Texte intégral
Le Journal du Dimanche :
Les dépenses de Défense ne sont-elles pas, en partie, responsables du non-respect par la France du pacte de stabilité européen ?
Mme Michèle Alliot-Marie :
La Défense est un sujet sérieux. Ce n'est pas un luxe qu'on s'offrirait les années fastes et qu'on supprimerait les moins bonnes. Grâce à son effort, la France assure sa sécurité mais elle participe aussi activement à celle de l'Europe. En Côte d'Ivoire, les militaires français ont évacué récemment des zones de combat dans le nord 2 500 personnes. 500 étaient françaises. Parmi les autres se trouvaient de très nombreux Européens. Au Libéria, 550 personnes, dont seulement 25 Français, ont été sauvées des massacres. Il y aurait une certaine injustice à nous faire grief de ces dépenses, au nom du pacte de stabilité, alors que tous les pays européens en profitent, même ceux qui investissent le moins. Voilà aussi pourquoi je demande, depuis plusieurs mois, que les dépenses de Défense soient exclues du calcul des critères de convergence.
Est-ce pour cette raison que vous voulez exclure les opérations extérieures du budget de la Défense ?
Les opérations extérieures (Opex) figurent dans le budget de la Défense au titre du fonctionnement, mais elles ne sont traditionnellement financées qu'en fin d'année. Le Parlement a d'ailleurs réservé à cet effet une ligne budgétaire de principe. Toutefois, au motif qu'il était impossible -et pour cause ! - de déterminer à l'avance leur montant exact, le ministère du Budget a demandé d'attendre leur coût définitif en fin d'année avant de les financer, en cohérence avec la loi de programmation militaire. Dans l'avenir, je souhaite que soit systématiquement retenue au budget primitif une somme forfaitaire pour les Opex, quitte à ce qu'elle soit ajustée en fin d'année.
Vos partenaires européens comprennent-ils la priorité française en matière de Défense ?
Face aux crises internationales qui se multiplient, aux risques croissants de terrorisme, la protection des citoyens, première responsabilité d'un Etat, est plus que jamais prioritaire. Tous les ministres européens de la Défense sont confrontés à cette exigence absolue. Ils le disent, même s'ils ne peuvent fournir le même effort que la France. Nous sommes les seuls avec la Grande-Bretagne et la Grèce à investir dans la Défense l'équivalent de 2 % de notre produit intérieur brut. Tous les autres pays sont aux alentours de 1 %. Parfois moins. Le poids collectif de la sécurité est donc largement assumé par la France et la Grande-Bretagne. Il en va de même pour la recherche militaire : la part de la France et de la Grande-Bretagne atteint 80 % de l'effort de l'Europe toute entière.
Diriez-vous que cette charge est inéquitable ?
Au moins, qu'on ne vienne pas nous reprocher une chose et son contraire !
Certains ministères, moins gâtés que le vôtre, dénoncent la sanctuarisation du budget de la Défense au détriment, par exemple, de l'Education nationale ou de la Santé.
Le ministère de la Défense ne s'exonère pas de l'effort de réduction des déficits publics. Peut-être même en-a-t-il fait plus que d'autres ! Pour le personnel civil, nous appliquons strictement la règle du remplacement d'un poste pour deux départs à la retraite. De même, nous avons diminué le budget de fonctionnement courant de près de 1 % par rapport à l'année dernière. Mais il faut protéger totalement l'effort de redressement de notre capacité militaire engagé depuis un an par la loi de programmation militaire. C'est la volonté explicite du Président de la République et du Gouvernement. C'est une obligation au vu de l'état des matériels que nous avons trouvés.
Y aura-t-il un recadrage après la rentrée difficile de Jean-Pierre Raffarin ?
Avec courage, Jean-Pierre Raffarin fait un travail difficile et de longue haleine de redressement du pays. N'oublions pas la situation dans laquelle nous avons trouvé la France et les bombes à retardement qui nous sautent chaque jour entre les pieds. Je pense notamment aux déficits abyssaux dans certaines grandes entreprises. Jean-Pierre Raffarin avance avec sincérité et détermination. Ce ne sont pas des sondages ou des articles critiques qui vont le faire reculer. Il anime avec doigté et efficacité l'équipe gouvernementale.
Pourtant, on parle pourtant beaucoup d'un remaniement ?
Cela fait huit ou neuf mois que j'en entends parler ! C'est absurde ! Il faut vraiment ne rien connaître à la vie politique pour l'envisager en ce moment. On ne change pas une équipe gouvernementale pour faire plaisir à l'opposition ou aux commentateurs.
