Interviews de M. Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF, à Radio Classique le 19 février 2000 et France 2 le 21, sur la gestion paritaire et le régime des retraites dans le privé et le secteur public.

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Média : France 2 - Radio Classique - Télévision

Texte intégral

Invité de "QUESTIONS ORALES" sur Radio Classique - Samedi 19 Février 2000
Extraits
GERARD BONOS : Denis Kessler, bonjour.
DENIS KESSLER : Bonjour.
GERARD BONOS : A double responsabilité, double actualité. Et pour des raisons qui tiennent autant à la nature des hommes que celles des cieux, vos deux champs de compétence ont fait l'objet de toutes les attentions ces derniers temps. Alors, commençons par le président de la FFSA. Même si elle n'est plus sur le devant de la scène, la tempête qui a ravagé le pays en décembre dernier est encore dans toutes les mémoires et, sans doute, dans tous les comptes des assureurs. L'occasion de faire un bilan précis de cette catastrophe, et ce alors que vont commencer à être annoncés, justement, les résultats de vos membres. Pour ceux qui sont mondiaux, comme les AGF ou Axa, ce sera sans doute absorbé. Mais tous peuvent-ils s'en sortir sans trop de dommages ? Pourtant, l'année 1999 s'était, somme toute, bien comportée avec un marché national en hausse de 10 % contre une baisse de 11 % l'année précédente. Sans doute l'assurance-vie y est-elle pour quelque chose, ayant recouvré la santé, avec une progression de 15 % l'année dernière. On fera donc l'analyse de ces chiffres et de la prospective : nous dire, au vu des éléments, qui sont à votre disposition comment peut se comporter l'année 2000, une année où la CMU va prendre une vitesse de croisière. Cette mutuelle pour tous, voulue par Martine Aubry, vous concerne, et si l'on en juge par le nombre de dossiers ouverts, risque de vous coûter quelque argent. Transition pour évoquer l'autre vie qui est la vôtre : le MEDEF. Après deux années que vous avez passé à encaisser les 35 heures, vous avez repris l'initiative en janvier. Une Assemblée générale réussie et une annonce de quitter les organismes paritaires à la fin de l'année, si rien ne change, ont provoqué de multiples réactions. Là encore, passée l'émotion, vous nous direz où vous en êtes de cette " refondation " à la mode patronale, avec une première date-butoir, l'Unedic en juin prochain. Vous nous direz si les discussions avancent avec les syndicats, et de quelle manière. Et puis entre une Bourse qui a des yeux de Chimène pour les valeurs technologiques, une cagnotte fiscale qui en fait rêver plus d'un, une croissance qui semble bien partie et des velléités gouvernementales sur de " nouvelles régulations économiques ", vous voyez, ce ne sont pas les sujets qui manquent. Alors, si vous le voulez bien, Denis Kessler, on entre tout de suite dans le vif du sujet. Pour cela, présents dans ce studio, Hedwige Chevrillon, L'EXPANSION, Renaud Belleville, LES ECHOS, Dominique Mariette, LA TRIBUNE, Pascale Santi, LE MONDE et Pierre Zapalski pour RADIO-CLASSIQUE.
La première partie de l'émission est consacrée aux assurances.
HEDWIGE CHEVRILLON : () Puisque nous sommes dans les dossiers qui fâchent, Denis Kessler, j'ai une question sur l'épargne salariale. Le gouvernement, normalement, devrait soumettre bientôt un projet de loi sur les nouvelles régulations économiques qui devrait avoir, normalement, un volet épargne-salariale. On a l'impression qu'il est en train d'être retiré. Est-ce que, un, vous pouvez nous dire un peu où en est ce dossier-là ? Et est-ce que, là aussi, vous vous dites qu'une fois de plus, les fonds de pension ou le plan d'épargne à long terme est en train de disparaître pour des raisons politiques ?
DENIS KESSLER : Madame Chevrillon, il n'y a pas de dossiers qui fâchent. Je crois qu'il est normal, tout-à-fait normal, que les questions soient posées aux professionnels, aux organisations professionnelles, aux représentants des entreprises lorsqu'un dossier apparaît, comme celui de la rente sur vie des handicapés. Je crois, au contraire, que le fonctionnement démocratique se développerait si on acceptait tous de participer à ces débats, d'expliquer, de donner les chiffres. Tout ceci me semble relever, au contraire, non pas de questions qui fâchent, mais d'une nécessaire participation, enrichissement sur le plan, au fond, je veux dire pour répondre aux questions que tout et un chacun est amené à se poser. Alors, sur l'épargne salariale, j'aimerais faire une déclaration. En ce qui concerne le MEDEF, il y a de notre part un formidable soutien à tout ce qui est le développement de la participation, de l'intéressement, des plans d'épargne entreprise. Nous l'avons dit plusieurs fois. Nous considérons que, vraiment, le moment est venu de trouver des modalités nouvelles du partage des risques et des bénéfices de l'entreprise. Cette nouvelle association, ce nouveau partage des risques - vous allez dire que je reparle comme un assureur -, mais il faut partager les risques et les bénéfices. Et quel meilleur moyen, justement, que de développer toutes ces formules dans lesquelles, lorsqu'il s'agit des bénéfices, lorsqu'il s'agit de l'enrichissement par les actions, lorsqu'il s'agit d'autres modalités telles que l'intéressement, que de trouver le moyen d'associer les salariés aux risques et aux bénéfices de l'entreprise. Donc, nous sommes totalement favorables. Nous avons souhaité, depuis des années, que tel soit le cas. Nous nous sommes réjouis que ce dossier soit pris en charge par monsieur de Foucault et monsieur Balligand. Nous avons pris connaissance d'un rapport auquel nous avions peu, en ce qui nous concerne, de commentaires et que nous avons dit : pourquoi pas ? Et nous avons découvert, simplement, que le gouvernement a décidé de repousser l'annonce des mesures. Et que, dans ce qui a été transmis, sur le projet de loi de régulation économique au Conseil d'Etat, on a dissocié cette partie portant directement sur les plans d'épargne entreprise et les autres formules que j'évoquais. Voilà où nous en sommes. Mais en ce qui nous concerne, notre détermination est totale. Et je vais vous dire : je ne pense pas qu'il faille des modifications législatives et réglementaires importantes. Bien au contraire. Et nous avons décidé, au MEDEF, de lancer une grande campagne pour sensibiliser notamment les Pme au développement de ces formules, y compris dans toutes les entreprises de France. Ce sont des formules qui ne sont pas forcément connues des Pme, de temps en temps, les salariés ne connaissent pas l'intérêt de tout ceci, pendant longtemps, les organisations syndicales étaient extrêmement réticentes au développement de ce type de formule. Bon, l'esprit est en train de changer. Qu'est-ce qu'il y a ? Il faut, effectivement, rentrer dans cette nouvelle économie où, en dehors de la relation stricte entre le salarié et l'entreprise au travers du salaire, il y a d'autres modalités d'association, je dis bien au risque et au bénéfice des entreprises. Alors, notre détermination est totale. Nous allons lancer cette grande campagne et nous attendons sans doute plus de ce vaste mouvement de sensibilisation et d'acculturation à ces mécanismes, en termes de résultats et de développement de l'intéressement, de la participation, des plans d'épargne entreprise en France que d'éventuelles modifications législatives.
