Interviews de M. Alain Richard, ministre de la défense, accordées à Radio France et Radio France internationale le 29 avril 1998 et aux radios françaises et à la BBC le 30, sur la présence américaine en Bosnie, la coopération militaire entre la France et les Etats-Unis, la situation au Kosovo, en Centrafrique et en Irak.

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Circonstance : Voyage de M. Richard à Washington (Etats-Unis) les 29 et 30 avril 1998

Média : BBC - Emission Face à Radio France - Radio France - Radio France Internationale

Texte intégral

Entretien du ministre de la défense, avec "Radio France" et "RFI"
Washington, 29 avril 1998
Q - Y a-t-il toujours une affaire Gourmelon ? Le Congrès est-il maintenant décidé à assurer le maintien de la présence américaine en Bosnie ?
R - Sur le premier point, ce qui compte vraiment, c'est ce qu'ont dit les représentants de l'administration américaine dans leurs déclarations de ces derniers jours. Nous coopérons en Bosnie, y compris en menant des actions de préparation pour appréhender des personnes accusées de crimes de guerre. La France n'a aucun moyen de contraindre les autorités américaines à dire cela. Donc, si elles le disent, c'est que cela doit être vrai.
Sur la présence américaine en Bosnie, nous sommes très satisfaits de la façon dont cela s'est passé. Premièrement, ce sont les Européens collectivement qui l'ont demandé aux Américains. Les Américains, pour des raisons honorables et tout à fait compréhensibles, étaient plutôt réticents, mais se sont rendu compte que c'était un des éléments du contrat, un des éléments de l'équilibre et de la solidarité maintenue entre les Européens et les Américains. Aujourd'hui, c'est un sujet de quasi-unanimité aux Etats-Unis, je crois. Donc, c'est une affaire qui a bien fonctionné. Je vous remercie de me donner l'occasion de le souligner.
Q - Avez-vous évoqué la question du maintien de la présence militaire américaine en Bosnie ?
R - Je crois que nous n'avons pas beaucoup parlé de cette question, car de mon point de vue, elle était plutôt dans le rétroviseur. Je ne crois pas que le Sénat puisse se mettre dans la contradiction d'approuver politiquement une action militaire dont ils ont largement évalué les besoins, et ensuite de ne pas la financer. C'est un pays dans lequel la limitation de la dépense publique est une tâche quotidienne. L'assemblée parlementaire qui a la mission éminente de politique internationale et de défense est obligée de mesurer ce que sont les besoins financiers de l'action en Bosnie et d'y faire face. Je n'ai aucun doute sur le sujet.
Nous avons passé un long moment à midi en réunion de travail avec les représentants du département d'Etat, et nous partageons les mêmes inquiétudes et les mêmes préoccupations. Aucune solution n'est facile ni ne va de soi. Il s'agit d'amener les parties présentes au Kosovo à négocier une solution qui doit rester une solution à l'intérieur de la Yougoslavie, et qui fasse droit aux besoins d'expression et d'autonomie de la communauté kosovarde. Donc, nous partageons vraiment les mêmes préoccupations, et c'est une chose dont nous avons discuté à plusieurs reprises avec Hubert Védrine. Le Groupe de contact fonctionne bien en tant qu'instance de conduite internationale. On sent que les expériences difficiles de la Bosnie ont porté leurs fruits et que les pays, qui ont pris leurs responsabilités dans le Groupe de contact, font de leur mieux pour travailler ensemble.
Le problème est le suivant : quel type de moyens pouvez-vous utiliser alors qu'il n'y a pas encore, et l'on espère qu'il n'y aura pas, d'affrontements généralisés et que nous devons en même temps pousser les deux parties à rester dans un comportement responsable. C'est-à-dire pas de répression du côté des autorités serbes, et pas de revendications d'indépendance assorties d'actes de violence de la part des Kosovars. Nous sentons bien les objectifs. Les moyens adaptés de la communauté internationale tendent vers ces objectifs, nous sommes encore en train de les chercher. Il y a eu un accord au sein du Groupe de contact pour établir un certain nombre de mesures en direction de la Serbie, puisque c'est tout de même à la Serbie aujourd'hui de prendre l'initiative de créer les conditions du dialogue, de la négociation. Je crois que c'est l'indice, à la fois de la détermination des pays du Groupe de contact, dont nous sommes, et des obstacles qui restent pour arriver à la sanction.
Q - (Sur une éventuelle intervention militaire au Kosovo)
R - Je ne sais pas si le problème se pose en ces termes, mais M. Milosevic a, en tout cas, en mémoire tout ce qui s'est passé en Bosnie et sait que, s'il est tenté d'entrer dans un cycle de violence au Kosovo, nos opinions publiques ne l'accepteront pas. Elles diront qu'il faut empêcher le bain de sang. Nous connaissons ces données-là et nous ne souhaitons pas mettre en route une escalade militaire, car les circonstances ne le justifient pas. Nous devons donc travailler par le dialogue politique, par les moyens d'incitations ou de pression économiques et financiers. Nous devons montrer aussi aux Serbes que s'ils vont dans le bon sens, ils ont une place potentiellement améliorée dans la communauté internationale, et si les signes de danger se multipliaient, il reviendrait aux Etats européens et aux Etats-Unis de chercher, de façon fraternelle, des solutions pour limiter la violence, mais ceci ne peut pas se commenter publiquement.
