Interviews de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à "France 2" le 2 avril 2004 et dans "le Parisien" le 5 avril 2004 et déclaration le 30 mars 2004, sur l'intervention télévisée de Jacques Chirac sur "France 2" et "TF1" et les mesures annoncées, et sur la reconduction de Jean-Pierre Raffarin au poste de premier ministre.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Le Parisien - Télévision

Texte intégral

30/03/04

" En reconduisant Jean-Pierre Raffarin à la tête du gouvernement, malgré le naufrage de la droite aux régionales, le président Jacques Chirac vient d'adresser un bras d'honneur au peuple français.
La seule réponse qu'il ait trouvée au désaveu massif des urnes a été de nommer " un gouvernement de rémission " en reconduisant le Premier ministre et la politique qui ont conduit à ce retentissant échec
c'est une faute contre la démocratie et les institutions. Le chef de l'Etat a, une nouvelle fois, privilégié les intérêts de son clan au détriment de l'intérêt général. Il fait comprendre aux Français que leur vote n'a pas la moindre importance et prend ainsi la responsabilité d'aggraver la crise sociale, morale et politique que traverse notre pays.
Quant à M. Raffarin, la plus élémentaire dignité aurait dû le conduire à démissionner pour laisser la place à une nouvelle équipe et à une nouvelle politique. En s'accrochant à ce qui n'est plus qu'une apparence de pouvoir, il discrédite sa fonction et les engagements qu'il sera amené à prendre "
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 31 mars 2004)
2 avril 2004
Q- F. Laborde-. Nous allons revenir avec vous sur les déclarations du président de la République, hier, à la télévision, sur France 2 et TF1. Vous aviez vous-même porté un regard extrêmement critique lors de la nomination, de la confirmation du Premier ministre J.-P. Raffarin à son poste. Vous aviez dit, je vous cite : "Le président de la République fait un bras d'honneur au peuple français." Est-ce qu'après avoir écouté le président de la République hier, vous modifiez votre jugement ?
R- "Sur le fond, non. Je trouve que J. Chirac est un expert en manuvre politicienne, il l'a montré hier soir, mais il a vraiment un culot d'acier parce qu'il lui a fallu deux ans et un "Waterloo électoral" pour comprendre que les Français ne voulaient plus la politique de M. Raffarin. Alors il lâche du lest sur certains points, mais il nomme quand même M. Raffarin. Mais hier soir, sur plusieurs points essentiels, comme l'ASS, pour les chômeurs de longue durée, les intermittents, il l'a désavoué. Il est à peine nommé qu'il est désavoué. Je ne vois pas bien comment ce gouvernement va durer, avec les mêmes ministres, et c'est sans doute un gouvernement provisoire, de protection rapprochée de J. Chirac, avant toute chose."
Q- Mais en même temps, on ne peut pas reprocher au président de la République de ne pas entendre, quand effectivement les Français s'expriment, et de lui reprocher de tenir compte du scrutin quand il change un certain nombre de choses...
R- "Tout à fait. Là, je vous donne tout à fait raison. Qu'il ait suspendu l'ASS, je dirais qu'il était temps, parce que nous n'avons cessé de le dénoncer depuis des mois et des mois à l'Assemblée nationale. L'opposition existe, elle parle et elle dit beaucoup de choses importantes et elle a été méprisée, elle n'a pas été écoutée. Les intermittents du spectacle, le président de la République dit que c'est une négociation entre partenaires sociaux, mais c'est quand même le ministre du Travail a qui a agréé l'accord. Maintenant il dit qu'il va reprendre le dialogue. J'espère que ce sera concret, nous attendrons les preuves. Et puis sur la Sécurité sociale, il dit qu'il ne va pas légiférer par ordonnance. Cela fait des mois qu'on le demande. Et quant à la recherche, il découvre le problème, il dit : "on va faire quelque chose pour les chercheurs." Je vous rappelle quand même qu'il a été interpellé directement par une lettre, qu'il a répondu lui-même, mais j'ai l'impression qu'il n'assume pas sa fonction parce que le vrai patron de l'exécutif aujourd'hui avec le quinquennat, c'est quand même le président de la République. Le Premier ministre, c'est le fondé de pouvoirs, mais il se défausse là, c'est du genre, pour employer une formule : "c'est pas moi, c'est ma soeur qui a cassé la machine à vapeur.""
