Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureuse de m'exprimer aujourd'hui devant le groupe de prospective du Sénat ; je remercie son président, M. René Trégouët, sénateur du Rhône, de me donner ainsi l'occasion d'exprimer l'importance que le gouvernement accorde à la réflexion sur les choix énergétiques. De dire aussi dans quel esprit il aborde cette question cruciale.
En s'inscrivant dans le cadre du Débat national sur les énergies, ce colloque participe, au très haut niveau qui est le sien, à la grande délibération civique, lancée le 18 mars dernier à la Villette par le Premier Ministre. Je tenais, à cet égard, à remercier les membres du comité des Sages et M. Jean Besson, député du Rhône en mission.
Je voulais vous dire que nous n'avons arrêté aucun choix pour le moment et que le gouvernement prendra une décision le moment venu. La France doit réexaminer, à brève échéance, sa politique énergétique. Un faisceau de raisons nous conduisent à cette redéfinition : les évolutions géostratégiques, le vieillissement programmé des installations nucléaires, les nouvelles normes de protection de l'environnement, la libéralisation progressive des marchés.
Pour relever de tels défis, il est nécessaire de se donner le temps de la réflexion. Dans ce domaine, les choix conditionnent assurément nos modes de vie de consommateurs, mais ils dépassent aussi chacune de nos pauvres individualités. lls sont un élément capital de la souveraineté des Etats . Mais ils engagent aussi notre responsabilité à l'égard des générations à venir.
Sur un tel sujet, la délibération doit donc prendre tout le temps nécessaire, de telle sorte que toutes les possibilités soient envisagées, l'esprit disponible, sans exclusive ni préjugé, avec créativité, sans pétition de principes ni recettes miraculeuses. Les décisions dans ce domaine ne sauraient s'improviser, ni se prendre sans l'adhésion des citoyens. C'est aussi un aspect essentiel de la démocratie.
Nous nous trouvons donc, est la croisée des chemins : les enjeux sont considérables, économiques, stratégiques, environnementaux ; le défi est clairement défini : il pourrait s'énoncer sous la forme d'un problème géométrique : étant donnés la faiblesse de notre sous-sol, et les coûts comparés des diverses énergies, -il nous faut trouver le bouquet énergétique qui favorise à la fois notre prospérité, notre indépendance nationale, et le respect de nos engagements sur les émissions de gaz à effet de serre.
Si le problème est simple, la solution ne l'est pas.
D'autant qu'il s'agit de déterminer une solution durable, qui nous engage pour plusieurs décennies. D'où l'importance de la prospective, c'est-à-dire littéralement d'une vision anticipatrice ; la prospective, notons-le au passage, n'est pas une simple " prévision ", qui se borne à prolonger les courbes du présent, elle doit être une imagination portée vers l'avant, qui soit capable d'appréhender mais aussi d'inventer l'avenir, d'envisager des ruptures, et de pourvoir à l'inattendu. Ce sont en effet non seulement les évolutions que nous devons " inspecter ", mais aussi les solutions que nous devons imaginer. Notre savoir doit être tout entier tourné vers l'action ; car, comme le disait Auguste Comte (qu'en tant que Ministre de l'industrie j'aime à le citer), il faut " savoir pour prévoir, et prévoir afin de POURVOIR. "
L'incertitude des temps ne doit pas décourager notre réflexion ; les tensions actuelles (et à venir) sur le marché du pétrole doivent au contraire nous inciter à une plus grande vigilance stratégique. Mais le pétrole n'est assurément pas le seul enjeu.
Aussi voudrais-je aujourd'hui tracer à grands traits les perspectives qui s'ouvrent devant nous, et rappeler les pistes que nous devons encore explorer.
1) maîtriser la demande : pour une sobriété énergétique
Une première évidence s'impose : nos consommations énergétiques, celles de la France mais aussi de l'ensemble du monde développé, nous conduisent à une impasse collective.
