Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de pouvoir m'exprimer devant votre Commission. Le thème de la laïcité, qui vous a été confié par le Président de la République, est au cur de mes convictions. Face à la complexité et aux tensions du monde contemporain, notre pays a besoin de repères assurant son unité. La laïcité fait partie de ces repères.
L'article 2 de notre Constitution énumère les traits de la République. Elle est indivisible, démocratique et sociale... Elle est laïque !
Cette dernière caractéristique présente la particularité d'être aussi essentielle que passionnelle.
" La laïcité sent la poudre " a écrit le Professeur Rivéro, justement parce qu'elle évoque, dans l'histoire de France, la cristallisation des ferveurs les plus opposées sur le délicat terrain des liens entre l'Etat et l'intemporel.
Comme à la fin du 19e siècle, la question de la laïcité est réapparue aujourd'hui là où elle est née : à l'école !
Bien évidemment les termes du débat ont changé. Il ne s'agit plus de dessaisir une église de son emprise sur la conscience des enfants mais d'endiguer un phénomène d'intégrisme dont l'islam - dévoyé par certains - est parfois le ferment. Mais derrière ce changement contextuel, le fondement théorique demeure : comment former un ensemble de citoyens capables de vivre collectivement au sein de la seule communauté qui vaille, celle de la République !
Pour traiter la laïcité, il convient, selon moi, de revenir à sa source : la République elle-même.
Depuis 1789, notre histoire se confond avec celle du combat républicain au travers de la succession des régimes et des constitutions, des luttes partisanes et des oppositions de circonstance.
Ce combat n'est pas qu'institutionnel
Comme l'écrit Maurice Agulhon dans son Histoire de France : " La République n'en finit pas de commencer (...). La république - précise-t-il - désigne un système constitutionnel, comme en Suisse et en Amérique. Mais à la différence du terme république aux Etats-Unis, celui de république en France évoque bien davantage qu'un système juridique ; il recouvre un ensemble complexe de valeurs et il constitue pour longtemps encore un enjeu d'interprétations opposées et de passions rivales. "
Bien plus qu'un système de gouvernement, la République Française est donc un projet politique dont les valeurs et les pratiques ont pour ambition de garantir et nourrir notre communauté de destin.
A l'évidence, ces valeurs ne sauraient s'appliquer partout et toujours de manière identique. A rester immobile, la République se condamnerait tant il est vrai qu'elle n'est pas une donnée intangible.
Il faut donc savoir bouger les lignes et être capable d'enrichir notre pacte républicain, mais en veillant à ce que l'éthique républicaine conserve de son sens et de sa force.
C'est tout ce subtil équilibre qui se pose aujourd'hui à la laïcité. Comment l'ancrer dans la modernité sans pour autant remettre en cause son inspiration originelle ? En d'autres termes, comment retenir une laïcité ferme dans son principe et pragmatique dans son application ?
Face à ces questions, je crois qu'il faut, au préalable, s'attacher à une idée claire qui doit être affirmée sans circonvolutions car la faiblesse et l'ambiguïté sont les adversaires de l'idéal républicain : la République doit se fixer comme principal objectif de former des citoyens et de les faire vivre ensemble. Elle forme un tout que ni une religion ni une quelconque autre communauté ne peuvent diviser. Derrière la notion de laïcité se pose donc le postulat de la primauté du citoyen sur toute autre filiation.
La porté politique de cet objectif est élevée. Elle oblige de veiller à l'affirmation de la supériorité de l'intérêt général sur les intérêts particuliers ; elle impose que chacun d'entre-nous accepte de transcender ses singularités au profit d'une appartenance plus large ; elle suppose de bien distinguer ce qui relève de la sphère privée de la sphère publique.
Tout ceci ne va pas de soi. Dans un pays comme le nôtre, longtemps divisé, ouvert aux flux migratoires, à la fois traversé par l'individualisme et soumis au rythme de la mondialisation, l'unité nationale est une quête permanente.
Dans les fonctions qui sont les miennes, je m'emploie à poursuivre ce cap dans le champ de l'intégration.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Depuis vingt ans, la France n'intègre plus suffisamment !