ARNAUD BELLEVILLE : Dans le domaine de l'épargne retraite, il y aura bientôt trois ans que la loi Thomas a été enterrée. Un récent rapport au Conseil économique et social avait l'air de dire que, finalement, les problèmes démographiques étaient moins graves qu'on ne le pensait grâce à la croissance, etc. Est-ce que vous pouvez nous donner quelques chiffres sur, selon vous, d'abord le manque à gagner qu'il y a eu pour les entreprises à ce qu'il ne se soit rien passé depuis quelques années en termes de fonds propres qui auraient pu être récoltés et, d'autre part, sur les risques réels et le chiffrage que l'on peut faire sur ce qui se passera pour les salariés retraités d'ici quelques années si on ne fait rien ou si à nouveau on attend quelques mois ou quelques années de plus ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, monsieur Belleville, vous faites allusion à un rapport sérieux qui était le rapport Charpin, qui est documenté, qui est établi, qui repose sur une analyse forte démographique et économique et puis, d'autre part, vous faites allusion au rapport de monsieur Teulade qui n'est pas un rapport sérieux. Je veux dire, qui est un rapport, tout le monde le sait, qui repose sur des hypothèses qui sont totalement irréalistes et qui, en plus, a des vices de formes dans le raisonnement qui conduisent à ne retenir aucune de ses conclusions. Donc, de grâce, ne citons pas quelque chose qui n'a pas de réelle substance. Donc, nous sommes effectivement toujours dans le cadre des perspectives du rapport de monsieur Charpin qui, d'ailleurs, confirmait les conclusions du rapport de monsieur Rocard qui, d'ailleurs confirmait les conclusions d'un rapport du même Teulade mais qui datait, là, de 11 ans puisqu'en 1989 - lisez les conclusions du rapport Teulade pour le Plan -, dans lequel il disait que, quel que soit le rythme de croissance économique, il y aurait des problèmes de retraite. Donc, Teulade I, 1989, visiblement avait les idées claires, ce que Teulade II, 1999, n'a pas eu. Enfin, bref, fi ! de polémiques, nous parlons de choses importantes et non pas de monsieur Teulade, nous parlons de l'avenir des retraites des Français et nous parlons de l'avenir du capitalisme français. Alors, attention, là, on ne rigole plus ! Et fi !de teuladeries, intéressons-nous au fond. Moi je trouve extrêmement regrettable que les fonds de pension créés par monsieur Thomas et la loi Thomas et par le Parlement aient été enterrés il y a trois ans. Pourquoi ? Parce que les Français, notamment les salariés du secteur privé, si on avait mis au point ce dispositif, auraient bénéficié de l'exceptionnelle réévaluation des actifs des entreprises au cours de cette période. Mais c'est quand même incroyable qu'on ait interdit aux salariés français de pouvoir bénéficier de la formidable réévaluation des actifs, je fais allusion directement à la hausse des cours de la Bourse, qui était, en ce qui me concerne, forcément liée, un, à la baisse des taux d'intérêt, à la création de l'euro et à l'entrée dans le nouveau cycle de Kondratieff, hypothèse que j'avance depuis des années. Et je trouve absolument regrettable que l'on ait interdit aux salariés français de bénéficier de l'enrichissement des entreprises. Je le dis : mais comment est-ce que l'on peut justifier tout cela ? Et que des gens continuent à dire qu'il ne faut absolument pas que les salariés des entreprises françaises bénéficient de l'enrichissement des entreprises ? Moi, vraiment, je ne comprends pas. Parce que, dans le même temps, l'enrichissement des entreprises françaises bénéficie aux salariés, certes, mais aux salariés des autres pays. Donc, on est dans une situation tout-à-fait ubuesque. Comme dans le même temps, nous savons qu'en France, il manque, dans la gestion actifs-passifs de la France, vous voyez, on manque de ressources longues pour aller alimenter les marchés financiers par des capitaux qu'on dit les capitaux stratégiques qui viennent alimenter les fonds propres des entreprises. C'est ça notre manque français. C'est ça ce qu'on n'a pas voulu mettre au point. Et donc, nous avons un double problème. On interdit aux salariés de préparer leur retraite et de bénéficier de l'enrichissement des entreprises et on interdit aux entreprises françaises de pouvoir s'abreuver auprès d'un réservoir de fonds propres alimenté en permanence, qui leur permettrait d'avoir une base capitalistique française. Enfin, il faudra quand même qu'on m'explique pourquoi est-ce que cette situation perdure. Alors que dans tous les autres pays des solutions ont été trouvées. Donc, moi, ces débats idéologiques, vraiment, deviennent insupportables. Ecoutez, place au pragmatisme ! Je crois que, vraiment, ces solutions sont totalement éprouvées dans tous les pays. Allons-y ! Foin !de rapports, foin ! de débats. Allons-y ! Allons-y ! Et mettons enfin en place un mécanisme que l'on appellera épargne retraite, qu'on appellera tout ce que vous voulez si jamais c'est un problème de mots. Mais la réalité, elle, est l'est là. La France vieillit et nous devons offrir à tous les salariés du secteur privé les moyens de compléter leur retraite par répartition. Parce que les régimes de retraite par répartition connaîtront des difficultés qu'on le dise, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas. Parce que les lois de la démographie sont ainsi faites. Donc voilà où nous en sommes. Et vous voyez bien que, quelque énervement répété éternellement, que, enfin, prenons des décisions parce que c'est fondamental pour les entreprises. C'est surtout fondamental pour les salariés.
