Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, sur la stratégie de recherche relative à l'hydrogène et aux technologies des piles à combustibles, Bruxelles le 16 juin 2003.

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Circonstance : Conférence sur "L'économie de l'hydrogène : une voie vers l'énergie durable", à Bruxelles le 16 juin 2003

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Commissaires,
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie de votre invitation à venir exprimer le point de vue de la France lors de cette conférence sur la stratégie européenne de recherche relative à l'hydrogène et aux technologies des piles à combustible.
Alors que, dans une logique de développement durable, beaucoup s'interroge sur la place qu'occupent aujourd'hui, et plus encore, qu'occuperont demain, les énergies fossiles, et en particulier le pétrole et le gaz, dans la consommation mondiale d'énergie, nombreux sont ceux qui pensent que l'hydrogène peut devenir un vecteur de substitution, fondant une économie nouvelle.
Cette conférence s'inscrit donc au coeur des préoccupations relatives à la question de l'approvisionnement énergétique de notre planète, et notamment de notre continent, une problématique effectivement stratégique pour l'Union européenne. C'est ainsi qu'en 1997, Madame de Palacio appelait à une stratégie européenne pour la sécurité de notre approvisionnement énergétique, et proposait le lancement d'un livre vert pour y répondre. Il y a un mois environ, l'Union européenne rappelait, à l'occasion de la présentation de son étude "World, Energy, Technology and Climate Policy Outlook" (WETO), la prégnance de la problématique, en mettant en lumière les tendances énergétiques, technologiques et environnementales lourdes pour les trente prochaines années et en analysant, à l'échelle mondiale, l'impact de nos modes de consommations d'énergie sur le climat et les équilibres économiques.
Vous connaissez la particularité du bouquet énergétique français : pour l'année 2000, la France a affiché un taux d'indépendance énergétique de 51%, et trouve dans le nucléaire une source qui lui permet d'assurer prêt de 37% de sa consommation d'énergie primaire, contre 6,8% à l'échelle mondiale. Au-delà de ces données et des choix concernant la filière nucléaire, la place importante du pétrole, qui représente un peu plus de 35% de cette même consommation, les contraintes environnementales (pollutions urbaines, changement climatique, ...), les questions de stratégies industrielles, ont conduit le gouvernement français à ouvrir, un grand débat national sur l'énergie. Ce débat, qui a été engagé au début de l'année 2003 et vient de se conclure, a été l'occasion pour notre pays d'examiner en profondeur les questions énergétiques dans une perspective de moyen et long terme. Notre action intègre différentes échelles de temps : à court terme, et considérant la place de l'énergie nucléaire dans le bouquet énergétique français actuel, nous devons proposer des réponses à la question des déchets nucléaires à l'horizon 2006 ; à moyen terme, le Premier ministre M. Jean-Pierre Raffarin, lors de l'ouverture de l'assemblée plénière du Groupe Intergouvernemental d'Experts sur le Climat, le 19 février dernier, a exprimé sa volonté d'engager une action spécifique sur les véhicules propres à l'horizon 2010-2013, et l'hydrogène et la pile à combustible y trouvent une place particulière. Avec mes collègues de l'industrie et de l'environnement, j'ai récemment mis en place un groupe de travail pour examiner le déploiement d'un effort de développement ambitieux des nouvelles technologies de l'énergie. A plus long terme, la France participe aux travaux du forum Génération 4 sur les centrales nucléaires à fission du futur et propose de prendre une part active dans la collaboration internationale ITER en accueillant sur son territoire le réacteur expérimental du même nom, qui à terme, pourrait amener une véritable révolution en matière de production d'énergie. A la suite du débat sur l'énergie intégrant notre réflexion sur les énergies nouvelles, la France devrait disposer, d'ici la fin de l'année 2003, d'une stratégie énergétique actualisée : la conférence d'aujourd'hui est ainsi une opportunité d'éclairer et de nourrir sa réflexion nationale, en concertation avec ses partenaires européens et extra-européens présents aujourd'hui à Bruxelles.
