Tribune de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, dans "Haaretz" du 9 juin 2003, sur l'histoire des relations franco-israéliennes depuis l'affaire Dreyfus et sur le plan de paix, intitulée "Lettre ouverte à mes amis israéliens".

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Média : Haaretz - Presse étrangère

Texte intégral

Je me suis rendu en Israël, il y a quelques jours, au moment même où le gouvernement d'Israël acceptait la feuille de route du Quartet, avec un double objectif : imprimer une nouvelle dynamique à la relation franco-israélienne ; marquer ma conviction que la nouvelle chance qui est donnée à la paix peut et doit être saisie.
La France entretient avec votre pays une relation passionnée, voire passionnelle, marquée par des moments forts, parfois tragiques, souvent heureux, à l'image de cette rencontre entre la Haskala juive et cette France de l'Emancipation à partir de laquelle s'est forgée la modernité juive.
Entre la France et Israël, entre les Français et le peuple juif, il y a une relation du cur qui poussa, en pleine affaire Dreyfus, le père d'Emmanuel Levinas à souligner "qu'un pays où l'on se déchire à propos du sort d'un petit capitaine juif est un pays où il faut aller". La France et le peuple juif, ce sont deux histoires qui se croisent et se répondent. D'un côté, le premier grand monothéisme, fondant les règles d'une morale universelle. De l'autre, une France reconnaissant dès l'origine la vocation spirituelle du peuple juif. Ces deux pensées universelles sont aujourd'hui indissociables.
Dans le cur des Français, votre peuple éveille de vives résonances : celle de la capacité créatrice, d'une énergie incomparable mais aussi celle de la tragédie de la Shoah. Celle-ci appartient aussi à notre histoire commune, comme le rappelait récemment le Président Chirac pour qui la France est "à jamais inconsolable" de cette "faute inexpiable".
Au-delà de l'ardente obligation de réparer conduite ces dernières années avec la création de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, la mise en place de la Commission d'indemnisation des victimes de spoliations, les mesures prises au profit des orphelins, le souvenir de ces années noires est là pour rappeler à la France et à l'Europe leur devoir de mémoire devant un drame qui, jamais, ne pourra être banalisé. La France et l'Europe n'oublient pas, après cinquante années d'efforts pour construire un espace de paix et de partage, qu'elles doivent en grande partie l'énergie d'accomplir ce devoir au rejet absolu de l'horreur et de la barbarie qu'a dû subir le peuple juif.
Le peuple français s'est mobilisé pour la création de l'Etat d'Israël. La France a défendu votre place dans la communauté des Nations. Elle a été l'une des premières à reconnaître l'Etat d'Israël et à lui apporter un soutien résolu lors des années les plus difficiles de cette renaissance.
Nous avons en commun deux atouts que nous devons utiliser davantage : la communauté francophone d'Israël tout d'abord, qui tisse un lien si fort entre nos deux sociétés et qui milite pour qu'Israël soit admis dès que possible au sein de cette Organisation ; la communauté juive de France, aussi, sans laquelle mon pays ne serait pas ce qu'il est. La France est fière de ce lignage, de Marcel Proust à René Cassin ou encore Léon Blum. C'est pourquoi l'antisémitisme est intolérable et sera combattu ; c'est aussi pourquoi les inacceptables provocations de certains sont vaines.
Amis israéliens, le rendez-vous entre nos deux nations reste dicté par une destinée commune : c'est pour cela que nous devons donner un nouvel élan à nos relations. Recréons la confiance, développons l'échange, faisons avancer le dialogue et la coopération, dans tous les domaines où Israéliens et Français aspirent à faire fructifier leur héritage.
Des projets ambitieux ont été préparés ces dernières semaines, du dialogue politique à la coopération scientifique, des échanges commerciaux aux relations culturelles et universitaires. La France bâtira à Tel Aviv un nouvel institut français, à la mesure de la vitalité culturelle de nos deux pays. Relançons également notre dialogue politique face aux nouvelles menaces, travaillons ensemble.
La France n'a jamais transigé sur la sécurité de votre pays. Cela passe par la construction d'une paix fondée sur la justice. C'est le sens de l'engagement de la France au Proche-Orient.
Nous comprenons qu'Israël mette au premier plan de ses préoccupations la sécurité de ses concitoyens, et nous serons toujours à ses côtés contre le fanatisme, la violence, le terrorisme . C'est pour cela que nous ne devons pas laisser la logique de l'affrontement l'emporter sur la volonté de réconciliation, au moment où se dessine une nouvelle opportunité.
Le statu quo n'est plus possible. Le conflit israélo-palestinien est devenu un symbole des fractures du monde. L'insécurité appelle une action ferme et urgente. Comment casser l'engrenage de la violence et redonner toute sa chance à la paix ?
C'est dans la force de nos démocraties que nous pouvons trouver les réponses. Quel peuple plus que le vôtre, qui a tant connu l'injustice, l'oppression, l'exclusion, peut comprendre les sentiments éprouvés par le peuple palestinien ?
Il y a aujourd'hui une voie possible pour la paix : le plan proposé par le Quartet, désormais accepté par tous. Il est urgent que chacun s'engage dans sa mise en uvre car l'alternative à la feuille de route, ce n'est pas le statu quo mais le gouffre.
Le choix de la paix est toujours difficile. Nous le savons tous, vous mieux que quiconque. Mais nous savons aussi que les peuples qui se battent pour leurs droits ne renoncent pas. Soyons par conséquent audacieux dans la recherche d'une paix globale.
Israël, terre longtemps rêvée, un temps perdue, aujourd'hui retrouvée, connaît encore le trouble et l'inquiétude. La véritable victoire de votre peuple sera celle de la paix dans une région qui aspire à devenir sereine ; elle sera celle de l'humanisme que vous portez au plus profond de votre identité depuis toujours.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juin 2003)