Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur la stabilité en Europe et la position de la France sur le Pacte de stabilité, à Paris le 21 novembre 1994.

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Circonstance : Ouverture du Colloque de la Fondation du futur consacré à la stabilité en Europe, Paris le 21 novembre 1994

Texte intégral

C'est avec un grand plaisir que j'ai accepté votre invitation à ouvrir les travaux du colloque que vous avez organisé aujourd'hui sur le thème de la stabilité en Europe.L'initiative, prise par la Fondation du futur, conjointement avec la Fondation Konrad Adenauer, de réunir quelques éminents acteurs ou spécialistes de l'histoire contemporaine et leur demander de réfléchir ensemble aux meilleurs moyens de garantir la stabilité en Europe intervient à un moment opportun.
Notre continent est en pleine mutation et en pleine réorganisation. L'Europe centrale a connu de profonds bouleversements ces dix dernières années. Après le choc qu'a représenté la nouvelle liberté de ces pays, ils poursuivent avec maturité et courage leur difficile transition économique et politique. A l'Ouest, la marche vers l'élargissement entre dans une phase décisive, au moment même où le débat sur les réformes et les aménagements internes de l'Union européenne prépare l'échéance de 1996. Enfin le drame yougoslave nous rappelle chaque jour la difficulté de résoudre par la négociation un conflit que la diplomatie et le respect de quelques règles de bon voisinage auraient peut-être permis d'éviter.Cette situation exige de nous rigueur et imagination. Je suis sensible au fait que votre effort de réflexion soit mené à l'initiative conjointe de deux fondations française et allemande.Votre fidélité au gaullisme, vous, Jacques Baumel, l'un des premiers compagnons du Général et le souvenir de Konrad Adenauer, auquel la Fondation du Docteur Gerd Langguth est attachée, nous rappelle l'oeuvre exemplaire de deux grands Européens dont l'action déterminée en faveur du bon voisinage a permis la réconciliation franco-allemande et, au-delà, la construction européenne. Je souhaite que cet exemple inspire vos travaux.Le thème de ce colloque "agir pour la stabilité en l'Europe" souligne que la stabilité, donc la paix, n'est pas acquise : elle justifie une action et une vigilance permanente.La stabilité n'est pas une fin en soi. Nous avons connu pendant la guerre froide un ordre inacceptable parce qu'imposé par la force et par la domination du régime socialiste totalitaire sur une partie de l'Europe. La stabilité que nous recherchons aujourd'hui doit être au service de l'homme et par conséquent de sa liberté et des progrès démocratiques et économiques. Cette stabilité est plus difficile à atteindre car elle requiert le dialogue et l'échange, le respect et l'amitié ; elle est le fruit d'une action permanente. Elle n'est plus une contrainte mais une liberté avec ses droits et ses devoirs.
Organisation du continent européen - élargissement de l'Union européenne - relations Union européenne - CEI
Dans mon esprit, l'on ne peut faire progresser la stabilité en Europe si un effort de meilleure organisation de notre continent n'est pas réalisé. C'est la raison principale de l'initiative que j'ai prise en lançant le Pacte de la stabilité.
Organiser le continent européen c'est d'abord assurer que l'élargissement de l'Union européenne va se dérouler dans les meilleures conditions. Cet élargissement, chacun mesure que c'est pour nous un impératif puisqu'il permettra de réconcilier toute l'Europe autour des valeurs de la démocratie et d'affirmer la transition libérale et démocratique de tous les pays d'Europe centrale et orientale. Peut-on imaginer qu'une telle entreprise puisse se dérouler, alors même que plusieurs pays resteraient divisés par des contentieux graves portant sur le respect des minorités et sur la nature de leurs frontières ?
