Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, sur les avancées et les défis de la recherche dans le domaine de la lutte contre le cancer, Paris le 19 juin 2003.

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Circonstance : Rencontre internationale du groupe de prospective du Sénat : "Peut-on vaincre le cancer ? : réflexion prospective sur les défis à surmonter", à Paris le 19 juin 2003

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs,
Peut-on vaincre le cancer ?
L'intitulé de cette rencontre de prospective et de concertation, organisée à l'initiative du Sénateur Trégouët que je remercie très vivement, est en soi un formidable défi.
Je tiens d'emblée à féliciter les orateurs de cette journée d'apporter leur concours à cet exercice difficile et d'aider ainsi à préparer les décisions de politique scientifique.
Je vous encourage donc à vous y consacrer, au-delà même de cette journée, qui ne suffira certainement pas à épuiser le sujet de la lutte contre le cancer, sur lequel la France s'est mobilisée à l'appel du Président de la République.
Vous disposez d'une matière déjà abondante et de grande qualité avec le rapport de la Commission d'orientation sur le cancer, mis en place à l'automne dernier par Jean-François Mattéi et moi-même, et présidée par le Pr. Abenhaïm - lui-même assisté par le Pr. Louvard, vice-Président. Je leur manifeste à tous deux ma gratitude pour leur mobilisation personnelle dans cette mission.
Je ne saurais laisser passer l'occasion de saluer le travail remarquable qu'ils ont accompli et qui a servi de base à la décision du 24 mars 2003 du Président de la République concernant le plan de lutte contre le cancer pour la mise en uvre duquel Jean-François Mattei et moi-même sommes conjointement responsables.
En dépit des immenses progrès accomplis ces dernières années, le cancer garde, aujourd'hui encore, la plupart de ses mystères et une grande part de sa gravité.
Des médicaments nouveaux ont vu le jour et ont permis d'enregistrer des avancées dans le pronostic de différents cancers. Les succès thérapeutiques ont même été majeurs dans le domaine des cancers hématologiques.
Mais pour les tumeurs solides, les progrès sont restés plus modestes. Leurs mécanismes cellulaires de prolifération et d'essaimage à distance, encore largement incompris, font qu'il est toujours difficile d'interférer efficacement avec leur évolution naturelle. Celle-ci, comme la réponse aux traitements, est éminemment variable d'un patient à l'autre et nous commençons à peine à entrevoir les causes de ces différences.
Pour répondre à ces défis, le besoin de connaissances nouvelles menant à des stratégies médicales innovantes se fait plus que jamais sentir.
Or, un programme d'envergure nationale consacré au cancer se doit d'impliquer tous les acteurs de la recherche publique et privée.
Afin d'organiser les indispensables transferts technologiques qui conditionnent les bénéfices rendus aux patients, des appels d'offres dynamiques doivent voir le jour pour étendre le tissu des interactions entre les industriels pharmaceutiques - il reste encore deux grands acteurs en France dans le secteur du cancer - les entreprises de biotechnologies - dont plus de quarante touchent à l'oncologie - et toute la palette de la recherche publique, conduite à l'hôpital ou au laboratoire.
La recherche biomédicale, parce que sa finalité majeure est la victoire sur la maladie, sujet infiniment complexe, ne doit surtout pas négliger le socle cognitif de son activité : la recherche fondamentale non finalisée.
Ce serait une grave erreur, car c'est en travaillant sur tel gène ou telle protéine de nématode ou de drosophile, que telle équipe de chercheurs fondamentalistes met un jour, fortuitement, le doigt sur les mécanismes moléculaires d'une leucémie donnée ou qu'elle élucide tel phénomène cellulaire à l'origine de la colonisation vasculaire d'une tumeur solide.
C'est souvent aussi l'étude moléculaire sophistiquée d'une tumeur humaine bien particulière, obtenue chez tel malade au cours de sa prise en charge thérapeutique, qui permettra l'avancée la plus significative.
Il nous faut donc ne délaisser aucun secteur de l'activité de recherche, qu'elle se fasse au plus près du malade, sur les modèles cellulaires ou animaux les plus exotiques, si nous voulons relever ensemble le défi de la lutte contre le cancer.
La physique, la chimie, l'épidémiologie explicative doivent aller à la rencontre de la biologie du cancer, en abolissant les séparations entre disciplines. Le cancer exprime toute la complexité du vivant et aucune approche scientifique ne doit donc être négligée.
Dans la deuxième session de cet après-midi, Madame Elisabeth Giacobino, Directrice de la Recherche, vous expliquera comment notre ministère s'est impliqué pour favoriser l'orchestration nationale et régionale de ces recherches. Plus spécifiquement, elle pourra détailler la première étape, l'appel d'offres "Emergence des cancéropoles" qui vient d'être lancé.
