Texte intégral
La France est-elle en voie de désindustrialisation ? En données globales, la réponse est claire. C'est non. La France compte pour moins d'un centième de la population de la planète, mais elle reste la cinquième puissance industrielle du monde. On dit trop peu qu'en volume, sa production n'a cessé de s'accroître depuis 1980, de 2,5% par an. Depuis 1990, les 600 000 emplois que l'industrie manufacturière a perdus ont été compensés par plus de 1 200 000 emplois dans les services à l'industrie.
Aujourd'hui, la croissance amorce son retour. La confiance des ménages se redresse. Les entreprises retrouvent un optimisme favorable aux investissements. Nos réformes pour libérer le dynamisme industriel commencent à produire leurs effets.
Mais depuis trente ans, la courbe du volume de production et celle des effectifs salariés n'ont cessé de s'écarter irrésistiblement. Il faut moins de salariés pour produire autant, même si le recul est moins marqué en France : en huit ans, le Royaume-Uni a perdu 14% de ses emplois industriels directs, l'Allemagne 9,7%, les Etats-Unis 10,5%, le Japon 15,6%, et la France, seulement 2,3% !
Les délocalisations aggravent le sentiment de désindustrialisation. Encore faut-il distinguer l'entreprise qui étend sa production hors de France, y compris pour consolider ses emplois nationaux, des simples transferts de production qui, eux, sont ravageurs. A cet égard, l'élargissement de l'Europe constitue bien évidemment une chance pour nos entreprises en leur facilitant l'accès à un marché de 100 millions de consommateurs avec des besoins considérables, mais aussi un défi, car ces dix nouveaux pays entrants ont des avantages comparatifs, en particulier dans le coût de la main-d'oeuvre.
La fermeture d'une usine, c'est d'abord un drame humain. On ne peut pas maintenir en survie artificielle celles qui sont irrémédiablement déficitaires. Mais les fermetures touchent principalement des sites manufacturiers traditionnels où la capacité de mobilité ou d'adaptation des salariés ou leur âge, l'excentration des sites rendent difficiles les reconversions. Quand l'angoisse du quotidien s'abat sur une famille, le discours distancié des économistes n'est pas audible.
C'est pour répondre à cette angoisse, plus sectorielle que générale mais intensément ressentie, que le président de la République vient de demander la mobilisation de tous contre la fatalité de la désindustrialisation, partout où elle conduit à la déstructuration du tissu social.
Certes, en deux ans, nous avons sauvé les grandes entreprises, publiques ou privées, trouvées en perdition, comme France Télécom ou Alstom. Sur des sites tels que Matra-Romorantin, Metaleurop ou le textile des Vosges, la réactivité du ministère qui m'a été confié a été rapide : nous n'avons pas seulement pris des mesures sociales d'accompagnement, nous avons mis en place un dispositif de réindustrialisation dont les résultats ont été concrets. Nous avons doté les entreprises qui assurent des missions de service public, comme EDF ou La Poste, des moyens de relever le défi de l'ouverture à la concurrence intra-européenne. Et nous l'avons fait en obtenant que soient protégées au niveau communautaire les missions de service public des biens de première nécessité, comme l'électricité. Sur le plan social et du droit du travail, sur le plan fiscal, sur le plan de la simplification administrative, le gouvernement a desserré les carcans qui étouffaient le dynamisme. La loi pour la confiance dans l'économie numérique, que j'ai défendue devant le Parlement, sera la première à créer un droit de l'Internet. Grâce à la baisse des tarifs que j'avais demandée aux opérateurs dès mon arrivée, la France est devenue le pays dont la croissance des abonnés à Internet haut débit est la plus élevée.
Mais il faut faire plus, en prenant appui sur ces acquis. Une des priorités est de stimuler l'engagement du secteur privé dans la recherche et l'innovation industrielles. Notre retard est de plusieurs milliards annuels par rapport à nos voisins ou grands concurrents. La recherche d'aujourd'hui, c'est l'industrie de demain. Les vigoureuses incitations fiscales qui ont été mises en place en faveur des business angels, des jeunes entreprises innovantes, et la réforme du crédit impôt recherche devraient commencer à porter leurs fruits dès cette année. Elles seront amplifiées.
Dynamiser l'offre industrielle, c'est aussi favoriser la création de pôles d'excellence en France. Le saupoudrage des crédits publics n'est pas performant. Il faut les concentrer sur des projets capables d'atteindre la taille critique sans laquelle on ne peut conquérir le marché international, comme nous l'avons fait pour le site de Crolles.
Dynamiser l'offre industrielle, c'est agir enfin pour refuser que le déclin des secteurs traditionnels de l'industrie manufacturière soit inéluctable. C'est un défi considérable, face aux pays à faible coût de main-d'oeuvre. Mais il faut le relever, sauf à consentir à la désertification de régions entières. La voie du redressement est dans l'anticipation, dans la formation continue des salariés tout au long de leur carrière, dans l'innovation industrielle, qui est stratégique pour toutes les entreprises, petites ou grandes, dans l'évolution du management quand il devient abandonnique, sous le poids de l'âge des dirigeants ou des difficultés, dans les conditions d'un accès de réciprocité équitable aux marchés extérieurs à l'Union.
Dans trois secteurs fragilisés, les biens d'équipement de la personne, la chimie, l'automobile, les propositions des groupes sectoriels que j'ai constitués en 2003 sont attendues pour l'été, et elles seront suivies de décisions rapides. Ces groupes seront étendus en 2004 à tous les secteurs.
Diminuer les charges des entreprises, c'est accroître l'attractivité de la France. Dès septembre, j'avais, avec d'autres, souhaité la réforme de la taxe professionnelle, pour relancer l'investissement productif. L'engagement décisif du président de la République va permettre de contourner ce qu'on présentait comme une montagne. Elle sera un formidable ballon d'oxygène.
Pour améliorer notre compétitivité, nous poursuivrons la promotion des brevets français et la guerre contre la contrefaçon, qui détruit 30 000 emplois par an en France. Avec le Comité national anticontrefaçon, que j'ai réactivé, le dispositif d'action est en place : formation des entrepreneurs, durcissement des sanctions pénales, coordination des administrations aux niveaux national, européen et international, et sensibilisation des consommateurs.
Les chances d'avenir de l'industrie française seront profondément dépendantes de l'actualisation - nécessaire et possible - des règles actuelles du marché intérieur, et de la construction d'une authentique politique industrielle de l'Europe. Celle-ci doit être centrée sur une solidarité industrielle offensive de toute l'Union. C'est ensemble qu'il faut développer vers l'extérieur l'espace vital qui est nécessaire à l'industrie européenne.
L'impulsion que j'ai initiée en ce sens au nom de la France, au sein du Conseil compétitivité de l'Union, a été relayée par de nombreux autres ministres. Et la Commission s'apprête à prendre des décisions importantes de soutien à des secteurs que naguère encore, d'aucuns auraient voulu abandonner à leur sort. C'est le cas aujourd'hui du textile et des autres biens d'équipement de la personne, ainsi que de la construction navale.
Une révolution copernicienne de l'approche de l'avenir des industries européennes est désormais engagée. L'Europe de l'industrie, elle aussi, avance.
(Source http://www.u-m-p.org, le 13 février 2004)