Au rythme actuel, les consommations mondiales d'énergie seront multipliées par 3 d'ici 2050, tout comme les émissions de gaz à effet de serre. Celles-ci, nous le savons tous, sont une menace pour le climat et pour l'équilibre écologique de la planète Terre. Or, les mesures réparatrices jusque là imaginées ne sont pas à l'échelle de tels enjeux.
A ce même horizon 2050, avec une population mondiale envisageable de 8 milliards d'habitants et le contenu énergétique du modèle de développement actuel, l'humanité prend un risque considérable : d'une part, d'être incapable à terme de satisfaire les besoins énergétiques de populations entières, d'autre part, de créer pour les Etats des relations internationales aux conditions incertaines, enfin d'hypothéquer le futur environnement de l'Homme. Il faut le dire, il faut le comprendre, et cela doit justifier l'implication de tous dans ce débat : le modèle de développement actuel n'est pas durable.
J'ajouterai qu'il n'est pas équitable. 55% de l'énergie finale est utilisée par 20 % de la population mondiale, deux milliards d'individus n'ont pas accès à l'électricité !
Aussi, ne nous leurrons pas : nous serons, nous sommes, dans l'obligation de changer profondément notre manière de consommer. Nous devons absolument réussir à inverser cette corrélation trop étroite entre croissance et augmentation de la consommation énergétique.
Il faut pour cela nous interroger lucidement sur notre mode de vie, nous demander comment nous pourrions consommer " mieux ", et non " plus ", c'est-à-dire plus efficacement, en évitant les déperditions et les gaspillages. Ce qu'il nous faut rechercher, c'est une certaine " sobriété énergétique ".
L'expérience a d'ailleurs prouvé que le progrès technique permettait d'améliorer l'efficacité de notre consommation.
Les innovations technologiques, dans le domaine automobile, urbanistique ou architectural, sont une voie privilégiée pour aborder cet horizon. Meilleure isolation des bâtiments, amélioration des moteurs, nouveaux matériaux,-les citoyens sont curieux de toutes ces pistes encore à explorer. Car ce que je souhaite, par cet échange d'idées et d'expériences, par cette confrontation des opinions, c'est de pouvoir élargir nos horizons.
Mais les particuliers ne sont évidemment pas les seuls concernés. Les entreprises aussi sont parties prenantes dans la maîtrise de la consommation. Elles doivent réussir à concilier l'impératif de compétitivité et l'exigence de responsabilité.
Ces questions révèlent un enjeu très simple : inventer une économie, et au-delà, une civilisation qui ne coure pas à sa perte en ruinant les conditions de sa propre existence. C'est tout le sens du développement durable.
2) Faire face à notre dépendance
Cette vigilance quant à notre consommation doit être d'autant plus grande que, pour la fourniture d'énergie, certains fondamentaux s'imposent à nous. Ici encore, je crois que nous avons un devoir de lucidité : la production d'énergie est sous contrainte, et ses sources seront appelées à évoluer. C'est aussi pour cela qu'il faut en discuter, afin de savoir quel bouquet énergétique nous pourrons définir et mettre en place, au regard de la consommation et des modes de vie que nous voulons.
Pour l'heure nous avons essentiellement quatre sources à notre disposition : le pétrole et le gaz, d'un côté, que nous achetons à l'extérieur ; l'énergie nucléaire et l'énergie hydraulique, de l'autre, que nous produisons chez nous.
S'agissant des énergies dites fossiles-gaz et pétrole principalement-, plusieurs questions se posent.
Dans l'absolu d'abord, celle de leur épuisement prévisible à long terme. La majorité des experts estime, sur la base de la consommation mondiale en 2002, que les réserves mondiales de pétrole seront épuisées dans une cinquantaine d'années, et celles de gaz dans une soixantaine d'années. Lorsque l'on sait que le pétrole représente 36% de notre consommation d'énergie, et constitue une ressource exclusive pour des activités majeures comme les transports, on mesure mieux la nécessité de s'interroger aujourd'hui, et d'anticiper ! On imagine fort bien les tensions potentielles qui ne pourront manquer de survenir, lorsque les réserves ultimes seront concentrées dans les mains d'un nombre limité de pays...
