Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à Rabat le 9 août 2000, sur les relations franco-marocaines, la coopération entre les deux pays, le processus de paix au Proche-Orient et les relations entre l'Union européenne et le Maroc.

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Circonstance : Voyage de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à Rabat le 9 août 2000

Texte intégral

Lors de la visite d'Etat de Sa Majesté en France, il avait été convenu que les deux gouvernements allaient réfléchir à l'avenir de la coopération entre la France et le Maroc. On sait qu'elle est exceptionnellement importante, qu'elle est très ancienne, qu'elle marche très bien, mais que naturellement, il faut toujours améliorer et perfectionner les choses, et que cette coopération a été bâtie et construite, il y a maintenant assez longtemps, sur des mécanismes ou des textes juridiques ou des conventions qui peuvent avoir vieilli. D'où cette idée d'évaluer notre coopération, de passer en revue tous ses mécanismes, et d'adapter ce qui doit être adapté pour bâtir ensemble entre partenaires français et marocains, la coopération d'avenir à l'intérieur de laquelle nous travaillerons dans les années et les décennies à venir. C'est cela qui devait avoir lieu et c'est cela que je n'avais pas pu faire jusqu'à aujourd'hui compte tenu de mon emploi du temps du printemps qui a été très lourd et de la charge de la préparation et du début de la présidence européenne, charge qui ne s'interrompt que pour quelques jours - pas très longtemps- et que je reprends fin août. Et donc, nous avons trouvé, M. Benaïssa et moi-même, cette date, pas très commode (c'est le milieu du mois d'août), mais nous devions faire ce travail ensemble et nous venons de passer plusieurs heures à faire ce travail méthodique qui doit permettre et préparer le travail d'un comité de réflexions et de propositions pour lequel nous allons nommer une personnalité française, et il y aura une ou deux personnalités marocaines. Ce comité rendra son évaluation et ses propositions aux deux gouvernements qui l'examineront et à partir de là, nous préparerons la commission mixte, la rencontre des deux Premiers ministres, mais qui sera assez exceptionnelle cette fois-ci, parce qu'elle viendra couronner cette révision des mécanismes.
C'était donc une journée de travail très sérieux. Naturellement, avant cette réunion de travail avec M. Benaïssa et juste avant le déjeuner avec M. Azoulay, j'ai fait un tour d'horizon d'un ensemble de questions d'actualité diplomatique immédiate. Mais le cur de mon travail d'aujourd'hui, c'était ce travail de fond sur la coopération franco-marocaine.
Q - Avez-vous parlé de dossiers tels que le processus de paix, le dossier de la pêche, celui du Sahara ?
R - La question de la pêche a été abordée lorsque nous avons passé en revue non seulement la coopération franco-marocaine, mais également les relations euro-marocaines. Mais là nous connaissons les positions. Je connais bien la position marocaine, on me l'a réexpliquée. Les négociations ne sont pas interrompues d'ailleurs, même si elles sont difficiles entre le Maroc et l'Union européenne.
C'était dans la partie examen général de toutes les formes de la coopération. Les deux autres sujets que vous citez ont été en effet abordés dans la partie plus diplomatique de la conversation. A propos, du processus de paix, j'ai rappelé nos positions que j'ai déjà exprimées il y a quelques jours. Nous avons salué l'engagement tout à fait remarquable du président Clinton, de Mme Albright, dans cette négociation. Nous avons souligné que M. Barak avait bougé dans ces positions, qu'à Camp David il s'était passé quelque chose de neuf parce que certaines questions qui n'avaient jamais été abordées auparavant l'avaient été, et puis un ensemble de tabous avaient disparu et que cela était sans précédent. C'est ce qu'on a déjà dit.
Nous souhaitons que ces acquis de Camp David ne soient pas perdus et qu'ils permettent le plus tôt possible, dans les jours qui viennent, dans les semaines qui viennent - cela dépend des protagonistes directs - de reprendre cette discussion et de la conduire à un résultat. Nous le souhaitons ardemment et c'est ce à quoi nous nous employons, aussi bien sur le plan français que pour l'Europe. Voilà pour le Proche-Orient.