Q- Cela veut dire que vous pensez qu'on est en train de changer, pas simplement de style, mais aussi de logique institutionnelle ?
R- "Je trouve qu'à partir du moment où on a mis en place le quinquennat, les pouvoirs sont concentrés dans les mains du Président de la République, c'est lui le vrai patron de l'exécutif. Par contre, on a besoin d'une réforme institutionnelle, il faudrait rééquilibrer les pouvoirs du Parlement, il faudrait faire de l'Assemblée nationale le vrai lieu du débat et de la confrontation des points de vue, des propositions, et ce n'est pas le cas. Tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains du Président de la République ; le Premier ministre, c'est quasiment son directeur de cabinet, il l'humilie quasiment en public, et ensuite il n'assume pas sa responsabilité. Il m'a beaucoup frappé, quand il a dit à la fin de son intervention : "Moi, je m'occupe de la France, je vais continuer à le faire sur les grandes questions internationales", mais s'occuper de la France, c'est quand même s'occuper d'abord des Français, c'est traiter les problèmes de leur vie quotidienne, c'est préparer l'avenir, c'est fixer un cap, et ce n'est pas comme ça, deux fois par an, faire une intervention à la télévision, qui ressemblait plus à un monologue, quasiment lu, qu'à un véritable dialogue."
Q- Donc, de votre point de vue, c'est une sorte de présidentialisation du régime qui s'accentue...
R- "Qui s'accentue, mais sans contre-pouvoir, sans respiration démocratique, avec un clan qui s'est emparé du pouvoir et qui, je le répète, est plus un clan de protection de J. Chirac, qui se sent mal à l'aise, qui se sent en danger, mais qui n'a pas perdu son habitude de tromper son monde, parce que cela fait vingt ans qu'il le fait. "Je promets, mais je fais le contraire. Je pense à la fracture sociale." Maintenant voilà qu'il recommence, donc il faut être extrêmement vigilant. Moi, je demande du concret. Par exemple, la semaine prochaine, nous devons voter le 7 avril sur la décentralisation d'un certain nombre de compétences aux départements et aux régions, et nous demandons que ce vote soit reporté avant que soient définies les conditions financières de cette décentralisation. Le Président de la République, hier soir, a fait plein de promesses aux chercheurs, à toute autre catégorie, mais il n'y a plus un sou en caisse, alors nous demandons que soit fait un audit des finances publiques avant de commencer à continuer à faire des promesses pour qu'on sache exactement si ce qu'on nous prépare, c'est vraiment la réponse au problèmes des Français ou un nouveau plan d'austérité."
Q- Sur la Sécu, le président de la République dit qu'il ne prendra pas d'ordonnance, qu'il souhaite au contraire un grand débat, un accord national. Et en gros, l'idée, c'est de dire : le thème est trop important pour que ce soit effectivement une majorité, il faut que tout le monde soit d'accord - exemple, ce qui s'est fait sur la laïcité. Est-ce que sur des thèmes comme ceux-là, vous pensez qu'aujourd'hui il peut y avoir un vrai échange droite-gauche où chacun au fond confronte ses idées ?
R- "Nous ne demandons qu'une chose, c'est que, au Parlement, on nous respecte, qu'on nous écoute, qu'on écoute nos propositions. Et nous, ce que nous voulons, ce n'est pas l'immobilisme. Nous savons qu'il faut réformer notre système de santé, nous allons faire des propositions et j'espère qu'elles seront écoutées. Mais ces propositions, elles ont quand même un socle qui est pour nous incontournable, qui est essentiel : c'est d'assurer une protection universelle pour tous les Français. Je crois que toute réforme doit être basée sur l'équité, sur l'égalité, sur la solidarité. Ce n'est pas la place pour les assurances privées, ce n'est pas le déremboursement pour les catégories populaires et les classes moyennes, parce que depuis deux ans, ce gouvernement, quand il parle de réformes... D'ailleurs, vous avez vu hier soir le président de la République qui dit : "On ne va plus parler de réforme, parce que ça fait peur", mais il veut continuer sa politique quand même, c'est toujours plus d'austérité, et c'est surtout sur les mêmes, c'est-à-dire la grande majorité des Français, ceux qui travaillent ou ceux qui sont les plus faibles, que repose l'effort. Et on ne peut pas réussir la modernisation de notre pays, qui est nécessaire, et les réformes, préparer l'avenir dans l'éducation, dans la recherche, dans l'industrie, sans que les efforts soient vraiment partagés. Et toute sa politique fiscale a démontré le contraire et j'ai entendu hier soir qu'il avait tout à fait envie de continuer ce qu'il avait fait, c'est-à-dire qu'il lâche sur un certain nombre de choses, mais il veut surtout continuer sur l'essentiel."
