Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je me réjouis d'être ici parmi vous aujourd'hui pour ouvrir ce colloque sur "les relations entre l'Europe et le monde arabe". C'est une excellente initiative, dans le droit fil de l'actualité, dont le mérite en revient à l'Institut du monde arabe et à son président que je remercie tout particulièrement.
Je remercie aussi la Fondation de la Pensée arabe, co-organisatrice de ce colloque, et son président, M. Ali Maher, pour son engagement en faveur de l'unité et du dialogue dans le monde arabe et son concours à cette rencontre.
Vous ne m'en voudrez pas de savourer, en élu de Marseille, et fier de ma Provence, tout mon plaisir d'aborder avec vous ces relations denses et si fécondes entre les deux rives de cette Mare Nostrum qui tout à la fois nous rapprochent et nous séparent, mais nous lient indissolublement.
Les relations entre les Arabes et les Européens, ce sont d'abord des relations de voisinage et, comme toutes les relations de voisinage, elles s'inscrivent dans le temps. Je ne reviendrai pas sur les contingences historiques, grandes ou petites, qui ont marqué, depuis le VIIème siècle, les rapports entre les mondes européen et arabe. Elles sont connues de tous ici et feront l'objet sans aucun doute de nouveaux échanges nourris lors de ce colloque.
Permettez-moi cependant de revenir brièvement sur le tournant qu'a constitué le XXème siècle. Parce que ce siècle a marqué une double libération pour les pays arabes : ils se sont trouvés libres de la tutelle de l'empire ottoman puis, assez rapidement, de celle des puissances européennes qui en avaient pris la place.
Un nouveau dessin du monde arabe, sans précédent, a émergé de la fin de cette double tutelle, même si plusieurs pays avaient une existence reconnue et familière depuis longtemps. Ce modelage, qui semble bien correspondre à de profondes réalités humaines, n'a été depuis que peu remis en cause. Ce changement, important pour les Arabes, a eu des répercussions tout aussi majeures pour les Européens.
Toute la région ayant pris son autonomie par rapport à la Sublime Porte, il y avait là un ensemble de pays et de pouvoirs nouveaux avec des règles différentes, qui allait se livrer à diverses expérimentations politiques, en mettant l'accent sur le nationalisme, avant de trouver sa voie.
Comme la réalité n'est jamais simple, ces périodes de conflits ont aussi connu un remarquable développement des échanges. Les risques de la navigation ont fait la fortune de Gênes et de Venise, mais aussi de Tunis et d'Alger, de Beyrouth et d'Alexandrie, et bien sûr de ma ville, Marseille. La guerre comme le commerce ont amené ces marins à mieux se connaître : avec la soie et les épices, c'étaient aussi les idées, les uvres, les goûts qui circulaient entre les deux mondes, même si, au moins jusqu'au XVIème siècle, les Arabes ne se sentaient que peu d'attirance pour l'Europe.
Mais, même si elle s'est trop faite sur les champs de bataille ou lors des abordages, la rencontre a bien eu pour effet une fécondation mutuelle des cultures. L'attraction est forte, comme l'atteste la peinture orientaliste, un genre qui ne cesse de se poursuivre en se transformant, qui réapparaît sous d'autres formes, ou le raï, une musique née de la rencontre entre le rock et la musique populaire arabe, musique à son tour adoptée par les jeunes Européens.
Souvenons-nous aussi de l'expédition de Bonaparte en Egypte qui au travers des nombreux savants et artistes qu'il emmène avec lui, suscite un engouement incroyable, que l'on va appeler l'Egyptomanie, comparable à celle qui régnait sous l'empire romain et qui va laisser une empreinte profonde dans la vie intellectuelle et dans les goûts bien au-delà du XIXème siècle.
L'échange, dans tous les domaines, depuis la plus haute antiquité, est donc la règle dans cette mer intérieure. Nous avons décidé, en 1995, de l'institutionnaliser, en mettant en place le "processus de Barcelone", qui offre un premier cadre pour aborder entre les deux pôles européen et arabe les questions politiques, le développement des courants commerciaux, l'économie mais aussi les échanges culturels.
Ce processus permet entre les deux grands ensembles un dialogue sur tous ces thèmes. Je remarque que le cadre de Barcelone, parfois critiqué, a cependant permis aux pays arabes membres de doubler leurs exportations vers l'Union en cinq ans, tandis que les exportations de l'Union européenne progressaient de 50 %.
Depuis quelques années, craintes ou doutes sont cependant apparus. Certains Européens se sont sentis menacés par l'instabilité dont ont souffert plusieurs pays de la région. Les Arabes pour leur part ont vu les Européens aboutir à deux élargissements successifs, à Quinze d'abord, puis à Vingt-cinq. Ils redoutent aujourd'hui que l'Union se détourne du Sud de la Méditerranée pour se consacrer entièrement à son aménagement intérieur.