HEDWIGE CHEVRILLON : N'est-il pas, de temps en temps, difficile d'être à la fois le président de la Fédération des assureurs et de temps en temps le numéro deux du MEDEF ? Vous changez de casquette. De temps en temps, les intérêts se rejoignent, mais de temps en temps, j'imagine que les intérêts divergent.
DENIS KESSLER : Les intérêts ne divergent pas. Pour une raison simple. C'est que je ne vois pas de contradiction dans ce qui pourrait être le développement des entreprises d'une part et le développement de l'assurance d'autre part. D'autre part, je sais très bien faire la part des choses et lorsque j'exerce mes responsabilités dans le cadre du MEDEF, je veux dire, ce qui me dicte, et tout le monde le sait, auprès d'Ernest-Antoine Seillière, c'est d'abord et avant tout la recherche de l'intérêt général des entreprises françaises, quelle que soit la taille, quel que soit le secteur d'activité, quelles que soient les formes de développement international ou pas. Donc, voilà ce qui m'anime je dirais. Moi, je ne sens pas de contradictions, en tout cas je ne vois pas les contradictions. J'ai l'impression que les membres du MEDEF ne les voient pas puisque me confient, aux côtés d'Ernest-Antoine Seillière, des responsabilités renouvelées. Et je pense que les assureurs ne le voient pas non plus puisque, à ma connaissance, ils souhaitent que je poursuive mon mandat. Donc, non, non, je ne vois absolument aucune contradiction. Non, je ne vois pas. Ce qui est bon pour les entreprises est bon pour l'assurance et réciproquement.
HEDWIGE CHEVRILLON : Et lorsqu'on parle de vous dans un article en lisant : " l'intello qui a changé le patronat "
GERARD BONOS : C'est l'article d'Airy Routier du NOUVEL OBSERVATEUR. Ca vous plaît comme titre ?
HEDWIGE CHEVRILLON : Est-ce que vous vous retrouvez là-dedans ? Dans ce titre d'intello ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, dans intello, il y a intel. Donc, intel inside. Donc, intel inside the patronat. Donc, voilà ce que j'ai cru comprendre. Il vaut mieux avoir un micro-processeur au sein du patronat qu'aucun micro-processeur. Donc, intel inside. Yes my dear. PIERRE ZAPALSKI : Puisqu'on est sur le terrain du MEDEF, la refondation du paritarisme, est-ce que c'est Les intitulés des commissions, est-ce que c'est des changements de mots ou un changement d'état d'esprit ? La refondation ?
DENIS KESSLER : La refondation, ce n'est pas la refondation du paritarisme. C'est la refondation sociale. Et donc, le paritarisme, c'est un moyen, c'est une forme d'organisation. L'Unedic, c'est une association et puis c'est un organisme. L'Arrco et l'Agirc sont des associations. Ce que nous avons proposé à nos partenaires syndicaux, c'est autre chose monsieur Zapalski. C'est quelque chose de beaucoup plus important qui est non pas de partir des institutions et éventuellement de la réforme des institutions en tant que telle, c'est de refaire ensemble de la politique sociale. C'est de résoudre le problème de l'insertion des jeunes dans les entreprises. C'est trouver, voir s'il est possible de trouver des nouvelles méthodes pour associer formation professionnelle, indemnisation du chômage et des nouveaux contrats de travail. On refait ça. On n'a pas parlé de l'Arrco et de l'Agirc. On dit : quelle politique vis-à-vis des salariés âgés ? Dans une population vieillissante. Et c'est des problèmes communs à l'ensemble des salariés et à l'ensemble des entreprises. Et donc, dans cette refondation sociale, si vous voulez, l'objet n'est pas le paritarisme qui est un problème de gestion, c'est un problème infiniment plus important qui consiste à re-réfléchir ensemble à des questions fondamentales qui, pour le moment, n'ont pas été traitées, à notre avis, de manière satisfaisante au cours des années passées. Et nous avons mis neuf thèmes, neuf thèmes de réflexion qui déboucheront éventuellement sur des négociations. Ces négociations, je l'espère, déboucheront sur des accords. Il y en a neuf. Et parmi celles-ci, il y a par exemple les voies et les moyens d'amélioration du dialogue social en France. On se plaint que dans les PME il n'y ait pas suffisamment de dialogue social. Ca, c'est un constat. Eh bien, nous, nous voulons passer du constat à autre chose : comment faire en sorte que dans les PME il y ait des interlocuteurs qui représentent les salariés et qui puissent développer le dialogue contractuel dans l'entreprise ? Comment faire en sorte que lorsqu'il y a un dialogue riche au niveau d'une branche, ce dialogue puisse se développer et être validé selon des procédures nouvelles ? Comment faire en sorte que lorsque les partenaires sociaux au niveau national ne voient pas leurs discussions en permanence perturbées par des interventions législatives et publiques ? Des tas de questions simples. Donc, il ne s'agit pas du paritarisme en tant que tel. Il s'agit de refaire ensemble un cadre nouveau, dans lequel se développeront la protection sociale et les relations du travail.
GERARD BONOS : Oui, mais monsieur Kessler, en mettant la barre à la fin de l'année ou sinon vous partez, est-ce qu'il n'y a pas une forme quand même de contrainte ? C'est un peu trop tôt quand même.
DENIS KESSLER : Monsieur Bonos, en combien de mois a été créée la Sécurité sociale en 1944 ?
GERARD BONOS : Je l'ignore.
DENIS KESSLER : Eh bien, voilà. Vous voyez. A ma connaissance, ça n'a pas commencé avant 1944 et ça a été déjà lancé en 1944. Donc, lorsqu'il y a une vraie volonté politique, lorsqu'il y a une détermination réelle, lorsqu'on a identifié les problèmes, lorsque l'on se retrousse les manches, je ne vois pas pourquoi il faudrait trois ans pour refaire ! Non, non, non ! Allons-y ! Allons-y !
GERARD BONOS : Non, mais s'il y a un début et même si ce n'est pas terminé le 31 décembre 2000, vous restez ?