Si les conditions politiques étaient réunies, la France enverrait des soldats en Irak ?
Il faut faire évoluer l'atmosphère difficile à laquelle sont confrontées sur place les forces de la coalition. Ce n'est pas en envoyant de nouveaux militaires qu'on y arrivera. Il est temps de donner un signal fort en passant à la phase de reconstruction politique et économique du pays, sous mandat de l'Onu. Nous sommes prêts à y contribuer. Cela suppose de nouvelles institutions, de nouvelles structures économiques, mais aussi tous les éléments qui confèrent son autorité au nouvel Etat. C'est plutôt dans ce dernier domaine que nous avons un savoir-faire reconnu, notamment en matière de formation de la nouvelle armée ou de la nouvelle police irakienne.
Justement, quelle suite les Américains ont-ils donnée à la proposition française de former des policiers irakiens?
Le préalable reste une démarche qui irait clairement vers un transfert de souveraineté aux Irakiens sous l'égide de l'Onu.
En quoi peut-on dire que l'Europe de la Défense progresse?
Deux opérations récentes le prouvent. D'abord la Macédoine, où l'Europe a été capable de mettre des troupes en commun pour prendre la relève de l'Otan. Puis l'Ituri (République démocratique du Congo) où, en un temps record, nous avons été capables de déployer une force significative dans des conditions extrêmement difficiles, et sans recours aux infrastructures de l'Otan. Cette opération a parfaitement réussi. Par ailleurs, depuis un an nous avons beaucoup progressé sur les structures de cette Europe de la Défense avec le projet d'agence européenne de l'armement et l'adoption de programmes communs comme l'A400M (futur avion européen de transport stratégique) ou l'hélicoptère de combat Tigre.
La proposition française d'un quartier général européen en dehors de l'Otan peut-elle aboutir malgré l'opposition britannique?
Que le Secrétaire général de l'OTAN y soit opposé, cela peut se comprendre. Les Britanniques, eux, ont évolué. Lors du sommet de Berlin, il y a quelques jours, Jacques Chirac, Gerhard Schroeder et Tony Blair s'en sont expliqués. J'en ai moi-même parlé avec mon homologue Geoffrey Hoon et nous sommes tombés d'accord pour étudier les solutions sans arrière pensée, avec un souci d'efficacité et au plus vite.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 7 octobre 2003)
Les dépenses de Défense ne sont-elles pas, en partie, responsables du non-respect par la France du pacte de stabilité européen ?
Mme Michèle Alliot-Marie :
La Défense est un sujet sérieux. Ce n'est pas un luxe qu'on s'offrirait les années fastes et qu'on supprimerait les moins bonnes. Grâce à son effort, la France assure sa sécurité mais elle participe aussi activement à celle de l'Europe. En Côte d'Ivoire, les militaires français ont évacué récemment des zones de combat dans le nord 2 500 personnes. 500 étaient françaises. Parmi les autres se trouvaient de très nombreux Européens. Au Libéria, 550 personnes, dont seulement 25 Français, ont été sauvées des massacres. Il y aurait une certaine injustice à nous faire grief de ces dépenses, au nom du pacte de stabilité, alors que tous les pays européens en profitent, même ceux qui investissent le moins. Voilà aussi pourquoi je demande, depuis plusieurs mois, que les dépenses de Défense soient exclues du calcul des critères de convergence.
Est-ce pour cette raison que vous voulez exclure les opérations extérieures du budget de la Défense ?
Les opérations extérieures (Opex) figurent dans le budget de la Défense au titre du fonctionnement, mais elles ne sont traditionnellement financées qu'en fin d'année. Le Parlement a d'ailleurs réservé à cet effet une ligne budgétaire de principe. Toutefois, au motif qu'il était impossible -et pour cause ! - de déterminer à l'avance leur montant exact, le ministère du Budget a demandé d'attendre leur coût définitif en fin d'année avant de les financer, en cohérence avec la loi de programmation militaire. Dans l'avenir, je souhaite que soit systématiquement retenue au budget primitif une somme forfaitaire pour les Opex, quitte à ce qu'elle soit ajustée en fin d'année.
Vos partenaires européens comprennent-ils la priorité française en matière de Défense ?
Face aux crises internationales qui se multiplient, aux risques croissants de terrorisme, la protection des citoyens, première responsabilité d'un Etat, est plus que jamais prioritaire. Tous les ministres européens de la Défense sont confrontés à cette exigence absolue. Ils le disent, même s'ils ne peuvent fournir le même effort que la France. Nous sommes les seuls avec la Grande-Bretagne et la Grèce à investir dans la Défense l'équivalent de 2 % de notre produit intérieur brut. Tous les autres pays sont aux alentours de 1 %. Parfois moins. Le poids collectif de la sécurité est donc largement assumé par la France et la Grande-Bretagne. Il en va de même pour la recherche militaire : la part de la France et de la Grande-Bretagne atteint 80 % de l'effort de l'Europe toute entière.
