Texte intégral
Isabelle PERRIN.- Beaucoup de militants ont été choqués par la position du Bureau national sur la réforme des retraites. Que leur réponds-tu ?
François CHEREQUE.- "Il y a une émotion certaine dans la CFDT et des interrogations, c'est vrai, sur notre position. Sur un sujet aussi complexe, où les points de vue des uns et des autres sont très tranchés, il aurait été étonnant qu'il n'y ait pas de débat dans la CFDT. Je constate d'ailleurs que nous sommes les seuls à être traversés par un tel débat. Ce n'est pas le cas pour les organisations syndicales qui ont choisi de ne pas aller jusqu'au bout de la négociation et de ne pas s'engager.Cela dit, il y a deux types de réaction chez les militants. Il y a ceux qui n'étaient pas d'accord sur les orientations dès le début : ils sont en désaccord avec le résultat à l'arrivée, et ils ont beau jeu de le contester. Et puis il y a tous ceux qui, pour la plupart, reconnaissent que, sur le fond, nous avons atteint une grande partie de nos objectifs. Mais ils sont surpris sur la forme et s'interrogent sur notre mode de prise de décision. C'est à eux que je veux m'adresser aujourd'hui".
- Manifestation le 13 mai, expression de désaccord le 15 à 4 heures du matin, compromis acceptable le 15 au soir. C'est tout de même difficile à comprendre ...
"Il y a toujours un problème de gestion du temps dans une négociation. Quand on arrive au bout de quatre mois de discussions et que la dernière séance s'annonce, tout s'accélère. Dans la nuit du 14 au 15, le blocage avec le gouvernement était réel sur de nombreux points. Mais nous n'avons pas jeté l'éponge. Nous avons pris des contacts, demandé la reprise des négociations. Notre volonté d'aboutir a permis de faire changer les choses de façon substantielle. Et quand les négociateurs sortent, il est naturel qu'ils s'expriment. Le 15 au soir, j'ai bien donné un avis " sous réserve de la décision du Bureau national ". Les médias ne l'ont pas toujours repris comme cela. D'où l'étonnement des militants qui ne savaient pas, à cet instant, que le BN se réunissait dans la foulée et se prononçait à 37 voix pour, 1 contre. Inévitablement dans un tel contexte, l'information grand public va plus vite que l'information syndicale".
- Le compromis est-il à la hauteur de ce que revendiquait la CFDT ?
"Si l'on part dans une discussion en pensant que le résultat, c'est forcément 100 % de la revendication, on n'est plus dans un scénario de négociation. On lance un ultimatum à la partie d'en face et on dit : " C'est tout ou rien. " C'est la meilleure façon d'aller à l'échec et de laisser le champ libre à l'autre, gouvernement ou patronat. Dans cette réforme des retraites, si l'on avait laissé le gouvernement décider seul, les fonds de pension auraient été introduits. Le projet alternatif existe, nous le savons. Alain Madelin vient d'ailleurs de le proposer. Si on choisit de s'engager dans une négociation, il faut rechercher le meilleur compromis. Et c'est à la hauteur de nos objectifs de départ que l'on juge si le compromis est acceptable ou non. Que ce soit dans les entreprises, dans les branches ou au niveau interprofessionnel, tous les militants qui négocient savent que c'est comme cela que ça se passe".
- Ne fallait-il pas prendre plus de temps pour donner l'avis de la CFDT ?
"Les orientations de la CFDT étaient bien connues. Elles faisaient suite à des débats de congrès, à des choix clairement tranchés, à Lille en 1998, puis à Nantes en mai 2002. Dans notre fonctionnement de démocratie par délégation, les syndicats confient au Bureau national la responsabilité de mener à bien les décisions du congrès. Ils l'élisent pour cela. Entre deux congrès, le BN contrôle l'activité de la CE et la sanctionne, positivement ou négativement. Cela ne nous empêche pas de réfléchir, à l'avenir, sur les rythmes de notre démocratie participative, pour que les adhérents et les militants soient impliqués de façon permanente dans les processus d'action, de décision et de négociation. Le BN est prêt à engager cette réflexion".
- Porteuse d'un syndicalisme de réforme, la CFDT n'est-elle pas très isolée dans cette posture ?