Au cours des dernières décennies, l'idéal républicain s'est essoufflé. Le patriotisme fut parfois moqué et le principe d'autorité s'est vu contesté. La crise économique et sociale a, en outre, précipité des milliers de nos compatriotes dans le chômage et a jeté les plus fragiles dans l'exclusion. Bref, le doute s'est emparé du modèle français. Du même coup, le processus d'intégration s'est grippé.
La crispation de notre société a alors provoqué des phénomènes de repli dont l'expression a parfois été la peur de l'Autre, et plus particulièrement des populations issues de l'immigration. Devenues une catégorie " à part " dans la société, ces populations n'ont pas été assez accompagnées par l'Etat. La République n'a pas su leur offrir la contrepartie de leur intégration (je pense ici, par exemple, à la promotion sociale) ni fixer les règles et devoirs qui s'attachent à son respect.
Cette situation d'échec a été d'autant plus accentuée que durant les années 80, s'est installé un discours ventant les mérites du différencialisme.
Face à ce bilan général peu satisfaisant, il faut refonder notre cadre républicain d'intégration.
Je parle de " refondation " parce que je n'inscris pas mon action dans la simple continuité de ces dernières années. Je souhaite, en effet, rompre avec cet esprit de culpabilité qui a amené notre pays à douter de ses valeurs et de son histoire, tout comme j'entends tourner la page de ce différentialisme qui fait la part belle au communautarisme.
Quelques soient la couleur de peau ou la religion, Il n'y a qu'un drapeau qui est celui de la France républicaine. En clair, pour les étrangers en situation régulière, je vise l'intégration et pas la coexistence ! Pour ceux d'entre eux qui sont ou décident de devenir Français - ce que j'estime être un honneur et une chance pour notre pays ! - je défends l'idée de l'assimilation pleine et entière par le biais de l'égalité des chances.
Dans cet esprit :
Je souhaite, d'une part, rehausser les exigences de l'accueil et de l'intégration.
Et, d'autre part, promouvoir l'égalité concrète des chances en portant l'effort sur la promotion sociale.
Permettez-moi de revenir sur ces deux axes.
Je crois à la nécessité de rehausser les exigences de l'accueil et de l'intégration parce que la France a besoin d'une politique migratoire choisie, sans doute mieux ciblée, une politique s'inscrivant dans un projet républicain. Les populations qui s'installeront à l'avenir sur notre sol, n'auront sans doute pas, comme par le passé, les mêmes liens historiques, affectifs ou linguistiques avec la France. Il faut s'y préparer.
Chaque année, près de 100.000 personnes s'installent de façon régulière dans notre pays. Pour les accueillir dans de bonnes conditions, l'Etat se doit de dépasser l'anonymat d'un numéro de dossier en préfecture. Entre la France et l'immigrant, il faut un pacte de confiance partagé.
C'est ici toute l'idée du contrat d'accueil et d'intégration.
Ce contrat comprend différents volets qui permettent à la fois de présenter et de faire prendre conscience de l'importance des valeurs de la République, et des droits et devoirs de chacun. C'est ainsi que 8 heures de formation sont consacrées à la présentation des valeurs de la République et du mode de vie en France. Il s'agit pour le nouvel arrivant d'une approche très pratique de nos valeurs, déclinées dans ses aspects concrets : égalité hommes-femmes, polygamie, excision, et bien évidemment le rappel du caractère privé de la pratique religieuse. Une formation linguistique est également proposée, entre 200 et 500 heures selon les besoins. Cette formation fait l'objet d'une certification afin de faciliter leur accès aux formations qualifiantes et à l'emploi.
Ce contrat ouvre enfin la possibilité d'un accompagnement social personnalisé auquel sont associés le service public de l'emploi et les collectivités territoriales.
A ce jour, près de 3.000 contrats ont été signés dans les 13 départements pilotes. En 2004 et 2005, l'ensemble des départements bénéficiera du dispositif. Ainsi la totalité du primo-arrivant bénéficiera du contrat et de la formation civique qui y est attachée.
Ce contrat est au cur du service public d'accueil des nouveaux migrants qu'il convient d'organiser.
L'accueil dont bénéficient aujourd'hui les familles migrantes sur des plates formes, se généralise à l'ensemble des nouveaux bénéficiaires de titres de séjour de plus de 3 mois qui sont dans un projet d'installation durable. Aux 10 plates formes interdépartementales existantes s'ajoute depuis cette année 5 nouvelles plates formes. Toutes les régions bénéficieront d'un dispositif d'accueil, fin 2004.
