Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur l'évolution et la mise en oeuvre du processus de paix au Proche-Orient, à Jérusalem le 25 février 2000.

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Circonstance : Voyage de M. Jospin en Israël et dans les Territoires palestiniens du 23 au 26 février 2000

Texte intégral

Mesdames, Messieurs
Chers Amis,
Au terme de la première journée de ma visite officielle dans les territoires palestiniens, je voudrais d'abord vous dire ma joie d'être ici ce soir à Jérusalemn avec vous. Je me réjouis que ce dîner soit l'occasion d'une rencontre dans le cadre du Consulat général de France. Si j'ai souhaité vous y convier, c'est pour vous entendre et mieux comprendre vos aspirations, à un moment où, quels que soient les aléas, et parfois les déceptions, des négociations internationales, l'idée de la paix fait des progrès décisifs dans les esprits.
C'est sur cette terre qu'est né l'un des plus longs conflits de l'histoire récente du monde. C'est de cette terre seule que pourra naître l'apaisement, dans le cadre d'un règlement juste et durable reconnaissant les droits du peuple palestinien. Depuis longtemps, les responsables palestiniens et français ont uni leurs efforts pour y parvenir. C'est bien sûr d'abord aux parties directement concernées qu'il appartient de négocier et de prendre les décisions nécessaires. Mais il peut être utile aussi d'en suggérer les contours. Telle est l'ambition que la France et l'Europe poursuivent aujourd'hui au Proche-Orient.
Une paix juste et durable suppose avant tout le respect du droit.
Le droit à l'existence pour tous les peuples et les Etats de la région, à une existence pleinement reconnue, sans contestation ni réticence. L'OLP a par la déclaration de Washington en septembre 1993 ouvert cette voie, avec courage et lucidité. Mais la reconnaissance mutuelle doit être poussée jusqu'à sa conséquence ultime. On ne peut s'arrêter au milieu du gué. Vous savez combien, par la bouche du Président MITTERRAND puis du Président CHIRAC, la France s'est attachée à préciser ce que recouvre le concept de droit à l'autodétermination : en appuyant l'aspiration légitime du peuple palestinien à créer un Etat sur sa terre, la France, a contribué, avec d'autres, à dire le droit. Parce qu'elle a bâti une relation d'estime et d'amitié avec le peuple palestinien, parce que de nombreux liens historiques et humains l'unissent à l'Etat d'Israël, elle a été parmi les premiers pays à appeler à l'application du droit international, et en particulier des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité. Les réfugiés chassés de Palestine doivent également voir leurs droits reconnus. Affirmés de longue date par la communauté internationale, ces droits n'ont jamais été exercés.
Le droit c'est aussi une solution équitable à la question de Jérusalem. Sur la base des principes du processus de paix définis lors de la conférence de Madrid et dans les Accords d'Oslo, elle est aussi une condition nécessaire à un règlement juste et durable au Proche-Orient. La question de la souveraineté sur Jérusalem doit recevoir une solution négociée qui respecte les aspirations et les droits, y compris politiques, de toutes les parties concernées, qui tienne compte de l'unité de la ville et de sa sainteté pour les trois grandes religions du Livre.
Cette paix sera aussi celle de l'eau. Elle est comme la terre l'objet de conflits. La question, complexe, appelle des réponses à la fois juridiques, politiques et techniques. Il y a urgence : les précipitations ont été dramatiquement insuffisantes au Proche-Orient ces dernières années. La communauté internationale peut aider les pays de la région à trouver des solutions. Il revient à ceux-ci de prendre les décisions qui s'imposent. Il faut là encore respecter les engagements pris, les principes reconnus d'équité, de transparence, de coopération, accepter l'échange de données et de savoir faire, exploiter et gérer les ressources en eau, non pas aux dépens du voisin mais avec lui. L'Union Européenne peut assister tous les pays concernés, sur la base de son expérience propre, dans la constitution d'une Autorité régionale de l'eau, chargée d'assurer une meilleure gestion de cette ressource si rare et précieuse.
La paix devra enfin reposer sur la sécurité. La sécurité est un besoin fondamental pour tous. Pour vos voisins israéliens, qui se sont longtemps sentis isolés au milieu d'un Proche-Orient hostile et qui sont confrontés à la menace du terrorisme extrémiste. Pour les Palestiniens, victimes tout autant de la violence et du désespoir.
Mais la paix est une tâche difficile. Les responsables politiques, les diplomates, les dirigeants économiques y apportent leur contribution : elle ne sera durablement établie que lorsqu'elle ralliera l'adhésion de chacun.
C'est aussi aux futurs citoyens de Palestine que je souhaite m'adresser à travers vous.
Le peuple palestinien a connu la tragédie de l'exil et de la dispersion, puis la guerre. Il a acquis dans ces épreuves une maturité politique exceptionnelle. Il a aujourd'hui une occasion historique de maîtriser son destin pour bâtir une société de justice et de liberté. Depuis 1994, des institutions ont été mises en place qui, avec l'autorité palestinienne préfigurent le futur Etat. Elles accomplissent un travail indispensable dont la valeur mérite d'être reconnue.
Mais la société palestinienne n'a pas attendu le processus d'Oslo pour s'organiser. Dans la vitalité du tissu associatif et le foisonnement des ONG qui caractérisent la Palestine d'aujourd'hui, dans cet épanouissement des initiatives individuelles et collectives, dans la capacité de critique et de proposition qui l'accompagne, je vois naître une société qui veut prendre la parole et maîtriser son destin. Les ONG palestiniennes entretiennent avec leurs homologues étrangères d'intenses relations. Elles fournissent sur le terrain un travail remarquable. Elles bâtissent ainsi des relations de confiance et de sympathie mutuelles. La coopération décentralisée et les jumelages ont entraîné un dense courant d'échanges entre municipalités palestiniennes et étrangères, au premier rang desquelles figurent les villes françaises. Partager l'expérience de la démocratie, prendre en mains le développement local, c'est véritablement préparer la paix.
Parce que nous partageons ces aspirations, parce que la tâche qui reste devant nous est à la fois exaltante et exigeante, les autres démocraties, à commencer par la France, ont un devoir de solidarité. Nous voulons bâtir un partenariat fondé sur l'égalité des droits et le respect mutuel. Je souhaite que la Palestine, qui depuis la réforme de notre dispositif de coopération figure parmi les pays qui bénéficient d'une attention prioritaire, devienne pour nous un partenaire majeur, dans un espace méditerranéen délivré d'antagonismes trop longtemps meurtriers. C'est à ce projet, qu'il nous faudra réaliser ensemble, que je voudrais, Mesdames et Messieurs, lever mon verre.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 10 mars 2000)