiques incontournables comme le climat, la biodiversité, la pauvreté. Comme vous le savez, le Ministère a engagé des réflexions sectorielles complémentaires.
Ainsi, avec le Secrétariat d'Etat au Développement Durable, nous avons passé commande à l'Institut français de la biodiversité d'une stratégie française de recherche pour la biodiversité. Les travaux sont en cours et je crois savoir que nous aurons une première contribution dans le courant du mois de juin. Ces recommandations devraient nous aider à donner un nouvel élan à cette priorité, à la formation des compétences nouvelles et plus largement aux initiatives internationales.
Dans le domaine de l'énergie et de la réduction des gaz à effet de serre, Francis Mer, Nicole Fontaine, Roselyne Bachelot et moi-même avons mandaté un groupe de travail chargé de proposer les priorités en matière de recherche et d'innovations technologiques dans ce domaine, en donnant un horizon temporel allant du court terme à l'horizon 2050.
Ce groupe rendra ses conclusions à la fin de l'année. Après le débat sur l'énergie, il nous aidera à préciser les priorités françaises et européennes dans ce domaine qui est la condition de la compétitivité des économies et de la cohésion des sociétés de l'avenir.
Dans le domaine des transports, le Ministère de la Recherche et des Nouvelles Technologies est étroitement associé à la réflexion que le Premier Ministre a lancée lors de son discours d'ouverture de l'assemblée plénière du Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC) pour que la France soit chef de file dans le domaine des transports propres à l'horizon 2010. Ceci exigera un renforcement significatif des moyens de recherche.
Dans le domaine agricole, les conditions d'élaboration de systèmes de production durables, rentables et socialement acceptés font partie des questions prioritaires que nous abordons avec le Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche et des Affaires Rurales.
Ces exemples témoignent de la volonté de coordination interministérielle comme de la coordination des acteurs scientifiques et professionnels. Ils témoignent d'une volonté de prospective et de vision stratégique. Ils indiquent aussi des choix et des priorités.
En même temps, la démarche de développement durable exige une révision de la programmation et des méthodes de recherche. C'est la raison pour laquelle ces groupes de travail ont été mis en place.
Pour autant, nous n'avons pas attendu ces groupes pour engager des actions concrètes. Outre le soutien à l'Institut français de la biodiversité, le Ministère encourage les évolutions institutionnelles améliorant la coordination, l'ouverture et l'autonomie : transformation de l'Institut des Sciences de l'Univers en Institut des Sciences de l'Univers et de l'Environnement, création d'une association avec les entreprises et, nous espérons, d'une fondation à l'initiative de l'Institut de recherche sur le Développement Durable et les Relations Internationales.
Je souhaite saluer les initiatives que certains organismes ont lancé, d'eux mêmes. Ainsi, les organismes ayant en commun la connaissance et la gestion des ressources vivantes : l'INRA, l'IFREMER, le CEMAGREF, le CIRAD et l'IRD avec le Muséum National d'Histoire Naturelle ont proposé des actions incitatives communes sur les systèmes alimentaires durables, la gestion de l'eau, la biodiversité et l'aide à la décision.
De plus, ils organisent durant cette semaine un colloque sur le développement durable jeudi et vendredi à Montpellier au sein d'Agropolis. De leur côté, le CNRS, le CEA et l'ADEME ont élaboré ensemble un grand projet de recherche sur les énergies. Je salue ici ces initiatives.
En 2003, le fonds national pour la science et le fonds de la recherche technologique ont donné aux thématiques du développement durable une place prioritaire conformément aux engagements du séminaire gouvernemental.
Le fonds de la science mobilise les équipes universitaires et scientifiques autour d'actions thématiques sur les thèmes de l'environnement et de la santé, des sociétés et des cultures, mais aussi sur la gestion des écosystèmes, les nouveaux procédés de dépollutions, les risques naturels et les capteurs.
Le fonds de la recherche technologique associe les entreprises et les laboratoires publics sur des priorités finalisées dans les domaines des transports, des matériaux, de la pollution marine, de la gestion de l'eau, de la sûreté alimentaire
En outre, les actions incitatives se complètent dans le domaine de l'énergie pour lever les verrous technologiques pour l'utilisation des énergies renouvelables, de la pile à combustible et du vecteur hydrogène. Les exemples des tables rondes de cet après-midi montreront que des résultats concrets ont déjà été obtenus qui touchent notre vie quotidienne.