Par ailleurs, une Agence Française chargé de l'Accueil et des Migrations sera créé dès 2004, par le rapprochement de l'Office des Migrations Internationales (OMI) et du Service Social d'Aide aux Emigrants (SSAE).
Toutes ces orientations contribuent, mesdames et messieurs, à la mise en place d'une véritable politique publique d'accueil structurée, généralisée et personnalisée.
Mais l'intégration est aussi la capacité offerte à chacun de surmonter ce qui est vécu comme une fatalité sociale et culturelle, voire un rejet. On touche là au problème de la promotion sociale.
Le constat pour les jeunes français issus de l'immigration est connu : après l'échec scolaire qui est prégnant, le chômage les frappe trois fois plus que la moyenne. L'ascenseur social est en panne ce qui accentue les phénomènes de violence et de perte des repères civiques.
Avec mon collègue Luc Ferry, nous souhaitons renforcer la mission intégratrice de l'école. Les mesures envisagées et qui doivent être approfondies traitent du contenu des enseignements, de l'orientation et du suivi des élèves. Elles précisent par ailleurs le développement des bourses liées au mérite et préconisent des actions de partenariat entre les établissements scolaires des quartiers défavorisés et des partenaires prestigieux comme Polytechnique et autres grandes écoles...
Par ailleurs, je compte dynamiser l'accès à l'emploi en retenant un dispositif articulé autour de trois mesures essentielles :
Le parrainage qui vise à permettre aux jeunes d'accéder à un emploi stable grâce à un accompagnement personnalisé assuré par des bénévoles, en activité ou retraités. A ce jour 13.000 jeunes, dont deux tiers issus de l'immigration, bénéficient d'un parrainage.
Il convient par ailleurs d'ouvrir la préparation aux concours administratifs des fonctions publiques. L'objectif affirmé de favoriser des recrutements dans la fonction publique à l'image de la société n'a jamais été rempli. Dès lors, dix centres de préparation aux concours dans des établissements situés en ZEP seront expérimentés.
Enfin, j'entends faire de l'apprentissage du français une priorité. Aujourd'hui près d'un million de personnes d'origine immigrées sont démunis face à notre langue. Aussi l'apprentissage du français fera explicitement partie des actions de formation professionnelle inscrites dans le cade du travail. Cette mesure permettra d'introduire l'apprentissage de la langue dans les plans de formation des entreprises et dans les programmes des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA).
Si j'évoque toutes ces dispositions, c'est parce que j'ai la conviction qu'on ne peut faire partager les valeurs républicaines au premier rang desquelles la laïcité, sans faire respecter dans les faits celle de l'égalité, notamment des chances d'accession à la promotion sociale.
Par ailleurs, il ne peut y avoir intégration tant que subsisteront des discriminations Il faut agir pour l'égalité de traitement.
Le comité interministériel à l'intégration, réuni le 10 avril dernier, a proposé une série d'actions dans le domaine du logement, de la culture, du sport ou encore de la santé pour briser les barrières de l'incompréhension et modifier le regard de notre société. Parmi celles-ci nous entendons :
Prévenir les discriminations à l'égard des femmes immigrées ou issues de l'immigration. Les jeunes filles et femmes constituent un enjeu central pour notre modèle d'intégration. Elles sont confrontées à des comportements incompatibles avec le respect des droits fondamentaux. Il faut changer la donne notamment en renforçant les actions d'information en ce qui concerne l'égalité homme/femme, et plus précisément la prévention des mariages forcés ou des mutilations sexuelles (excision). J'entends, sur ce dernier point, mettre en place un dispositif d'hébergement d'urgence destiné aux jeunes filles qui, menacées d'être mariées sans leur consentement, seraient éloignées de leurs familles.
Par ailleurs, nous entendons instituer une Autorité Indépendante afin de lutter contre toutes les formes de discriminations. Une mission vous a été, monsieur le Président, confiée en ce sens.
Enfin, le Premier Ministre, à l'occasion de l'installation du Haut Conseil à l'Intégration, s'est prononcé en faveur de la création du Centre de Mémoire de l'Immigration. Il devrait s'agir d'un lieu de formation, de recherche et de débats. Les discriminations, nous le savons, sont souvent fondées sur des préjugés, mais aussi sur une méconnaissance de l'immigration qui est pourtant une donnée constitutive de notre histoire. La création de ce centre doit contribuer à mieux éclairer nos concitoyens.
