Déclaration de M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la priorité donnée à la promotion et à la défense de la langue française, à la diversité culturelle et linguistique dans le contexte de mondialisation et d'élargissement de l'Union européenne et face au défi de l'éducation dans les pays du Sud, notamment en Afrique, Boulogne-Billancourt le 17 octobre 2003.

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Circonstance : Ouverture du Colloque de l'Observatoire international de la langue française sur "Le rayonnement du français dans la mondialisation", à Boulogne-Billancourt le 17 octobre 2003

Texte intégral

Monsieur le Ministre des Affaires intergouvernementales du Canada, Cher Stéphane Dion,
Monsieur le Représentant personnel du Premier ministre du Canada pour la Francophonie, cher Monsieur Bilodeau,
Monsieur le Maire-Adjoint de Boulogne-Billancourt,
Monsieur le Président de l'Observatoire international de la Langue française (OILF),
Monsieur le Secrétaire général parlementaire de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie,
Monsieur le Secrétaire général de l'Association internationale des maires francophones (A.I.M.F.),
Mesdames et Messieurs,
Je me réjouis de participer à ce Colloque sur le "rayonnement de la langue française à l'époque de la mondialisation" et de vous faire part de la politique de la France à cet égard.
Lorsqu'il a fallu, au lendemain de la seconde guerre mondiale, réorganiser le ministère des Affaires étrangères, les autorités françaises ont décidé de se doter d'un dispositif qui assure dans un même élan la promotion de la culture et de la langue française à l'étranger.
A l'heure de la mondialisation, ce choix fondateur est plus que jamais d'actualité : la langue française doit être au coeur de notre politique étrangère et sa diffusion doit irriguer l'ensemble de nos actions de coopération internationale, en particulier dans le domaine culturel.
Qu'elle se décline en termes de solidarité ou d'influence, notre politique de coopération a fait de la diversité linguistique et culturelle l'un de ses pivots.
Je ferai trois observations principales :
- La première sur le nouveau contexte créé par la mondialisation et les conséquences qu'il
faut en tirer ;
- Les problèmes posés par l'élargissement de l'Europe ;
- Les défis à relever dans les pays du Sud, en particulier en matière d'éducation.
Première observation : la défense et l'illustration de notre langue s'expriment dans un cadre renouvelé par la mondialisation.
La France a toujours eu une politique linguistique volontariste. Nous concevons notre langue comme le mode d'expression privilégié de nos valeurs et de notre vision du monde. De longue date, nous avons eu le souci de la codifier et d'en régir l'emploi. Il n'est que d'évoquer l'Ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, la fondation de l'Académie française en 1635 ou, plus récemment, la loi Toubon du 4 août 1994 pour constater que cette préoccupation légitime traverse notre histoire.
La mondialisation nous oblige à considérer le français par rapport à son environnement extérieur. Non seulement parce qu'il est concurrencé en dehors de nos frontières mais encore par ce qu'il lui arrive même d'être malmené sur le territoire national. Il n'est que de voir la pression à laquelle il est soumis dans certains secteurs d'activité. Je pense à la publicité, au sport, aux affaires. Pour autant, l'autarcie serait suicidaire. C'est par son dynamisme que la langue française peut et doit imposer son rayonnement. Cela suppose qu'elle demeure en phase avec l'évolution du monde, qu'elle soit présente sur le réseau et que, partout, de nouveaux concepts continuent de s'énoncer en français. Sa survie en dépend.
Dans un monde ouvert aux hommes et aux idées, cette exigence que nous avons pour le français s'accompagne nécessairement d'un respect équivalent pour les autres langues. Nous ne défendrons pas efficacement le français seuls contre tous, et notamment, contre les autres langues à vocation internationale. C'est parce que chacune incarne une sensibilité propre que les langues sont appelées à entrer en résonance les unes avec les autres. Et c'est parce qu'elle entend préserver cette diversité que la France prône, au sein d'une mondialisation maîtrisée, le dialogue des cultures. Diversité culturelle et diversité linguistique ont partie liée, c'est le sens de la mobilisation actuelle de la France à l'UNESCO. Vous savez que nous militons, au sein de l'Organisation internationale de la Francophonie, et aux côtés du Canada, du Québec et d'une vaste coalition d'Etats, pour la conclusion, dans le cadre de l'UNESCO, d'une convention internationale qui reconnaîtrait la diversité culturelle et le droit pour les Etats de déterminer librement leurs politiques en la matière et les instruments qui y concourent.
C'est en adaptant ses objectifs à ses champs d'intervention que notre politique linguistique conservera sa vitalité :
Aux 181 millions de francophones recensés à travers le monde s'ajoutent plus de 82 millions de personnes qui apprennent le français comme langue étrangère. C'est à la fois beaucoup et peu. C'est beaucoup parce que le français est, avec l'anglais, la seule langue à être présente sur les cinq continents, qu'il jouit d'un statut privilégié dans les enceintes internationales et que son pouvoir d'attraction - voire de séduction - reste important. C'est peu si l'on considère que les francophones ne constituent guère que la septième communauté linguistique dans le monde. Tout le défi de notre politique réside dans ce dilemme : comment conserver son statut privilégié à notre langue alors même que les évolutions du monde ne lui sont pas nécessairement favorables ?
