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Le sport c'est d'abord un geste, un esprit, une attitude. Sa vérité, sa beauté, se donnent à ceux qui le pratiquent ou qui aiment le regarder. Promesse de valeurs : l'émulation, la connaissance de soi, le souci d'autrui. Promesse de certitudes : la performance compte moins que le dépassement, le bonheur sait naître du respect des règles, la douleur peut associer la victoire et la souffrance. Et surtout, une capacité d'émotion et de communion extraordinaire. Alors le sport, une " école de la vie " ? L'expression fait parfois sourire. Je la trouve assez bien choisie.
Comme chacun, moi qui aime beaucoup les sports et eus la chance d'en pratiquer plusieurs, j'observe que le sport change ; que dans ses pratiques et sa représentation sociale, il bouge. Son impact est aussi bien local que mondial et désormais tous les pays sont concernés. Il occupe dans plusieurs aspects de nos vies une importance centrale. Il concerne et touche aujourd'hui autant les femmes que les hommes. Récusant la fausse et vieille coupure entre sport de masse et sport d'élite, je crois à la force d'intégration nationale et internationale qu'il possède. Je crois que la politique ne doit surtout pas l'enrégimenter, mais qu'elle doit l'aider, notamment parce qu'il peut être un formidable outil de démocratie.
Le sacre d'Eunice Barber à Séville, réfugiée sierra-léonaise devenue championne du monde française d'heptathlon, le triomphe-revanche d'Aimé Jacquet, artisan-entraîneur devenu maître tacticien d'un Onze étoilé, mettent en évidence la dimension mythique du sport. La finale de la coupe du monde de football à Paris, celle de la coupe du monde de rugby à Cardiff, pourquoi ces exploits nous font-ils frissonner ? Probablement parce que, au-delà de la prouesse physique et de l'éclat du record, ils nous donnent le sentiment que la justice et la performance sont en harmonie, en équilibre. Parce la personne humaine s'y révèle, dans un monde qui trop souvent l'écrase.
S'il faut, par amour du jeu et des champions, montrer les lumières du sport, n'en cachons pas non plus les ombres. Par exemple, le fossé entre l'univers du spectacle et le monde du loisir. Ou bien encore la fracture entre l'inscription du sport dans le champ public, voué à l'éducation, au plaisir, à la détente, et ses rapports avec l'argent, le vedettariat, la présence du dopage, cette mort lente. L'obligation de résultat valorise la lutte entre les meilleurs ; la place grandissante du profit, l'accroissement des capacités physiques des athlètes, peuvent aussi transformer les stades en cirques, les podiums en loterie et les champions en attractions. Chacun, athlète, dirigeant, pouvoirs publics, spectateurs, journalistes, le ressent et beaucoup sont en train de réagir. A juste titre, car le sport est une force fragile.
A mes yeux, le sport ne doit pas changer de place, mais plutôt de dimension. Le haut niveau ne sera pas moins captivant ni même moins rentable en redevenant plus authentique. Il ne doit pas occulter son frère le " sport amateur ", que partagent en France un million de bénévoles, treize millions de licenciés, trente millions de pratiquants. Zidane, dont l'image a recouvert en un soir magnifique l'Arc de Triomphe, ne manque pas une occasion de rappeler que le sport met d'abord l'individu en compétition avec lui-même. Cela, le gamin Yazid, qui frappait le ballon contre les barres d'immeubles de la Castellane, le constatait déjà. Dans le sport comme dans la vie, il faut savoir accepter la défaite. Et savoir dominer le succès.
Alors, quelle place pour le sport ? Dans mon coeur et dans mon existence, une des premières. Dans la faculté d'intégration et l'imaginaire d'un pays, un rôle sans pareil. Dans nos institutions, encore pas mal de progrès à accomplir. Un voeu ? Que le siècle qui s'ouvre nourrisse l'amour et la pratique du sport tout en préservant la force de son extraordinaire alchimie.
(source http://www.assemblee-nationale.fr, le 26 janvier 2000)