Q- Sur ce terrain, J.-M. Ayrault, est-ce que vous pensez que N. Sarkozy va mener à bien une politique d'austérité, comme vous dites, et qu'au fond, c'est cela implicitement qui se prépare ?
R- "Son prédécesseur F. Mer avait annoncé - mais pour après les élections, donc on y est maintenant - un plan de gel de crédits voire d'annulation de crédits. Cela oscillait entre des sommes énormes, entre 4 et 10 milliards d'euros. On n'en sait rien. N. Sarkozy ne va pas avoir la tâche facile. Moi, je ne vais pas dans le procès d'intention, je juge sur pièce, mais on a besoin de quoi aujourd'hui ? On a besoin de croissance, on a besoin de relancer une politique d'emploi. Pendant trois quarts d'heure, le président de la République n'a fait aucune proposition concrète sur une politique de l'emploi. Et puis il faut remonter les salaires : je crois qu'il faudrait que tous les salaires en dessous de 10 000 francs puissent être augmentés, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Cela relancerait la machine économique, cela améliorerait les comptes sociaux, cela redonnerait confiance. Cela veut dire qu'il faut un tournant de la politique économique ; elle n'est pas partie pour ça, après avoir écouté attentivement hier soir le Président de la République."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 avril 2004)
5 avril 2004
Q - Qu'attendez-vous du discours de politique générale de Jean-Pierre Raffarin ?
Jean-Marc Ayrault. La situation est surréaliste : Raffarin est un Premier ministre affaibli.
Sa politique a été massivement sanctionnée par les Français et il a été humilié à la télévision par le chef de l'Etat. Nous sommes en pleine comédie du pouvoir. Chirac promet tout le contraire de ce qu'il a fait, tout en voulant continuer à baisser les impôts et à revenir dans les clous des 3 % de déficit public ! Raffarin ne peut pas répondre à ces demandes contradictoires.
Q - " La vérité des comptes " Une mission impossible ?
Jean-Marc Ayrault. Depuis deux ans, les députés socialistes n'ont cessé de dénoncer une politique injuste et inefficace.
Aujourd'hui, ce régime est à bout de souffle et n'a plus de marge de manoeuvre. Politiquement, il est replié sur le petit clan chiraquien. Economiquement, la croissance est atone, les caisses de l'Etat sont vides et la dette publique atteint des niveaux record. Notre ambition est de prouver que la gauche a un projet alternatif.
Q - La situation des finances vous inquiète-t-elle ?
Jean-Marc Ayrault. Oui. Nous sommes déjà dans une politique d'austérité qui ne dit pas son nom. Voilà pourquoi nous demandons un audit des finances publiques et des réponses claires de Sarkozy. Comment va-t-il concilier les baisses d'impôts, la réduction des déficits et la relance sociale. Va-t-il poursuivre l'annulation des crédits programmée par son prédécesseur ?
C'est l'heure de la vérité des comptes. Avez-vous des précisions sur le calendrier parlementaire ? On m'a seulement indiqué que le vote sur le deuxième acte de la décentralisation est reporté.
Le Premier ministre a accepté de recevoir nos présidents de régions et de conseils généraux. Notre demande est précise : que certains transferts, comme celui des personnels de l'Education, soient abandonnés et que les autres soient entièrement compensés financièrement.
Si Raffarin ne donne pas de signes clairs d'un changement de cap, ce gouvernement ne sera qu'une opération marketing. On pourra alors craindre une crise sociale et institutionnelle.
(source http://www.parti-socialiste.fr, le 7 avril 2004)