Interview de M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, à Europe 1 le 3 juin 2003, sur la réforme des retraites, notamment le déroulement des négociations et les conséquences des mouvements de grève sur l'activité des PME.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Vous êtes à la tête de la CGPME depuis huit mois. Vous représentez 1,5 millions entreprises, 12,5 millions de salariés, 85 % du secteur privé. Les vôtres, aujourd'hui, sont-ils séduits par les chants psalmodiés par MM. Thibault et Blondel, pour qu'ils rejoignent les grévistes du public ?
J.-F.Roubaud.- "Non, bien sûr. Mais d'abord, merci de me recevoir, la France qu'on n'entend jamais, qui ne parle pas les PME. Nous ne sommes pas derrière ces gens-là. Nous sommes la France qui travaille, nous voulons travailler et nous avons besoin de travailler pour assumer nos budgets de famille."
Je ne peux pas vous laisser dire que les autres ne travaillent pas !
- "Aujourd'hui ! Ne travaillent pas aujourd'hui ! Mais seulement, cela fait quand même un certain nombre de jours qu'ils ne travaillent pas, si on cumule sur quelques mois."
La grève d'aujourd'hui provoque du désordre, mais pas de paralysie. Cela représente-t-il réellement un manque à gagner pour les petites entreprises que vous représentez ?
- "Cela représente réellement un manque à gagner, cela représente également un préjudice sur les clients, qui ne comprennent pas que l'on ne rende pas les services, qu'on ne livre pas à temps. Tout cela est extrêmement important. L'argent, les factures qui ne sont pas payées parce que La Poste ne fait pas parvenir les chèques, font que les entreprises sont dans des situations financières difficiles. Elles ont toujours des fonds propres qui sont faibles et, avec ces problèmes de grèves de La Poste, on ne rentre pas d'argent."
Mais ce serait grave si cela continuait plusieurs jours. On n'en est pas là, on en est à peut-être à un, deux ou trois jours de grève, M. Thibault le disait ici à votre place hier...
- "On en est à quatre jours, si on prend sur les trois dernières semaines. Et si on continue, nos entreprises vont réellement avoir de vrais problèmes. Et d'ailleurs, si la grève continue, dès demain matin, je compte lancer un appel, un préavis de ras-le-bol, parce que la France qui est silencieuse et qui travaille en a ras-le-bol. Les 12,5 millions salariés du secteur privé que je représente et les 1,55 millions chefs d'entreprise ne peuvent plus supporter cela. C'est au détriment du travail et de la liberté d'autrui. Le droit de grève, ce n'est pas le droit de blocage d'un pays."
Un préavis de ras-le-bol, cela se transformerait en quoi ?
- "Cela peut se transférer en grève jusqu'en manifestations publiques. J'appellerai l'ensemble de ces salariés du secteur privé, qui sont dans la rue mais pas en grève : ils sont dans la rue pour aller rejoindre leur poste de travail !"
Vous dites que c'est un appel contre "la France protégée". Mais "protégée" par qui, de quoi ? Parce qu'elle fait des efforts, elle fait parfois des sacrifices même, au moment des négociations sur les retraites...
- "La France protégée, ce sont les "régimes spéciaux", c'est la RATP, c'est la SNCF. On a vu, dimanche, que la SNCF a fait un train qui montait les Champs-Elysées. C'est formidable mais j'aurais préféré qu'aujourd'hui, les trains partent à l'heure et arrivent à l'heure. La RATP n'est pas dans le collimateur de ces problèmes de retraite, la présidente l'a bien dit, l'a écrit à chacun de ses salariés. Mais n'empêche qu'une certaine partie de cette RATP est en grève aujourd'hui, on ne sait pas pourquoi. Par crainte pour dans quelques années ? Eh bien, ils se mettront en grève dans quelques années !"
Vous faisiez partie des négociateurs de la fameuse nuit du 14-15 mai, qui s'est d'abord terminée par la rupture, l'échec ou la suspension des négociations. Donc, vous étiez à côté de F. Chérèque ?
- "J'étais en face, pour être tout à fait clair, de manière géographique..."
Mais je dis ça symboliquement !
- "Oui, j'étais à côté, parce que je n'étais pas d'accord sur ce que nous proposait le Gouvernement d'augmenter et de doubler la CSG, de repasser à six mois le calcul du temps de retraite pour les salariés du secteur public. Mais lorsque j'ai vu que M. Chérèque a fait un pas en avant pour trouver un accord dans cette négociation, je me suis dit que j'avais aussi le devoir de faire un pas en avant et d'accepter certaines conditions qui ne me plaisaient pas. Je l'ai confirmé et j'ai dit que je signerai également si M. Chérèque signait..."
Qu'est-ce que cela vous coûtait ? Cela ne vous coûte pas grand-chose...
- "Cela coûte qu'en même à peu près 0,7 milliards d'euros, le 0,1 % de CSG en plus..."