Diriez-vous que cette charge est inéquitable ?
Au moins, qu'on ne vienne pas nous reprocher une chose et son contraire !
Certains ministères, moins gâtés que le vôtre, dénoncent la sanctuarisation du budget de la Défense au détriment, par exemple, de l'Education nationale ou de la Santé.
Le ministère de la Défense ne s'exonère pas de l'effort de réduction des déficits publics. Peut-être même en-a-t-il fait plus que d'autres ! Pour le personnel civil, nous appliquons strictement la règle du remplacement d'un poste pour deux départs à la retraite. De même, nous avons diminué le budget de fonctionnement courant de près de 1 % par rapport à l'année dernière. Mais il faut protéger totalement l'effort de redressement de notre capacité militaire engagé depuis un an par la loi de programmation militaire. C'est la volonté explicite du Président de la République et du Gouvernement. C'est une obligation au vu de l'état des matériels que nous avons trouvés.
Y aura-t-il un recadrage après la rentrée difficile de Jean-Pierre Raffarin ?
Avec courage, Jean-Pierre Raffarin fait un travail difficile et de longue haleine de redressement du pays. N'oublions pas la situation dans laquelle nous avons trouvé la France et les bombes à retardement qui nous sautent chaque jour entre les pieds. Je pense notamment aux déficits abyssaux dans certaines grandes entreprises. Jean-Pierre Raffarin avance avec sincérité et détermination. Ce ne sont pas des sondages ou des articles critiques qui vont le faire reculer. Il anime avec doigté et efficacité l'équipe gouvernementale.
Pourtant, on parle pourtant beaucoup d'un remaniement ?
Cela fait huit ou neuf mois que j'en entends parler ! C'est absurde ! Il faut vraiment ne rien connaître à la vie politique pour l'envisager en ce moment. On ne change pas une équipe gouvernementale pour faire plaisir à l'opposition ou aux commentateurs.
Si les conditions politiques étaient réunies, la France enverrait des soldats en Irak ?
Il faut faire évoluer l'atmosphère difficile à laquelle sont confrontées sur place les forces de la coalition. Ce n'est pas en envoyant de nouveaux militaires qu'on y arrivera. Il est temps de donner un signal fort en passant à la phase de reconstruction politique et économique du pays, sous mandat de l'Onu. Nous sommes prêts à y contribuer. Cela suppose de nouvelles institutions, de nouvelles structures économiques, mais aussi tous les éléments qui confèrent son autorité au nouvel Etat. C'est plutôt dans ce dernier domaine que nous avons un savoir-faire reconnu, notamment en matière de formation de la nouvelle armée ou de la nouvelle police irakienne.
Justement, quelle suite les Américains ont-ils donnée à la proposition française de former des policiers irakiens?
Le préalable reste une démarche qui irait clairement vers un transfert de souveraineté aux Irakiens sous l'égide de l'Onu.
En quoi peut-on dire que l'Europe de la Défense progresse?
Deux opérations récentes le prouvent. D'abord la Macédoine, où l'Europe a été capable de mettre des troupes en commun pour prendre la relève de l'Otan. Puis l'Ituri (République démocratique du Congo) où, en un temps record, nous avons été capables de déployer une force significative dans des conditions extrêmement difficiles, et sans recours aux infrastructures de l'Otan. Cette opération a parfaitement réussi. Par ailleurs, depuis un an nous avons beaucoup progressé sur les structures de cette Europe de la Défense avec le projet d'agence européenne de l'armement et l'adoption de programmes communs comme l'A400M (futur avion européen de transport stratégique) ou l'hélicoptère de combat Tigre.
La proposition française d'un quartier général européen en dehors de l'Otan peut-elle aboutir malgré l'opposition britannique?
Que le Secrétaire général de l'OTAN y soit opposé, cela peut se comprendre. Les Britanniques, eux, ont évolué. Lors du sommet de Berlin, il y a quelques jours, Jacques Chirac, Gerhard Schroeder et Tony Blair s'en sont expliqués. J'en ai moi-même parlé avec mon homologue Geoffrey Hoon et nous sommes tombés d'accord pour étudier les solutions sans arrière pensée, avec un souci d'efficacité et au plus vite.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 7 octobre 2003)