De plus, les observatoires de recherche sur l'environnement ont été lancés en mars dernier.
Une première vague de 29 projets évalués et validés a été lancée en mars 2003. Elle concerne l'observation des systèmes naturels et met en oeuvre une approche pluridisciplinaire mobilisant l'écologie, l'hydrologie, la dynamique atmosphérique, l'océanographie et les terres solides. Les sites sont répartis sur l'ensemble du territoire national.
En outre, un observatoire océanographique de portée internationale a été retenu au Brésil. Un deuxième appel d'offre va prochainement être lancé pour les systèmes cultivés.
La question des observations et des données fait l'objet d'un ensemble de recommandations du rapport. Cette question constitue un enjeu politique dans la coopération et la compétition scientifique et technologique internationale.
Elle est aussi et peut-être surtout une condition permettant d'améliorer l'efficacité de la recherche et la portée des résultats.
Je souhaite que le Ministère prenne l'initiative d'une action ambitieuse sur ce sujet.
Enfin, le Ministère a été étroitement impliqué dans la préparation de l'initiative en faveur de la science et la technologie pour la production et la consommation durables, que la France a inscrit à l'ordre du jour du Sommet d'Evian à l'initiative du Président de la République.
Je me félicite de la déclaration que les chefs d'Etat et de gouvernement des pays industrialisés ont adoptée hier sur ce thème.
Ces recommandations ont une portée planétaire et une composante de solidarité avec les pays du Sud.
Elles doivent aussi être appréciées en tenant compte de la place que le Président de la République a souhaité donner aux pays du Sud et à l'Afrique.
Le développement durable, c'est aussi le développement et cela concerne la recherche.
Pour revenir à la déclaration d'Evian sur les technologies durables, celle-ci met en exergue trois priorités : l'observation du changement global en relation avec l'énergie, l'agriculture et la biodiversité. Cette déclaration d'Evian est une étape considérable. Elle nous donne de grandes responsabilités. C'est aussi le début d'une nouvelle période où nous allons construire de nouveaux partenariats internationaux et bilatéraux.
Dans cette perspective, je participerai au sommet que les Etats-Unis organisent à Washington fin juillet sur les questions d'observation de la Terre.
Le Président de la République a aussi annoncé à Evian que la France organiserait un colloque scientifique international sur la biodiversité à l'automne 2004.
En effet, comme le souligne votre rapport, cette question est essentielle et pourtant, il n'existe pas dans ce domaine de référence scientifique reconnue sur la dynamique des espèces équivalente au GIEC pour le changement climatique, ni de méthode de détermination des fonctions économiques et sociales de la biodiversité faisant référence.
Or, il se passe, dans le domaine de la biodiversité, des évolutions inquiétantes dont nous pressentons qu'elles sont irréversibles de façon souvent plus irrémédiable que le changement climatique. Il est donc urgent que la recherche renforce ses efforts comme elle la fait avec succès dans d'autres secteurs.
Ce rapport, Monsieur le Professeur, vous l'avez dit, est un rapport intermédiaire. En effet, ce rapport doit être soumis au débat et prendre en compte les remarques et les avis qui seront exprimés. Ces consultations sont en cours et je tiens à souligner qu'il sera accordé le plus grand compte aux avis qui seront formulés. Le rapport a été soumis au Conseil Supérieur de la Recherche et de la Technologie. Il sera soumis au Conseil National du Développement durable le 17 juin. Je souhaite aussi que les organismes de recherche puissent exprimer leur point de vue.
Mesdames, Messieurs,
Le débat est une composante essentielle d'une démarche de développement durable. Les propositions seront d'autant plus fortes et légitimes qu'elles seront le fruit de concertations approfondies.
A l'heure où la société formule de nouvelles attentes vis-à-vis de la science et où la communauté scientifique débat de son avenir, de ses fonctions et de ses rôles, vos travaux, Monsieur le Professeur, Mesdames et Messieurs, apportent une contribution importante à ces réflexions qui engagent l'avenir. Je voudrais, en terminant, remercier les membres du groupe de travail.
Je voudrais vous dire aussi que vous pouvez compter sur mon implication personnelle au service de l'environnement et du développement durable en relation étroite avec le Premier Ministre dont le discours de politique générale avait retenu l'environnement parmi les priorités de recherche.
Je souhaite plein succès aux tables rondes de cet après-midi et vous remercie de votre attention.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 2 juin 2003)