Qu'est-ce que vous demandez ? Ne faudrait-il pas demander, vous aussi, puisqu'un certain nombre de syndicats le demandent, au Gouvernement, à Monsieur Raffarin, de reporter, de retarder, de suspendre, de geler les réformes actuelles, peut-être la décentralisation et peut-être aussi la réforme des retraite ?
- "Sur la décentralisation, on peut sans doute faire des efforts, le Gouvernement en fait encore hier. Il allonge le temps, on reverra ça en septembre. Mais pour ce qui concerne les retraites, il n'est pas question qu'on revienne en arrière. Je l'ai dit très clairement au Premier ministre : si jamais on revenait sur les retraites, ça serait un cas de casus belli vis-à-vis de vos entreprises !"
Vous parlez aujourd'hui, pourquoi, parce que le Medef se tait ?
- "Je ne sais pas si le Medef se tait, mais je parle surtout parce que vous me donnez la parole et je vous remercie."
On n'entend pas le Medef ...
- "Ecoutez, pour une fois qu'on m'entend moi !"
J'ai entendu ou j'ai lu un sondage Ipsos, selon lequel les jeunes rêvent d'emplois dans la fonction publique ou la communication, des secteurs qui sont aujourd'hui en panne d'emploi, alors que dans l'hôtellerie et le bâtiment, - je crois que c'est votre métier, c'est cela ? - ...
- "Tout à fait."
.. on ne trouve pas de candidats. Comment cela se fait-il ?
- "Je crois qu'il y a un gros effort de communication vis-à-vis de ces jeunes pour leur montrer l'intérêt de ces métiers, et que ce seront ces métiers qui les embaucheront dans quelques années. Là, on a un gros travail, c'est notre responsabilité de chefs d'entreprise dans ces métiers."
Qu'êtes-vous prêt à faire avec L. Ferry, par exemple, avec l'école ?
- "Nous allons, avec L. Ferry, dès la rentrée de septembre, pour les jeunes, pour éviter cette situation d'échec, qui sont en classe de 5ème, 3ème et 4ème, emmener ces jeunes dans différentes entreprises au long des deux années scolaires, pour qu'ils aient le choix dans un métier. Ainsi, au bout de deux ans, ils choisiront le métier qu'ils aiment, qu'ils ont pu apprécier et ils n'auront pas d'échec."
Vous voulez dire qu'il faut valoriser ?
- "Oui, et puis faire connaître aux jeunes les métiers."
J'ai naturellement lu vos documents, avant de vous inviter. Vous aviez obtenu la baisse à 5,5 % de la TVA dans le bâtiment, dans vos entreprises, vous étiez content, et vous l'aviez obtenue de MM. Jospin et DSK.
- "Oui."
En ce moment, vous demandez, et à l'Europe, avec le Gouvernement, la baisse de la TVA de 19,6 à 5,5 dans la restauration et l'hôtellerie. Vous croyez vraiment qu'on peut avoir l'un et l'autre ?
- "Oui, je le crois. Je crois qu'on aura l'un et l'autre, parce que M. Raffarin nous l'a promis."
Oui, mais il y a les Européens, 14 Européens à convaincre. Mais au fond de vous ?
- "Au fond de moi, je le crois quand même parce que, si M. Raffarin nous l'a promis, c'est qu'il a quand même une certaine action au niveau de l'Europe, et qu'il a une certaine certitude de réussir sur ce projet-là. On ne lui pardonnerait pas. On ne lui pardonnerait pas."
Qui ?
- "Les petites et moyennes entreprises."
Mais c'est votre ami, vous le recevez, j'ai vu que vous le recevez la semaine prochaine avec six, sept ministres. Il ne peut rien vous refuser.
- "Attendez ! Monsieur Raffarin connaît les petites entreprises, mais on n'est pas quittes pour autant. On le remercie pour ce qu'il a fait, mais il a encore beaucoup de choses à faire. Je rappellerais simplement la baisse des charges qui est à peine entamée, on n'en est pas encore à la baisse des charges, on vient d'accepter encore..."
Encore la baisse des charges !
- "Mais le problème essentiel de nos entreprises quand on est dans une concurrence internationale européenne et mondiale, on est les entreprises qui avons le plus de charges sociales !"
Bientôt, il y aura les réformes de la Sécurité sociale, de l'assurance-maladie, de la santé. Avec le Medef, je me souviens que vous aviez claqué la porte des organismes paritaires. Avez-vous l'intention d'y revenir ? Quand ? Ou non ?
- "Je suis prêt à y revenir, je l'ai dit très récemment, je viens de le dire au Premier ministre, au ministre des Affaires sociales. Nous voulons revenir à certaines conditions, c'est-à-dire qu'on ne prélève pas les régimes l'un pour l'autre..."
Ni la droite, ni la gauche ne prélève...
- "Ni droite, ni gauche. Mais qu'on gère de manière paritaire ces organismes de Sécurité sociale."
Vous allez défiler aujourd'hui, ou non ?
- "Nous n'allons pas défiler, aujourd'hui, mais peut-être demain et après-demain et la semaine prochaine, où je reçois 7 800 chefs d'entreprise, Porte Maillot, avec Monsieur Raffarin."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 juin 2003)