Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la situation en Afrique, la contagion des conflits, le rôle des organisations africaines et de l'ONU pour leur prévention et leur règlement et sur l'aide au développement, New York le 24 septembre 1998.

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Circonstance : 53ème assemblée générale de l'ONU à New York du 21 septembre au 2 octobre 1998

Texte intégral

Madame la Présidente,
Il y a un an, nous nous sommes réunis, à propos de l'Afrique, à l'initiative de Mme Albright. Nous avions demandé au Secrétaire général de nous présenter un rapport à ce sujet. Ce rapport contient de nombreuses propositions et recommandations. Le Conseil de sécurité a déjà travaillé pour leur donner effet. Plusieurs résolutions et déclarations présidentielles ont été adoptées à cette fin, la semaine dernière.
Je souhaite formuler quelques observations sur l'expérience de l'année écoulée et le travail accompli.
1) Le nombre des conflits sur le continent reste élevé. Il a même augmenté. Les conflits classiques entre Etats n'ont pas disparu comme en témoignent ceux de l'Afrique de l'Est. L'origine de l'instabilité est le plus souvent d'ordre interne, mais la nature de ces crises est telle qu'elles s'étendent rapidement par le biais des mouvements de réfugiés, des trafics d'armes, des solidarités ethniques, des guérillas, des ingérences étrangères qu'elles suscitent et alimentent. Nous le voyons en République démocratique du Congo.
2) Cette contagion régionale des crises justifie que les organisations régionales jouent un plus grand rôle dans la prévention et le règlement des conflits. A cet égard, je salue l'action de la médiation africaine conduite par le président Bongo en République centrafricaine ; celle de la CEDEAO dans les crises au Liberia, en Sierra Leone et, en coopération avec la Communauté des pays de langue portugaise, en Guinée-Bissau ; les efforts déployés par l'IGAD pour la Somalie et le Sud-Soudan ; ou ceux de la SADC pour la République démocratique du Congo.
3) Le Conseil de sécurité doit garder la responsabilité principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, en Afrique comme ailleurs. L'action persévérante menée par les envoyés et représentants spéciaux du Secrétaire général dans le règlement de plusieurs conflits - hommage doit ici être rendu à Alioune Blondin Beye - et la présence sur le terrain de missions d'observation ou d'opérations de maintien de la paix témoignent du rôle des Nations unies. Le Conseil a eu raison, en dépit des expériences amères de l'ONUSOM en Somalie et de la MINUAR au Rwanda, de ne pas abdiquer ses responsabilités, et de créer au printemps dernier la MINURCA pour la République centrafricaine et la MONUSIL pour le Sierra Leone, et de s'efforcer de maintenir la MONUA pour tenter de sauver le processus de paix en Angola. Le Secrétaire général a raison d'insister sur la nécessité de donner à l'Organisation les moyens financiers, matériels et humains d'intervenir. Le maintien de la paix ne peut dépendre seulement de coalitions aléatoires ou de financements facultatifs. Mon pays continuera, pour sa part, à y apporter une importante contribution, que ce soit en participant directement à des opérations des Nations unies - comme la MINURCA dans laquelle servent 200 militaires français - ou bien à travers un programme de coopération d'un montant de 40 millions de dollars visant à renforcer les capacités des pays africains en matière de maintien de la paix.
4) La bonne coordination des Nations unies et des actions de l'OUA et des organisations sous-régionales revêt, dans ce contexte une grande importance. Le Conseil de sécurité a adopté à ce sujet le 17 septembre une résolution bienvenue. La MINURCA et la MONUSIL illustrent bien cette interaction positive entre les Nations unies et les initiatives régionales ; la première a pris la suite d'une force inter-africaine - la MISAB - pour en consolider les acquis avec un mandat plus large; la seconde soutient une force régionale, l'ECOMOG. En Afrique, comme ailleurs, le Conseil de sécurité doit bien sûr garder le contrôle des opérations qu'il autorise, conformément à ses responsabilités.
5) Les caractéristiques des conflits actuels nécessitent une approche globale. La crise régionale qui implique, sur le territoire de la RDC six ou sept Etats, démontre l'utilité d'une conférence internationale sur la paix dans la région des grands lacs qui permettrait à tous les protagonistes d'aborder et de tenter de résoudre ensemble les problèmes de sécurité, de réfugiés et de minorités et de jeter aussi les bases d'une coopération régionale. La France espère que les pays concernés s'engageront dans cette voie et soutiendra tous les efforts dans ce sens.
6) S'agissant des réfugiés, le Secrétaire général a raison de dire qu'il faut tout à la fois garantir leurs droits et leur sécurité, assurer la sécurité des pays qui les accueillent, et éviter que les réfugiés ne soient utilisés par les uns ou par les autres comme prétexte à une action politique ou militaire.
De même les flux illicites d'armes contribuent-ils à la transformation des tensions multiples en affrontements armés et à entretenir un climat d'insécurité. Notre conseil doit continuer à exhorter les pays fournisseurs et utilisateurs à la retenue et chercher à renforcer l'efficacité des embargos sur les armes décidés par le Conseil de sécurité et dont l'histoire récente a montré qu'ils étaient trop souvent lettre morte.
7) A plus long terme, la seule façon de prévenir ces conflits sera de bâtir, de consolider et de faire triompher des crises des Etats de droit capables de convaincre leurs citoyens de régler dorénavant leurs conflits par la voie pacifique et légale, et non plus par les armes ou la violence. Cela suppose des règles claires, un maintien de l'ordre respectueux de la démocratie, un fonctionnement équitable du système judiciaire. Une des clés de ce progrès réside dans la combinaison réussie de la reconnaissance du rôle légal de la majorité et du respect des droits des minorités.
8) Le Secrétaire général souligne justement l'impératif du développement durable et du développement social. Comment ne pas s'inquiéter de la réduction brutale de l'aide destinée à l'Afrique ces dernières années ? L'aide au développement reste un complément indispensable aux politiques menées par les pays africains. Ceci concerne en particulier les pays les moins avancés, dont les trois quarts sont des pays africains.
Pour sa part, la France maintiendra son effort d'aide publique au développement. Elle y consacre près de 0,5 % de son produit national brut, soit 6,3 milliards de dollars en 1997, au 2ème rang des pays donateurs. La moitié de cette aide publique va à l'Afrique. La France n'a cessé également de plaider et d'agir pour l'allégement du fardeau de la dette. La France et ses partenaires de l'Union européenne ont aussi oeuvré depuis longtemps pour un accès plus large des pays africains au commerce mondial. Il n'y a pas à choisir entre l'aide et le commerce. L'un et l'autre sont indispensables.
Les pays en développement, surtout ceux qui se sont ouverts, avec mérite, au commerce mondial et aux flux financiers internationaux, sont les premières victimes des tourmentes financières actuelles. Aucun pays aujourd'hui industrialisé n'aurait pu se développer dans ces conditions ! Le respect indispensable d'un certain nombre de règles et la mise en place de garde-fous devraient leur bénéficier au premier chef. Les pays africains ne doivent pas être les premières victimes des désordres nés ailleurs. Ce souci a inspiré les propositions que la France présente pour la réforme du système financier et monétaire international.
Lorsque le Secrétaire général présentait ici même son rapport, il insistait avec raison sur l'indispensable volonté politique dont les pays africains, mais aussi le reste de la communauté internationale, doivent faire preuve pour résoudre les problèmes de l'Afrique. La France partage cette conviction et espère que l'appel du Secrétaire général sera entendu. La France, confiante dans l'avenir de l'Afrique, confirme la continuité de son engagement.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2001)