Déclaration de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, sur la réduction du temps de travail, notamment le bilan de la loi, les signatures d'accords, le coût de la RTT et les créations d'emplois, la compétitivité des entreprises et les heures supplémentaires.

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Circonstance : Mission d'évaluation sur les 35 heures à Paris le 7 janvier 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie de cette audition qui donne l'occasion à la CFDT de s'exprimer sur un sujet qui lui est cher et sur lequel elle mène une action de longue date.
La réduction du temps de travail représente pour nous au-delà d'une avancée sociale majeure dans l'amélioration des conditions de travail et de vie des salariés, un moyen d'action important pour l'emploi.
o La réduction du temps de travail est un mouvement séculaire, qui a connu des hauts et des bas
Les 40 heures adoptées en 1936 n'ont été effectives que dans les années 80 tant les heures supplémentaires étaient nombreuses. Et il a fallu attendre 1982 pour enregistrer avec les 39 heures une nouvelle RTT mais cela sans aucune négociation avec les partenaires sociaux, et avec un effet emploi très limité.
o La réduction du temps de travail a toujours été un axe fort de la CFDT.
Sous l'impulsion de la CFDT un accord cadre interprofessionnel était conclu en octobre 1995 mais le patronat n'a montré alors aucun empressement à sa mise en uvre dans les branches et les entreprises et seules quelques-unes ont engagé de timides mouvements de réduction du temps de travail. Ce qui rend pour le moins étonnante l'attitude du patronat lorsqu'il dénonce la voie législative autoritaire pour mettre en oeuvre cette réduction.
Face à la hausse massive du chômage des années 80 et à l'impasse des politiques classiques de l'emploi, la CFDT a fait de la réduction du temps de travail un des leviers pour créer des emplois.
C'est ainsi que nous avons soutenu successivement, en juin 1996 la Loi de Robien, puis en juin 1998 la première Loi Aubry. Ces lois liaient des aides financières de l'Etat à l'obligation de réduire à 35h ou 32h la durée du travail et de créer des emplois.
Puis est survenue la seconde Loi Aubry en janvier 2000. La CFDT a déploré son aspect systématique, elle a cependant eu le mérite d'amener toutes les entreprises à s'engager, bon gré mal gré, dans des négociations qui n'auraient pas eu lieu partout. L'effet positif sur le dialogue social, y compris dans des PME/TPE, grâce à la procédure du mandatement par les organisations syndicales n'a pas été le moindre.
o Aujourd'hui votre commission est chargée d'établir un bilan de la législation sur le temps de travail, en particulier sur sa réduction et la CFDT, forte de son expérience, entend y contribuer.
Pour cela, il est d'abord nécessaire de rappeler que cette réduction du temps de travail s'est fait grâce à 212 accords de branches, plus de 72 000 accords d'entreprises, sans compter les entreprises appliquant directement un accord professionnel de branche, soit environ 65 000 entreprises concernées.
Un mouvement de négociation d'une telle ampleur est inédit en France et a de quoi faire pâlir d'envie les défenseurs de la loi Fillon sur le dialogue social.
o Déterminée dans son engagement depuis des années sur la réduction du temps de travail, la CFDT a pris ses responsabilités et s'est totalement impliquée dans cette démarche contractuelle.
En effet, la CFDT est la première organisation syndicale en nombre de signatures d'accords, par ses délégués syndicaux d'abord mais aussi par 18 326 salariés qu'elle a mandatés.
Mais nous ne nous sommes pas arrêtés à la seule signature des accords, nous en avons suivi l'application. Et nous avons réalisé des enquêtes auprès de 42 000 salariés après la mise en place de la RTT dans le cadre de notre chantier " le travail en question ". Nous avons ainsi acquis une réelle expertise et une forte légitimité à nous exprimer sur les 35 heures.
1. Alors parlons d'abord des emplois créés
o Les accords signés prévoyaient tous des embauches. Certes, il y a eu aussi l'effet de la croissance, et ici ou là des effets d'aubaines. Cependant rejoignant les estimations les plus crédibles, la CFDT estime que, grâce à la RTT, ce sont 350 000 emplois qui ont été créés et 50 000 de sauvegardés dans le cadre de licenciements économiques.
o Pour la première fois la France a créé sur 1998/2002, davantage d'emplois que nos voisins dans la même période. La croissance y a été beaucoup plus riche en emplois salariés.
2. Parlons ensuite du coût de la réduction du temps de travail
Certes la RTT a eu un coût. Il faut le regarder en considérant les dépenses effectuées, mais aussi les recettes et les gains qu'elle a amenés.
o Sur le coût, il existe une base de calcul indiscutable, il s'agit des allégements de charges liés aux accords RTT. Cela fait 10 milliards d'uros pour l'année 2002. Avec la suppression des aides liées à la RTT et la généralisation progressive des allégements de charges " bas salaires " de la Loi Fillon instaurés en juillet, les aides liées à la RTT ont diminué de moitié en 2003, et disparaîtront totalement le 1er juillet 2005.