Car se pose bien évidemment la question de la dépendance dans laquelle ces énergies fossiles nous maintiennent vis-à-vis de l'extérieur. N'oublions pas que la production française de charbon, de pétrole et de gaz ne couvre que 10 jours de la consommation annuelle d'énergie de notre pays. L'actualité confère à ce problème une acuité très immédiate. Comment parer cet inconvénient ? La diversification des approvisionnements suffira-elle ?
S'ajoute le problème de l'impact de ces énergies fossiles sur l'environnement. Je pense ici bien sûr à la pollution de l'atmosphère par les " gaz à effet de serre ", mais aussi, comment les oublier dans un pays qui compte 5 000 kilomètres de côtes, à la pollution des mers ! Nous sommes bien placés, hélas, pour connaître ce problème.
Enfin, s'impose la question cruciale de savoir comment rendre ces énergies moins polluantes ? Le Premier Ministre l'a rappelé devant l'assemblée plénière du GIEC le 19 février dernier : nous devons réduire de moitié, à l'échelle de la planète, les émissions de gaz à effet de serre, d'ici 2050. Pour les pays développés, cela suppose une réduction par un facteur 4 ou 5. Stopper le réchauffement est en effet, à long terme, tout simplement une question de survie.
3) développer les énergies renouvelables
Dans cet esprit, la voie des énergies renouvelables est prometteuse.
Il s'agira de déterminer si ces énergies, à la fois nouvelles et éternelles, comme le vent (grâce aux éoliennes), le soleil (grâce aux panneaux photoélectriques) ou la matière vivante (le bois et les biocarburants) peuvent constituer une véritable solution de remplacement, ou sont vouées à ne demeurer que de simples compléments. Pour cela il faut en évaluer avec réalisme le juste coût, les capacités réelles, avec les difficultés liées à leur naturelle intermittence, et enfin les impacts environnementaux, notamment sur les paysages.
Mais il s'agit aussi de faire face à nos engagements : la France doit porter la part d'énergie renouvelable à 21 % de sa production totale d'électricité d'ici 2010. Il faut donc envisager les moyens d'atteindre cet objectif. Comment inciter au développement technologique de ces nouvelles énergies ? Sommes-nous prêts à en payer le prix ?
4) quelle place pour le nucléaire ?
Enfin, nous ne saurions faire l'économie d'une réflexion approfondie sur l'énergie nucléaire.
La France a fait le choix du nucléaire il y a 30 ans à la suite du choc pétrolier de 1974. Elle produit aujourd'hui 75% de son électricité à partir du nucléaire, quant l'Allemagne produit la sienne à 50% à partir du charbon et émet donc logiquement je le rappelle 40% de plus de gaz à effet de serre.
La question est claire : doit-on poursuivre dans la voie initiée en 1970 par nos prédécesseurs ou au contraire préparer une transition vers une sortie totale ou partielle du nucléaire ? Quels sont les bénéfices et les inconvénients de cette alternative ? Peut-on se passer du nucléaire, réduire en même temps nos émissions de CO2 et maintenir une diversité d'approvisionnement suffisante ? Réciproquement, comment s'assurer que nous saurons toujours maîtriser les risques de prolifération et maintenir un haut degré de sûreté ?
Quelle solution mettrons-nous en oeuvre pour stocker les déchets radioactifs, à très longue durée de vie ? Sur cette question des déchets nucléaires, la loi Bataille de 1991 a prévu qu'une décision serait prise en 2006. 2006 c'est vite venu. Nous devons donc y réfléchir dès maintenant.
6) de la réflexion naît l'action : la décision
La question logique qui suit celles que nous venons d'aborder -maîtriser et produire- est celle de la décision. Qui décide de quoi ?
Vous le savez, l'Europe marche en ordre dispersé. Certains pays reprennent le nucléaire, d'autres en sortent ou plutôt envisagent d'en sortir.
Une chose est certaine, la France élaborera sa propre solution nationale.