Cette première série de dispositions, est le signe de notre volonté d'amplifier notre politique d'intégration. Tant que certains de nos compatriotes considéreront qu'ils ne sont pas des citoyens comme les autres et que du fait de leurs origines ils ne peuvent aspirer à l'égalité des chances, alors le communautarisme qu'il soit religieux ou identitaire prendra l'ascendant sur la laïcité et l'unité républicaine.
Mais le sentiment d'appartenance à une même communauté oblige également à une démarche personnelle, car chacun apporte sa pierre à la construction de l'édifice républicain. Dans ses droits et devoirs, chacun est porteur de l'idéal républicain !
Cette exigence a pris une résonance toute particulière dans ce qui a été appelé " l'affaire du voile. " Elle oblige à une réflexion sereine et ouverte sur la place de l'islam dans la société française.
L'islam est une religion exigeante. Sa pratique ne pose bien évidemment pas de difficultés dès lors qu'elle demeure dans le strict cadre de la sphère privée et respectueuse des droits individuels. La laïcité n'est pas la négation de toute pratique religieuse ; au contraire, elle en garantit le tranquille exercice. Il est plus difficile, en revanche, de le rendre compatible avec nos principes d'unité et de laïcité dès lors que l'islam, ou toute autre religion, s'entend comme un mode d'organisation de la société.
Il est essentiel que les musulmans de France évoluent dans le sens d'un islam laïc, auquel beaucoup d'entre eux aspirent d'ailleurs. Ce processus de modernisation a été entrepris, notamment depuis la création en 1993 du Conseil consultatif des musulmans de France puis cette année d'un " islam de France. " Ces institutions concourent à une évolution positive de la place de l'islam dans notre société mais demeurent fragiles. Aussi l'Etat républicain se doit d'encourager ce mouvement et d'accompagner les musulmans dans leur réflexion. Nous ne saurions nier qu'un courant fondamentaliste cherche à prendre assise sur les plus fragiles, et notamment sur les jeunes.
L'école joue ici un rôle essentiel à la fois dans la garantie de neutralité de l'éveil de la raison et dans l'intégration au sein de la communauté nationale.
Si l'on ne peut plus être laïc aujourd'hui comme l'était hier Jules Ferry, on ne peut rompre avec l'esprit qui a présidé à la naissance de l'instruction publique.
Parce que la laïcité doit demeurer le principe d'organisation général du système éducatif public, je suis personnellement favorable à une législation interdisant le port ostentatoire de tout signe religieux. Je crois que les directeurs d'établissements et les enseignants ont besoin d'un cadre clair pour les épauler dans leur tâche. Mais sur ce sujet délicat, le débat est ouvert... Il appartient précisément à votre commission de nous livrer ses recommandations.
Parallèlement, je considère qu'en tant que lieu d'apprentissage du " vivre ensemble " il serait opportun d'ouvrir une réflexion sur l'enseignement de la religion dans les civilisations à l'école. La conception parfois rigoriste de la laïcité a conduit à en faire un sujet tabou. Or comment pourrions-nous nous satisfaire que nos enfants n'appréhendent le fait religieux qu'au travers de la seule actualité et des médias. Ce fait religieux, je le juge, à titre personnel, passionnant, profond et nullement incompatible avec les valeurs républicaines.
Pour l'aborder, il faut des clés, des outils intellectuels, pour ne pas être dépendant du seul traitement de l'information ou victime des caricatures développées par un certain prosélytisme. A fortiori pour l'enfant et le jeune adulte qui, ne possédant pas du recul nécessaire, pourraient simplifier voire caricaturer des faits au risque d'incompréhension et d'intolérance. Cette situation existe déjà et les républicains que nous sommes, ne peuvent en aucun cas accepter qu'un enfant se fasse molester dans une cour d'école parce qu'il juif ou soit considéré comme intégriste parce qu'il est musulman.
Au-delà de la question du voile à l'école, je souhaite également livrer à votre commission un élément de réflexion relatif à la procédure d'acquisition de la nationalité française, sur lequel je m'interroge.
