Tribune de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, dans "Le Monde" du 31 décembre 1999, sur la renégociation de la convention de Lomé, les modalités de la copération, l'augmentation du Fonds européen de développement et l'attachement aux relations nord-sud, intitulée "De Seattle à Lomé".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

La renégociation de la Convention de Lomé entre l'Union européenne et les pays d'Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique (ACP) approche de sa conclusion ; mi- janvier, les ministres en charge de la négociation se retrouveront pour régler les quelques questions encore en suspens et un accord définitif devrait être trouvé. L'essentiel s'est joué il y a quelques semaines à Bruxelles. Après l'échec de Seattle, l'événement mérite d'être souligné à plusieurs titres.
Ces avancées n'auraient pas été possibles sans la volonté des quinze pays de l'Union européenne et de leurs soixante et onze partenaires ACP liés par une relation historique originale de renouveler profondément leur approche de l'aide au développement. Nous ne pouvions, en effet, nous permettre de retarder davantage la négociation, voire de dépasser la date d'expiration de la convention en cours et de la dérogation à l'OMC fixée à la fin février 2000. Mais nous ne pouvions aller vers un accord ambitieux sans examiner au fond les trois aspects fondamentaux de la relation entre l'Union européenne et les ACP.
Le volet commercial d'abord. Les Européens et leurs partenaires ont décidé de fonder le futur régime sur l'intégration économique en cours au sein des trois régions ACP. Une transition de huit ans a été retenue avant la conclusion d'accords de partenariat économique régionalisés dont la mise en uvre s'étalera sur douze ans. L'avenir des relations commerciales entre l'Union européenne et les ACP s'inscrit dans une problématique globale, qui ne touche pas seulement à la relation entre l'Europe et l'Afrique, mais aussi à la conception que l'Europe et les pays en développement se font du fonctionnement de l'économie mondiale, de son commerce et de ses mécanismes.
Le choix a été fait d'une approche progressive visant à l'insertion de l'Afrique et au- delà, des ACP, dans le commerce mondial sur une période de vingt ans. C'est toute la différence avec une approche strictement libre- échangiste, celle du "trade, not aid", qui aurait consisté à adopter un système de préférences harmonisées pour tous les pays en développement et une mise en concurrence directe de tous quel que soit le niveau de compétitivité. Nous lui avons préféré la voie de l'intégration régionale, facteur de développement, de stabilité et de paix, et un dialogue Nord- Sud qui n'évacue pas la dimension politique du partenariat.
Dans ce domaine, les tabous sont levés. Jusqu'ici les Accords de Lomé faisaient référence aux manquements aux Droits de l'Homme, à l'interruption du fonctionnement démocratique des institutions et au non- respect de l'Etat de droit. Désormais, les accords mettront la bonne gestion des affaires publiques au cur de notre relation. C'est une avancée essentielle que nos opinions publiques attendaient. Elles s'interrogeaient à juste titre sur la légitimité d'une aide qui ne serait pas couplée à un contrôle strict de la gestion qu'un pays fait de ses ressources financières. L'accord disposera qu'une procédure de consultation immédiate sera ouverte, jusqu'à l'éventuelle suspension de la coopération dans les cas de corruption caractérisée. L'adoption en parallèle d'une convention de l'OCDE en la matière nous mettra en mesure de lutter à la fois contre les corrompus et les corrupteurs.
Enfin, les modalités de la coopération ont fait l'objet d'un réexamen attentif. De nombreuses mesures destinées à renforcer l'efficacité de l'aide seront mises en uvre. Adapté, un mécanisme régulateur de l'impact des fluctuations des cours des matières premières des pays en développement reste nécessaire. Le niveau de l'aide dans un pays pourra être ajusté en fonction de la bonne mise en uvre des projets.
Surtout, à Bruxelles et sur le terrain, la société civile devient partie prenante du partenariat. Elle sera consultée à tous les stades ; les ACP ont accepté à la demande de l'Union européenne, que ses représentants au Nord comme au Sud (ONG, syndicats, collectivités locales...) soient désignés comme "acteurs du partenariat" dans le texte de la future convention. Nul doute, là encore, que la leçon de Seattle était dans les esprits des négociateurs.
Ainsi, la future convention offre-t-elle un partenariat d'une nouvelle génération, mais qui reste fidèle à l'esprit de solidarité prévalant entre l'Europe et les pays d'Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique. Le gouvernement français a cherché à convaincre ses partenaires de faire preuve de souplesse pour mener à bien la négociation. Il s'est attaché aussi à les persuader qu'une offre financière ambitieuse, reflétant les engagements historiques de l'Europe en matière d'aide aux pays les plus pauvres, devait être présentée aux partenaires ACP. L'Union européenne a finalement proposé une augmentation substantielle de 5 % du Fonds européen de développement (FED) sur la période 2000-2006 pour un montant de 13,5 milliards d'euros. Faut- il rappeler que le FED représente plus de 10 % de l'aide à l'Afrique et que, si l'on y ajoute les apports bilatéraux, l'Union européenne fournit 60 % de l'aide à ce continent ?
La France contribuera de façon exceptionnelle à cette nouvelle enveloppe. Elle en restera le premier contributeur, à près du quart des participations des Etats membres.
Cet engagement est à la mesure d'un profond attachement du gouvernement à la relation Nord- Sud, l'une des priorités de notre diplomatie. Mais il montre que loin d'être figé, le dialogue UE- ACP est parfaitement capable d'intégrer les enjeux de la mondialisation : une entrée progressive, mais échéancée, dans un libre marché dont les ACP puissent avec nous maîtriser les effets pervers ; une préoccupation partagée pour la bonne gouvernance, dont les principes s'enracineront en proportion de ce que le dialogue sur le sujet sera constant et sans concessions.
Les liens historiques et la confiance sont certainement pour beaucoup dans le succès de cette négociation. Mais il est indéniable qu'ils ont surtout permis d'intégrer une donnée nouvelle dans les échanges entre Etats : celle d'une société civile que justement les progrès démocratiques rendent chaque jour plus sensible au respect des droits.
Bruxelles aura été en quelque sorte le contrepoint de Seattle. C'est une bonne nouvelle.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 janvier 2000)