Cela n'empêche pas le marché européen de l'électricité et du gaz de s'unifier, et de se donner des règles communautaires, ni la coopération internationale de s'amplifier sur les questions énergétiques. Le protocole de Kyoto, que la France a signé, en est un bon exemple.
Mais il n'est pas excessif de penser qu'une question aussi cruciale, aussi vitale que l'approvisionnement énergétique doive demeurer, in fine, dans les mains de la Nation. L'indépendance, la sécurité, et les intérêts vitaux du pays y sont étroitement liés.
Car c'est à l'Etat d'orienter la politique énergétique. Cela est essentiel pour éviter les déboires qu'ont connus certains pays en ne veillant pas suffisamment à l'intérêt général. L'Etat est le garant de l'intérêt général, en assurant notamment que les obligations de service public soient respectées par tous les acteurs, et en veillant à la protection des plus démunis. L'Etat sera le garant du long terme en matière de recherche, de sécurité d'approvisionnement et de programmation d'investissement.
Cela étant dit, ce rôle d'orientation doit également laisser une large part aux collectivités locales, dont l'action est capitale pour la distribution, le service public, mais aussi pour la promotion des énergies renouvelables et de la maîtrise de l'énergie.
Ainsi, c'est la responsabilité de tous qui est engagée : particuliers, citoyens, entreprises, associations, gouvernants, collectivités locales-. Ce sont nos enfants, et les enfants de nos enfants, et l'immense foule de l'humanité à naître qui nous regarde !
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Je voudrais pour finir saluer la qualité de vos travaux et vous encourager encore une fois à l'audace. Il nous est donné, pour la première fois sans doute, d'affronter simultanément le défi de la croissance et de la protection de la nature. Pour démontrer que cette double exigence n'est pas une utopie, ni l'impossible " quadrature du cercle ", notre pays doit mobiliser toute son énergie, et toute son intelligence. Sachons donc faire preuve d'audace, et n'oublions jamais que l'homme n'a de ressource que dans sa propre volonté !
Je vous remercie.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 15 avril 2003)
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureuse de m'exprimer aujourd'hui devant le groupe de prospective du Sénat ; je remercie son président, M. René Trégouët, sénateur du Rhône, de me donner ainsi l'occasion d'exprimer l'importance que le gouvernement accorde à la réflexion sur les choix énergétiques. De dire aussi dans quel esprit il aborde cette question cruciale.
En s'inscrivant dans le cadre du Débat national sur les énergies, ce colloque participe, au très haut niveau qui est le sien, à la grande délibération civique, lancée le 18 mars dernier à la Villette par le Premier Ministre. Je tenais, à cet égard, à remercier les membres du comité des Sages et M. Jean Besson, député du Rhône en mission.
Je voulais vous dire que nous n'avons arrêté aucun choix pour le moment et que le gouvernement prendra une décision le moment venu. La France doit réexaminer, à brève échéance, sa politique énergétique. Un faisceau de raisons nous conduisent à cette redéfinition : les évolutions géostratégiques, le vieillissement programmé des installations nucléaires, les nouvelles normes de protection de l'environnement, la libéralisation progressive des marchés.
Pour relever de tels défis, il est nécessaire de se donner le temps de la réflexion. Dans ce domaine, les choix conditionnent assurément nos modes de vie de consommateurs, mais ils dépassent aussi chacune de nos pauvres individualités. lls sont un élément capital de la souveraineté des Etats . Mais ils engagent aussi notre responsabilité à l'égard des générations à venir.
Sur un tel sujet, la délibération doit donc prendre tout le temps nécessaire, de telle sorte que toutes les possibilités soient envisagées, l'esprit disponible, sans exclusive ni préjugé, avec créativité, sans pétition de principes ni recettes miraculeuses. Les décisions dans ce domaine ne sauraient s'improviser, ni se prendre sans l'adhésion des citoyens. C'est aussi un aspect essentiel de la démocratie.
