Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, lors de la conférence de presse conjointe avec M. Wlodzimierz Cimoszewicz, ministre polonais des affaires étrangères, sur l'évolution de la crise irakienne et l'avenir des relations entre la France et les Etats-Unis, l'Union européenne et l'adhésion de la Pologne, les relations franco-polonaises et la défense européenne, Paris le 17 mars 2003.

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Circonstance : Visite en France de M. Wlodzimierz Cimoszewicz, ministre polonais des affaires étrangères, le 17 mars 2003 à Paris

Texte intégral

Je suis très heureux d'avoir pu rencontrer ce matin mon collègue et ami polonais M. Cimoszewicz. Il avait rencontré auparavant Mme Lenoir. Nous avons évoqué bien sûr les grands thèmes de l'actualité et le premier d'entre eux l'Irak. J'ai rappelé à mon collègue le message de la France. Le désarmement de l'Irak est l'objectif commun de toute la communauté internationale. Cet objectif peut être obtenu par la voie pacifique, c'est-à-dire par les inspections des Nations unies. C'est ce que disent M. Blix et M. El Baradeï, les chefs des inspecteurs et c'est la position de la très grande majorité des membres du Conseil de sécurité comme de la très grande majorité des pays de la communauté internationale. C'est le sens même de la résolution 1441 qui a été adoptée à l'unanimité, la France fera tout son possible pour préserver l'unité de la Communauté internationale. Avec l'Allemagne et la Russie, elle a encore fait des propositions samedi soir à cette fin, et je vais continuer tout au long de la journée à prendre des contacts avec les partenaires de la France qui restent mobilisés jusqu'au bout.
Nous avons bien évidemment parlé ensemble de l'Union européenne. J'en retiens trois grandes idées.
Sur l'élargissement, nous allons procéder, prochainement à la signature du traité d'adhésion, ce sera le 16 avril à Athènes. Le processus d'adhésion avance donc comme prévu et la France s'en réjouit.
Sur la réforme des institutions, c'est-à-dire les travaux de la Convention européenne présidée par M. Giscard d'Estaing, nous avons échangé nos vues sur les principaux dossiers, qu'ils soient institutionnels ou politiques. Pour moi qui assiste régulièrement aux débats de la Convention, les contributions de la Pologne, je le souligne, sont toujours d'un très grand intérêt. Il reste que nous avons encore des points que nous voulons débattre entre nous et nous le ferons bien évidemment au cours des prochaines semaines.
Sur la politique étrangère et de sécurité commune, je n'ai pas caché à mon collègue polonais que la crise irakienne nous contraignait à un examen franc et réaliste. Sur cette question, vous savez que le président Giscard d'Estaing a proposé que la convention se donne du temps pour réfléchir sur cette question. Je pense pour ma part qu'il est essentiel que nous évoquions, entre nous, toutes ces difficultés. Nous le ferons lors des prochains rendez-vous de l'Union européenne, en particulier lors du Conseil européen de cette semaine et bien sûr, lors de la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères qui doit se tenir prochainement.
C'est une question essentielle qui concerne l'identité européenne, la place et le rôle de l'Union européenne dans le monde. Et la crise irakienne, aujourd'hui, met en évidence, de manière très claire, les enjeux qui entourent cette question et donc la nécessité pour nous tous, de nous adonner à une réflexion novatrice sur l'ensemble de ce sujet.
En ce qui concerne les relations bilatérales entre nos deux pays, nous avons un calendrier très chargé pour les prochaines semaines, avec de nombreuses visites de ministres français qui se rendront en Pologne. Je pense au ministre de la Justice, au ministre des Affaires sociales, au ministre des Finances. Mme Lenoir se rendra sur place et nous aurons le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement du Triangle de Weimar qui se tiendra le 9 mai.
Vous connaissez, bien sûr, le soutien constant de la France à l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne et en particulier, vous l'avez vérifié, sur les dossiers importants de la politique agricole et de la politique budgétaire. Nous attendons avec beaucoup de confiance que nos amis polonais participent massivement au référendum ratifiant le traité d'adhésion.
Enfin, je veux dire toute ma confiance, parce que vous savez que les relations entre la Pologne et la France sont des relations anciennes, très profondes, marquées par l'histoire, marquées par beaucoup de personnalités qui ont jalonné et enrichi cette relation. C'est donc une relation libre, souveraine, respectueuse. Nous sommes fiers de cette Pologne, de cette Pologne indépendante que la France, vous le savez, admire. J'ai confiance que cette Pologne-là entrera dans la grande famille européenne pour l'enrichir à la fois de son identité, de son histoire et des nombreuses propositions qui permettront à cette Europe d'avancer sur le chemin difficile qui est le nôtre.

