Texte intégral
Par ses déclarations et prises de position, confirmées le 18 janvier dans un courrier en deux points, adressé aux confédérations syndicales, le MEDEF entend lancer un débat qui touche au coeur du fonctionnement et du rôle des relations sociales dans notre société. Ce débat, que le MEDEF intitule constitution ou refondation sociale, Force Ouvrière n'entend pas l'éluder. Il conditionne en effet, par l'ampleur des questions et problèmes posés, tout le reste.
La nature même de la rencontre d'aujourd'hui est d'ailleurs posée.
Sommes-nous en réunion, en réunion paritaire, en négociation ?
Sommes-nous des interlocuteurs en situation de contracter, ou des partenaires en situation de "constitutionnaliser" ?
Nous tenons donc, avant toute chose, à rappeler et souligner quelques principes et constats fondamentaux (I) avant de nous exprimer sur le fond et sur la méthode (II) et de conclure par nos demandes (III).
I - Principes et constats fondamentaux
I - 1 - Les principes
A) Les libertés d'association et de négociation, qui constituent deux des conventions fondamentales internationales du travail (Conventions 87 et 98), sont intimement liées.
Ainsi, comme le souligne le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : "Tout homme peut défendre ses droits et intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix."
Ces deux libertés conditionnent la démocratie.
B) Les valeurs républicaines, dont l'égalité, ont deux impacts majeurs en termes de relations sociales :
a) L'égalité de droit des contractants.
A la différence de la relation individuelle salarié-employeur, qui marque un lien de subordination, l'accord collectif suppose l'égalité de droit des contractants. Cette égalité s'applique tant sur la méthode que sur le contenu des négociations. C'est pourquoi nous ne pouvons pas accepter que l'un des interlocuteurs fixe unilatéralement l'ordre du jour d'une réunion ou négociation.
b) Le droit des contractants est fondé par la loi et non par le droit que les contractants se donneraient eux-mêmes. C'est ainsi que la loi détermine notamment les principes fondamentaux du droit au travail, du droit syndical et de la Sécurité sociale. Dans notre esprit, cela implique également une articulation particulière entre loi et contrat - sur laquelle nous reviendrons - et une hiérarchisation des textes, la priorité au niveau de l'entreprise apparaissant comme un abus de droit vis-à-vis du principe d'égalité.
C) Il découle des deux premiers principes précités que le syndicat détermine librement ses positions et orientations selon des modes de délibération qu'il arrête lui-même.
Nous considérons ainsi que le syndicat de salariés est mandaté par ses adhérents. Dans ces conditions, le recours au référendum (dont on pourrait longtemps gloser sur les réelles vertus démocratiques) vise à substituer une autre forme de représentation vis-à-vis des salariés, tendant à institutionnaliser le syndicat (y compris en termes de financement) en le transformant en organisme de service, de type ONG ou fondation d'utilité publique.
D) Contrairement à la théorie du bien commun, qui tend à laisser croire qu'il y a identité d'intérêts, nonobstant la propriété et ses conséquences, entre salariés et employeurs les intérêts des uns et des autres sont par définition et construction opposés. Cela s'exprime en particulier par l'existence de structures de représentation différentes (syndicalisme patronal - syndicalisme salarié). Autrement dit, si le MEDEF est représentatif d'une partie du patronat, nous sommes représentatifs d'une partie de la classe ouvrière.
Pour Force Ouvrière, il s'agit là également d'une des raisons fondamentales nécessitant l'indépendance syndicale. C'est dans ce cadre, et conformément au principe précité d'égalité de droit des contractants, que la pratique contractuelle est un moyen essentiel et privilégié de l'action syndicale.
Cela explique également pourquoi la CGT-Force Ouvrière a toujours été un interlocuteur fidèle au principe et à la pratique contractuels et que nous avons, par exemple, joué un rôle moteur, y compris vis-à-vis du patronat, dans l'adoption en son temps de la loi du 11 février 1950 relative aux conventions collectives.
