Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre des affaires européennes, sur les relations franco-allemandes depuis 1945, Bonn le 3 juin 1998.

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Circonstance : Inauguration de l'exposition "vis-à-vis"consacrée aux relations franco-allemandes depuis 1945, à Bonn, le 3 juin 1998

Texte intégral

Monsieur le Ministre, cher Werner,
Monsieur le Directeur,
Monsieur l'Ambassadeur,
Mesdames, Messieurs,
Cette cérémonie, c'est vrai, est placée sous le signe de la fête et en même temps de deuil qui nous affecte suite à la catastrophe ferroviaire d'Eschede. Je vais vous lire le message que vient d'adresser le président de la République au chancelier. "Monsieur le Chancelier, mon cher Helmut, je viens d'apprendre la catastrophe ferroviaire d'Eschede qui endeuille l'Allemagne tout entière. Au nom de tous les Français qui ont été bouleversés par cette tragédie, je t'adresse des sentiments de solidarité profonde dans l'épreuve. Je te prie de transmettre aux familles de toutes les victimes mes condoléances les plus sincères. Avec ma bien fidèle amitié dans l'épreuve."
Ce message traduit ce que nous ressentons tous. Cependant la vie continue. C'est pour moi un grand honneur et un immense plaisir que de me retrouver ce soir parmi vous, aux côtés de mon ami Werner Hoyer, pour l'inauguration de cette exposition "Vis-à-vis", placée sous le haut patronage du chancelier de la République fédérale d'Allemagne et du président de la République française et nous sommes maintenant réunis pour cette exposition consacrée aux relations franco-allemandes dans la seconde moitié du XXème siècle. Cette manifestation nous invite à jeter un regard sur une nouvelle période, après les célébrations liées à la mémoire de Heinrich Heine et l'exposition "Marianne et Germania". Elle vient donc très opportunément compléter et enrichir les initiatives précédentes.
Au-delà de l'intérêt historique de ces manifestations, leur contenu très riche offre, à chaque fois, de multiples et passionnantes lectures au ministre des Affaires européennes que je suis.
Permettez-moi donc, sans prétention aucune à l'exhaustivité, de souligner tout particulièrement quelques éléments saillants qui, au fil du temps, me semblent profondément et durablement imprégner cette relation.
1) J'évoquerai, tout d'abord, ce que j'appellerai, l'ambivalence unique des liens entre nos deux pays. Le titre même de l'exposition me paraît bien refléter cette caractéristique si singulière : sommes-nous face-à-face, à l'opposé, côte-à-côte ? Tour à tour, au fil du temps, ces différentes situations ont pu évoluer. Mais, à toutes les époques, nous retrouvons ces sentiments si spécifiques où se mêlent, dans un ordre parfois éloigné du rationnel, admiration et animosité, fascination et crainte, envie et dépit, cela, en toile de fond des relations normales de concurrence et de coopération entre deux grands Etats.
A cet égard, l'exposition "Vis-à-vis" a le mérite de bien mettre en lumière nos convergences, sans rien cacher des pesanteurs, des préjugés, des stéréotypes dans l'image du voisin, et de leur permanence dans les opinions publiques respectives. Il est inutile de multiplier les exemples tant un constat s'impose : nous ne sommes pas indifférents l'un à l'autre, et sommes unis par un même goût pour l'introspection.
2) Je viens maintenant au deuxième élément qui structure fortement la relation franco-allemande : la permanence du dialogue. L'exposition montre comment, après 1945, les fils se renouent progressivement, avec, en point d'orgue, la signature du Traité de l'Elysée en 1963. Mais gardons-nous, y compris dans cette période, d'une vision idyllique de la période qui s'ouvre à partir de 1963. Les faits, si bien mis en scène dans ces lieux, sont là pour nous rappeler les hauts et les bas de ce dialogue. Comme l'a écrit le professeur Rovan, cet acteur éminent de la réconciliation franco-allemande, cette histoire peut être interprétée comme une succession de crises surmontées à chaque fois, après un temps plus ou moins long, pour aboutir à un nouveau palier supérieur d'entente. Tu rappelais, Werner, la phrase du général de Gaulle sur les roses et les jeunes filles. Un exemple de la galanterie française. A 40 ou 50 ans, les jeunes femmes sont toujours aussi belles comme nos relations.
Car, à chaque fois, un principe s'est imposé : notre avenir est indissociable dans un destin commun. A un processus de dialogue continu, animé par une infatigable volonté politique, de surmonter les divergences. Telle a été la règle jusqu'à présent. Et le Traité de l'Elysée a gardé toute son actualité.
3) Car les différences ne manquent pas et donnent toute sa force au couple franco-allemand dans le projet européen. Telle est la troisième remarque que m'inspire cette exposition.
Il est vrai que nos deux pays ne constatent pas toujours spontanément des convergences d'analyses et d'intérêts. C'est précisément en raison de leurs fondations historiques, géographiques, culturelles, intellectuelles différentes, qui reflètent finalement assez bien les principales composantes de notre Europe, que le dialogue que nous menons permet de progresser vers une synthèse européenne. C'est probablement aussi pour cette raison que ce sont presque toujours des initiatives franco-allemandes qui ont fait avancer l'Europe dans ses moments décisifs.
Je crois que nous partageons aujourd'hui la même conscience d'être à un tournant, pas uniquement en raison du renouvellement des générations. L'exposition en rend d'ailleurs bien compte en évoquant l'Allemagne et la France dans la nouvelle Europe. Nombre des réalités de cette nouvelle Europe étaient encore des rêves, il y a moins de vingt ans, ou des promesses à peine esquissées : une Allemagne réunifiée, un continent réconcilié avec son histoire et sa géographie, une Union européenne dotée d'une monnaie unique, s'apprêtant à accueillir ses voisins européens.
Autant de réussites et de défis pour nos deux pays.
Pour réaliser les tâches immenses qui sont devant nous, le succès de l'Union économique et monétaire, l'édification d'une Europe sociale plus proche des préoccupations de ses citoyens, l'élargissement de l'Union, le développement d'une politique étrangère et de sécurité commune, sans oublier la réforme des institutions de l'Union, nous devons porter les relations franco-allemandes à un nouveau palier, leur faire franchir un nouveau seuil.
Nous serons ainsi fidèles à notre responsabilité commune, à savoir servir à la fois de laboratoire et de force d'impulsion pour la construction de l'Europe du prochain siècle, c'est-à-dire de l'Europe de demain.
Nous vivons dans un contexte caractérisé par la mondialisation. Il nous faut en tenir compte et montrer que notre vision est celle d'une Europe nous offrant de nouveaux degrés de liberté. Il revient à nos deux pays de favoriser la recherche d'un modèle européen, conciliant à la fois compétitivité économique, emploi et cohésion sociale, dans le respect des identités de chacun.
C'est ainsi que nous retrouverons une ambition commune et généreuse, et susciterons l'adhésion des jeunes générations.
Vous me permettrez de conclure sur une note personnelle. En jetant un regard restrospectif sur ces années, j'éprouve un sentiment un peu particulier. Celui d'un héritier, un parmi d'autres, qui se retrouve gratifié d'un capital qu'il lui revient de faire fructifier.
Nous en sommes tous dépositaires. A nous d'être fidèles à ce passé de "vis-à-vis" pour que vive l'Europe, inspirée par nos deux pays, côte-à-côte et donc toujours vis-à-vis./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2001)