Texte intégral
La Libre Belgique :
Michèle Alliot-Marie, où en est le projet de défense européenne présenté par quatre pays, dont la France, le 29 avril à Bruxelles ?
Michèle Alliot-Marie :
L'Europe de la Défense existe. La preuve, c'est sa présence sur le terrain. À Skopje, c'est l'Union européenne qui a pris la relève de l'Otan. Au Congo, c'est elle aussi qui d'une façon totalement autonome cette fois, a mené une opération difficile avec succès. Ceci nous conduit à vouloir mieux organiser cette Europe de la Défense. C'est dans cette perspective qu'il faut situer la proposition du 29 avril. Le but est de donner à l'Europe, lorsqu'elle agit seule, les moyens de mener à bien la mission qui lui a été confiée. Il y a un besoin minimum de planification et un besoin de commandement. Mais il ne s'agit pas d'avoir une structure lourde comme celle de l'Otan. L'Europe doit aussi se renforcer dans ses capacités, notamment en s'appuyant sur une politique et sur une industrie européennes de l'armement.
La Libre Belgique : Vous travaillez dans le contexte de l'Otan ?
Michèle Alliot-Marie : Cette initiative du 29 avril est conduite dans un contexte européen avec, à l'origine quatre pays, mais il ne s'agit pas d'un groupe fermé : d'autres - les Grecs, les Espagnols, les Italiens et les Britanniques aussi - ont manifesté leur intérêt.
Jusqu'à quel point peut-on aller dans la défense européenne sans vexer les Américains ?
Il faut que les Américains comprennent - je l'ai dit à Donald Rumsfeld - que pour nous, l'Europe de la Défense est complémentaire à l'Alliance. Elle ne se fera contre l'Otan. Au contraire, elle confortera l'Otan. Les administrations américaines successives, et même Donald Rumsfeld à plusieurs reprises, ont incité les Européens à assumer leur propre défense. Il serait donc malvenu de venir nous reprocher aujourd'hui de faire ce à quoi ils nous ont encouragés pendant des années !
Est-ce que cela passe par la création d'un QG européen ?
Il n'est pas question de faire un QG de 300 personnes. En revanche, que l'on ait une cellule légère de 30 ou 40 personnes, cela paraît adapté au besoins.
Où en sont les négociations ?
Ce qui était important, après la première période de crispation, c'était de remettre tout le monde autour de la table. C'est fait depuis Berlin. Maintenant, nous travaillons ensemble. Si tous ne veulent pas s'engager, ceux qui auront envie le feront dans un esprit ouvert.
Le président Chirac juge difficile de faire une Europe de la Défense sans les Britanniques
Il est évident que si on veut avoir une défense européenne forte, il faut que les pays qui font des efforts de dépense importants y soient. Mais il faut aussi associer les autres pays qui ont des préoccupations de défense même s'ils n'ont pas tous les moyens nécessaires. Saint-Malo, c'était une avancée, et nous l'avons renouvelé au Touquet. Mais il est évident que nous travaillons aussi avec l'Allemagne, avec la Belgique, l'Italie et l'Espagne.
Jusqu'où va l'engagement européen de la France en matière de défense ? Par exemple, que pensez-vous de la suggestion de Laurent Fabius de créer une armée franco-allemande ?
Cela, c'est un mot d'homme politique dans une émission télévisée ! La question ne se pose pas aujourd'hui. Il y a la brigade franco-allemande, qui constitue une expérience intéressante, elle constitue ce noyau de corps européen que nous souhaitons élargir. Il n'est pas question d'aller plus loin et de fusionner nos deux armées.
Peut-on faire une Europe de la Défense sans décision emblématique, qui frappe l'opinion ?
La présence européenne en Macédoine ou au Congo était emblématique.
Si la France renonçait à construire un porte-avions franco-britannique, ne contredirait-elle pas ses propres discours en faveur de la défense européenne ?
Ce ne serait pas forcement incohérent : cela dépendra du mode de propulsion retenu (Ndlr : nucléaire ou classique) et des spécifications du groupe aéro-naval. Mais c'est vrai qu'avoir un même modèle de porte-avions serait un geste symbolique pour l'Europe.
Le budget de la Défense (41 milliards d'euros) est un des rares à progresser en France, alors que tous les budgets sociaux sont en chute libre. Cela ne vous donne pas mauvaise conscience ?