Ainsi l'appauvrissement des ressources fossiles, l'augmentation prévisible de la demande énergétique mondiale, l'augmentation des gaz à effet de serre et le risque induit de changement climatique, conduisent impérativement à chercher des voies nouvelles pour satisfaire les besoins de la société, dans une logique de développement durable. La politique énergétique de la France porte avant tout sur la nature des sources primaires avec l'objectif de garantir la sécurité des approvisionnements et l'accès, pour nos concitoyens, à une énergie propre, une énergie respectueuse de l'environnement, limitant au maximum les émissions de gaz à effet de serre, et les déchets.
Pour atteindre ces objectifs, il nous faut agir sur la diversité des sources, mais aussi sur la demande d'énergie et la maîtrise des consommations finales. Il s'agit également de transporter l'énergie de la source à l'utilisateur dans les meilleures conditions de coût et de facilité de consommation. Aujourd'hui, les vecteurs énergétiques en France sont essentiellement l'électricité, les carburants pétroliers ou le gaz naturel. L'hydrogène a une place centrale dans cette réflexion. Il apparaît clairement comme l'une des grandes voies d'avenir possible de la distribution d'énergie dans le monde.
Les Etats-Unis et le Japon s'engagent dans la recherche technologique sur l'hydrogène avec des moyens considérables. Nous estimons, pour notre part, qu'il est hautement souhaitable et urgent que l'Europe s'engage dans cette voie à son tour, de manière résolue et coordonnée. Notre participation aux travaux engagés par le High-Level Group nous a convaincus que la coopération européenne, et plus largement mondiale, est essentielle pour aboutir, à coût supportable, aux ruptures technologiques nécessaires. La France apportera tout son soutien à l'Europe pour lui permettre d'occuper une place de premier plan dans ce domaine.
Je voudrais souligner combien la France a apprécié de manière positive l'initiative de réunir un groupe de haut niveau sur l'hydrogène et les piles à combustibles, pour éclairer l'Union européenne sur ce problème stratégique, aux multiples composantes. Les premières conclusions des travaux du groupe qui seront présentées et débattues au cours de ces deux journées, vont nous permettre de définir un "scénario européen".
Il est d'ores et déjà proposé la création d'une plate-forme européenne sur les technologies de l'hydrogène. Sur le principe, je suis favorable à une participation française à cette structure, dont il convient maintenant d'en définir précisément les objectifs et le rôle.
Pour la France, la problématique énergétique "hydrogène" touche différents aspects. Certes, la France maîtrise la filière industrielle de ce produit puisqu'il est aujourd'hui abondamment utilisé comme produit chimique de base (pétrochimie, chimie des engrais et autres matières azotées). Mais l'utilisation de l'hydrogène comme vecteur appelle une structuration forte de nos programmes de recherche : ils doivent toucher les questions de production, puisque l'hydrogène, non présent à l'état naturel, doit être produit, et ce à partir d'origines variées, fossiles, renouvelables, ou nucléaire. Cette diversité est un atout majeur, qui pourra donner toute sa souplesse à un système énergétique multi-sources et évolutif. Il s'agit également de traiter les questions de stockage et de transport. En adressant ces problèmes, nous devons viser à bénéficier au mieux des avantages de l'hydrogène, combustible non polluant lors de son utilisation, sans émission de gaz à effet de serre ; combustible stockable, ce qui est un avantage décisif par rapport au vecteur électricité ; combustible versatile dans ses applications, allant de la production domestique d'électricité en lieu isolé à la traction des automobiles, par le biais de piles à combustible.
C'est dans cet esprit que depuis 1999, la France a réalisé un important effort de recherche sur les piles à combustibles. L'Etat apporte un financement de 10 M d'euros par an au réseau de recherche technologique PaCo, auquel s'ajoutent 15 M d'euros de participation des industriels. Ce réseau rassemble les acteurs industriels et la recherche publique autour de projets de recherche sur les piles à combustible, la production locale d'hydrogène et son stockage, pour des utilisations stationnaires, portables ou pour le transport.