Ce n'est qu'à partir du moment où la divergence d'intérêts est reconnue et acceptée que les interlocuteurs sociaux peuvent se respecter et établir des rapports contractuels libres et responsables, facteurs de stabilité sociale et économique.
E) La légitimité des interlocuteurs sociaux à gérer certaines structures ou organismes garantissant des droits sociaux est avant tout due à la réalité de la notion de salaire différé, c'est-à-dire d'un financement faisant partie intégrante du salaire sous le vocable de cotisation sociale (et non d'Impôt).
Cela vaut quel que soit le fait juridique générateur de ces droits (loi ou accord collectif contractuel, par ailleurs intégré dans le Code du travail ou de la Sécurité sociale).
Dans notre esprit, paritarisme et salaire différé sont étroitement liés. Ce qui nous conduit à considérer qu'il appartient alors aux interlocuteurs gestionnaires de fixer, par exemple, le niveau des cotisations et des prestations.
1 - 2 - Les constats fondamentaux:
Il y a depuis une quinzaine d'années un dépérissement des relations sociales. Nous y voyons deux raisons essentielles :
1. Un interventionnisme croissant des pouvoirs publics, généralement d'initiative gouvernementale, sur le terrain social. Cet interventionnisme s'est accru au fur et à mesure que les gouvernements ont mis en oeuvre les principes du libéralisme économique, conduisant à des pertes d'autorité dans les domaines économique, monétaire et budgétaire et à un transfert du pouvoir et des interventions dans le domaine social, y compris bien souvent pour déréglementer (par exemple : une partie des lois Auroux instaurant les modalités dérogatoires, ou la loi quinquennale de 1993).
Si l'on ajoute à ce constat la complexité croissante de ces interventions sociales des pouvoirs publics - complexité liée à la recherche d'un équilibre entre compétitivité et garanties sociales -, on constate que de plus en plus fréquemment les interlocuteurs sociaux, qu'il s'agisse de la pratique contractuelle ou du paritarisme, se retrouvent en situation de subsidiarité au sens de responsabilité accessoire.
2. Une mauvaise, ou apparemment mauvaise, volonté patronale de se réapproprier à tous les niveaux, notamment au plan interprofessionnel et de branches, le dialogue social, Cela découle en particulier du refus d'ouvrir différentes négociations. Pour ne prendre que deux exemples : en 1995, en matière de réduction de la durée du travail (ce qui conduit par défaut à la loi sur les 35 heures), en 1999 en matière d'encadrement ou de précarité.
D'une certaine façon, outre les négociations liées à l'existant (par exemple : l'assurance-chômage), c'est essentiellement avec l'ARPE et les accords de branches sur les 35 heures que la négociation collective hors de l'entreprise a pu continuer à exister.
Enfin, comment ne pas souligner la contradiction entre l'affirmation d'autonomie des entreprises dans le cadre du libéralisme économique, et les appels fréquents au budget de l'État pour l'obtention d'aides diverses.
De même, que penser de l'intervention publique en cas de restructurations, quand les entreprises sollicitent elles-mêmes l'aide de l'État, s'exonérant ainsi de leurs propres responsabilités dans le chômage ?
Tout cela étant précisé, nous en venons à nous exprimer sur la méthode et sur le fond, objet de la deuxième partie de cette intervention liminaire.
II - Sur la méthode et sur le fond
II - 1 - Sur la méthode :
Outre les conséquences en termes de contenu des négociations liées au principe, déjà évoqué, d'égalité des contractants, il nous faut souligner les contradictions inhérentes aux décisions prises parle MEDEF le 18 janvier.
Autant le Code du travail stipule qu'en cas de dénonciation d'une convention collective celle-ci continue à produire ses effets pendant un an, autant nous considérons qu'en matière de présence dans les organismes paritaires - et sans nous prononcer ici sur le bien-fondé de l'absence de référence à la formation professionnelle - le MEDEF semble appliquer cette référence du Code du travail alors qu'elle est sans objet. En effet, qu'il s'agisse de la Sécurité sociale (non fondée sur un accord collectif), de l'assurance-chômage ou des retraites complémentaires, les codes du travail ou de la Sécurité sociale prévoient ce type de situations.