DENIS KESSLER : Mais attendez, moi je suis sûr que l'on aura tout terminé le 31 décembre 2000. Je ne vois pas ce qui va nous empêcher d'avancer. Allons-y ! D'ailleurs, on a commencé puisque, comme vous le savez, il y a des réunions sur l'ensemble des sujets que l'on a considérés comme prioritaires et qui vont se dérouler dans les 15 jours qui viennent, dans les trois semaines qui viennent. Et que ça y est ! C'est parti ! Ils nous ont bien montré Il y a des choses importantes dans ces négociations. Première chose : on regarde beaucoup de problèmes en même temps. Et donc, on n'isole pas les problèmes, par exemple, d'indemnisation du chômage des problèmes de formation. Jusqu'à présent, on traitait séparément les problèmes. Mais non ! Il faut qu'on traite tous ces problèmes en même temps. Les relations du travail, les contrats de travail, la retraite, la formation, l'indemnisation du chômage et les problèmes des
GERARD BONOS : Le Smic, les CDI, les CDD
DENIS KESSLER : Oui ! Parce que le problème est global à résoudre. La refondation, elle n'est pas simplement d'institution à institution. C'est une nouvelle vision que l'on aimerait mettre en place. Et deuxième idée : nous avons effectivement décidé de ne pas avoir un document préalable, tout ficelé, dans lequel il s'agit simplement (inaudible). C'est le contraire d'un projet de loi monsieur Bonos. C'est le contraire. Il faut élaborer quelque chose. Et on le fait avec un acte de confiance formidable. Nous acceptons de le faire pleinement avec nos partenaires syndicaux. Il faut élaborer ensemble. Nous sommes d'accord sur les questions avec nos partenaires syndicaux. Maintenant, il va falloir qu'on élabore ensemble les réponses. Si on y parvient, je le maintiens, pour notre pays, c'est formidable. Pause publicitaire. DOMINIQUE MARIETTE : Par rapport à tout ce que vous venez de nous expliquer concernant les discussions avec les partenaires sociaux, est-ce que c'est vraiment finalement au MEDEF, je dirais, de devenir le fer de lance de la politique sociale en France ? Est-ce que c'est votre travail à vous ça, finalement ?
DENIS KESSLER : Vous croyez que l'on est complètement désintéressé du sort des 14,5 millions de salariés qui travaillent dans nos entreprises ? Vous pensez que nous sommes complètement indifférents à la façon dont ils vont partir en retraite et être pris en charge ? Vous pensez que lorsqu'ils sont malades, on s'en désintéresse ? Vous pensez que la formation professionnelle ça n'existe pas pour nous ? Et vous pensez que lorsque DOMINIQUE MARIETTE : C'était une question, pas une accusation
DENIS KESSLER : lorsque, malheureusement, ils n'ont pas de contrat de travail, on ne s'inquiète pas ? Non, attendez, soyons sérieux ! Historiquement, et ça a toujours été le cas, les employeurs ont toujours manifesté en France, et bien avant l'invention de la Sécurité sociale une formidable attention au développement et au sort de leurs salariés. Attendez ! D'ailleurs, dans toutes les théories économiques contemporaines, je pense à la théorie de la croissance endogène, on dit que l'élément essentiel de la croissance d'un pays, c'est d'abord et avant tout le capital humain. Il faut savoir en France que le capital humain, la valeur, représente 5 fois la valeur du capital physique et financier. DOMINIQUE MARIETTE : Ca veut dire quoi ?
DENIS KESSLER : Ca veut dire, grosso modo, que quand vous prenez la valeur actualisée de l'ensemble des salaires des salariés aujourd'hui présents, ça représente 5 fois le montant total de tout ce qui est capital physique et capital financier disponible pour les entreprises françaises.
GERARD BONOS : C'est-à-dire les machines, les immeubles
DENIS KESSLER : Oui, oui. Donc, le cur, le cur du cur de la croissance, et vraiment, tous les économistes ont convergé sur cette thèse-là, le cur du cur de la croissance, c'est d'abord et avant tout le capital humain. D'où notre souci principal. Je veux dire que nous accordons de l'importance, parce que l'on sait que c'est un facteur fondamental de la croissance. De la croissance. Et donc, je veux dire que notre intérêt est historique pour l'ensemble des dimensions concernant les ressources humaines. Et je veux dire que nous avons un engagement historique, je dis bien avant la Sécurité sociale, nous étions là. Pendant la Sécurité sociale, ça c'est appelé le paritarisme. Et là, nous réfléchissons à la façon moderne dont nous pouvons continuer d'assumer des responsabilités aux côtes des représentants des salariés pour pouvoir faire en sorte, effectivement, que les gens soient, et que chaque salarié, vous voyez il y a une petite novation, c'est que chaque, que chaque salarié puisse avoir droit à la formation professionnelle qui lui permette l'emploi, que chaque salarié puisse choisir son âge de départ à la retraite s'il le souhaite, tout ça c'est encore un peu révolutionnaire, ou que chaque salarié, par exemple, puisse, dans le cadre de son entreprise, pouvoir développer son activité et avoir accès, par exemple, à des formules d'intéressement ou de participation ou de stocks-options. Voilà. Donc, oui, notre intérêt légitime pour les salariés continuera, au contraire. Et nous recherchons les formes dans lesquelles notre intervention sera la plus efficace. PASCALE SANTI : Parmi les neuf thèmes de négociation que vous avez dressés, quels sont ceux qui aboutiront le plus vite à votre avis ?
DENIS KESSLER : Nous avons dressé une liste prioritaire. Il y a notamment deux ou trois sujets qui nous semblent fondamentaux, à nous, comme aux partenaires syndicaux. Il y a tout ce qui est insertion des jeunes dans l'entreprise et indemnisation du chômage. Le fonctionnement du marché du travail a beaucoup évolué au cours des années passées, notamment pour les jeunes générations. Et on voit bien qu'il y a une mauvaise articulation où le jeune passe d'un CDD à un intérim puis à un CDD, puis à un contrat indéterminé qui est interrompu et puis ensuite, éventuellement, il part faire son service militaire, revient, etc. Le système d'indemnisation du chômage n'a jamais bien couvert ce problème-là et la formation professionnelle est déconnectée de ce que je viens d'indiquer. Donc, on voit bien qu'il y a un problème, tout le monde le voit. Donc, l'insertion des jeunes générations dans les entreprises se fait mal à l'heure actuelle. Il faut le dire. Qu'est-ce qu'on va faire ? On va essayer de trouver, voilà, une solution cohérente ou des solutions cohérentes plus exactement, qui permettront aux jeunes générations de rejoindre l'entreprise en essayant de mélanger des réformes, sans doute des contrats de travail, des mécanismes de prise en charge lorsqu'il y a chômage et une meilleure intégration entre la formation par alternance, la formation par apprentissage, la formation professionnelle et l'emploi. Voilà notre programme. Il est absolument formidable, il est excitant et nous allons le faire avec les partenaires syndicaux. RENAUD BELLEVILLE : Vous avez été un des pères intellectuels de la CGC il y a quelques années. Dans le débat actuel sur le meilleur usage de la fameuse cagnotte fiscale entre diminuer la taxe d'habitation, diminuer l'impôt sur le revenu ou diminuer la CGC, qu'est-ce qui vous paraît à votre avis le plus efficace pour l'économie française ?
