Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à Europe 1 le 15 octobre 2003, sur les propositions d'amendement de l'UDF concernant le budget 2004.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Un mot sur l'affaire Chanal...
- "Je pense aux victimes, aux garçons qui ne reviendront plus, qui ont disparu depuis si longtemps, et à leurs familles. Tout cela est un drame."
La politique, c'est aussi important, avec des drames, des hauts et des bas. Il y a le débat sur le Budget à l'Assemblée. Cet après-midi, c'est vous qui intervenez au nom de l'UDF, c'est le chef UDF qui parle ; c'est probablement un test. Est-ce que vous allez donner un coup de pouce à J.-P. Raffarin qui a prévenu que la politique économique et budgétaire ne pouvait pas se faire avec des amendements ? Qu'allez-vous faire ? Allez-vous voter ce Budget ? Quelle est la position du patron de l'UDF ?
- "J'ai trois problèmes avec ce budget, qui ne comporte pas que des mauvaises choses ; il y a des choses bonnes et je le dirai, mais j'ai trois problèmes principaux. Le premier, c'est l'augmentation de la dette, et la dette, c'est ce qui va plomber les années qui viennent ; tous ceux qui travailleront, des plus jeunes aux moins jeunes dans les années qui viennent, vont être plombés par la dette. La dette, c'est près de 5 000 francs par mois qu'on prend à chaque famille française. Imaginez ce que serait la situation de ceux qui nous écoutent, s'ils avaient ces 5 000 francs. Deuxièmement, j'ai un problème parce qu'on ne peut pas faire semblant de baisser les impôts d'un côté et augmenter le gazole de l'autre. Le gazole, c'est les familles qui travaillent qui le paient, et très souvent les plus modestes. Et puis troisièmement, j'ai un problème parce qu'on ne peut pas financer tout cela en supprimant les allocations de fin de droits des chômeurs, c'est-à-dire des plus fragiles qu'on va mettre au RMI, entre 150 et 300 000."
Pour vous plaire, quel amendement le Gouvernement doit-il accepter ou devrait-il accepter ?
- "Nous allons proposer deux amendements principaux. Le premier, c'est qu'on renonce à la hausse du gazole et qu'on l'équilibre par une moindre diminution de l'impôt. Et le deuxième, c'est qu'on rétablisse les allocations de fin de droits des chômeurs. Ces amendements représentent 0,2 % du Budget. Si un Parlement - les 577 députés - ne peut pas changer 0,2 % du Budget, modifier une virgule de texte, à quoi sert l'Assemblée nationale ?"
Si on ne prend pas en compte les demandes de l'UDF, est-ce que F. Bayrou donnera mandat aux siens de voter contre le Budget ?
- "Contre le Budget, non. Mais comprenez bien que mon vote ne peut pas être le même selon qu'on prend en compte les amendements ou qu'on ne les prend pas en compte. Pour avoir le vote de l'UDF, il faut que le Gouvernement accepte que des amendements de l'Assemblée nationale puissent être pris sur le texte et non pas qu'ils s'enferment dans une logique prédéterminée. Et naturellement, cela se traduira dans les votes."
Le centriste ne va pas jusqu'au "non" mais ce serait l'abstention ?
- "Le "non", c'est l'opposition, c'est entrer dans l'opposition. Mais en effet, je ne voterai pas le Budget si aucun amendement n'est pris."
Donc abstention... Mais est-ce que l'abstention, ce n'est pas le début de l'acte de défiance à l'égard du Gouvernement et de la majorité ?
- "Je sais bien qu'on dit toujours cela, mais si la voix des Français n'est jamais entendue, si la voix de ceux qui ont des remarques à faire n'est jamais entendue, si le Gouvernement, comme le précédent, s'enferme dans une tour d'ivoire en disant "je ne veux voir qu'une seule tête et rien qui dépasse", il faut des gestes pour lui montrer que cette voie n'a pas d'issue. Et je serai le porte-parole de cette inquiétude des Français sur les sujets que je viens d'évoquer et dont je suis sûr que tous les Français partagent."
Pourquoi ne le dites-vous pas à J.-P. Raffarin dans son bureau ou au président de la République à l'Elysée ?
- "Je l'ai dit à J.-P. Raffarin dans son bureau, je le dirai à la tribune de l'Assemblée nationale. Si l'on veut que nos institutions aient du sens, il faut qu'on puisse prendre en compte leur avis. Ce que je dis - vous l'avez lu ce matin -, il y a 90 % des députés UMP qui le pensent."
A l'égard du président de la République, dont vous déploriez récemment l'absence, à l'égard du Premier ministre, quelle différence faites-vous aujourd'hui entre F. Hollande, L. Fabius, L. Jospin et F. Bayrou ?
- "Ce que veulent les dirigeants socialistes, c'est l'échec du Gouvernement ; ce que je voudrais, moi, c'est que la politique nouvelle commencée en 2002 réussisse. C'est une différence considérable."
C'est la grande nouvelle qui va rassurer J.-P. Raffarin !
- "C'est une différence considérable..."
Vous avez écrit au Premier ministre pour lui demander de stopper un projet de fondation consacrée à l'innovation politique. C'est une fondation à l'américaine pour intellectuels, où est le mal ?
- "C'est un autre sujet et il est très grave : on ne peut pas laisser l'argent des entreprises, des affaires revenir dans la politique en France."
Pourquoi, ce serait le cas ?
- "Il existe en effet des projets dans lesquels on financerait des fondations politiques liées à des partis par l'argent des entreprises et des affaires. Ceci signifierait un recul en arrière considérable. Or cela ne peut se faire sans la signature du Gouvernement. J'ai donc écrit au Premier ministre pour lui dire que l'idée que nous nous faisons de la démocratie française ne peut pas nous autoriser à revenir à ces pratiques. Car, je sais - et vous savez aussi -, ce que cela veut dire : quand on demande de l'argent aux entreprises, il y a naturellement, un jour ou l'autre, un geste en échange, un peu avant ou un peu après. Nous avons mis des années à le bannir de la politique française ; nous nous sommes battus, pour quelques-uns - j'en suis -, durement pour que cette séparation ait lieu définitivement. Je n'accepterai pas que l'on revienne en arrière à ce sujet. Je me battrai de toutes mes forces pour empêcher que, de nouveau, l'argent des entreprises reviennent dans la vie politique."
Mais c'est une fondation intellectuelle, lancée par A. Juppé, J. Monod et leurs proches !
- "Les noms que vous venez de citer sont des noms du monde intellectuel !?"
Au prochain sommet européen, vendredi, G. Schröder va être absent et il a demandé au "Kanzler J. Chirac de parler für Deutschland" ; est-ce que c'est bien ? Chirac, chancelier allemand et peut-être, un jour, Schröder, président français... Est-ce que ce n'est pas un exemple pour l'Europe ?
- "Aujourd'hui, la Chine vient d'envoyer un vaisseau spatial avec un cosmonaute dans l'espace. C'est un événement très important. Cela veut dire qu'une nouvelle grande puissance mondiale est en cours d'apparition. Et l'Europe, quand est-ce que l'on en fait une puissance ? Tout ce qui va dans le sens de l'affirmation européenne, je le soutiens. Permettez-moi un mot : l'Europe, ce ne peut pas être que la France et l'Allemagne. Donc, l'idée qu'on résumerait l'Europe à la France et l'Allemagne me paraît un peu insuffisante en face de très grands enjeux..."
(Source http://www.udf.org, le 16 octobre 2003)