Cela signifierait donc que la menace de retrait s'apparente à une volonté de transférer à l'État l'entière responsabilité du paritarisme. L'étatisation n'étant apparemment pas l'objectif recherché, comment ne pas craindre qu'il s'agisse avant tout de provoquer la privatisation, c'est-à-dire la mise en concurrence sur les terrains a priori considérés comme pouvant être rentables, à savoir la maladie et la retraite ?
En termes de méthode, nous considérons là aussi que le MEDEF procède à une extension de la loi, voire à un abus de droit.
Autrement dit, il nous faut rappeler ici que ce n'est pas a priori parce que l'un des interlocuteurs partirait qu'il n'y aurait plus rien. Cela fait d'ailleurs partie de la question essentielle de la relation loi-contrat, qui constitue le fond du dossier qui nous réunit aujourd'hui.
En conclusion, sur la méthode, cela signifie surtout que quelles que soient les déclarations, il n'appartient pas à l'un des interlocuteurs de décider seul du timing et du contenu des discussions, sauf à vouloir introduire à tous les niveaux une relation de subordination.
Pour conclure sur la méthode, permettez-nous une hyperbole : la décision de partir des organismes tels qu'ils sont s'apparente à une forme de lock-out du paritarisme.
II - 2 - Le fond :
Comme indiqué précédemment, le fond du dossier de cette réunion concerne les relations entre loi et contrat.
La Cgt-Force Ouvrière est une organisation fondamentalement attachée aux valeurs républicaines de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité. Ce n'est pas un hasard si ces quinze dernières années nous l'avons régulièrement rappelé à des occasions multiples, par exemple sur le débat entre égalité et équité.
La Cgt-Force Ouvrière est également, comme nous venons de le rappeler, fondamentalement (tant au plan théorique que pratique) attachée à la pratique contractuelle, outil essentiel de la liberté de comportement du syndicat, un attachement auquel nous n'avons jamais failli, même de manière exigeante.
Ce double attachement nous conduit à vouloir développer la solidarité dans le respect de l'égalité de droit, à articuler contrat et loi dans le respect dès compétences et responsabilités.
Dans ces conditions, plusieurs éléments fondamentaux doivent être soulignés.
A - Le respect des valeurs républicaines impose le respect de l'objectif d'égalité de droit. Cela signifie que nous ne sommes pas partisans du "tout conventionnel" ou du "tout contractuel".
B - Partisans de la liberté d'adhésion du salarié au syndicat de son choix, nous réaffirmons que le pluralisme syndical a des raisons historiques et conceptuelles qu'il appartient aux salariés et à leurs organisations, et à eux seuls, de modifier.
C - Attachés à la structure confédérée du syndicalisme, facteur de solidarité, nous sommes attachés à la structure interprofessionnelle, y compris au niveau de la pratique contractuelle. En France, la structure confédérée, avec ses responsabilités, est une structure participant au lien entre démocratie et république, entre solidarité et égalité.
D - Détentrices d'une conception de la représentation d'intérêts collectifs et individuels, les confédérations syndicales engagent par leurs signatures l'évolution de la situation des salariés, chômeurs et retraités, ce qui n'a posé aucun problème majeur tant que les procédures de dérogation n'ont pas été instaurées.
Ainsi, il nous apparaît légitime qu'un accord puisse être contesté par un individu ou une structure qui se considérerait lésé. De même, il nous apparaît légitime que sur les principes fondamentaux la loi ne puisse être écartée, y compris pour affirmer le droit de négociation.
Ce n'est pas un hasard s'il existe un code spécifique en matière de travail, différent du code civil : le Code du travail.
Enfin, il nous apparaît tout aussi essentiel que sur les domaines de leurs compétences, les interlocuteurs sociaux puissent s'engager au travers d'une vie contractuelle articulée, dynamique et intense, ce qui suppose aussi que les mandats de négociation ne soient pas des mandats impératifs, rendant impossible toute recherche d'un compromis,
Au delà, il nous apparaît idéologique ou purement théorique d'échafauder des sas étanches, ou mécanismes formalistes, entre loi et contrat. D'ailleurs le paritarisme pur n'existe pas.