Q - Est-ce que le Sommet tripartite des Açores n'aura finalement pas donné le feu vert pour la guerre et fermé toutes les portes d'une solution diplomatique ? Que va-t-il arriver au Conseil de sécurité aujourd'hui ? Est-ce que vous avez toujours l'intention de vous rendre à New York ?
R - En ce qui concerne le Sommet tripartite des Açores, vous avez tous suivi la conférence de presse et les propos tenus par les différents chefs d'Etat et de gouvernement qui étaient réunis. Il semble que peu de temps soit laissé à la diplomatie, 24 heures. Chacun connaît bien les positions aujourd'hui telles qu'elles se sont exprimées au Conseil de sécurité, sur la base du texte qui est proposé. Je parle du projet de résolution britannique, américain et espagnol. Il n'y a pas, à ma connaissance, une majorité pour voter un tel texte. La France, pour sa part, reste fidèle à la position qui a toujours été la sienne. Il est possible de trouver une solution par le biais des inspections, et c'est bien là la conviction d'une majorité de la Communauté internationale, c'est bien ce que nous disent les inspecteurs qui ont été choisis par la résolution 1441, par chacun d'entre nous, pour nous apporter justement l'information nécessaire sur le terrain. Je note d'ailleurs que les inspecteurs ont été les grands absents de ce Sommet des Açores et nous le regrettons, car M. Blix se propose de présenter devant le Conseil de sécurité, son programme de travail avec l'identification des taches clés. Nous avons, les uns et les autres, dit que nous étions prêts à un calendrier resserré. Nous l'avons dit le 7 mars lors de la réunion du Conseil de sécurité. Les Chiliens ont fait une proposition de trois semaines, la France a proposé d'aller jusqu'à un mois pour examiner ce programme, donc délai réaliste et raisonnable dès lors qu'il correspond à la demande des inspecteurs. Donc, il y a clairement aujourd'hui une possibilité de continuer d'avancer pour un désarmement pacifique de l'Irak mais il y a aussi un calendrier militaire. Il appartient à ceux qui privilégient cette voie de prendre leurs responsabilités et de dire ce qu'ils souhaitent faire.
(...)
Q - Il y a quelques minutes, la Maison Blanche a conseillé aux inspecteurs en désarmement de quitter l'Irak. Quelle est votre réaction ?
R - Nous prenons note. Cela traduit bien la détermination américaine et le sens du Sommet qui s'est tenu hier aux Açores. Nous le voyons bien, la communauté internationale est confrontée à un choix, à une responsabilité. Faut-il avancer dans la voie de la guerre, alors même que les inspecteurs nous disent clairement qu'il y a la possibilité de continuer et d'avancer dans la voie d'un désarmement pacifique de l'Irak ? Nous pensons que non. Nous pensons qu'il y a une alternative et nous pensons que nous devrions l'explorer jusqu'au bout. C'est pour cela que nous avions proposé une réunion d'urgence du Conseil de sécurité au niveau ministériel, pour explorer ce que pourrait être le programme de travail que devait nous présenter M. Blix et le délai réaliste et raisonnable. Les Chiliens avaient parlé de trois semaines. Nous avons parlé jusqu'à un délai d'un mois. C'est ce qu'a suggéré le président de la République dès lors que cela pouvait répondre aux vux des inspecteurs. Ce choix est devant nous. Il faut maintenant que ceux qui pensent que la logique de force, que la voie de la guerre sont les meilleures, prennent leurs responsabilités et le disent au monde. Nous avons le sentiment qu'au Conseil de sécurité, ce n'est pas le sentiment de la majorité des Etats qui sont représentés. Nous avons le sentiment que sur la scène internationale, ce n'est pas le sentiment de la majorité de la communauté internationale. Il faut donc que chacun fasse son choix.
(...)
Q - Le président Bush était très en colère contre la France hier soir, pendant la conférence de presse. Quel est à votre avis l'avenir des relations entre la France et les Etats-Unis ? Est-ce que la France peut assister les Etats-Unis en cas de nécessité dans cette guerre ?
R - La France a toujours dit très clairement ce qu'elle ferait à chaque étape. Le président de la République l'a dit au président Bush. Je l'ai dit au secrétaire d'Etat, M. Colin Powell. Donc, tout le monde connaît clairement la position de la France. Nous avons dit et pris nos responsabilités. A partir de là, je crois que les choses sont entre la France et les Etats-Unis. C'est particulièrement clair, il n'y a pas de problème spécifique entre la France et les Etats-Unis. On voit bien que ce n'est pas un différend entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Espagne d'un côté et la France de l'autre. C'est un problème entre ces pays et une majeure partie de la communauté mondiale, une majeure partie du Conseil de sécurité. Nous souhaitons - nous l'avons tous fait et nous continuons de le faire - préserver l'unité du Conseil de sécurité, préserver la capacité d'agir des Nations unies et de la communauté internationale, moyennant quoi, la France reste mobilisée pour donner tout son sens au rôle des Nations unies, y compris en cas de conflit. Nous sommes convaincus que la responsabilité, le rôle des Nations unies, sont incontournables et qu'il faudra, bien sûr, au lendemain d'une guerre, que nous soyons tous mobilisés pour construire, reconstruire la paix dans cette région du monde.