Un Centre National de Recherche Technologique "pile à combustible et interface pour les transports", conçu comme un nud d'un réseau national, est en voie d'être mis en place autour de la plate-forme d'essais de l'Université Technologique de Belfort Montbéliard. Il dispose aujourd'hui d'un bâtiment dédié aux essais de piles à combustible pour les applications de transport. Cette plate-forme d'essais publique, largement ouverte aux industriels, regroupe plusieurs grands industriels : PSA, Renault, Air Liquide, Gaz de France, et des équipementiers automobiles, ainsi que des organismes de recherche : le CEA, le CNRS, l'INRETS, soit 6 organismes d'enseignement et de recherche, ainsi que trois collectivités territoriales. Pour les expérimentations sur les piles à combustible, la plate-forme dispose de charges actives permettant de reproduire les profils de mission de transport des véhicules, et elle sera bientôt équipée d'une chambre climatique et d'une table vibrante pour tester les matériels dans des conditions très proches des situations réelles d'utilisation. Le tout constitue une mobilisation de compétences remarquable qu'il convient encore de renforcer.
Le CEA, le CNRS, l'IFP et l'ADEME, ont entrepris de coordonner leurs actions et d'unir leurs efforts dans un programme de recherche sur les technologies de base portant notamment sur la production d'hydrogène par voie thermochimique ou biologique, sur les technologies de stockage de l'hydrogène, et sur les piles à combustible.
Le ministère de la Recherche a mis en place une action concertée Energie lancée début 2003 pour apporter un soutien complémentaire aux laboratoires sur le thème du stockage de l'énergie.
De nombreuses questions restent encore ouvertes, et elles impliquent, ne nous trompons pas, des choix majeurs pour nos concitoyens et dimensionnants pour nos économies nationales :
- concernant la production : à partir de quelles sources, avec quelles technologies, à quel coût, avec quelle production de gaz carbonique, quel traitement faire subir à ce gaz qu'on ne saurait impunément rejeter dans l'atmosphère ?
- concernant le transport, avec des coûts énergétiques pouvant être importants selon les technologies utilisées : liquide, gazeux, sur support solide ;
- concernant les questions de sécurité, l'hydrogène est un produit potentiellement déflagrant qui fait encore peur et les aspects liés à la sécurité doivent être abordés avec sérieux.
Ces questionnements impliquent des choix, qui, au niveau de l'Union européenne, ne peuvent être fait de manière totalement indépendante dans nos différents pays : quand nous parlons de circuits de distribution, de normalisation, de sécurité, c'est au niveau européen que nous devons mener la réflexion. L'hydrogène dispose d'atouts forts, mais les technologies à mettre en uvre sont dans leur enfance et loin d'être économiquement viables. Pour réaliser le potentiel de l'hydrogène, la recherche est essentielle pour le développement économique de l'Europe.
La France est prête à soutenir le lancement d'une grande initiative européenne dans le domaine de l'hydrogène et des piles à combustible afin de combler notre retard vis à vis d'autres grands pôles économiques et de pouvoir revendiquer un rôle majeur d'ici à 2030. Il est essentiel d'intégrer et de structurer la recherche européenne sur ce sujet, avec une politique de déploiement et de coordination de la recherche technologique ainsi que des mesures européennes communes d'accompagnement sur les plans fiscaux et réglementaires.
La recherche pour la production d'hydrogène devra notamment porter sur les pistes suivantes :
- production de gaz de synthèse à partir de la biomasse ;
- électrolyse haut rendement ;
- reformage du gaz naturel ;
- utilisation de l'énergie thermique dans de nouveaux réacteurs nucléaires.
Une fois l'hydrogène produit, reste à le transporter et à le distribuer sur ses divers lieux d'utilisation. Une des idées séduisantes pour la période de transition consisterait à utiliser les réseaux de canalisation de gaz naturel existants. Le principe consiste à mélanger l'hydrogène au gaz naturel au lieu de production, de transporter le mélange ainsi obtenu (dénommé hythane) via les canalisations existantes et de séparer l'hydrogène par un système approprié au lieu de son utilisation.
Par ailleurs, le stockage de l'hydrogène est primordial soit comme stockage tampon lorsque la production et l'utilisation sont décalées dans le temps, soit comme stockage embarqué à bord de véhicules. Deux solutions technologiques sont particulièrement séduisantes, le stockage haute pression (350-700 bar) dans des réservoirs innovants et le stockage dans les hydrures métalliques.