Q - L'Albanie, qui ne fait pas partie de l'OTAN, avait tout de même demandé une interposition à sa frontière, si nécessaire ...
R - Vous comprenez bien que traiter le seul problème des mouvements de personnes et éventuellement d'armement entre l'Albanie et le Kosovo ne serait pas une pression équilibrée car cela voudrait dire aux Kosovars : attention, vous ne pouvez transférer, ni personnes, ni moyens d'armement pour mener des actions de violence au Kosovo, mais par contre les autorités serbes peuvent agir à leur guise. Nous ne pouvons donc pas traiter le problème de façon unilatérale.
Entretien du ministre de la défense, avec les radios Françaises et la "BBC"
(Washington, 30 avril 1998)
Q - N'y a-t-il pas un trop plein d'initiatives en matière de défense et pour le maintien de la paix en Afrique aujourd'hui ?
R - C'est un continent divers avec plus de quarante pays indépendants. Notre réflexion a évolué sur la question de la gestion des crises et du maintien de la paix en Afrique. Nous avons agi auprès de bon nombre de nos partenaires en Afrique en leur disant : il faut développer des projets communs de gestion de crise et il faut s'y préparer. C'est un point de convergence important avec nos amis américains qui développent un argumentaire similaire. Nous discutons, chacun avec un certain nombre de partenaires, et nous essayons de mettre en commun ces efforts. S'il y a d'autres initiatives, elles sont a priori certainement productives. Il faut essayer de les coordonner.
Q - M. Mandela a émis de très fortes réserves à l'endroit de la force interafricaine d'interposition. Que lui répondez-vous ?
R - Du côté français, nous n'avons pas proposé de force permanente, structurée. Toute la doctrine française de défense est justement d'organiser des forces modulaires, flexibles, pour chaque opération. C'est autour de ce concept que nous proposons à nos partenaires africains de développer leurs préparatifs. Quant au commandement, nous pensons que c'est aux Nations unies de prendre des responsabilités politiques lorsqu'il y a à agir sur une crise, et c'est dans le cadre des Nations unies que se définit la répartition des responsabilités. Nous avons une illustration très concrète de cette doctrine qui est la nouvelle mission des Nations unies en Centrafrique que nous avons soutenue et pour laquelle nous avons reçu l'appui très bienvenu des Etats-Unis. Nous pensons que cette application devrait se renouveler le plus souvent possible.
Q - Selon vous, Américains et Français sont d'accord pour que d'autres pays développés participent à la force d'interposition. Sous quelle forme et quels seraient ces pays ?
R - C'est souvent le problème que nous, Français, avons rencontré, - les Américains ont été dans le même cas -, qui est d'amener d'autres pays riches à se sentir concernés par des difficultés en Afrique. Il me semble qu'il y a maintenant d'autres pays qui peuvent en effet être volontaires pour agir. Peut-être aussi que le climat de croissance économique que l'on observe aujourd'hui en Afrique va faire percevoir avec plus d'intérêt la situation de l'Afrique par un certain nombre de pays développés.
Q - Avec votre homologue américain, William Cohen, vous avez évoqué le problème du Kosovo. Vous semblez d'accord sur le fait qu'il faut exercer des pressions sur les Serbes. Quel genre de pressions avez-vous en tête ?
R - Soyons clairs. Notre idée est qu'il faut exercer des pressions sur les deux parties. Pour prévenir la montée de la violence dans ce conflit, il y a des risques des deux côtés auxquels il faut parer. Nous sommes satisfaits du travail effectué par le Groupe de contact dans les semaines passées et qui a abouti hier. Il y a une série de mesures, essentiellement économiques, qui a montré une pression de la communauté internationale. Il y a des propositions de dialogue qui sont faites, qui peuvent encore être améliorées pour que la discussion s'engage. Dès que la discussion sera engagée, nous pensons qu'il faudra proposer des mesures de stabilisation et des mesures de vérification de la situation sur place, permettant d'éviter des montées de violence inopinées. Si la situation devait se dégrader, - mais nous ne sommes pas dans cette hypothèse -, nous sommes en train de travailler, plusieurs alliés et nous-mêmes sur les modalités d'actions que nous pourrions entreprendre pour éviter ces montées de la violence.
Q - Sur l'Iraq, en quoi la contribution de la France va-t-elle être augmentée pour aider au travail des inspecteurs chargés du désarmement ?
R - Nous insistons beaucoup sur cet objectif puisque c'est la base de tout le conflit : faire en sorte que les moyens militaires de l'Iraq soient réduits et ramenés à ce qu'ils doivent être en fonction des obligations fixées à la fin du conflit en 1991. L'accord auquel est parvenu le Secrétaire général de l'ONU a été le moyen de lever les obstacles politiques à ces contrôles. Notre intérêt commun est que les contrôles soient les plus efficaces possible. La France a proposé, d'une part, d'amener des techniciens, car nous avons une bonne réputation dans ce domaine. Il y a accord sur leur participation à l'UNSCOM. Nous comptons, d'autre part, apporter une capacité de surveillance aérienne supplémentaire, spécialisée. Nos amis américains soutiendront cette contribution à l'UNSCOM d'un avion français supplémentaire.
Q - Un Mirage ?
R - Oui.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 janvier 2002)