Par contre, pour cette même année, les aides " bas salaires " s'élèveront à 15 milliards d'euros sans aucune garantie d'effet sur l'emploi.
Alors, le coût de la réduction du temps de travail est-il si élevé ?
· À ces dix milliards de dépenses en 2002, correspondent des gains incontestables
- Les embauches ont amené des cotisations sociales supplémentaires pour la sécurité sociale, les caisses de retraites etc. Elles ont contribué à la baisse de 1 million de chômeurs enregistrée entre 1997 et 2002, et à améliorer les comptes de l'assurance chômage avec plus de recettes et moins d'allocations versées.
- Des résultats bénéfiques auxquels il faut ajouter aussi les effets positifs sur la fiscalité de l'Etat, et les apports de ces nouveaux salariés à la consommation et à la croissance : on a pu remarquer que sur la période 1997/2001, la croissance française a été supérieure à celle de nos partenaires européens.
3. Mais au-delà de l'impact sur les finances publiques, un autre point fait débat : les entreprises françaises ont-elles perdu de la compétitivité ?
Beaucoup l'affirment sans le démontrer et certains vont jusqu'à dire qu'il faut remettre en cause les 35 heures. En mesurent-ils toute la portée ?
o Loin de tout dogmatisme, la CFDT s'est engagée dans ces négociations sur la réduction du temps de travail de manière très pragmatique. En prenant en compte les besoins des salariés, c'est évident, mais aussi les besoins des entreprises, avec l'objectif central de créer des emplois.
o C'est pourquoi la plupart du temps ces accords ont été positifs pour l'emploi et les entreprises. Ils ont changé les organisations du travail, et modifié profondément les habitudes de travail. Et que voit-t-on selon les cas ?
- L'introduction de l'annualisation du temps de travail pour tenir compte de l'activité des différents secteurs professionnels ;
- Le passage au travail en équipes successives, dans certains cas au travail du week-end ou de nuit pour accroître la durée d'utilisation des équipements ou permettre comme dans le commerce, une augmentation des heures d'ouverture ;
- Dans d'autres cas, nombreux, la durée hebdomadaire du travail est restée à 39 heures, les salariés bénéficiant de jours de congés supplémentaires répartis tout au long de l'année.
o Ce sont là les exemples les plus fréquents, et une multitude de formules a été élaborée dans les entreprises pour s'adapter aux réalités (récupération en jours de repos, utilisation du compte épargne temps)
o Ces aménagements ont été bénéfiques, ils ont permis bien souvent de remettre à plat l'organisation du travail, de promouvoir de nouvelles compétences et de dégager ainsi de nouveaux gisements de productivité. Cela explique aussi que la productivité des salariés français, y compris avec les 35 heures, soit parmi les plus élevées du monde.
o Dans les conditions où elles ont été mises en place, les 35 heures, n'ont donc pas handicapé la productivité des entreprises françaises. Les experts de Bercy eux-mêmes ont calculé que la hausse du coût du salaire horaire de 4,5 % a été totalement compensée : à hauteur de 1,4 % par les allégements de charges, à hauteur de 1 % par la modération salariale et à hauteur de 2,2 % par une hausse de la productivité.
o Vouloir aujourd'hui remettre en cause les 35 heures, ce serait ignorer et balayer d'un revers de main tous les compromis établis dans les branches professionnelles et dans les entreprises. Ces compromis ont permis justement de trouver un point d'équilibre entre intérêt des salariés et compétitivité des entreprises.
Ce point d'équilibre trouvé par la négociation, n'a pas été possible dans les fonctions publiques. Et la CFDT continue de déplorer le refus apporté par le gouvernement d'appliquer l'accord cadre auquel elle avait donné sa signature.
La loi a imposé aux entreprises l'obligation d'aboutir mais l'État ne s'est pas appliqué à lui-même ces principes et ces règles.