Aujourd'hui, l'ensemble des technologies nécessaire à la mise en uvre au sein de la filière énergétique hydrogène nécessite des efforts de recherche considérables pour pouvoir être transférées dans l'industrie. Une stratégie globale de R D européenne est indispensable, pour répondre au défi d'une double révolution :
- révolution sur le convertisseur : comment amener la pile à combustible aux conditions technico-économiques des moteurs actuels à combustion interne, notamment au niveau de l'architecture système ;
- révolution sur le carburant : comment produire et amener l'hydrogène à un niveau économique, de sécurité et de facilité de distribution et d'usage comparable aux carburants actuels.
Trois verrous technologiques peuvent être identifiés :
- le prix d'un système pile à combustible. Actuellement, un kilowatt pile à combustible coûte entre 5000 et 8000 /kW. En revanche, à ce jour, les prix acceptables par les marchés sont de 750-1500 /kW pour les applications stationnaires, de 150-200 /kW pour le transport en commun et de 30-50 /kW pour le véhicule individuel. On peut donc mesurer l'effort considérable qu'il reste à parcourir sur le plan technologique pour réduire le coût des systèmes pile à combustible avant de pouvoir les banaliser sur des marchés de grande diffusion, notamment dans le secteur routier. A cet égard la recherche sur la catalyse est fondamentale ;
- la fiabilité et la robustesse de certains éléments composant la filière hydrogène, dont la pile à combustible. Il est donc nécessaire d'améliorer les performances de l'ensemble de la chaîne afin d'en crédibiliser l'usage auprès du grand public. La mise en place de démonstrateurs en environnement réel est un des principaux objectifs à atteindre au niveau de l'Europe ;
- l'impact environnemental et socio-économique des technologies de la filière hydrogène, avec la question de l'enfouissement du dioxyde de carbone. Il est nécessaire de démontrer que les risques pour les usagers présentés par les technologies liées à l'hydrogène sont maîtrisés. Il convient également de démontrer que les technologies étudiées de la production d'hydrogène à son utilisation en piles à combustible sont compatibles avec les critères de développement durable. Il faudra montrer que l'ensemble du cycle de vie des systèmes piles à combustible (recyclage des composants sensibles pour l'environnement) a bien été pris en compte.
L'ensemble de ces verrous nécessite des ruptures technologiques qui ne pourront être résolues que dans le cadre de grands accords de R D entre le monde de la recherche et celui de l'industrie. Citons par exemple, l'accord de collaboration entre Air Liquide et le CEA sur le développement de réservoirs hydrogène et de piles à combustible innovantes ou l'accord entre le CEA et l'IFP sur le développement d'un réacteur de biomasse à haut rendement.
Dans les différents pays d'Europe, cette Feuille de Route européenne pourra s'adapter aux politiques nationales variées en matière d'énergie (dues notamment aux sources primaires variées disponibles sur le sol européen, mais aussi aux géographies et aux cultures différentes). Les initiatives régionales seront un élément clé de cette politique, notamment pour le rôle moteur et précurseur sur les démonstrations et le déploiement progressif de la filière.
Le développement de l'hydrogène "énergie" est à mon sens une affaire de longue haleine, qui ne pourra se faire qu'en harmonie avec les autres membres de l'Union européenne. La commission s'intéresse depuis longtemps à ces sujets, en particulier la pile à combustible, et a inscrit dans les priorités du 6eme PCRD l'hydrogène et la pile à combustible, poursuivant en cela, et en l'amplifiant, l'effort entrepris dans le programme précédent. Je voudrais dire ici combien j'adhère pleinement à cette priorité, et que j'ai demandé à mon département ministériel de tout mettre en oeuvre pour que nos industriels et nos chercheurs proposent des projets intégrés et des réseaux d'excellence ou y participent.
Voilà les réflexions que je pensais souhaitables de partager avec vous, avec le souci de répondre aux besoins énergétiques de nos entreprises et de nos concitoyens tout en préservant pour les générations futures une planète où il fait bon vivre.
Je vous présente tous mes voeux pour la réussite des travaux de cette conférence, dont j'attends les conclusions avec le plus grand intérêt.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 20 juin 2003)