Nous nous trouvons donc, est la croisée des chemins : les enjeux sont considérables, économiques, stratégiques, environnementaux ; le défi est clairement défini : il pourrait s'énoncer sous la forme d'un problème géométrique : étant donnés la faiblesse de notre sous-sol, et les coûts comparés des diverses énergies, -il nous faut trouver le bouquet énergétique qui favorise à la fois notre prospérité, notre indépendance nationale, et le respect de nos engagements sur les émissions de gaz à effet de serre.
Si le problème est simple, la solution ne l'est pas.
D'autant qu'il s'agit de déterminer une solution durable, qui nous engage pour plusieurs décennies. D'où l'importance de la prospective, c'est-à-dire littéralement d'une vision anticipatrice ; la prospective, notons-le au passage, n'est pas une simple " prévision ", qui se borne à prolonger les courbes du présent, elle doit être une imagination portée vers l'avant, qui soit capable d'appréhender mais aussi d'inventer l'avenir, d'envisager des ruptures, et de pourvoir à l'inattendu. Ce sont en effet non seulement les évolutions que nous devons " inspecter ", mais aussi les solutions que nous devons imaginer. Notre savoir doit être tout entier tourné vers l'action ; car, comme le disait Auguste Comte (qu'en tant que Ministre de l'industrie j'aime à le citer), il faut " savoir pour prévoir, et prévoir afin de POURVOIR. "
L'incertitude des temps ne doit pas décourager notre réflexion ; les tensions actuelles (et à venir) sur le marché du pétrole doivent au contraire nous inciter à une plus grande vigilance stratégique. Mais le pétrole n'est assurément pas le seul enjeu.
Aussi voudrais-je aujourd'hui tracer à grands traits les perspectives qui s'ouvrent devant nous, et rappeler les pistes que nous devons encore explorer.
1) maîtriser la demande : pour une sobriété énergétique
Une première évidence s'impose : nos consommations énergétiques, celles de la France mais aussi de l'ensemble du monde développé, nous conduisent à une impasse collective.
Au rythme actuel, les consommations mondiales d'énergie seront multipliées par 3 d'ici 2050, tout comme les émissions de gaz à effet de serre. Celles-ci, nous le savons tous, sont une menace pour le climat et pour l'équilibre écologique de la planète Terre. Or, les mesures réparatrices jusque là imaginées ne sont pas à l'échelle de tels enjeux.
A ce même horizon 2050, avec une population mondiale envisageable de 8 milliards d'habitants et le contenu énergétique du modèle de développement actuel, l'humanité prend un risque considérable : d'une part, d'être incapable à terme de satisfaire les besoins énergétiques de populations entières, d'autre part, de créer pour les Etats des relations internationales aux conditions incertaines, enfin d'hypothéquer le futur environnement de l'Homme. Il faut le dire, il faut le comprendre, et cela doit justifier l'implication de tous dans ce débat : le modèle de développement actuel n'est pas durable.
J'ajouterai qu'il n'est pas équitable. 55% de l'énergie finale est utilisée par 20 % de la population mondiale, deux milliards d'individus n'ont pas accès à l'électricité !
Aussi, ne nous leurrons pas : nous serons, nous sommes, dans l'obligation de changer profondément notre manière de consommer. Nous devons absolument réussir à inverser cette corrélation trop étroite entre croissance et augmentation de la consommation énergétique.
Il faut pour cela nous interroger lucidement sur notre mode de vie, nous demander comment nous pourrions consommer " mieux ", et non " plus ", c'est-à-dire plus efficacement, en évitant les déperditions et les gaspillages. Ce qu'il nous faut rechercher, c'est une certaine " sobriété énergétique ".
L'expérience a d'ailleurs prouvé que le progrès technique permettait d'améliorer l'efficacité de notre consommation.
Les innovations technologiques, dans le domaine automobile, urbanistique ou architectural, sont une voie privilégiée pour aborder cet horizon. Meilleure isolation des bâtiments, amélioration des moteurs, nouveaux matériaux,-les citoyens sont curieux de toutes ces pistes encore à explorer. Car ce que je souhaite, par cet échange d'idées et d'expériences, par cette confrontation des opinions, c'est de pouvoir élargir nos horizons.