GERARD BONOS : Encore un sujet qui fâche, comme dirait Hedwige Chevrillon.
DENIS KESSLER : Mais non, mais non. Ecoutez, pendant des années, on parlait de déficit, maintenant on parle d'excédent. Enfin, bref
HEDWIGE CHEVRILLON : Enfin, le déficit reste toujours.
DENIS KESSLER : C'est ce que je voulais dire. C'est un excédent, c'est assez ubuesque. On parle de 30 milliards alors que le déficit est, grosso modo, 7 fois supérieur à ce petit excédent par rapport aux recettes attendues. L'essentiel de ces recettes vient des entreprises. Il faut le savoir. D'ailleurs, à ma connaissance, c'est l'IS. La représentation nationale, avec un taux de 2,7 % de croissance en 1999, il n'a pas changé celui-ci, avait sous-estimé les recettes venant des entreprises. Donc, cette cagnotte a été constituée par un surcroît de prélèvements, par rapport à ce que la représentation nationale avait voté, sur les entreprises. Je dis bien : les 30 milliards appartiennent aux entreprises, par rapport à tout ce qu'elles ont payé
HEDWIGE CHEVRILLON : Et l'impôt sur le revenu aussi.
DENIS KESSLER : L'essentiel des 30 milliards Non, parce que Je n'ai pas tous les chiffres, j'aimerais savoir d'ailleurs le surcroît de recettes au titre des autres prélèvements que la TVA, l'impôt sur le revenu. Mais je dis bien, les 30 milliards L'excès, simplement, d'IS, ça aboutit à 30 milliards. Bref, donc il y a 30 milliards d'excédents. Qu'est-ce que nous disons à l'heure actuelle ? Nous disons qu'il y a un impératif en France, c'est la réduction des dépenses publiques. Sans réduction des dépenses publiques, ce n'est pas la peine de continuer à croire que l'on a un vrai débat de finances publiques. La réduction des dépenses publiques, c'est fondamental. Deux, l'éradication du déficit public. Nous sommes une des démocraties où le déficit public est le plus important à l'heure actuelle. Nettement supérieur à celui qui peut exister. Plein de pays européens ont des excédents budgétaires à l'heure actuelle. C'est le cas de la Hollande, c'est le cas du Royaume-Uni, c'est le cas de l'Irlande, c'est le cas du Luxembourg plein de pays à l'heure actuelle ont des excédents budgétaires. Sans parler des excédents budgétaires au Canada ou aux Etats-Unis. Nous sommes en retard dans l'assainissement des finances publiques. Et donc, nous disons la chose suivante : par priorité, réduction des dépenses. Par priorité, un programme contraignant, volontaire d'éradication du déficit, d'éradication des déficits, puisque c'est le plus beau cadeau que nous pouvons faire aux générations futures. Et ce n'est pas la peine d'aller discuter de la redistribution de ces 30 milliards. S'il y a une affectation prioritaire à l'heure actuelle, soit vous le rendez aux entreprises pour entretenir la croissance, soit vous réduisez le déficit public parce qu'il est nécessaire de parvenir à un budget zéro, voire même un budget excédentaire d'ici l'an 2003. C'est une priorité absolue ! Et je dis bien : ça, c'est bon pour les générations futures. Nous savons qu'il y aura des problèmes de retraite. La meilleure manière de préparer les problèmes de retraite de demain, c'est déjà de ne pas laisser la dette publique aux générations futures qui auront déjà à acquitter les problèmes de retraite. Donc, voilà notre idée. Elle est extrêmement simple. Et je souhaite sérieusement que la " cagnotte fiscale " ne soit pas redistribuée et dépensée comme ça. Il faut absolument l'utiliser à bon escient.
HEDWIGE CHEVRILLON : Donc vous plébiscitez la décision de Lionel Jospin d'affecter complètement cette cagnotte à la réduction du déficit ?
DENIS KESSLER : Si, effectivement, la totalité de cette cagnotte est affectée à la réduction du déficit, je trouve que cela va dans le bon sens. Si on pouvait assortir ça d'un programme volontaire de réduction de la dépense publique pour éradiquer le déficit - il reste quand même, même après la cagnotte, aux alentours de 200 milliards de francs à trouver -, alors, là, vraiment, j'applaudirais et je suis tout prêt à applaudir. Donc, vivement, vivement la réforme de l'Etat ! Vivement, vivement que l'Etat se recentre sur ses missions essentielles qui consistent, effectivement, à faire la justice, à assurer la sécurité , à faire en sorte de soutenir la recherche, de développer l'éducation, bref, se recentre sur ses missions essentielles, se désengage des missions qui ne sont pas les siennes et après, dans un second temps, on parlera de réforme fiscale, etc. Mais s'il n'y a pas cette réforme de l'Etat et la baisse des dépenses publiques, je ne vois pas comment nous allons pouvoir avoir un taux de croissance durablement élevé et équivalent à celui des autres démocraties qui ont déjà fait cette réforme fiscale.
RENAUD BELLEVILLE : Pour réduire la dette de l'Etat qui est une des principales causes du déficit, est-ce qu'il ne faudrait pas accélérer le programme de cession d'un certain nombre d'actifs d'entreprises publiques qui, aujourd'hui, ont une très forte valeur et qui n'ont pas grand-chose à faire, je pense à France Télécom ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, je vais quand même donner un chiffre. De 1996 à 1999, la dette publique a augmenté de 800 milliards de francs ! 800 milliards de francs ! Au cours de ces trois dernières années, 800 milliards de francs de dette publique supplémentaire ! Alors, qu'on dise après : tiens, il y a 30 milliards Attendez, il faut arrêter cette machine folle à accumuler de la dette publique, on va tangenter les 5 000 milliards, qui sont une charge qui va peser sur tous nos enfants demain, après-demain, après-après-demain. Donc, commençons déjà à arrêter cette machine à faire de la dépense publique. Maintenant, comment faire ? Vous me parlez Oui, ce que je constate, si vous voulez, c'est qu'on est en retard en France sur le cycle des privatisations puisque l'on n'a toujours pas privatisé tout ce qui pouvait relever du secteur concurrentiel. Et j'ajoute que dans de nombreux pays, on est allé au-delà et dans lesquels on a fait, effectivement, des cessions d'actifs de domaines qui ne sont pas directement du secteur concurrentiel. Nous avons été tard à privatiser, tout le monde le sait. Il reste encore des choses à faire, allons-y. Et puis, dans un second temps, je crois qu'il faudra réfléchir à des formes d'organisations nouvelles qui permettraient, au-delà du secteur productif concurrentiel, de voir si une gestion privée n'est pas supérieure pour le contribuable à la gestion publique.