Concernant le Sahara, M. Benaïssa m'a rappelé la position marocaine que je connais bien et nous avons fait le point des dernières déclarations et prises de positions à la fois de M. Kofi Annan et de M. Baker. Nous attendons la suite du processus et notamment des actions de M. Baker.
Q - L'Union européenne est appelée à faire des propositions concrètes au Maroc pour faire aboutir les discussions en cours. Quel rôle peut jouer la France puisqu'elle est actuellement à la Présidence de l'Union européenne ?
R - La négociation en matière de pêche est menée par la Commission. Mais naturellement le pays président a un certain rôle. Nous voulons exercer notre rôle dans le sens d'un bon résultat - cela peut vous paraître évident - . Nous pensons à la fois qu'il est tout à fait légitime pour le Maroc de défendre ses intérêts, et c'est normal que les demandes du Maroc évoluent d'un accord de pêche à l'autre (la situation n'est pas la même, la capacité de la pêche marocaine se développe - et je comprends que les Marocains estiment que cela doit avoir des conséquences concrètes dans le type d'accord qui est passé avec l'Union européenne. Jusqu'ici, l'accord n'a pas pu se faire compte tenu du fait que les intérêts ne sont pas les mêmes entre l'Espagne, le Maroc, etc... Mais, je comprends aussi que le Maroc préférerait qu'il y ait un accord quand même, à condition que ses bases en soient adaptées aux réalités d'aujourd'hui.
Le rôle de la Présidence, je vous le répète, ne peut s'exercer que dans le sens d'un bon accord. Cela serait mieux qu'au bout du compte il y ait un accord. On est encore dans une phase de discussion difficile, l'essentiel est que cette discussion ne soit pas interrompue.
Q - Concrètement, la nouvelle forme de coopération sur laquelle vous travaillez avec M. Benaïssa, quelle forme pourrait-elle prendre ?
R - Je pourrais vous le dire quand nous aurons conclu. Mais je peux vous dire comment nous procédons pour travailler. Cela consiste à passer en revue d'abord l'ensemble des textes des accords qui régissent la coopération franco-marocaine dont certains sont anciens. Pour voir s'ils sont adaptés, s'ils concernent bien les bons partenaires, qui peuvent avoir changé entre-temps ; les choses se sont diversifiées. A l'origine, les coopérations de ce type étaient des coopérations d'Etat à Etat, de gouvernement à gouvernement. Il y a beaucoup de nouveaux partenaires ; maintenant, dans certains cas, il y a le rôle des collectivités locales, la coopération décentralisée, dans certains cas, certaines ONG peuvent apporter un appui à des formes de coopérations intergouvernementales ou autres. Donc, il y a la question des partenaires. Il y a les questions des textes. Il y a les questions des mécanismes. Est-ce que les mécanismes de décision sont assez rapides par rapport aux besoins d'aujourd'hui ? C'est toute la partie, disons, plomberie, tuyauterie. Après, il y a le domaine des points d'application. Il y a des coopérations qui se sont développées il y a dix ans, quinze ans, vingt ans, parfois plus, parce que cela correspondait à un besoin pressant du Maroc à l'époque. Cela peut ne pas être le cas aujourd'hui. Donc, nous avons besoin d'entendre de nos amis et partenaires marocains quelles sont leurs priorités d'aujourd'hui. Ca s'applique à tous les domaines, que ce soit l'éducation, l'information, la santé, l'agriculture, l'administration, les besoins ont pu changer et cette grande révision n'a pas vraiment eu lieu en fait. On a ajouté des coopérations à d'autres depuis des décennies. On a pas procédé à la révision générale.