"Nous percevions une évolution de la CGT vers un syndicalisme plus réformiste et de négociation. Elle ne s'est pas confirmée sur ce dossier des retraites. C'est une déception et cela peut nous donner une apparence d'isolement. Je reste toutefois convaincu que la volonté de réforme est portée bien au-delà de la CFDT dans la société française. Mais le véritable enjeu aujourd'hui, c'est de ne pas oublier les leçons du 21 avril 2002. Nous devons prendre nos responsabilités pour donner les réponses attendues par ceux qui se sentent abandonnés. Les plus modestes, qui sont souvent ceux qui ont commencé à travailler tôt, dans les métiers pénibles, avec des bas salaires. Refuser ce compromis sur les retraites, c'était faire le choix de ne pas améliorer leurs pensions et de ne pas leur offrir la possibilité de partir plus tôt. C'était prendre le risque que ces salariés estiment, une fois de plus, que leur situation n'était pas prise en compte. La conséquence, on la connaît : un rejet du syndicalisme et du politique. Ce danger-là, la CFDT a choisi définitivement de tout faire pour l'écarter".
Décryptage
Large débat au dernier Bureau national
Réuni le 21 mai en séance ordinaire, le Bureau national a pris le temps d'un débat très approfondi sur l'émotion, les réserves et les critiques provoquées dans la CFDT par la position sur la réforme des retraites. Les membres du BN, qu'ils soient issus des fédérations ou des régions, ont analysé les raisons qui peuvent conduire les militants à s'interroger. La difficulté de gérer les rebondissements d'une négociation quand l'information va vite, qu'elle est partielle voire partiale, la crainte d'une révision à la baisse du texte par la majorité parlementaire, le sentiment d'isolement vis-à-vis des autres organisations syndicales, ont été exprimés.
Dans sa conclusion, Jean-Marie Toulisse a affirmé que la commission exécutive et le Bureau national seraient " d'une disponibilité sans faille " pour répondre aux inquiétudes des militants, participer à des débats, éclairer les choix et la stratégie de la CFDT. Au-delà, comme le souligne François Chérèque dans cette interview, le bureau national engagera la réflexion sur l'approfondissement de la démocratie participative.
(Source http://www.cfdt.fr, le 28 mai 2003)
François CHEREQUE.- "Il y a une émotion certaine dans la CFDT et des interrogations, c'est vrai, sur notre position. Sur un sujet aussi complexe, où les points de vue des uns et des autres sont très tranchés, il aurait été étonnant qu'il n'y ait pas de débat dans la CFDT. Je constate d'ailleurs que nous sommes les seuls à être traversés par un tel débat. Ce n'est pas le cas pour les organisations syndicales qui ont choisi de ne pas aller jusqu'au bout de la négociation et de ne pas s'engager.Cela dit, il y a deux types de réaction chez les militants. Il y a ceux qui n'étaient pas d'accord sur les orientations dès le début : ils sont en désaccord avec le résultat à l'arrivée, et ils ont beau jeu de le contester. Et puis il y a tous ceux qui, pour la plupart, reconnaissent que, sur le fond, nous avons atteint une grande partie de nos objectifs. Mais ils sont surpris sur la forme et s'interrogent sur notre mode de prise de décision. C'est à eux que je veux m'adresser aujourd'hui".
- Manifestation le 13 mai, expression de désaccord le 15 à 4 heures du matin, compromis acceptable le 15 au soir. C'est tout de même difficile à comprendre ...
"Il y a toujours un problème de gestion du temps dans une négociation. Quand on arrive au bout de quatre mois de discussions et que la dernière séance s'annonce, tout s'accélère. Dans la nuit du 14 au 15, le blocage avec le gouvernement était réel sur de nombreux points. Mais nous n'avons pas jeté l'éponge. Nous avons pris des contacts, demandé la reprise des négociations. Notre volonté d'aboutir a permis de faire changer les choses de façon substantielle. Et quand les négociateurs sortent, il est naturel qu'ils s'expriment. Le 15 au soir, j'ai bien donné un avis " sous réserve de la décision du Bureau national ". Les médias ne l'ont pas toujours repris comme cela. D'où l'étonnement des militants qui ne savaient pas, à cet instant, que le BN se réunissait dans la foulée et se prononçait à 37 voix pour, 1 contre. Inévitablement dans un tel contexte, l'information grand public va plus vite que l'information syndicale".