Y compris en matière d'assurance-chômage, c'est à la demande du général de Gaulle qu'en 1958 les négociations se sont ouvertes et conclues au 31 décembre.
De même qui conteste, par exemple, l'existence des commissions mixtes paritaires ?
L'égalité, c'est aussi la possibilité de l'extension d'un accord, y compris au regard des modalités de la concurrence, ce qui permet, en l'occurrence, au contrat de précéder la loi.
La question des relations entre loi et contrat n'est pas nouvelle et l'Histoire montre qu'un mur de Berlin entre les deux est impossible, qu'une certaine souplesse est nécessaire.
Postuler le tout législatif, c'est nier la liberté d'association et la liberté de comportement du syndicat. C'est obligatoirement, avec l'étatisation, prôner la politisation de l'action syndicale. C'est placer les gestionnaires en situation de subsidiarité.
Postuler le tout contractuel, c'est renier les valeurs républicaines et réclamer une constitution différente, d'inspiration anglo-saxonne, ou à risque corporatiste. La dérive anglo-saxonne consisterait à privilégier le niveau de l'entreprise, interdire les solidarités interprofessionnelles (y compris la grève), prôner une quasi-unicité syndicale, favoriser une mise sur le marché de droits sociaux, développer la structure de métier. Elle s'accompagnerait d'un écartèlement du niveau national entre l'Europe et le local ou régional. Le risque corporatiste, quant à lui, pourrait naître de la volonté des contractants de devenir législateurs ou colégislateurs au nom de l'intérêt commun. Tel pourrait ainsi être le cas si les interlocuteurs sociaux devenaient partenaires collégiaux d'une agence ou haute autorité, juge et gardien des accords contractuels.
Dans cette hypothèse le contrat, c'est-à-dire le produit d'un accord entre les interlocuteurs sociaux, s'imposerait à la loi, c'est-à-dire au Parlement. C'est là une conception de la subsidiarité dans laquelle l'autonomie apparente serait en opposition avec l'indépendance des interlocuteurs.
Au passage, nous n'avons pas oublié, parce que nous l'avons suffisamment dénoncée, une autre forme de corporatisme, ayant existé dans le livre ou chez les dockers et où cela a conduit les secteurs professionnels en question Dans ces conditions, il nous apparaît essentiel que soient mieux explicitées les notions de constitution ou de refondation sociale.
Si l'on prend l'exemple des structures de protection sociale collective, il convient de définir ce qu'on entend parc clarification :
- Mise en place d'un système universel d'assistance, le complément étant livré à la concurrence, y compris avec un cahier des charges ?
- Séparation totale entre un système étatisé et une structure concurrentielle ?
- Articulation entre solidarité nationale et solidarité ouvrière, ce qui impose des choix clairs en termes de financement, de champ d'action, de responsabilités ?
Ce type de questionnement traverse l'ensemble du dossier protection sociale collective, la clarification pouvant traduire plusieurs conceptions fondamentalement différentes.
S'il veut respecter son indépendance, le syndicalisme ne peut être porteur de responsabilité de gestion ou de décision au niveau de l'État ou au niveau de l'entreprise. Dans l'entreprise, le syndicat n'est pas l'équivalent ou le substitut de la direction des relations ou ressources humaines.
Enfin, et c'est lié, comment ne pas penser qu'une reconnaissance institutionnelle du syndicalisme responsable, conduisant à un financement public et privé de ce même syndicalisme, serait foncièrement incompatible avec la liberté d'association et d'expression des convictions, avec l'indépendance et, conséquemment, discriminatoire, Un syndicalisme ainsi transformé en institution de service ne pourrait être qu'un rouage du pouvoir, public ou privé, De ce point de vue, l'expérience conduite chez AXA avec le chèque syndical mérite d'être analysée attentivement.