Parmi les critères de l'assimilation, la jurisprudence du conseil d'Etat, nous conduit aujourd'hui à ne pas retenir comme motif de non recevabilité de la demande d'acquisition de la nationalité française, les éléments relevant de la tenue vestimentaire et en particulier le voile islamique Cependant, je vous précise que le port systématique et ostentatoire du tchador (qui est la couverture intégrale du visage) peut entraîner une décision de rejet.
Mais, sur cette question du voile, il n'en fut pas toujours ainsi. Jusqu'en 2000, le port du voile entraînait rejet de la demande pour - je cite la directive du 31 mars 1992, signée par Jean-Louis Bianco alors ministre de l'intégration - " expression d'une volonté affichée d'appartenir à une communauté séparée ".
Doit-on revenir à cette conception ? Doit-on davantage préciser le principe d'assimilation, prévu par l'article 21-24 du Code civil ? Il faut y réfléchir !
Sur cette question de l'intégration, j'insiste pour conclure mon propos sur un point fondamental : la réussite du processus d'intégration dépend de notre propre foi en nos valeurs républicaines et nationales. Dans cet esprit, nous devons concevoir l'intégration comme l'un des éléments d'une dynamique républicaine qui doit être globale et concerner tous les Français.
Telles sont, Monsieur le Président, mesdames et messieurs, quelques-unes des réflexions que je souhaitais vous livrer.
L'histoire contemporaine de la France est indissociable de l'idéal républicain. D'autres pays, parce qu'ils sont guidés par une autre histoire, une autre culture, ont choisi d'autres voies, d'autres organisations politiques et sociales Elles ne sont pas dans notre tradition qui est fondée sur l'égalité des citoyens et leur unité. Ces deux principes épousent le concept de laïcité. Ce concept est pour moi l'un des vecteurs de la responsabilité individuelle et de la tolérance collective. Il est le contraire d'une négation des différences puisqu'il se donne pour finalité d'ordonner la coexistence pacifique et libre des croyances de chacun.
La République respecte toute personne par référence au principe d'égalité ; par suite elle laisse à chacun la liberté de conscience et garantit le libre exercice du culte. Elle demande en retour qu'aucune religion n'influence la vie publique. D'ou la neutralité exigée du service public qui est la stricte contrepartie du respect des convictions personnelles de chacun. D'ou aussi le principe d'interdiction des signes ostentatoires ou des manifestations de prosélytisme qui s'impose dans les lieux publics. C'est d'ailleurs le fondement de l'avis du Conseil d'Etat de 1989.
Cette conception de la laïcité, distincte de l'athéisme militant, a justifié la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Elle est, me semble-t-il, l'héritière d'une pensée plus ancienne qui découle de l'horreur des guerres de religions. Le rejet du fanatisme religieux est l'une des sources de la laïcité. N'oublions pas notre passé, car nous ne sommes jamais totalement à l'abri d'un retour des fanatismes.
Soyons clairs : si l'Islam est certainement appelé à une adaptation pour épouser la modernité, le risque de l'intégrisme n'est pas propre à cette religion. Il peut atteindre toute communauté qui en fait son identité et sa force.
La meilleure façon de dissuader la résurgence de ces passions destructrices, est de fixer les règles de la République, d'affirmer la neutralité de l'Etat qui doit être à l'égal de son impartialité. Elle est, d'autre part, d'appréhender avec plus de profondeur et de justesse le fait religieux, avec ses diversités spirituelles et culturelles mais aussi ses croisements potentiels.
Dans la laïcité, il y a, précisément, une prise en compte de ces diversités et une prise en charge de l'universalité humaine. Elle est donc un instrument de rencontre, entre les Français de toutes confessions, mais également entre les Français et les autres nations. C'est ce qui a conduit la France à être une référence pour nombre d'Hommes et de peuples qui ont fait - ou qui cherchent à faire - de la laïcité l'instrument de leur liberté politique, intellectuelle et spirituelle.
Dans cette réflexion sur la laïcité, nous devons donc avoir à l'esprit qu'une partie du monde, qui est aujourd'hui encore traversée par des déchirements, continue de regarder vers la France. Elle demeure le modèle d'une alchimie politique originale, qui conjugue l'unité citoyenne et la liberté individuelle. Cette alchimie, nous devons la protéger et la renforcer.
(Source http://www.social.gouv.fr, le 8 octobre 2003)