D'autre part, nos conceptions ont parfois évolué. Il y a des types de coopération que nous proposions, il y a vingt ans, qu'on ne propose plus aujourd'hui, parce qu'on s'est rendu compte qu'il y avait d'autres formes plus efficaces. C'est tout cela qu'il faut mettre à plat. Nous avons donc précisé la méthode à partir de laquelle nous allons travailler. Je rappelle que tout cela découle de décisions prises à l'occasion de la visite du Roi, - dite d'Etat - en France. Donc, la méthode c'est maintenant la constitution de ce comité de réflexions, de nominations de personnalités dans les tous prochains jours, avec un calendrier souhaité, mais on veut surtout qu'il travaille bien. Nous souhaiterions qu'ils puissent rendre aux deux gouvernements des conclusions sur leurs évaluations de la situation, sur des suggestions de modification pour, disons, le mois de novembre ; ce qui nous permettrait de préparer la commission mixte et la réunion des Premiers ministres qui pourrait avoir lieu à partir de janvier. Je dis à partir de janvier parce que la date exacte n'est pas fixée et que l'essentiel dans cette affaire c'est que la réunion des Premiers ministres ait lieu pour couronner cette révision des mécanismes. Que cela ne soit pas une rencontre banale, ou rituelle. Voilà notre calendrier.
Q - Que pensez-vous de l'acte terroriste hier à Moscou ?
R - Nous déplorons et nous condamnons cet acte de terrorisme comme nous le faisons de tous les actes de terrorisme.
Q - Monsieur le ministre, avez-vous examiné avec M. Benaïssa les rapports intermaghrébins ? Les relations avec l'Algérie, la situation en Algérie...?
R - Non pas spécialement aujourd'hui. Nous nous voyons souvent. J'ai souvent eu l'occasion d'en parler avec lui ou avec les plus hautes autorités marocaines. Donc, chaque fois que nous faisons un tour d'horizons, nous faisons le point de l'ensemble de la situation. Là, nous avons dit un mot, assez bref pour parler franchement, du contexte maghrébin - c'est l'occasion pour moi de rappeler que cette révision, cette rénovation de la coopération franco-marocaine s'inscrit dans un cadre où la France a des rapports bons et denses avec les autres partenaires du Maghreb. Comme par exemple la Mauritanie, il y a eu à un moment donné des petits nuages mais qui sont maintenant tout à fait éclaircis. Vous avez pu suivre la façon dont nous essayons, dans un contexte tout à fait différent, de relancer la coopération avec l'Algérie, la Tunisie. Il y a un ensemble maghrébin, naturellement, qui fait partie de notre vision d'avenir. Pour nous, l'Union européenne doit avoir non seulement une politique méditerranéenne au sens large du terme mais elle doit avoir une vraie politique par rapport à ses partenaires maghrébins. Et je dirais aujourd'hui à Rabat, tout spécialement avec le Maroc. Donc, cela a été évoqué mais on en a pas parlé spécialement aujourd'hui parce que notre analyse de la coopération que je viens de résumer en quelques phrases, elle a été faite méthodiquement. Donc, elle nous a pris quand même du temps.
Q - Monsieur le Ministre, qu'en est-il de la réunion des chefs d'Etat du pourtour de la Méditerranée qui aura lieu prochainement ?
R - Ce qui est prévu pour le moment c'est une réunion ministérielle à Marseille en novembre. Si le contexte est favorable, le processus de paix en fait, cette réunion sera immédiatement suivie d'un sommet. Pour le moment, ce que nous préparons c'est la réunion des ministres. Et si c'est possible, ce sera un sommet des chefs d'Etat et de gouvernements des pays membres du Processus de Barcelone.
Q - Est-ce qu'il y a une date ?
R - 16 et 17 novembre. L'ordre du jour de cette réunion de Marseille sera en priorité l'évaluation et le bilan du Processus de Barcelone depuis qu'il a été lancé en 1995 et du programme MEDA. MEDA 1 qui a connu comme vous le savez certainement beaucoup de difficultés au démarrage, qui n'a pas de ce fait vraiment répondu aux attentes des uns et des autres. Aujourd'hui, on commence à négocier au sein de l'Union européenne pour nos discussions budgétaires le programme MEDA II, et nous pensons en tant que président que pour aborder d'un bon pied l'étape MEDA II il faut d'abord avoir fait le point sur ce qui s'était passé au début, ce qui a marché, pourquoi, ce qui n'a pas marché, pourquoi, avant d'aller de l'avant. Voilà où nous en sommes pour cette réunion.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 août 2000)