Je n'ai pas mauvaise conscience. Sous le gouvernement socialiste, le budget de la Défense a été considérablement amputé. Quand j'ai pris mes fonctions, 50 % des avions et des hélicoptères français étaient cloués au sol faute de crédits d'entretien. Il nous faudra trois ans pour rattraper ce retard. Ce budget n'est donc pas un luxe.
Il l'est d'autant moins que nous devons avoir les moyens d'agir pour répondre à la fois à notre mission de protection de nos concitoyens et aux exigences liées à notre statut de puissance nucléaire et de membre permanent du Conseil de sécurité. Or, quand il s'agit de défense nationale, il s'agit de moyens sur la durée : il faut dix ans pour construire un porte-avions. On ne peut donc interrompre l'effort en fonction des variations de la conjoncture.
Au lieu de dépenser toujours plus, ne faut-il pas surtout dépenser mieux ?
C'est ce que nous faisons : de nombreux programmes de rationalisation ont été lancé, afin notamment de mieux utiliser les compétences et d'éviter les doubles emplois et les gaspillages.
Ces économies d'échelle pourraient-elles être faites également au niveau européen ?
Des pays européens pourraient effectivement vouloir se spécialiser dans tel ou tel domaine. Mais les pays comme la France, vu leur statut et leurs missions, ont vocation et obligation à conserver une défense qui couvre l'ensemble des domaines.
Où est la frontière entre remplir ces missions et relancer la course aux armements ? Les drones de combat ou le bouclier anti-missiles sur lesquels la France travaille se justifient-ils dans le contexte récessif actuel ?
C'est de la recherche et développement, pas de la course aux armements. Cela nous permet de rester au plus haut niveau technologique et d'avoir des équipements adaptés.
La France doit-elle encore investir dans le nucléaire alors que les têtes équipant ses sous-marins ont déjà une puissance supérieure à dix fois Hiroshima ?
En matière de défense nucléaire, nous agissons selon le concept de la dissuasion : non emploi et stricte suffisance.
Cette doctrine est-elle en train de changer, comme on l'a dit ?
Aucun changement n'a été apporté à la doctrine depuis que le Président en a fixé les grandes lignes, en juin 2001.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 18 novembre 2003)
Michèle Alliot-Marie, où en est le projet de défense européenne présenté par quatre pays, dont la France, le 29 avril à Bruxelles ?
Michèle Alliot-Marie :
L'Europe de la Défense existe. La preuve, c'est sa présence sur le terrain. À Skopje, c'est l'Union européenne qui a pris la relève de l'Otan. Au Congo, c'est elle aussi qui d'une façon totalement autonome cette fois, a mené une opération difficile avec succès. Ceci nous conduit à vouloir mieux organiser cette Europe de la Défense. C'est dans cette perspective qu'il faut situer la proposition du 29 avril. Le but est de donner à l'Europe, lorsqu'elle agit seule, les moyens de mener à bien la mission qui lui a été confiée. Il y a un besoin minimum de planification et un besoin de commandement. Mais il ne s'agit pas d'avoir une structure lourde comme celle de l'Otan. L'Europe doit aussi se renforcer dans ses capacités, notamment en s'appuyant sur une politique et sur une industrie européennes de l'armement.
La Libre Belgique : Vous travaillez dans le contexte de l'Otan ?
Michèle Alliot-Marie : Cette initiative du 29 avril est conduite dans un contexte européen avec, à l'origine quatre pays, mais il ne s'agit pas d'un groupe fermé : d'autres - les Grecs, les Espagnols, les Italiens et les Britanniques aussi - ont manifesté leur intérêt.
Jusqu'à quel point peut-on aller dans la défense européenne sans vexer les Américains ?
Il faut que les Américains comprennent - je l'ai dit à Donald Rumsfeld - que pour nous, l'Europe de la Défense est complémentaire à l'Alliance. Elle ne se fera contre l'Otan. Au contraire, elle confortera l'Otan. Les administrations américaines successives, et même Donald Rumsfeld à plusieurs reprises, ont incité les Européens à assumer leur propre défense. Il serait donc malvenu de venir nous reprocher aujourd'hui de faire ce à quoi ils nous ont encouragés pendant des années !
Est-ce que cela passe par la création d'un QG européen ?
Il n'est pas question de faire un QG de 300 personnes. En revanche, que l'on ait une cellule légère de 30 ou 40 personnes, cela paraît adapté au besoins.
