Tribune de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, dans "Libération" du 25 avril 2003, sur les mariages forcés intitulé "Citoyennes à part égale".

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Citoyennes à part égale
Par Nicole AMELINE
C'est une chance, pour la France d'aujourd'hui, que sa diversité. Une chance qu'il nous faut saisir d'urgence. Les brassages ethniques, sociaux, culturels et religieux lui donnent une identité nouvelle, qui reflète de nouvelles façons de voir, de penser et même de croire. Et son avenir exige que nous nous mobilisions pour résoudre ses contradictions et ses paradoxes, dans le consensus sur un projet commun et dans une commune volonté de vivre ensemble.
Ce n'est pas la moindre des contradictions que, sur notre territoire, certaines violences traditionnelles soient acceptées et parfois même revendiquées comme émancipatrices.
Ce n'est pas le moindre des paradoxes que l'inaccessible reconnaissance d'une pleine et entière citoyenneté engendre le repli sur des valeurs identitaires ou communautaires, qui perpétuent d'insupportables archaïsmes et d'intolérables violences.
Les mariages forcés sont un symptôme de cette régression et une illustration de cette situation. On évalue à 70 000 le nombre de jeunes filles de 10 à 18 ans potentiellement menacées, aujourd'hui, dans notre pays, par cette coutume d'un autre âge.
Pratiquées essentiellement dans les communautés issues du Maghreb, d'Afrique subsaharienne et d'Asie, les unions forcées infligent une triple violence aux jeunes filles qui se voient mariées sans leur consentement, qu'elles y soient physiquement contraintes ou qu'elles ne soient pas en mesure d'échapper au poids des traditions.
La pression sociale qu'elles subissent de la part de la famille ou de la communauté constitue un véritable chantage à l'honneur. Or, le choix de leur union et de leur avenir est une liberté fondamentale. Le mariage, dans une société démocratique, est un acte de liberté. Le code civil est sans ambiguïté sur le sujet. Selon l'article 146, sans consentement, il n'y a pas de mariage. Et la loi coranique rejoint ici notre règle de droit républicain, puisque c'est dans une liberté égale, totale et indispensable que l'homme et la femme doivent se choisir. Cette atteinte à la liberté est aussi un déni d'égalité. Enfin, c'est une violence physique voulue, un viol organisé, que représente une alliance imposée. Et, si la jeune femme tente de résister, ces violences peuvent aller jusqu'à la séquestration. Parfois même, jusqu'au "crime d'honneur".
Où est l'honneur, pour des parents qui donnent leur fille contre son gré, dans un pays où la liberté et l'égalité sont des valeurs qui fondent la société ? Où est l'honneur quand le pacte républicain n'est plus respecté ? Quand le contrat social est bafoué ? Comment appliquer les accords bilatéraux quand la tradition nationale est liber ticide ? Peut-on se satisfaire de constater les conflits de droits et de les pérenniser, dans le respect d'un ordre international à ce point contraire aux droits de l'individu ?
Cela ne doit pas nous empêcher d'agir au niveau national et local. C'est le choix du gouvernement. Le Comité interministériel à l'intégration du 10 mars dernier a acté la volonté de prévenir les mariages forcés.
En amont, il est indispensable de consolider les dispositifs d'information, de sensibilisation et d'éducation. C'est à l'école que l'on peut détecter le mieux ce type de pressions et dispenser une information complète et ciblée. Il faut également nouer un dialogue direct avec les jeunes filles et leurs familles, à travers un support largement diffusé.
Sur le plan juridique il convient de relever l'âge légal du mariage des jeunes filles de 15 à 18 ans et de fixer, à la majorité, l'âge nubile pour les femmes comme pour les hommes, à l'article 144 du code civil. Cette mesure est en préparation à la chancellerie.
Il convient également d'empêcher que les jeunes filles soient mariées de force avant l'âge légal. Cela suppose une véritable mobilisation de tous les intervenants pour conseiller, accompagner et soutenir celles qui seraient menacées.
Il convient, enfin, de pouvoir offrir un hébergement d'urgence aux jeunes filles majeures qui fuiraient leur famille pour ne pas être mariées de force.
Cette mesure est l'une des cinq propositions qui ont été présentées au Premier ministre, le 8 mars dernier ; le montage est en cours, avec le ministre délégué à Ville et à la Rénovation urbaine. Elle s'inscrit dans le programme d'actions spécifiques en faveur des jeunes filles et des jeunes femmes des cités. Ce programme ne peut réussir qu'en étroit partenariat avec les associations, dont le rôle est capital.
Le problème des mariages forcés, comme archaïsme persistant et résurgent dans une société démocratique, est révélateur d'une politique de l'intégration qui n'a pas toujours été à la hauteur des principes d'égalité et de liberté de la République.
Confrontées à la difficulté d'être, dans leur quartier ou dans leur cité, les femmes et les jeunes filles qui avaient participé à la "marche des femmes" ont, le 8 mars, fortement exprimé leurs attentes.
Elles en appellent au respect et à la considération qui sont dus à tout être humain. Elles en appellent à l'égalité et à la dignité. A la reconnaissance de la citoyenneté. A part égale avec les hommes, à part entière, comme tout citoyen français.
Cet appel, nous l'avons entendu. Cette chance qui nous est offerte, le Premier ministre nous a engagés à la saisir. L'égalité n'est pas un privilège réservé. C'est un droit fondamental. Tous les citoyens français, quels que soient leur sexe, leur culture, leur origine et leur religion, sont égaux en droits et en libertés. Ils doivent l'être dans la réalité de la citoyenneté partagée.
"Dans les démocraties, écrivait Tocqueville, chaque génération est un peuple nouveau." La génération qui fera la France de demain est assurément un peuple nouveau. Il nous appartient qu'elle se reconnaisse et qu'elle s'exprime dans le partage des valeurs de la République.
(source http://www.u-m-p.org, le 1er juillet 2003)