L'élargissement de l'Union européenne doit aller de pair avec l'établissement d'une relation étroite et privilégiée entre celle-ci d'une part, la Russie, l'Ukraine, la Biélorussie et les pays de la CEI, d'autre part. Entre ces deux grands pôles de notre continent, nous devons entretenir également des rapports de bon voisinage. Nous devons entretenir des relations économiques et politiques étroites et développer un ensemble de mesures de confiance. Le Conseil de l'Europe, et surtout la CSCE, doivent être des instances essentielles où ce dialogue doit se dérouler de manière harmonieuse.Pacte de stabilité en Europe
Mieux organiser l'Europe, c'est également lui faire partager des valeurs communes. Il n'y a jamais eu de bonne organisation internationale sans l'adhésion à un ensemble de principes qui sont naturellement, pour nous Européens, l'attachement à la liberté et à la démocratie et plus précisément, la solidarité et le bon voisinage. Cette notion de bon voisinage suppose la réconciliation ; elle implique de surmonter les héritages de l'histoire ; elle est inhérente à l'exercice du pacte de stabilité. Elle seule permet de concilier la diversité de nos vieilles nations et de la transformer en une source de richesses culturelles et de motivations politiques.Au moment où l'Union européenne affiche l'ambition d'exister sur la scène internationale, elle se doit de mobiliser ses moyens en faveur de la stabilité dans une région qui a vocation à le rejoindre. C'est pourquoi lorsque j'ai lancé l'idée d'un pacte de stabilité en définissant le programme du gouvernement, j'ai souhaité en saisir immédiatement nos partenaires des Douze pour en faire un projet de l'Union européenne.
En l'espace d'un an ce projet a pris corps. Certains commencèrent par s'en inquiéter. Etait-il bien sage de parler de minorités et de frontières, des sujets si difficiles et si sensibles ? Pourtant, son évidence est peu à peu apparue aux yeux de tous. Chacun a d'abord mesuré les dangers qu'il y aurait à tenter d'occulter des problèmes aussi importants. Chacun s'est ensuite rassuré de savoir que tous les travaux auraient lieu sur la base des principes reconnus de l'inviolabilité des frontières et du respect des droits des individus. Chacun a enfin reconnu que le bon voisinage que le Pacte de stabilité cherche à consacrer est une condition nécessaire de la prospérité, de la sécurité et de l'avènement d'une Europe politique reconnue.Tout d'abord la prospérité, car il n'existe pas de développement des échanges, il n'y a pas de confiance nécessaire aux investissements, il n'y a pas de transfert des sciences et des technologies, tant que les relations entre Etats ne sont pas normalisées.Certains pourraient soutenir la proposition inverse : il suffirait que les vannes de l'aide et du crédit s'ouvrent abondamment pour résoudre les problèmes de voisinage. Je n'exclus pas que cette logique puisse s'appliquer dans d'autres régions du monde, mais je ne crois pas qu'elle vaille pour notre continent. Chez nous, la question nationale, les problèmes de frontières sont trop ancrés dans l'essence même de notre culture et de notre histoire pour pouvoir être simplement résolus par l'aide économique. C'est par la volonté politique des gouvernants et des peuples que ces questions, qui touchent au coeur même de la souveraineté, peuvent trouver des solutions durables.
Encouragement économique au bon voisinage en Europe de l'Est - programme Phare
Est-ce à dire, pour autant, que l'on ne doit rien faire dans le domaine économique pour encourager le bon voisinage entre pays d'Europe centrale et orientale ?Certainement pas. C'est pourquoi dès l'origine du projet, j'ai souhaité que l'on réfléchisse au sein de l'Union européenne aux incitations économiques disponibles. Il est apparu que le programme Phare pouvait en particulier mobiliser à cette fin.Je souhaite que l'on aille au-delà. La France soutiendra lors du prochain conseil européen la création d'un fonds particulier dédié aux actions favorisant le bon voisinage et la stabilité. Ainsi l'Union européenne disposera-t-elle des moyens économiques nécessaires à ses objectifs politiques.
Le bon voisinage est également une condition indispensable de la sécurité. C'est vrai, par définition, des Etats qui concluent entre eux des traités de bon voisinage. Mais c'est vrai, plus globalement, pour l'ensemble de l'Europe. Comment peut-on partager un même espace de sécurité, si au sein de cet espace certains pays connaissent encore entre eux des ferments de division ?