Où en sont les négociations ?
Ce qui était important, après la première période de crispation, c'était de remettre tout le monde autour de la table. C'est fait depuis Berlin. Maintenant, nous travaillons ensemble. Si tous ne veulent pas s'engager, ceux qui auront envie le feront dans un esprit ouvert.
Le président Chirac juge difficile de faire une Europe de la Défense sans les Britanniques
Il est évident que si on veut avoir une défense européenne forte, il faut que les pays qui font des efforts de dépense importants y soient. Mais il faut aussi associer les autres pays qui ont des préoccupations de défense même s'ils n'ont pas tous les moyens nécessaires. Saint-Malo, c'était une avancée, et nous l'avons renouvelé au Touquet. Mais il est évident que nous travaillons aussi avec l'Allemagne, avec la Belgique, l'Italie et l'Espagne.
Jusqu'où va l'engagement européen de la France en matière de défense ? Par exemple, que pensez-vous de la suggestion de Laurent Fabius de créer une armée franco-allemande ?
Cela, c'est un mot d'homme politique dans une émission télévisée ! La question ne se pose pas aujourd'hui. Il y a la brigade franco-allemande, qui constitue une expérience intéressante, elle constitue ce noyau de corps européen que nous souhaitons élargir. Il n'est pas question d'aller plus loin et de fusionner nos deux armées.
Peut-on faire une Europe de la Défense sans décision emblématique, qui frappe l'opinion ?
La présence européenne en Macédoine ou au Congo était emblématique.
Si la France renonçait à construire un porte-avions franco-britannique, ne contredirait-elle pas ses propres discours en faveur de la défense européenne ?
Ce ne serait pas forcement incohérent : cela dépendra du mode de propulsion retenu (Ndlr : nucléaire ou classique) et des spécifications du groupe aéro-naval. Mais c'est vrai qu'avoir un même modèle de porte-avions serait un geste symbolique pour l'Europe.
Le budget de la Défense (41 milliards d'euros) est un des rares à progresser en France, alors que tous les budgets sociaux sont en chute libre. Cela ne vous donne pas mauvaise conscience ?
Je n'ai pas mauvaise conscience. Sous le gouvernement socialiste, le budget de la Défense a été considérablement amputé. Quand j'ai pris mes fonctions, 50 % des avions et des hélicoptères français étaient cloués au sol faute de crédits d'entretien. Il nous faudra trois ans pour rattraper ce retard. Ce budget n'est donc pas un luxe.
Il l'est d'autant moins que nous devons avoir les moyens d'agir pour répondre à la fois à notre mission de protection de nos concitoyens et aux exigences liées à notre statut de puissance nucléaire et de membre permanent du Conseil de sécurité. Or, quand il s'agit de défense nationale, il s'agit de moyens sur la durée : il faut dix ans pour construire un porte-avions. On ne peut donc interrompre l'effort en fonction des variations de la conjoncture.
Au lieu de dépenser toujours plus, ne faut-il pas surtout dépenser mieux ?
C'est ce que nous faisons : de nombreux programmes de rationalisation ont été lancé, afin notamment de mieux utiliser les compétences et d'éviter les doubles emplois et les gaspillages.
Ces économies d'échelle pourraient-elles être faites également au niveau européen ?
Des pays européens pourraient effectivement vouloir se spécialiser dans tel ou tel domaine. Mais les pays comme la France, vu leur statut et leurs missions, ont vocation et obligation à conserver une défense qui couvre l'ensemble des domaines.
Où est la frontière entre remplir ces missions et relancer la course aux armements ? Les drones de combat ou le bouclier anti-missiles sur lesquels la France travaille se justifient-ils dans le contexte récessif actuel ?
C'est de la recherche et développement, pas de la course aux armements. Cela nous permet de rester au plus haut niveau technologique et d'avoir des équipements adaptés.
La France doit-elle encore investir dans le nucléaire alors que les têtes équipant ses sous-marins ont déjà une puissance supérieure à dix fois Hiroshima ?
En matière de défense nucléaire, nous agissons selon le concept de la dissuasion : non emploi et stricte suffisance.
Cette doctrine est-elle en train de changer, comme on l'a dit ?
Aucun changement n'a été apporté à la doctrine depuis que le Président en a fixé les grandes lignes, en juin 2001.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 18 novembre 2003)