Mais les particuliers ne sont évidemment pas les seuls concernés. Les entreprises aussi sont parties prenantes dans la maîtrise de la consommation. Elles doivent réussir à concilier l'impératif de compétitivité et l'exigence de responsabilité.
Ces questions révèlent un enjeu très simple : inventer une économie, et au-delà, une civilisation qui ne coure pas à sa perte en ruinant les conditions de sa propre existence. C'est tout le sens du développement durable.
2) Faire face à notre dépendance
Cette vigilance quant à notre consommation doit être d'autant plus grande que, pour la fourniture d'énergie, certains fondamentaux s'imposent à nous. Ici encore, je crois que nous avons un devoir de lucidité : la production d'énergie est sous contrainte, et ses sources seront appelées à évoluer. C'est aussi pour cela qu'il faut en discuter, afin de savoir quel bouquet énergétique nous pourrons définir et mettre en place, au regard de la consommation et des modes de vie que nous voulons.
Pour l'heure nous avons essentiellement quatre sources à notre disposition : le pétrole et le gaz, d'un côté, que nous achetons à l'extérieur ; l'énergie nucléaire et l'énergie hydraulique, de l'autre, que nous produisons chez nous.
S'agissant des énergies dites fossiles-gaz et pétrole principalement-, plusieurs questions se posent.
Dans l'absolu d'abord, celle de leur épuisement prévisible à long terme. La majorité des experts estime, sur la base de la consommation mondiale en 2002, que les réserves mondiales de pétrole seront épuisées dans une cinquantaine d'années, et celles de gaz dans une soixantaine d'années. Lorsque l'on sait que le pétrole représente 36% de notre consommation d'énergie, et constitue une ressource exclusive pour des activités majeures comme les transports, on mesure mieux la nécessité de s'interroger aujourd'hui, et d'anticiper ! On imagine fort bien les tensions potentielles qui ne pourront manquer de survenir, lorsque les réserves ultimes seront concentrées dans les mains d'un nombre limité de pays...
Car se pose bien évidemment la question de la dépendance dans laquelle ces énergies fossiles nous maintiennent vis-à-vis de l'extérieur. N'oublions pas que la production française de charbon, de pétrole et de gaz ne couvre que 10 jours de la consommation annuelle d'énergie de notre pays. L'actualité confère à ce problème une acuité très immédiate. Comment parer cet inconvénient ? La diversification des approvisionnements suffira-elle ?
S'ajoute le problème de l'impact de ces énergies fossiles sur l'environnement. Je pense ici bien sûr à la pollution de l'atmosphère par les " gaz à effet de serre ", mais aussi, comment les oublier dans un pays qui compte 5 000 kilomètres de côtes, à la pollution des mers ! Nous sommes bien placés, hélas, pour connaître ce problème.
Enfin, s'impose la question cruciale de savoir comment rendre ces énergies moins polluantes ? Le Premier Ministre l'a rappelé devant l'assemblée plénière du GIEC le 19 février dernier : nous devons réduire de moitié, à l'échelle de la planète, les émissions de gaz à effet de serre, d'ici 2050. Pour les pays développés, cela suppose une réduction par un facteur 4 ou 5. Stopper le réchauffement est en effet, à long terme, tout simplement une question de survie.
3) développer les énergies renouvelables
Dans cet esprit, la voie des énergies renouvelables est prometteuse.
Il s'agira de déterminer si ces énergies, à la fois nouvelles et éternelles, comme le vent (grâce aux éoliennes), le soleil (grâce aux panneaux photoélectriques) ou la matière vivante (le bois et les biocarburants) peuvent constituer une véritable solution de remplacement, ou sont vouées à ne demeurer que de simples compléments. Pour cela il faut en évaluer avec réalisme le juste coût, les capacités réelles, avec les difficultés liées à leur naturelle intermittence, et enfin les impacts environnementaux, notamment sur les paysages.