Tout cela explique et conditionne, pour la Cgt-Force Ouvrière, notre demande et notre approche en matière de clarification des compétences et responsabilités du paritarisme. Nous rappelons d'ailleurs que cette demande avait été formulée au patronat en 1997 et qu'elle ne put avoir de suite compte tenu des réticences émises par certains interlocuteurs, non patronaux d'ailleurs.
III - Ce que demande la Cgt-FORCE OUVRIÈRE
En conclusion de ce propos liminaire, que nous avons voulu, autant que faire se peut, précis et relativement bref compte tenu d'enjeux que nous pouvons qualifier de société, nous voulons souligner que la réponse aux inquiétudes posées, le débat contradictoire constituent autant de préalables à tout examen ou analyse saucissonnée qui, au nom du pragmatisme, évacuerait de fait les objectifs et intentions des uns et des autres.
De notre point de vue, débat et transparence doivent être indissociables.
C'est pourquoi, d'ores et déjà, nous réclamons un ordre du jour, débattu, voire contradictoire, et le droit d'utilisation par les organisations syndicales, des moyens techniques d'information des entreprises afin de pouvoir informer, de la manière la plus transparente possible, les salariés de nos débats et analyses respectives.
(Source http://www.force-ouvriere.fr, le 6 février 2000)
La nature même de la rencontre d'aujourd'hui est d'ailleurs posée.
Sommes-nous en réunion, en réunion paritaire, en négociation ?
Sommes-nous des interlocuteurs en situation de contracter, ou des partenaires en situation de "constitutionnaliser" ?
Nous tenons donc, avant toute chose, à rappeler et souligner quelques principes et constats fondamentaux (I) avant de nous exprimer sur le fond et sur la méthode (II) et de conclure par nos demandes (III).
I - Principes et constats fondamentaux
I - 1 - Les principes
A) Les libertés d'association et de négociation, qui constituent deux des conventions fondamentales internationales du travail (Conventions 87 et 98), sont intimement liées.
Ainsi, comme le souligne le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : "Tout homme peut défendre ses droits et intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix."
Ces deux libertés conditionnent la démocratie.
B) Les valeurs républicaines, dont l'égalité, ont deux impacts majeurs en termes de relations sociales :
a) L'égalité de droit des contractants.
A la différence de la relation individuelle salarié-employeur, qui marque un lien de subordination, l'accord collectif suppose l'égalité de droit des contractants. Cette égalité s'applique tant sur la méthode que sur le contenu des négociations. C'est pourquoi nous ne pouvons pas accepter que l'un des interlocuteurs fixe unilatéralement l'ordre du jour d'une réunion ou négociation.
b) Le droit des contractants est fondé par la loi et non par le droit que les contractants se donneraient eux-mêmes. C'est ainsi que la loi détermine notamment les principes fondamentaux du droit au travail, du droit syndical et de la Sécurité sociale. Dans notre esprit, cela implique également une articulation particulière entre loi et contrat - sur laquelle nous reviendrons - et une hiérarchisation des textes, la priorité au niveau de l'entreprise apparaissant comme un abus de droit vis-à-vis du principe d'égalité.
C) Il découle des deux premiers principes précités que le syndicat détermine librement ses positions et orientations selon des modes de délibération qu'il arrête lui-même.
Nous considérons ainsi que le syndicat de salariés est mandaté par ses adhérents. Dans ces conditions, le recours au référendum (dont on pourrait longtemps gloser sur les réelles vertus démocratiques) vise à substituer une autre forme de représentation vis-à-vis des salariés, tendant à institutionnaliser le syndicat (y compris en termes de financement) en le transformant en organisme de service, de type ONG ou fondation d'utilité publique.
D) Contrairement à la théorie du bien commun, qui tend à laisser croire qu'il y a identité d'intérêts, nonobstant la propriété et ses conséquences, entre salariés et employeurs les intérêts des uns et des autres sont par définition et construction opposés. Cela s'exprime en particulier par l'existence de structures de représentation différentes (syndicalisme patronal - syndicalisme salarié). Autrement dit, si le MEDEF est représentatif d'une partie du patronat, nous sommes représentatifs d'une partie de la classe ouvrière.