Quelle place sera laissée aux pays arabes par cette vaste construction politico-économique ? Comment interpréter les encouragements à la démocratisation de ce nouvel ensemble ? Nombreux sont ceux qui craignent de voir l'avenir leur échapper, de se trouver laissés au bord de la route. Trop souvent, dans le monde arabe, on a le sentiment d'une domination économique et culturelle exercée par l'Europe. L'Europe ne donne-t-elle pas parfois l'impression de vouloir imposer aux autres son mode de vie, mettant les cultures et les identités en péril ?
Ces craintes me semblent infondées.
Sur le plan commercial, les pays arabes ont beaucoup à gagner à l'élargissement, à condition de saisir les opportunités ; les économies des pays de l'Est européen ne sont que peu en concurrence avec les leurs. Au contraire, les productions du monde arabe y trouveront certainement de nouveaux marchés, de nouveaux clients, de nouveaux partenaires, aussi bien pour des productions agricoles dont la qualité est appréciée que pour le tourisme.
Sur le plan politique, se demandent nos amis arabes, quelle va être la relation entre cette nouvelle Europe que nous connaissons moins, qui nous connaît moins, et le monde arabe ? Ces pays risquent de manifester moins d'intérêt pour le Sud. Ce n'est pas si sûr. L'accession à l'Europe donnera à ces pays la possibilité d'élargir le champ de leur action diplomatique alors que leurs dimensions propres ne le leur permettraient que difficilement.
N'oublions pas non plus que parmi les nouveaux membres, on comptera aussi Malte et Chypre, deux pays qui ont une longue tradition d'échanges avec le monde arabe. La pointe de Chypre n'est qu'à 120 km de la côte syrienne.
Loin de nous, d'autre part, l'ambition illusoire d'imposer ce dont nos partenaires ne veulent pas, mais plutôt de donner un exemple, d'inviter à la réflexion, au changement, à l'évolution.
Je suis certain que le projet de Constitution européenne qui vient d'être mis au point, fera l'objet de nombre de réflexions et de discussions dans le monde arabe, ce monde arabe qui garde le sentiment profond d'une appartenance commune avec l'Europe et qui a toujours souhaité pouvoir trouver avec elle l'articulation répondant à ses ambitions légitimes. Telle était bien, dès 1945, la vocation de la Ligue arabe que nombre de ses membres souhaitent aujourd'hui réformer.
Nous n'avons pas l'ambition d'imposer, d'abord par principe, et puis parce que le monde arabe, ce n'est pas l'Europe, ce ne peut être l'Europe. Chacun des deux ensembles a une profonde conscience de son identité, de sa culture, de ses dimensions, de son potentiel. On sent de manière intuitive, de part et d'autre, qu'il y a bien là deux entités à forte personnalité et bien distinctes.
La proximité géographique, humaine et culturelle impose en revanche une association qui doit être vivante et évolutive, à la mesure des conceptions et des attentes qui s'expriment. Cette association demande que les responsables de nos pays se rencontrent et s'interrogent sur les évolutions qui ont lieu, sur celles qu'il faut provoquer ou accompagner, encourager.
N'oublions pas que, depuis quarante ans, les relations entre l'Europe et le monde arabe n'ont cessé de changer. Nous sommes dans un contexte encore très mouvant, comme vient de le montrer justement l'élargissement de l'Union.
Je souhaite pour ma part que la prochaine étape soit celle qui permettra d'établir avec les pays méditerranéens un partenariat renforcé. La France a proposé, dans le cadre du "Dialogue 5+5" au niveau ministériel auquel j'ai participé récemment à Sainte-Maxime, de galvaniser, dans un premier temps, toutes les énergies dans un pôle euro-arabe de Méditerranée occidentale. Comme le noyau de l'Europe à Six, cet ensemble et ses réalisations donneront sans doute l'impulsion tant attendue à un dialogue euro-méditerranéen renouvelé et prometteur.
Nous souhaitons rapidement, et c'est aussi le Marseillais - et le président d'Euromed - qui vous l'affirme, la prospérité de nos voisins. L'ère des hydrocarbures devrait être mise à profit pour dynamiser les économies du Sud. La population du monde arabe est encore en très forte croissance et ses économies devront bien répondre aux attentes, aux aspirations des jeunes quand ils voudront à leur tour faire leurs études puis trouver un travail, un logement, fonder une famille, participer à la vie de leur cité.
Il est judicieux que notre colloque ait lieu précisément ici, à l'Institut du monde arabe. C'est le lieu de rencontre par excellence entre l'Europe et le monde arabe. Il est unique au monde. C'est la vitrine culturelle du monde arabe en Europe. Depuis 1980, c'est un lieu privilégié de promotion de la culture arabe et un lieu d'échanges et de rencontres entre cultures.
Dans ce cadre irremplaçable et familier, je vous souhaite, chers Amis, de fructueux travaux. Ils serviront, j'en suis convaincu, à construire ce pont entre les deux rives de la Méditerranée que nous appelons tous de nos vux.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 juin 2003)