GERARD BONOS : Denis Kessler, on arrive à la fin de cette émission. Après votre Assemblée générale réussie au début de l'année et puis la façon dont vous avez " repris " l'offensive, on a entendu dire que, à la limite, la véritable opposition au gouvernement, elle n'était pas politique, mais elle était au MEDEF. Alors, est-ce que vous avez le sentiment que vous faites le boulot de l'opposition politique aujourd'hui ?
DENIS KESSLER : Certainement pas ! Nous sommes totalement non-partisans. On n'a pas d'intentions politiques ! Mon rêve n'est pas de devenir chef du bureau, du bureau B 12, de je ne sais pas quel ministère. Je veux dire, notre problème n'est pas le pouvoir d'Etat. Notre problème, c'est d'assurer un environnement et de demander à toutes les forces politiques, quelles qu'elles soient, de gauche, de droite, quelle que soit la couleur, d'assurer un environnement favorable au développement des entreprises françaises. Et on souhaite surtout que, quelles que soient les forces politiques, elles ne s'intéressent plus aux entreprises. Elles peuvent d'abord traiter d'innombrables sujets, comme par exemple la sécurité dans les cours d'écoles que j'évoquais tout-à-l'heure. Que les forces politiques se concentrent sur les problèmes de l'Etat, la réforme de l'Etat, on l'a dit, la réforme budgétaire, la réforme de la justice, l'éducation, la recherche, etc et que, progressivement, nous devenions une démocratie mature. Dans une démocratie mature, l'entreprise n'est plus un objet, n'est plus un objet politique, c'est-à-dire qu'on ne fait pas de la politique sur le dos des entreprises. Donc, vous voyez, contrairement à ce que l'on dit, nous ne sommes certainement pas une force de l'opposition. Nos messages s'adressent à la collectivité nationale tout entière, à toutes les forces politiques. Et nous souhaitons simplement une chose : faites-nous un environnement favorable à la croissance. Nous assurons la croissance, nous assurons les emplois, nous assurons la richesse de ce pays.
GERARD BONOS : Denis Kessler, merci.
"MOTS CROISES" sur France 2 - Lundi 21 février 2000
Thème de l'émission : les retraites
Extraits
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DENIS KESSLER : Il y a un an, un rapport extrêmement important, demandé par le Premier ministre, qui s'appelle le rapport Charpin....
ALAIN DUHAMEL : ... Oui, le rapport du commissaire au Plan...
DENIS KESSLER : ... C'est un économiste, il a regardé l'ensemble des prévisions démographiques, des prévisions économiques et il a conclu que, quel que soit le scénario de taux de croissance, quel que soit le retour à une fécondité élevé, quelle que soit la résorption du taux de chômage, évidement souhaitable, quelles que soient les hypothèses sur l'immigration, monsieur Charpin concluait qu'à l'horizon 2020 ou 2040, le système français de retraite allait connaître des déficits abyssaux, se chiffrant en centaines de milliards de francs. Je fais mien le diagnostic de monsieur Charpin qui est étayé par des études actuarielles, démographiques, sérieuses. Six mois plus tard, on nous propose un rapport, le rapport Teulade, et qui, tout d'un coup, nous dit qu'il n'y a pas de problèmes. Je cite ce rapport : " il faudrait un taux de croissance de 3,5 % par an d'ici 2040 pour stabiliser le poids des retraites dans le PIB à son niveau actuel, sans recul de l'âge médian de cessation d'activité ", sans toucher donc aux âges de retraite, "et avec une indexation des retraites en plus sur les salaires". Eh bien, ce raisonnement...
RENE TEULADE :... Lisez la suite, lisez la suite, si vous êtes honnête.
DENIS KESSLER : " La baisse du taux de chômage diminuerait les dépenses en faveur des chômeurs "... Je dis la chose suivante : les hypothèses du rapport de monsieur Teulade sont des hypothèses irréalistes. Irréalistes ! Le raisonnement qui est tenu dans ce rapport est un raisonnement erroné - quantité des faits, nous avons fait faire des chiffrages, ne sont pas pris en compte et viennent invalider - ,et le résultat, c'est le pire, est trompeur. C'est-à-dire de laisser croire aux Français qu'à l'heure actuelle il n'y a plus de problèmes de retraite, par un retour à la croissance de 3,5 %, que nous n'avons pas à ce jour, et qui durerait 40 ans, ceci est faux. Et donc, il faut dire aux Français que, oui, il y a un problème de retraites. Ca a été authentifié par tous les rapports successifs. Et j'ajoute, j'ajoute que tous les pays européens, ce n'est pas un problème franco-français, tous les pays européens, tout les pays développés ont le même problème et ils ont tous agi. La France est le dernier pays à ne pas avoir agi suffisamment. Le temps est venu de le faire.
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ALAIN DUHAMEL : Denis Kessler, qu'est-ce qui se passe si on applique la théorie de Marc Blondel, selon vous ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, il faut partir toujours des chiffres...
ARLETTE CHABOT : ... Mais comme il n'est pas d'accord sur les chiffres, c'est quand même assez compliqué de vous suivre les uns et les autres. Ce n'est pas une critique, mais ...
DENIS KESSLER :... Ecoutez, les chiffres sont certains. Pour le secteur privé, non agricole, c'est-à-dire les entreprises du secteur privé, nous avons...
ALAIN DUHAMEL :... Celui dont on parle, celui dont on parle...