Pour Force Ouvrière, il s'agit là également d'une des raisons fondamentales nécessitant l'indépendance syndicale. C'est dans ce cadre, et conformément au principe précité d'égalité de droit des contractants, que la pratique contractuelle est un moyen essentiel et privilégié de l'action syndicale.
Cela explique également pourquoi la CGT-Force Ouvrière a toujours été un interlocuteur fidèle au principe et à la pratique contractuels et que nous avons, par exemple, joué un rôle moteur, y compris vis-à-vis du patronat, dans l'adoption en son temps de la loi du 11 février 1950 relative aux conventions collectives.
Ce n'est qu'à partir du moment où la divergence d'intérêts est reconnue et acceptée que les interlocuteurs sociaux peuvent se respecter et établir des rapports contractuels libres et responsables, facteurs de stabilité sociale et économique.
E) La légitimité des interlocuteurs sociaux à gérer certaines structures ou organismes garantissant des droits sociaux est avant tout due à la réalité de la notion de salaire différé, c'est-à-dire d'un financement faisant partie intégrante du salaire sous le vocable de cotisation sociale (et non d'Impôt).
Cela vaut quel que soit le fait juridique générateur de ces droits (loi ou accord collectif contractuel, par ailleurs intégré dans le Code du travail ou de la Sécurité sociale).
Dans notre esprit, paritarisme et salaire différé sont étroitement liés. Ce qui nous conduit à considérer qu'il appartient alors aux interlocuteurs gestionnaires de fixer, par exemple, le niveau des cotisations et des prestations.
1 - 2 - Les constats fondamentaux:
Il y a depuis une quinzaine d'années un dépérissement des relations sociales. Nous y voyons deux raisons essentielles :
1. Un interventionnisme croissant des pouvoirs publics, généralement d'initiative gouvernementale, sur le terrain social. Cet interventionnisme s'est accru au fur et à mesure que les gouvernements ont mis en oeuvre les principes du libéralisme économique, conduisant à des pertes d'autorité dans les domaines économique, monétaire et budgétaire et à un transfert du pouvoir et des interventions dans le domaine social, y compris bien souvent pour déréglementer (par exemple : une partie des lois Auroux instaurant les modalités dérogatoires, ou la loi quinquennale de 1993).
Si l'on ajoute à ce constat la complexité croissante de ces interventions sociales des pouvoirs publics - complexité liée à la recherche d'un équilibre entre compétitivité et garanties sociales -, on constate que de plus en plus fréquemment les interlocuteurs sociaux, qu'il s'agisse de la pratique contractuelle ou du paritarisme, se retrouvent en situation de subsidiarité au sens de responsabilité accessoire.
2. Une mauvaise, ou apparemment mauvaise, volonté patronale de se réapproprier à tous les niveaux, notamment au plan interprofessionnel et de branches, le dialogue social, Cela découle en particulier du refus d'ouvrir différentes négociations. Pour ne prendre que deux exemples : en 1995, en matière de réduction de la durée du travail (ce qui conduit par défaut à la loi sur les 35 heures), en 1999 en matière d'encadrement ou de précarité.
D'une certaine façon, outre les négociations liées à l'existant (par exemple : l'assurance-chômage), c'est essentiellement avec l'ARPE et les accords de branches sur les 35 heures que la négociation collective hors de l'entreprise a pu continuer à exister.
Enfin, comment ne pas souligner la contradiction entre l'affirmation d'autonomie des entreprises dans le cadre du libéralisme économique, et les appels fréquents au budget de l'État pour l'obtention d'aides diverses.
De même, que penser de l'intervention publique en cas de restructurations, quand les entreprises sollicitent elles-mêmes l'aide de l'État, s'exonérant ainsi de leurs propres responsabilités dans le chômage ?
Tout cela étant précisé, nous en venons à nous exprimer sur la méthode et sur le fond, objet de la deuxième partie de cette intervention liminaire.