Q - Est-ce que vous pouvez redire les réactions de la France sur la déclaration de George Bush sur la partie de poker ? Et également votre réaction sur le fait que ce soit surtout la France qui soit montrée du doigt alors que vous n'êtes pas seul ?
R - Nous pensons que cette logique qui vise à blâmer tel ou tel pays de la communauté internationale et, aujourd'hui en particulier la France, recherchée comme un bouc émissaire, ne correspond pas à la vérité des choses dans la mesure où, on le voit bien, la position qui est défendue par la France est partagée par la majorité de nos partenaires du Conseil de sécurité. Les déclarations qui ont été faites par la France, avec les Allemands, avec les Russes, avec le soutien des Chinois, on l'a vu, ont bénéficié d'un très large soutien. C'est pour cela qu'il ne s'agit pas d'un différend entre les Etats-Unis d'un côté et la France de l'autre, mais d'un problème plus grave qui est : comment gérer cette crise irakienne, comment gérer les menaces que connaît le monde aujourd'hui ? Nous avons eu le sentiment qu'évidemment, comparer la situation actuelle à une partie de poker ne permettait pas véritablement de rendre compte de la gravité de la situation. Nous pensons que la guerre n'est certainement pas un jeu.

Q - Est-ce que vous privilégiez la construction de la défense européenne comme alternative à l'OTAN, en complémentarité de l'OTAN ou à l'intérieur de l'OTAN ?
R - Il est évident, mais je laisserai aussi mon collègue polonais répondre, que la question est celle d'une responsabilité, chacun pour ce qui le concerne, l'Union européenne et l'OTAN. Chacune de ces organisations a son rôle et nous respectons et nous affirmons le rôle de chacune. Il est évident que la famille européenne, de par les choix qui ont été faits par cette famille, a une grande ambition dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la construction de l'Europe, des politiques européennes mais aussi de la politique étrangère, de la défense. Nous voyons qu'il y a beaucoup de travail devant nous et je suis très heureux dans ce contexte de rencontrer aujourd'hui mon collègue polonais, parce que c'est ensemble que nous voulons aborder tous ces défis de l'avenir. Nous avons besoin d'une Europe forte dans le monde, d'une Europe capable de se prendre en main, d'une Europe capable d'affirmer ses responsabilités et nous sommes tous d'accord pour le dire, bien sûr, qu'il faut le faire, en amitié, avec nos partenaires et amis américains. C'est une question qui, pour nous, ne se pose même pas. Les Américains sont évidemment des amis et des alliés. Ils l'ont été, ils le sont et ils le resteront.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mars 2003)