- Le compromis est-il à la hauteur de ce que revendiquait la CFDT ?
"Si l'on part dans une discussion en pensant que le résultat, c'est forcément 100 % de la revendication, on n'est plus dans un scénario de négociation. On lance un ultimatum à la partie d'en face et on dit : " C'est tout ou rien. " C'est la meilleure façon d'aller à l'échec et de laisser le champ libre à l'autre, gouvernement ou patronat. Dans cette réforme des retraites, si l'on avait laissé le gouvernement décider seul, les fonds de pension auraient été introduits. Le projet alternatif existe, nous le savons. Alain Madelin vient d'ailleurs de le proposer. Si on choisit de s'engager dans une négociation, il faut rechercher le meilleur compromis. Et c'est à la hauteur de nos objectifs de départ que l'on juge si le compromis est acceptable ou non. Que ce soit dans les entreprises, dans les branches ou au niveau interprofessionnel, tous les militants qui négocient savent que c'est comme cela que ça se passe".
- Ne fallait-il pas prendre plus de temps pour donner l'avis de la CFDT ?
"Les orientations de la CFDT étaient bien connues. Elles faisaient suite à des débats de congrès, à des choix clairement tranchés, à Lille en 1998, puis à Nantes en mai 2002. Dans notre fonctionnement de démocratie par délégation, les syndicats confient au Bureau national la responsabilité de mener à bien les décisions du congrès. Ils l'élisent pour cela. Entre deux congrès, le BN contrôle l'activité de la CE et la sanctionne, positivement ou négativement. Cela ne nous empêche pas de réfléchir, à l'avenir, sur les rythmes de notre démocratie participative, pour que les adhérents et les militants soient impliqués de façon permanente dans les processus d'action, de décision et de négociation. Le BN est prêt à engager cette réflexion".
- Porteuse d'un syndicalisme de réforme, la CFDT n'est-elle pas très isolée dans cette posture ?
"Nous percevions une évolution de la CGT vers un syndicalisme plus réformiste et de négociation. Elle ne s'est pas confirmée sur ce dossier des retraites. C'est une déception et cela peut nous donner une apparence d'isolement. Je reste toutefois convaincu que la volonté de réforme est portée bien au-delà de la CFDT dans la société française. Mais le véritable enjeu aujourd'hui, c'est de ne pas oublier les leçons du 21 avril 2002. Nous devons prendre nos responsabilités pour donner les réponses attendues par ceux qui se sentent abandonnés. Les plus modestes, qui sont souvent ceux qui ont commencé à travailler tôt, dans les métiers pénibles, avec des bas salaires. Refuser ce compromis sur les retraites, c'était faire le choix de ne pas améliorer leurs pensions et de ne pas leur offrir la possibilité de partir plus tôt. C'était prendre le risque que ces salariés estiment, une fois de plus, que leur situation n'était pas prise en compte. La conséquence, on la connaît : un rejet du syndicalisme et du politique. Ce danger-là, la CFDT a choisi définitivement de tout faire pour l'écarter".
Décryptage
Large débat au dernier Bureau national
Réuni le 21 mai en séance ordinaire, le Bureau national a pris le temps d'un débat très approfondi sur l'émotion, les réserves et les critiques provoquées dans la CFDT par la position sur la réforme des retraites. Les membres du BN, qu'ils soient issus des fédérations ou des régions, ont analysé les raisons qui peuvent conduire les militants à s'interroger. La difficulté de gérer les rebondissements d'une négociation quand l'information va vite, qu'elle est partielle voire partiale, la crainte d'une révision à la baisse du texte par la majorité parlementaire, le sentiment d'isolement vis-à-vis des autres organisations syndicales, ont été exprimés.
Dans sa conclusion, Jean-Marie Toulisse a affirmé que la commission exécutive et le Bureau national seraient " d'une disponibilité sans faille " pour répondre aux inquiétudes des militants, participer à des débats, éclairer les choix et la stratégie de la CFDT. Au-delà, comme le souligne François Chérèque dans cette interview, le bureau national engagera la réflexion sur l'approfondissement de la démocratie participative.
(Source http://www.cfdt.fr, le 28 mai 2003)