Mais il s'agit aussi de faire face à nos engagements : la France doit porter la part d'énergie renouvelable à 21 % de sa production totale d'électricité d'ici 2010. Il faut donc envisager les moyens d'atteindre cet objectif. Comment inciter au développement technologique de ces nouvelles énergies ? Sommes-nous prêts à en payer le prix ?
4) quelle place pour le nucléaire ?
Enfin, nous ne saurions faire l'économie d'une réflexion approfondie sur l'énergie nucléaire.
La France a fait le choix du nucléaire il y a 30 ans à la suite du choc pétrolier de 1974. Elle produit aujourd'hui 75% de son électricité à partir du nucléaire, quant l'Allemagne produit la sienne à 50% à partir du charbon et émet donc logiquement je le rappelle 40% de plus de gaz à effet de serre.
La question est claire : doit-on poursuivre dans la voie initiée en 1970 par nos prédécesseurs ou au contraire préparer une transition vers une sortie totale ou partielle du nucléaire ? Quels sont les bénéfices et les inconvénients de cette alternative ? Peut-on se passer du nucléaire, réduire en même temps nos émissions de CO2 et maintenir une diversité d'approvisionnement suffisante ? Réciproquement, comment s'assurer que nous saurons toujours maîtriser les risques de prolifération et maintenir un haut degré de sûreté ?
Quelle solution mettrons-nous en oeuvre pour stocker les déchets radioactifs, à très longue durée de vie ? Sur cette question des déchets nucléaires, la loi Bataille de 1991 a prévu qu'une décision serait prise en 2006. 2006 c'est vite venu. Nous devons donc y réfléchir dès maintenant.
6) de la réflexion naît l'action : la décision
La question logique qui suit celles que nous venons d'aborder -maîtriser et produire- est celle de la décision. Qui décide de quoi ?
Vous le savez, l'Europe marche en ordre dispersé. Certains pays reprennent le nucléaire, d'autres en sortent ou plutôt envisagent d'en sortir.
Une chose est certaine, la France élaborera sa propre solution nationale.
Cela n'empêche pas le marché européen de l'électricité et du gaz de s'unifier, et de se donner des règles communautaires, ni la coopération internationale de s'amplifier sur les questions énergétiques. Le protocole de Kyoto, que la France a signé, en est un bon exemple.
Mais il n'est pas excessif de penser qu'une question aussi cruciale, aussi vitale que l'approvisionnement énergétique doive demeurer, in fine, dans les mains de la Nation. L'indépendance, la sécurité, et les intérêts vitaux du pays y sont étroitement liés.
Car c'est à l'Etat d'orienter la politique énergétique. Cela est essentiel pour éviter les déboires qu'ont connus certains pays en ne veillant pas suffisamment à l'intérêt général. L'Etat est le garant de l'intérêt général, en assurant notamment que les obligations de service public soient respectées par tous les acteurs, et en veillant à la protection des plus démunis. L'Etat sera le garant du long terme en matière de recherche, de sécurité d'approvisionnement et de programmation d'investissement.
Cela étant dit, ce rôle d'orientation doit également laisser une large part aux collectivités locales, dont l'action est capitale pour la distribution, le service public, mais aussi pour la promotion des énergies renouvelables et de la maîtrise de l'énergie.
Ainsi, c'est la responsabilité de tous qui est engagée : particuliers, citoyens, entreprises, associations, gouvernants, collectivités locales-. Ce sont nos enfants, et les enfants de nos enfants, et l'immense foule de l'humanité à naître qui nous regarde !
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Je voudrais pour finir saluer la qualité de vos travaux et vous encourager encore une fois à l'audace. Il nous est donné, pour la première fois sans doute, d'affronter simultanément le défi de la croissance et de la protection de la nature. Pour démontrer que cette double exigence n'est pas une utopie, ni l'impossible " quadrature du cercle ", notre pays doit mobiliser toute son énergie, et toute son intelligence. Sachons donc faire preuve d'audace, et n'oublions jamais que l'homme n'a de ressource que dans sa propre volonté !
Je vous remercie.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 15 avril 2003)