Interview de M. Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU, dans "Rouge" le 1er mai 2003, sur la position de la FSU concernant le projet gouvernemental de réforme des retraites et la constitution d'un front syndical.

Prononcé le 1er mai 2003

Intervenant(s) : 

Média : Emission Fil Rouge - Rouge

Texte intégral

Dominique Mezzi .- Comment analysez-vous le plan Fillon et sa stratégie ?
Gérard Aschieri .- " Il apparaît clairement que l'enjeu est bien la remise en cause de la répartition, à travers un ensemble de mesures qui, combinées, auront pour résultat une baisse du taux des retraites. Nous avons longtemps focalisé sur le passage à 40 annuités, qui est un des instruments, mais combiné avec d'autres. Notamment la décote, qui a un effet particulièrement ravageur, la désindexation des retraites sur les salaires et l'évolution des salaires de référence. Tout ceci est particulièrement brutal pour la fonction publique. Plus que ce qu'on imaginait. Il s'agit d'aligner très vite la fonction publique sur les régressions déjà introduites dans le privé. Mais ce rattrapage est destiné à ouvrir la voie à une spirale de régression pour tout le monde ".
" Tout en tenant un discours prétendant ne pas opposer le public et le privé, le gouvernement joue sciemment sur cette opposition. Et faisant valoir aux salariés du privé qu'il défend l'équité. Mais ce jeu est en train de rencontrer un obstacle fort, car le gouvernement annonce des régressions pour tous. Les quelques concessions aux bas salaires où pour les carrières longues, sont très limitées. L'enjeu est de faire de très fortes économies sur les dépenses publiques et sociales. Donc pas de concessions suffisamment significatives. La stratégie de division se heurte à cet obstacle : il va y avoir des régressions pour tout le monde. C'est intéressant en termes de stratégie syndicale. On ne peut pas se contenter de mener une bataille de fonctionnaires. C'est vrai que les fonctionnaires peuvent être un peu les fers de lance de cette bataille. Mais nous ne souhaitons pas qu'ils la mènent seuls. L'enjeu est bien de rassembler le public et le privé. Ce qui s'est passé le 1er février et le 3 avril montre que c'est possible ".
- L'attaque est aussi grave que celle de Juppé en 1995. Elle nécessiterait une riposte au moins aussi grande, voire plus. Est-ce que la FSU dit cela ?
" Il faut un mouvement puissant, rassemblant l'ensemble des salariés, et qui soit en capacité de durer. La grève reconductible peut être un des instruments pour permettre de durer, mais il n'est pas nécessairement le seul. Nos collègues font preuve de beaucoup d'imagination. Par exemple, il y a des grèves reconductibles tournantes, mais ce n'est pas tout le monde qui participe en même temps ! Certains établissements font grève tous les "x" jours. La question de la durée du mouvement est posée. L'enjeu, c'est de rassembler, de faire en sorte que les mobilisations diverses deviennent homogènes. C'est pour cela que nous avons déjà mis quelques dates-relais dans le paysage, non contradictoires avec la reconduction. Au contraire, la reconduction peut s'appuyer sur ces dates. Il y a les 6, 13 et 25 mai, mais il ne faudrait pas sauter d'un bond du 13 au 25. Il ne faut pas en faire trois journées d'action ! Le but est un mouvement qui dure, avec des relais. En 1995, il y avait à la fois des grèves reconductibles et des dates temps forts. Les deux se nourrissaient l'un l'autre ".
" Un des enjeux du 13 mai, c'est d'aller bien au-delà des fonctionnaires. La question n'est pas non plus d'attendre le privé pour avancer tous. C'est de faire monter les mobilisations, avec certaines plus précoces que d'autres. La question est de s'appuyer sur les mobilisations existantes pour élargir ".
- Le syndicalisme ne doit-il pas plus qu'en 1995 anticiper un plan d'action clair ?
" C'est vrai. Mais c'est ce que le mouvement a déjà essayé de faire. Le 1er février, et même le 3 avril, c'était déjà cela, avec des faiblesses. C'est l'idée de ne pas réagir après coup, en ayant un projet syndical et une mobilisation préventive. On touche là aux contradictions et faiblesses de ce projet. Tout le monde ne met pas les mêmes choses derrière la plate-forme commune. Il y a deux orientations stratégiques. Une partie du syndicalisme pense faire bouger les choses par la négociation. L'autre partie compte sur la mobilisation. Mais les deux sont en train de se retrouver, parce que le gouvernement est d'une brutalité extrême. Je serais tenté de dire qu'on est même un peu mieux qu'un 1995, d'un certain point de vue. Globalement le syndicalisme n'a pas trop mal joué. L'Unsa a bien évolué, la CGT joue assez bien tout en étant dans une contradiction aussi. La déclaration syndicale de janvier avait des faiblesses fortes, elle esquivait le rapport à la durée de cotisation. Mais elle mettait au premier plan le taux de remplacement et le droit de départ à 60 ans, deux axes en pleine contradiction avec le projet Fillon. Ce sont les salariés dans la rue qui seront les juges de paix et le vrai ciment d'un front syndical. "
- La FSU est-elle favorable à la consolidation de l'unité au sommet par des coordinations décentralisées ?
" Oui pour une articulation entre les deux. Mais je ne voudrais pas non plus figer les choses en un front syndical ayant éternellement la même forme. D'une part, il n'est pas complet, il manque l'union syndicale Solidaires. Et secteur par secteur, on n'a pas les mêmes configurations. Nous ne sommes pas demandeurs d'une intersyndicale permanente. Mais celles qui sont ensemble dans l'action devraient essayer de travailler à confronter mieux leurs analyses. Il faudrait qu'on se dise tout, par exemple sur les durées de cotisation. "
(source http://www.lcr-rouge.org, le 8 juillet 2003)