Nous en mesurons aujourd'hui toutes les conséquences négatives lorsque réduction du temps de travail, organisation des services, amélioration pour les usagers et emploi ne sont pas menés de pair, nous assistons à la situation difficile du secteur hospitalier et déjà fragilisé. Là où l'accord prévoyait une mise en place progressive sur 3 ans avec le recrutement et la formation de 45 000 personnes, il y a eu précipitation, retard dans la création d'emploi et au bout de graves tensions dans des secteurs fortement sollicités.
o Pour autant aujourd'hui il serait inacceptable de revenir en arrière, pour des raisons sociales bien sûr, mais aussi économiques. Car il ne faudrait pas seulement annuler les 35 heures, il faudrait revenir aussi à l'organisation antérieure du travail et redonner les marges salariales.
o Si tout n'est pas idyllique partout, dans l'ensemble, les choses se sont plutôt bien passées dans le secteur privé grâce aux négociations dans les branches professionnelles et dans les entreprises. Et d'ailleurs ce sont les salariés des entreprises où les 35 h ont été imposées sans négociation qui sont les plus critiques à son encontre.
Mais quelles souplesses supplémentaires faudrait-il ? Plus d'heures supplémentaires ?
o En 2002, le gouvernement a porté le contingent d'heures supplémentaires à 180 heures par an. Et seulement 9 branches se sont saisies de cette opportunité.
o Les heures supplémentaires n'ont jamais été un sujet tabou pour la CFDT à condition qu'elles soient justifiées, négociées et correctement rémunérées.
o Et la CFDT ne se satisfait pas de l'inégalité qui perdure entre les salariés. Ce sont près de 4 millions de salariés de petites entreprises qui sont exclus des 35 heures, en particulier dans l'hôtellerie tourisme qui bénéficiait pourtant déjà de larges dérogations. Relevons que c'est un secteur où les difficultés de recrutement sont importantes et ce ne sont pas les salaires au niveau du SMIC et les semaines de 50 h et plus qui rendront ces secteurs plus attractifs.
o Cette inégalité s'est encore aggravée avec l'amendement adopté par l'Assemblée nationale (dans le cadre de la loi Fillon sur le dialogue social) concernant les entreprises de moins de 20 salariés, qui a pour effet de permettre aux entreprises de faire effectuer 47 heures supplémentaires en plus du contingent annuel fixé par les branches professionnelles. La loi, encore une fois, agit là au mépris des partenaires sociaux et des accords qu'ils signent en fonction de leurs besoins.
Voilà, un nouveau contre exemple de la volonté affichée dans le préambule de cette loi, de donner la primauté à la négociation.
o Or comble du paradoxe, la surenchère en matière d'heures supplémentaires est en complet décalage avec la réalité des besoins. En effet, le recours aux heures supplémentaires se situe à un niveau très inférieur au contingent légal : moins de 30 H en moyenne pour l'ensemble des entreprises et 60H en moyenne dans celles qui y ont recours (selon les dernières données 2001 du ministère du travail : DARES).
Plus globalement, la CFDT n'est pas hostile par principe à renégocier dans certains cas la réduction du temps de travail, mais à condition que l'on parte de besoins réels, clairement exprimés et identifiés.
o D'abord, contrairement à ce qui s'est dit un moment, la majorité des salariés ne souhaitent pas revenir en arrière. C'est le cas des des personnes bénéficiant des 35 heures interrogées par la CFDT. Les frustrations lorsqu'il y en a, viennent à la fois de ceux qui n'en bénéficient pas, et de ceux auxquels la RTT s'est imposée sans négociation.
C'est moins la réduction du temps de travail, que son application et le sentiment d'en avoir payé le prix fort par le gel des salaires qui font aujourd'hui question.
o Aussi à l'opposé d'une remise en cause, la CFDT revendique que tous les salariés puissent bénéficier des 35 heures.
o Réduire le temps de travail dans toutes les PME sera indispensable avec le retour de la croissance et à l'approche du retournement démographique. A défaut ces entreprises qui sont des éléments vitaux dans le maillage de notre économie ne seront pas attractives pour les salariés et la pénurie de main d'uvre sera leur lot.
o Cet objectif doit être atteint en recherchant par la négociation les formules les mieux adaptées. Particulièrement pour les plus petites, grâce par exemple, à des groupements d'employeurs.
o Cet objectif n'est pas un leurre. En effet, avant le coup de frein donné en 2002, 20 % des entreprises de moins de 20 salariés étaient passés aux 35 heures.
En conclusion, les 35 heures ont amené de la qualité de vie, du temps pour les loisirs, pour concilier la vie familiale et la vie professionnelle. Elles ont aussi permis d'améliorer l'organisation, la compétitivité de très nombreuses entreprises en favorisant la création d'emplois avec les effets bénéfiques qui l'accompagnent pour notre économie.
o La CFDT a fait de l'emploi sa priorité : du travail pour tous, un emploi de qualité pour chacun. C'est cela, notre conception de la valeur travail.
La réduction du temps de travail a fortement contribué à réaliser cet objectif et la CFDT veut continuer d'en faire un levier pour l'emploi. Voilà ce que je voulais vous dire, et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
(source http://www.cfdt.fr, le 2 avril 2004)