Conférence de presse de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur la gestion et le rôle de l'Alliance atlantique dans l'après-guerre, l'administration de l'Irak, les relations franco-américaines, Bruxelles le 3 avril 2003.

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Circonstance : Réunion ministérielle du Conseil de l'Atlantique Nord à Bruxelles le 3 avril 2003

Texte intégral

Permettez-moi de vous dire tout d'abord combien je suis heureux de ces réunions d'aujourd'hui, que j'ai voulu pour ma part placer sous le signe de la volonté, du pragmatisme, de l'esprit d'ouverture et de concertation avec le souci de se tourner résolument vers l'avenir.
Notre exigence est de nous appuyer sur des principes de respect du droit, de la morale, de la responsabilité collective et de l'unité de la communauté internationale. L'Europe, les Etats-Unis en particulier, les grands pôles du monde ont un rôle central à jouer. L'idée que nous nous faisons d'un monde multipolaire est marqué par la complémentarité et non pas par la rivalité.
Nous avons aujourd'hui une inquiétude profonde, c'est le risque de division, de fracture, de choc entre les cultures, les sociétés, les religions. Ceci doit nous rendre particulièrement vigilants face aux menaces multiples que connaît le monde : le terrorisme, la prolifération, les crises régionales, le fondamentalisme. Toutes ces crises ne disparaissent pas, même à l'heure de l'Irak et il faut savoir que pour les régler efficacement il faudra beaucoup de détermination, beaucoup de patience et en même temps beaucoup d'unité.
Dans le même temps nous voyons tous l'urgence de reprendre l'initiative au Proche-Orient, répondre aux besoins de sécurité du peuple israélien, répondre aux besoins de justice du peuple palestinien. Il y a certainement aujourd'hui une occasion particulière pour reprendre cette initiative avec la nécessité de publier dans les meilleurs délais la feuille de route, de la mettre en oeuvre et vous savez que la France, - d'ailleurs cela se situe dans la continuité de cette feuille de route -, défend l'idée d'une conférence internationale qui permettrait de marquer clairement la détermination commune.
Nous avons, chacun le sait, des préoccupations immédiates en Irak. Nous voyons tous le tragique de cette guerre. Nous souhaitons, dans ce contexte, évidemment, les combats les plus brefs et les moins meurtriers possible. Nous appelons tous les pays de la région à faire preuve de retenue afin de ne pas aggraver la situation et nous poursuivons les démarches que nous avons déjà engagées en ce sens. Nous sommes mobilisés pour la tâche la plus urgente : l'aide humanitaire.
Cela suppose au terme de la résolution 1472 un accès libre et sans contrainte sur le terrain des organisations non gouvernementales. La France ne ménagera pas ses efforts pour assurer à titre national et dans le cadre européen la distribution de cette aide sous toutes ses formes, qu'il s'agisse de la nourriture, de l'eau, des soins médicaux ou des produits pharmaceutiques.
Quels principes doivent nous guider dans la recherche d'un règlement de cette crise irakienne ? D'abord bien sûr le respect de l'intégrité, de l'unité de l'Irak, le retour dès que possible à la pleine souveraineté des Irakiens sur leur propre pays et un rôle central des Nations unies qui incarnent la légitimité internationale.
Ce rôle, l'ONU doit l'exercer aux différentes étapes dans la guerre, à travers l'exigence quotidienne humanitaire et quand les opérations militaires auront cessé, quand la situation aura été sécurisée, les Nations unies devront bien sûr organiser le rétablissement d'un véritable régime démocratique, l'appui à la reconstruction économique du pays.
Comment s'organiseront ces différentes étapes, dans quels délais, selon quelle séquence ? Je crois qu'il faut être pragmatique, guidés par le souci de faire avancer les choses. Dans la phase armée, dans la phase de sécurisation, la responsabilité première revient naturellement aux forces coalisées présentes sur le terrain. Au-delà, les Nations unies devront intervenir conformément à deux exigences : un environnement sécurisé, deuxièmement la capacité d'exercer pleinement leurs responsabilités.
Voilà comment la France voit la situation actuellement et je suis naturellement prêt à répondre à vos questions.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez rencontré longuement votre collègue américain. Dans quel climat s'est déroulé cet entretien ?