DENIS KESSLER :... Nous avons à l'heure actuelle une situation où il y a, grosso modo, 15 millions de cotisants, 15 millions de cotisants qui sont à l'heure actuelle actifs, et de l'autre côté, il y a à peu près 8,5 millions de retraités. Que ce soit l'évolution démographique retenue dans le cadre du rapport Teulade ou dans celle de monsieur Charpin, on arrive toujours à peu près au même résultat : en 2040, il y aura toujours aux alentours de 15 millions de cotisants, mais le nombre de retraités qui est à l'heure actuelle de 8,5 millions, passe, grosso modo, à 16 millions.
ALAIN DUHAMEL : Donc ?
DENIS KESSLER : Donc, vous avez une multiplication par deux du nombre de retraités, toutes choses égales d'ailleurs, sans toucher à l'âge de la retraite, alors que le nombre de cotisants est constant.
ALAIN DUHAMEL : Alors, qu'est-ce que vous faites ?
DENIS KESSLER : Comment peut-on imaginer que ce choc puisse être absorbé sans dégâts ? Qu'est-ce qu'il faut faire ? Il y a une variable fondamentale : il ne faut pas augmenter la ponction sur les jeunes générations. Pour deux raisons...
ARLETTE CHABOT : ... C'est-à-dire qu'il ne faut pas relever les cotisations, c'est ça ?
DENIS KESSLER : Je ne parle que pour le secteur privé. Dans le secteur privé, à l'heure actuelle, un actif consacre trois mois de son salaire brut uniquement à des cotisations retraite. C'est-à-dire janvier, février, mars, tout est prélevé sur son salaire pour être redistribué aux retraités. Nous disons que, aller au-delà, alors qu'il y a d'autres ponctions pour la maladie, pour le chômage, pour l'Etat, pour les collectivités locales qui viennent amputer le reste de son salaire, nous disons que aller au-delà de 3 mois, c'est-à-dire 25 % de son salaire brut, trois mois de production prélevés sur le salarié, serait à la fois inéquitable et inefficace. Inéquitable parce que je ne vois pas pourquoi priver - et là, je me fais le défenseur du pouvoir d'achat des salariés - je ne vois pas pourquoi priver les salariés du pouvoir d'achat qu'ils génèrent et des gains de productivité qu'ils génèrent. Deuxième idée : je pense que ça serait parfaitement inefficace, dans la mesure où désormais, nous sommes dans une zone euro, ouverte et qu'un renchérissement du coût du travail à ce niveau-là serait, là, destructeur d'emplois, donc poserait des problèmes de retraite. Voilà la raison pour laquelle nous souhaitons une augmentation des durées de cotisation et la libéralisation du passage à la retraite. Nous avons considéré, pour notre part, que la réforme de 1993 menée par le gouvernement de monsieur Balladur, est une excellente réforme parce qu'elle était progressive, parce qu'elle a permis de préparer l'avenir. Il faut la prolonger. Et nous proposons de porter à 170 trimestres d'ici l'an 2015, toujours de manière progressive, le relèvement du nombre de trimestres de cotisation pour avoir une retraite pleine et, au-delà sans doute, aller jusqu'à 180 trimestres. Oui. Voilà ce que nous proposons et qui me semble la voie pour préparer l'avenir.
ARLETTE CHABOT : Monsieur Kessler, petite précision, quand même. Il y a beaucoup de gens qui n'ont pas compris encore que l'on ne cotise pas pour sa propre retraite. Nos cotisations payent la retraite de ceux qui sont à la retraite.
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ARLETTE CHABOT : Alors, le fonds de réserve. On va demander à Denis Kessler comment il le voit.
DENIS KESSLER : Je reviens... La définition de la répartition a été donnée plusieurs fois. C'est vrai qu'il faut le dire et le répéter aux Français. La bonne définition pour moi, c'est qu'on paye ce qu'on doit et qu'on reçoit ce qu'on peut. Parce que l'on verse à un moment ses cotisations, elles sont immédiatement redistribuées aux retraités, on acquiert une espèce de créance sur les générations futures, et 20 ans plus tard, on espère que les générations futures accepteront de verser les cotisations. C'est comme ça que ça marche, avec l'incertitude sur le niveau de production, le nombre de cotisants et autres. Donc, sur le fonds de réserve, moi, c'est un débat qui m'amuse. Qui m'amuse. Parce que, au cours des trois dernières années, simplement des trois dernières années, la dette publique française a augmenté de 600 milliards de francs. 600 milliards de francs ! Et de mettre 20 milliards de côté, alors que par ailleurs, on a reporté sur les générations futures 600 milliards de dettes supplémentaires, c'est-à-dire les impôts de demain, ça montre bien que ceci n'est pas cohérent. Une vraie politique de préparation de l'avenir passerait aujourd'hui par une politique stricte de suppression du déficit public. Et plein de démocraties l'ont fait. La Hollande vient de voter un budget en excédent. C'est la meilleure garantie, c'est de promettre aux générations de demain qu'elles n'auront pas non seulement à payer des cotisations de retraite importantes, mais en plus à payer des impôts. Commençons par des choses simples : assainissons les finances publiques françaises, supprimons la dette publique, et à partir de ce moment-là, on pourra commencer à discuter de réserve.
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A propos du secteur public
DENIS KESSLER : Ecoutez, la situation... C'est bizarre comment des gens, qui ont sans arrêt le mot justice à la bouche, ne l'ont plus lorsqu'il s'agit d'analyser une situation qui est celle de la comparaison entre les retraites du secteur privé et les retraites du secteur public. C'est incroyable ! Le rapport Charpin, déjà cité, montre que la moitié du déficit en 2020 et la moitié du déficit en 2040, c'est le secteur public. Alors même qu'il n'y a qu'un salarié du secteur public pour trois salariés du secteur privé. La source du déséquilibre majeur dans le régime des retraites français vient du secteur public, fonction publique et entreprises publiques. On regarde la situation actuelle. Mais c'est indécent ! Les partenaires sociaux ont fait preuve de responsabilité en adaptant l'Arcco et l'Agirc et le régime général. En ce qui concerne le secteur public, un, les durées de cotisation sont plus courtes. Deux, les taux de cotisation des salariés du secteur public et des fonctionnaires sont plus bas. Trois, les modalités de calcul, c'est le dernier salaire d'activité, c'est les 6 derniers mois d'activité, c'est les 25 meilleures années dans le secteur privé. Je continue. Quatre, la retraite est plus importante : 3 000 francs de différence en moyenne, derniers chiffres Insee. Cinq, les revalorisations se font en fonction de l'évolution du pouvoir d'achat chez les fonctionnaires, alors que ça se fait en fonction des prix dans le secteur privé. Et enfin, six, la durée de retraite est supérieure pour les salariés du secteur public par rapport aux salariés du secteur privé. Alors, principe de justice. Qui paye tout ceci ? C'est payé non pas par les salariés du secteur public, c'est payé par le contribuable qui abonde le budget de l'Etat qui permet de faire la compensation à l'ensemble des entreprises publiques plus de financer l'ensemble de ces avantages. La justice nous dit la choses suivante : à revenu égal, il faut des cotisations égales et des prestations égales de pensions égales que l'on soit un salarié du secteur public ou un salarié du secteur privé. Parce que demain, les salariés du secteur privé, ce serait injuste de repousser sur les salariés du secteur privé comme contribuables le poids de l'absence de décisions pour le secteur public.