L'apprentissage du français, le plus souvent à l'école ou à l'université, est motivé par des considérations très diverses où coexistent l'accès au savoir, l'élan francophile, l'image de la France et des valeurs qu'elle défend, la quête esthétique, l'obligation scolaire, la nécessité économique ou professionnelle ou une certaine tradition familiale. Toutes ces motivations méritent d'être prises en compte.
Les politiques de diffusion de la langue française menées par le ministère des Affaires étrangères cherchent à soutenir et à développer cette demande de français et se déclinent en fonction des thématiques et des grandes aires culturelles auxquelles nous nous adressons. Elles accompagnent une politique de présence et de promotion culturelle active, conduite grâce au réseau des 151 centres et instituts culturels français et des 283 Alliances françaises qui bénéficient du soutien du ministère des Affaires étrangères.
Deuxième observation : faire face aux problèmes soulevés par l'élargissement de l'Europe.
En Europe, à la veille de l'élargissement, le plurilinguisme - de 15 à 25 Etats, soit 19 langues - doit rester le fondement du fonctionnement des institutions communautaires. C'est l'enjeu de la référence explicite à la diversité linguistique et culturelle que la France a réussi à faire ajouter à l'article 3 du projet de Constitution. C'est également le sens des discussions très complexes et très ardues en cours au Conseil sur le futur régime linguistique de l'Union.
Pour permettre au français de demeurer l'une des grandes langues de travail à Bruxelles, nous avons lancé dès 1995 un Plan d'action pour le français dans la perspective de l'élargissement, auquel se sont joints en 2002 la Communauté française de Belgique, le Luxembourg et l'Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF). L'an dernier, 2.000 fonctionnaires et agents issus des dix nouveaux pays membres et des pays candidats à l'adhésion ont bénéficié dans ce cadre d'une formation à la langue française.
Cette mobilisation portera ses fruits si elle dépasse le strict cadre des institutions. Le point principal concerne l'enseignement des langues : il faut que demain, chaque jeune citoyen européen soit conduit à apprendre deux langues vivantes étrangères au cours de sa scolarité obligatoire. Nous savons d'expérience que l'introduction d'une telle mesure est très favorable au français et nous l'avons constaté en Espagne, notamment.
Le plurilinguisme est le régime culturel et linguistique naturel de l'Europe. Il doit le rester. De notre capacité à préserver et à enrichir cette diversité dépendra pour partie la vitalité internationale du français. Si nous ne parvenons pas à maintenir son rang sur notre continent, très vite, il perdra son attractivité dans le reste du monde.
Troisième observation : relever le défi de l'éducation dans les pays du Sud, en particulier en Afrique.
Dans les pays francophones du Sud où le français est langue d'accès à la connaissance, sa promotion passe par le renforcement des systèmes éducatifs et parfois par leur totale reconstruction. A titre bilatéral comme avec nos partenaires de la Francophonie multilatérale, nous travaillons très activement avec les gouvernements partenaires à améliorer l'offre d'enseignement en français au sein des systèmes éducatifs locaux. Plus de vingt projets, financés sur le Fonds de solidarité prioritaire (FSP), sont consacrés à des actions de coopération éducative et à l'enseignement en français et sont actuellement en cours de mise en oeuvre dans cette partie du monde comme le montre en République démocratique du Congo, le projet "Education pour Tous", dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement.
Les premiers états généraux de l'enseignement du français en Afrique francophone, organisés par l'Organisation internationale de la Francophonie en mars 2003 à Libreville, ont permis de dresser un état des lieux et de rechercher des solutions pour "réconcilier" les jeunes africains et la langue française, trop souvent perçue comme la langue exclusive de l'école.
Dans les grands pays émergents qui s'insèrent de manière croissante dans les circuits d'échanges politiques, économiques et culturels internationaux, notre politique de promotion de la langue française va à la rencontre de nouveaux publics, très mobiles et attirés par le multilinguisme. En Chine, en Inde, au Brésil, au Mexique et en Russie, le français est une langue d'ouverture sur le monde et une porte d'entrée pour l'Europe, la langue du dialogue et de "l'autre mondialisation". Il nous faut répondre à ces attentes.
A l'issue de ce bref exposé, vous constaterez que la France est déterminée à preuve de volontarisme en matière de politique linguistique et à renforcer sa coopération avec ses partenaires de la francophonie pour mener des initiatives communes. A l'heure de la mondialisation et de l'élargissement de l'Union européenne, la promotion de la diversité culturelle et linguistique et l'adaptation résolue de nos politiques aux spécificités du terrain doivent constituer nos priorités communes.
Cette mobilisation doit être l'affaire de tous les francophones et je sais pouvoir compter sur vous. C'est de la conjugaison de nos efforts que le rayonnement du français dépend.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 octobre 2003)