II - Sur la méthode et sur le fond
II - 1 - Sur la méthode :
Outre les conséquences en termes de contenu des négociations liées au principe, déjà évoqué, d'égalité des contractants, il nous faut souligner les contradictions inhérentes aux décisions prises parle MEDEF le 18 janvier.
Autant le Code du travail stipule qu'en cas de dénonciation d'une convention collective celle-ci continue à produire ses effets pendant un an, autant nous considérons qu'en matière de présence dans les organismes paritaires - et sans nous prononcer ici sur le bien-fondé de l'absence de référence à la formation professionnelle - le MEDEF semble appliquer cette référence du Code du travail alors qu'elle est sans objet. En effet, qu'il s'agisse de la Sécurité sociale (non fondée sur un accord collectif), de l'assurance-chômage ou des retraites complémentaires, les codes du travail ou de la Sécurité sociale prévoient ce type de situations.
Cela signifierait donc que la menace de retrait s'apparente à une volonté de transférer à l'État l'entière responsabilité du paritarisme. L'étatisation n'étant apparemment pas l'objectif recherché, comment ne pas craindre qu'il s'agisse avant tout de provoquer la privatisation, c'est-à-dire la mise en concurrence sur les terrains a priori considérés comme pouvant être rentables, à savoir la maladie et la retraite ?
En termes de méthode, nous considérons là aussi que le MEDEF procède à une extension de la loi, voire à un abus de droit.
Autrement dit, il nous faut rappeler ici que ce n'est pas a priori parce que l'un des interlocuteurs partirait qu'il n'y aurait plus rien. Cela fait d'ailleurs partie de la question essentielle de la relation loi-contrat, qui constitue le fond du dossier qui nous réunit aujourd'hui.
En conclusion, sur la méthode, cela signifie surtout que quelles que soient les déclarations, il n'appartient pas à l'un des interlocuteurs de décider seul du timing et du contenu des discussions, sauf à vouloir introduire à tous les niveaux une relation de subordination.
Pour conclure sur la méthode, permettez-nous une hyperbole : la décision de partir des organismes tels qu'ils sont s'apparente à une forme de lock-out du paritarisme.
II - 2 - Le fond :
Comme indiqué précédemment, le fond du dossier de cette réunion concerne les relations entre loi et contrat.
La Cgt-Force Ouvrière est une organisation fondamentalement attachée aux valeurs républicaines de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité. Ce n'est pas un hasard si ces quinze dernières années nous l'avons régulièrement rappelé à des occasions multiples, par exemple sur le débat entre égalité et équité.
La Cgt-Force Ouvrière est également, comme nous venons de le rappeler, fondamentalement (tant au plan théorique que pratique) attachée à la pratique contractuelle, outil essentiel de la liberté de comportement du syndicat, un attachement auquel nous n'avons jamais failli, même de manière exigeante.
Ce double attachement nous conduit à vouloir développer la solidarité dans le respect de l'égalité de droit, à articuler contrat et loi dans le respect dès compétences et responsabilités.
Dans ces conditions, plusieurs éléments fondamentaux doivent être soulignés.
A - Le respect des valeurs républicaines impose le respect de l'objectif d'égalité de droit. Cela signifie que nous ne sommes pas partisans du "tout conventionnel" ou du "tout contractuel".
B - Partisans de la liberté d'adhésion du salarié au syndicat de son choix, nous réaffirmons que le pluralisme syndical a des raisons historiques et conceptuelles qu'il appartient aux salariés et à leurs organisations, et à eux seuls, de modifier.
C - Attachés à la structure confédérée du syndicalisme, facteur de solidarité, nous sommes attachés à la structure interprofessionnelle, y compris au niveau de la pratique contractuelle. En France, la structure confédérée, avec ses responsabilités, est une structure participant au lien entre démocratie et république, entre solidarité et égalité.