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DENIS KESSLER : Ecoutez, c'est la troisième fois que je vais faire référence au principe de justice. On a cité tout-à-l'heure la différence entre les salariés du secteur public et les salariés du secteur privé. Non seulement il y a tous les avantages que j'indiquais mais, en plus, les salariés du secteur public, notamment les fonctionnaires d'Etat et ex-fonctionnaires d'Etat ont accès à un régime qui s'appelle la Préfon... (altercation avec Marc Blondel qui affirme que seuls 220 000 fonctionnaires sur 4 millions ont accès à ce dispositif). Tous les fonctionnaires et ex-fonctionnaires qui l'ont été, ont accès à ce dispositif qui ouvre droit à une possibilité de déduction fiscale pour un versement fait à un régime par capitalisation intégrale qui s'appelle la Préfon. Jusqu'à 17 000 francs par an, hors impôt, on met l'argent dans ce fonds. Ce fonds débouche uniquement sur une rente dans ce système. Ca débouche uniquement sur une rente, ce n'est pas de l'épargne, c'est bien la rente viagère qui vient compléter la retraite des fonctionnaires. Alors, je vais être très simple : ouvrons aux salariés du secteur privé exactement la même chose. On va rétablir de nouvelles justices. Je ne vois pas pourquoi s'il existe un système Préfon pour les salariés du secteur public, on dénie actuellement la possibilité aux salariés du secteur privé de compléter leur retraite en ayant accès à un dispositif où il y ait déduction fiscale et complément de revenu au moment de la retraite. Alors, monsieur Blondel, vous m'avez traité de malhonnête. Est-ce que ceci existe dans les termes où je l'ai indiqué ?
Nouvelle altercation avec Marc Blondel
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DENIS KESSLER : En tant que représentant des entreprises, je ne vais pas laisser dire monsieur Sapin, c'est un point fondamental, que les employeurs ne souhaitent pas que le système par répartition de retraite perdure. Bien au contraire. Nous avons pris des décisions importantes au cours des années 1990, j'ai indiqué tout-à-l'heure que nous étions prêts à prendre de nouvelles mesures de façon à garantir la retraite des salariés français. Et c'est la raison pour laquelle, je l'ai dit tout-à-l'heure, un salarié français consacre 25 % de son salaire brut aux retraites par répartition. Jamais un représentant du MEDEF ou des entreprises dira qu'il faut baisser ce taux. Plus les salaires augmentent, plus la masse qui sera versée aux retraités augmentera. Et ça, nous le disons. Donc, qu'il n'y ait pas d'ambiguïté et pas de procès d'intention. Je le dis à l'ensemble des salariés du secteur privé qui nous écoutent ce soir : sachez que, en ce qui nous concerne, nous allons garantir les retraites dans la masse et dans le volume que j'ai indiqué. Nous ne voulons pas revenir en arrière. Nous disons simplement que demain, il y aura des besoins à satisfaire, tout simplement parce qu'il y aura moins d'enfants et davantage de retraités. Nous disons simplement qu'il faut aider les ménages qui le désirent à pouvoir transférer du pouvoir d'achat d'aujourd'hui à demain. C'est un principe de précaution, c'est un principe de bonne gestion, c'est un principe vraiment très simple. D'ailleurs, enfin, les Français le comprennent...
MICHEL SAPIN :... Mais ils le font déjà...
DENIS KESSLER :... Oui, mais ils le font dans des conditions fiscales, monsieur Sapin... Ils ne le font pas dans des conditions fiscales qui soient favorables. Et c'est la raison pour laquelle je demandais tout-à-l'heure, et je le répète, il faut simplement mettre un cadre simple dans lequel les Français qui souhaitent faire cet effort pour compléter les retraites le fassent dans des bonnes conditions fiscales et sociales, point. Eh bien, il existe un système, dupliquons-le, aménageons-le, mais faisons-le ! Tous les autres pays l'ont fait. Ce sera bon pour les salariés, ce sera excellent pour les entreprises. Parce que pouvoir générer durablement une épargne abondante en France, ça permettra simplement de faire que la richesse produite par les entreprises françaises bénéficie aux salariés français. A l'heure actuelle, la richesse produite par les entreprises et l'amélioration des cours de Bourse et de la valorisation des entreprises bénéficient aux salariés, oui, mais aux salariés des autres pays. Moi, ce que je demande, je demande que les salariés français bénéficient de la richesse des entreprises.
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ALAIN DUHAMEL : Denis Kessler, pour vivre, comme le dit Marc Blondel, le plus longtemps, mais aussi le plus dignement possible ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, c'est simple, à l'heure actuelle, quelqu'un qui a 60 ans, il lui reste 27 ans à vivre en espérance de vie, bien entendu. C'est inédit dans l'humanité, on entre dans une société à quatre générations présentes, on n'en avait eu que trois, maintenant il y en a quatre qui vont apparaître. C'est inédit, on n'a jamais eu ça dans l'histoire de l'humanité, on ne sait pas les équilibres, on ne sait pas comment ceci va marcher, et je pense qu'il y a effectivement un travail formidable à l'heure actuelle, pour essayer de se demander comment on va pouvoir gérer ces quatre générations, sans qu'aucune des générations se sente lésée par les autres. Et ça, c'est la première partie, notamment recréer vraiment les conditions d'une réinsertion des personnes âgées dans la vie de la cité, les maintenir éventuellement à tiers-temps ou à mi-temps dans le poste de travail, leur permettre de reprendre une activité s'ils l'ont quitté auparavant. Bref, quantité d'innovations et je pense que c'est ça l'avenir.
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(source http://www.medef.fr, le 22 février 2000)