Sécurité en Europe - OTAN - UEO
Je ne crois pas, pour ma part, au rôle des institutions lorsqu'elles ne reposent pas sur une réalité plus profonde, c'est-à-dire sur la volonté des Etats. C'est en cela que le Pacte de stabilité, qui n'a pas de dimension institutionnelle, consacrera la volonté concrète des pays signataires d'assurer la paix et la coopération en Europe.Sur cette base, il sera possible d'aller plus loin dans le domaine de la sécurité. Il ne s'agit pas de précipiter l'élargissement des instances de sécurité, telles que l'OTAN ou l'UEO. Chacun a bien conscience que l'inclusion brutale de nouveaux pays dans ces alliances pourrait provoquer davantage d'instabilité que de stabilité sur notre continent. Mais nous pouvons d'ores et déjà engager une réflexion sur les nouvelles conditions de la sécurité en Europe. Nous pouvons partager nos sentiments sur les nouveaux risques auxquels notre sécurité est confrontée, et sur les meilleurs moyens d'y faire face. C'est le sens de la proposition dont la France a saisi ses partenaires européens et qui vient d'être retenue par la session ministérielle de l'UEO. Cette réflexion pourra ainsi s'engager prochainement entre les pays de l'UEO et ses membres observateurs ou associés. S'ajoutant aux règles de bon voisinage qui présideront aux relations sur notre continent, l'analyse commune qui sera contenue dans le Livre Blanc sur la sécurité européenne apportera son écot à la sécurité de notre continent et constituera une marque supplémentaire des solidarités nouvelles qui nous unissent.CSCE
Dans l'effort d'organisation du Continent européen qui est le sien, l'Union européenne a souhaité que le Pacte de stabilité ait une relation étroite avec la CSCE et que celle-ci en soit la dépositaire. Je souhaite que la méthode et le processus du Pacte contribuent au dynamisme et à l'efficacité de la CSCE auxquels la France est très attachée. Notre continent a besoin d'une telle institution où tous ses membres puissent se retrouver sur des normes communes et favoriser la diplomatie préventive et le maintien de la paix
Place de l'Europe sur la scène internationale - conclusion du Pacte de stabilité
Enfin, chacun comprendra aisément que la stabilité est la condition essentielle de l'existence politique de l'Europe sur la scène internationale. La crise yougoslave montre a contrario comment l'existence d'un conflit au sein de notre continent affecte la crédibilité et l'autorité de l'ensemble des pays européens, quels que soient les efforts qu'ils déploient pour y mettre un terme.
C'est pourquoi, oeuvrer pour la stabilité en Europe c'est poursuivre l'ambition d'une Europe forte.
Je sais que cette ambition est celle de tous les pays participants aux travaux du Pacte de Stabilité. Je sais qu'ils mobiliseront leurs efforts pour que celui-ci puisse être conclu lors de la conférence de clôture qui devrait se tenir au mois de mars prochain.
D'ici là, les négociations vont se poursuivre activement au sein des deux tables, Baltique et Europe centrale. Les accords de bon voisinage déjà conclus pourront être versés dans la corbeille du Pacte et je souhaite que ceux qui restent en suspens connaissent une nouvelle impulsion en vue d'être finalisés pour la conférence finale. Une réunion intérimaire se tiendra le mois prochain en marge du Sommet de la CSCE. Elle permettra de donner une dernière impulsion aux travaux et d'illustrer la transition du processus du Pacte vers la CSCE qui a vocation à en assurer la mise en oeuvre et le suivi.
Nos débats d'aujourd'hui, aussi libres et informels que possible, apporteront également une contribution importante à l'avènement d'une meilleure compréhension entre les responsables et les opinions publiques des pays européens.
Je vous remercie de cette initiative. Je vous souhaite un travail fécond au service de notre ambition commune, celle d'une Europe plus stable, d'une Europe plus unie, d'une Europe plus forte