Par ailleurs, d'où que provienne une découverte, sa finalité médicale doit sans délai être mise à l'épreuve :
- par la recherche de substances actives sur telle ou telle cible moléculaire ;
- par la détection de marqueurs biologiques, chargés d'une précieuse signification diagnostique ou pronostique ;
- par une exploration en imagerie fondée sur telle méthode physique innovante ou tel nouveau marqueur
En cas de succès, vient alors la nécessité d'une recherche clinique dynamique, qu'il faudra que nous apprenions à accélérer, car nous souhaitons qu'elle participe, au premier rang, au progrès médical.
Cette recherche clinique déploiera, elle aussi, toute sa complexité : notamment dans les essais thérapeutiques, avec l'épidémiogénétique et la bio-informatique qui sont actuellement en plein essor pour l'exploitation des cartes d'expression des gènes au sein des tumeurs.
De formidables efforts seront nécessaires, de la part des services cliniques et biologiques de nos hôpitaux, lorsque l'on commencera - et ce sera très bientôt - à transférer ces découvertes et ces nouveaux outils vers le soin des patients atteints de cancers.
Je voudrais maintenant insister sur ce qui m'apparaît comme le principal point d'attaque d'une politique volontariste de recherche contre le cancer : la découverte de nouveaux médicaments.
Ces dix dernières années, l'industrie pharmaceutique a largement modifié sa stratégie de recherche.
L'accumulation massive de connaissances, née en particulier des concepts et outils de la génomique, nous conduit à une meilleure compréhension des mécanismes cellulaires fondamentaux qui peuvent expliquer un phénotype tumoral particulier.
Ces vastes connaissances ne pouvaient plus être ni pleinement accessibles, ni pleinement maîtrisées à l'intérieur des murs fermés des grands industriels. Une stratégie d'externalisation de la recherche s'est donc généralisée, à la fois vers les laboratoires académiques et vers les nouvelles sociétés de biotechnologies. Ce processus d'exploitation panoramique des connaissances s'est encore accéléré avec le décryptage complet du génome humain.
La multitude de protéines impliquées dans les processus fondamentaux du fonctionnement de la cellule sont autant de cibles thérapeutiques potentielles. Laquelle choisir, sur quelles bases rationnelles ?
La validation de l'une de ces protéines comme cible requiert une parfaite connaissance des systèmes cellulaires où elles sont exprimées. Ceci constitue généralement le savoir des laboratoires du secteur public.
Les entreprises de biotechnologies, actives dans les domaines de la génomique et de l'après-génome, réalisent des études dites "à moyen débit", en utilisant des plates-formes de criblage pour caractériser une cible d'intérêt thérapeutique.
L'étape suivante est la découverte de ligands, petites molécules de synthèse ou issues d'extraits de plantes qui, non seulement seront des candidats médicaments mais pourront aussi se révéler des outils remarquables pour explorer le fonctionnement du vivant à l'échelle moléculaire.
Un ou deux grands centres d'expérimentation pourraient être mis en place pour analyser in vivo et à grande échelle sur l'animal, dans le respect des règles éthiques les plus élevées, les propriétés des ligands des cibles déjà validées sur des modèles cellulaires.
Dans cette quête de nouveaux médicaments, les réseaux de transfert technologique nécessitent un accès privilégié à des ressources biologiques, ces milliers de prélèvements provenant de milliers de patients, stockés dans des banques de tumeurs.
L'innovation thérapeutique, mais aussi la compréhension de phénomènes fondamentaux de la biologie des tumeurs, viendront de la puissance du grand nombre.
L'échelle de la coordination médicale et biologique requise apparaît immense et inhabituelle pour notre recherche biomédicale.
C'est un défi quantitatif que certains centres de génotypage, au premier rang desquels le CNG, sont prêts à relever en déployant une force remarquable de traitement d'échantillons, qui se chiffre par millions. Le transcriptome, le protéome, appuyés sur la bio-informatique, trouveront dès les prochaines années leur place dans la médecine du cancer. Les grands journaux de médecine commencent déjà à publier les études qui le démontrent.
Au-delà des médicaments, en ce qui concerne notamment le diagnostic et le pronostic, les enjeux pour la santé et l'économie sont également immenses :
- que ce soit via les sondes nucléotidiques et les puces ADN, dans les approches de la carte d'identité des tumeurs ;
- que ce soit via les anticorps monoclonaux, qui détecteront la présence d'une protéine marqueur dans un fluide biologique ou sur une coupe de tissu ;
- ou encore via l'imagerie et l'instrumentation médicale, pour détecter et détruire des tumeurs de plus en plus petites.
Dans tous ces secteurs, il est donc essentiel de soutenir, au niveau des laboratoires publics et des entreprises, la mise au point et la production de nouveaux outils, en adaptant les stratégies de valorisation qui doivent accompagner leurs développements.
Peut-on vaincre le cancer ?
A défaut d'une victoire totale à court terme, ce rapide survol des enjeux vous aura, je l'espère, démontré que le défi du cancer mérite de nous mobiliser tous, pour en réduire substantiellement la mortalité, grâce aux avancées d'une recherche résolument orientée vers le transfert au bénéfice des malades.
C'est tout l'esprit du "plan cancer", lancé au mois de mars par le Président de la République et dans lequel mon ministère entend assumer pleinement sa responsabilité.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 19 juin 2003)