R - Dans un climat franc, amical, et je l'ai dit, tourné vers l'avenir. Nous avons d'importantes difficultés : l'Irak, la région qu'il convient de stabiliser, tous les problèmes que vous connaissez et auxquels il faut faire face aussi, le terrorisme, la prolifération qui ne se limite pas à l'Irak, les crises régionales. J'ai parlé du Proche-Orient : il y a là une mobilisation évidemment indispensable et nous l'avons toujours dit. Il y a la crise irakienne et au-delà la grande question : comment gérer les crises et les difficultés du monde. Donc je crois que l'esprit de coopération entre les deux rives de l'Atlantique est évidemment essentiel dans cette idée d'un monde plus stable et plus juste.
Q - Il y a la question du rôle de l'Alliance atlantique dans l'après-guerre. M. Colin Powell a-t-il formulé une demande en ce sens ? Et quelle est la position de la France à ce sujet ?
R - Je crois qu'il s'agit là pour le moment de questions prématurées que nous n'avons pas abordées et je n'ai pas entendu parler de plan à cet égard. L'OTAN peut jouer un rôle, cela dépend bien sûr du cadre dans lequel cela se situerait. Dans quel cadre par rapport aux Nations unies, comment est-ce que les Nations unies aborderont ces différentes phases de reconstruction du pays ? Il y a là beaucoup d'options qui sont ouvertes. Il faut donc réfléchir dans un cadre d'ouverture et d'initiative bien sûr avec le souci d'organiser le moment venu cette reconstruction politique et économique de la façon la plus efficace possible.
Q - Quel est votre sentiment à l'idée d'un général américain dirigeant l'Irak ?
R - Il y a, je le comprends bien, beaucoup de projets, le souci de se projeter dans le futur immédiat. Chacun sait que parfois la réalité organise les choses différemment. Il faut l'aborder, je crois, avec beaucoup de pragmatisme, quelle que soit la séquence, quels que soient les différentes phases que l'on puisse imaginer. Il y a une urgence humanitaire dans la guerre. Il y aura ensuite au lendemain de la guerre une phase de sécurité, où l'unité de l'Irak, la stabilité du pays et de la région seront bien évidemment la première préoccupation. Les forces présentes sur le terrain auront dans ce domaine la responsabilité première. Et puis quand les circonstances le permettront, quand la sécurité le permettra, bien sûr, notre conviction c'est que les Nations unies doivent jouer un rôle central. Les Nations unies sont l'organe, l'outil de la légitimité internationale, tant dans la reconstruction politique que dans la reconstruction économique du pays. Nous pensons que la contribution des Nations unies est essentielle.
Q - Y a-t-il un consensus sur le rôle des Nations unies ?
R - Aux différentes réunions auxquelles nous avons assisté, je crois qu'il y a un très large consensus pour véritablement s'appuyer sur les Nations unies qui, une fois de plus, ont à la fois l'expérience et la légitimité et qui permettent d'offrir à chacun le meilleur cadre pour travailler dans un environnement sécurisé.
Q - M. Powell a-t-il la même conception que vous ?
R - Vous lui poserez la question car je crois que sur des questions aussi délicates, il est important que chacun parle pour lui-même.
Q - Comment se sont passées vos retrouvailles avec Colin Powell ?
R - Vous savez, d'abord nous nous sommes parlés régulièrement tout au long des différentes semaines au téléphone. Vous pensez bien que l'actualité exige une concertation étroite. Nous sommes, je crois, tous les deux animés du même souci de régler les situations difficiles qui se présentent et qui se présenteront. Chacun le voit bien, l'Irak est un dossier très compliqué. On voit bien les épreuves tragiques qui se vivent quotidiennement. Je pense que l'Irak est un problème dans la guerre et l'Irak restera un problème dans l'après-guerre. Et nous devons avoir à la fois beaucoup de mobilisation, le souci d'aboutir pour arriver justement à régler l'ensemble des différends. C'est véritablement une épreuve pour la communauté internationale et nous aborderons je crois d'autant plus facilement les problèmes que nous seront unis, donc soucieux d'agir ensemble pour les régler.
Q - Le président Chirac et George Bush vont-ils se reparler au téléphone ?
R - La concertation entre les Etats-Unis et la France est quotidienne. Evidemment cette concertation ne manquera pas de se développer et de s'intensifier aux cours des prochains jours et semaines.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 2003)