D - Détentrices d'une conception de la représentation d'intérêts collectifs et individuels, les confédérations syndicales engagent par leurs signatures l'évolution de la situation des salariés, chômeurs et retraités, ce qui n'a posé aucun problème majeur tant que les procédures de dérogation n'ont pas été instaurées.
Ainsi, il nous apparaît légitime qu'un accord puisse être contesté par un individu ou une structure qui se considérerait lésé. De même, il nous apparaît légitime que sur les principes fondamentaux la loi ne puisse être écartée, y compris pour affirmer le droit de négociation.
Ce n'est pas un hasard s'il existe un code spécifique en matière de travail, différent du code civil : le Code du travail.
Enfin, il nous apparaît tout aussi essentiel que sur les domaines de leurs compétences, les interlocuteurs sociaux puissent s'engager au travers d'une vie contractuelle articulée, dynamique et intense, ce qui suppose aussi que les mandats de négociation ne soient pas des mandats impératifs, rendant impossible toute recherche d'un compromis,
Au delà, il nous apparaît idéologique ou purement théorique d'échafauder des sas étanches, ou mécanismes formalistes, entre loi et contrat. D'ailleurs le paritarisme pur n'existe pas.
Y compris en matière d'assurance-chômage, c'est à la demande du général de Gaulle qu'en 1958 les négociations se sont ouvertes et conclues au 31 décembre.
De même qui conteste, par exemple, l'existence des commissions mixtes paritaires ?
L'égalité, c'est aussi la possibilité de l'extension d'un accord, y compris au regard des modalités de la concurrence, ce qui permet, en l'occurrence, au contrat de précéder la loi.
La question des relations entre loi et contrat n'est pas nouvelle et l'Histoire montre qu'un mur de Berlin entre les deux est impossible, qu'une certaine souplesse est nécessaire.
Postuler le tout législatif, c'est nier la liberté d'association et la liberté de comportement du syndicat. C'est obligatoirement, avec l'étatisation, prôner la politisation de l'action syndicale. C'est placer les gestionnaires en situation de subsidiarité.
Postuler le tout contractuel, c'est renier les valeurs républicaines et réclamer une constitution différente, d'inspiration anglo-saxonne, ou à risque corporatiste. La dérive anglo-saxonne consisterait à privilégier le niveau de l'entreprise, interdire les solidarités interprofessionnelles (y compris la grève), prôner une quasi-unicité syndicale, favoriser une mise sur le marché de droits sociaux, développer la structure de métier. Elle s'accompagnerait d'un écartèlement du niveau national entre l'Europe et le local ou régional. Le risque corporatiste, quant à lui, pourrait naître de la volonté des contractants de devenir législateurs ou colégislateurs au nom de l'intérêt commun. Tel pourrait ainsi être le cas si les interlocuteurs sociaux devenaient partenaires collégiaux d'une agence ou haute autorité, juge et gardien des accords contractuels.
Dans cette hypothèse le contrat, c'est-à-dire le produit d'un accord entre les interlocuteurs sociaux, s'imposerait à la loi, c'est-à-dire au Parlement. C'est là une conception de la subsidiarité dans laquelle l'autonomie apparente serait en opposition avec l'indépendance des interlocuteurs.
Au passage, nous n'avons pas oublié, parce que nous l'avons suffisamment dénoncée, une autre forme de corporatisme, ayant existé dans le livre ou chez les dockers et où cela a conduit les secteurs professionnels en question Dans ces conditions, il nous apparaît essentiel que soient mieux explicitées les notions de constitution ou de refondation sociale.
Si l'on prend l'exemple des structures de protection sociale collective, il convient de définir ce qu'on entend parc clarification :
- Mise en place d'un système universel d'assistance, le complément étant livré à la concurrence, y compris avec un cahier des charges ?
- Séparation totale entre un système étatisé et une structure concurrentielle ?
- Articulation entre solidarité nationale et solidarité ouvrière, ce qui impose des choix clairs en termes de financement, de champ d'action, de responsabilités ?
Ce type de questionnement traverse l'ensemble du dossier protection sociale collective, la clarification pouvant traduire plusieurs conceptions fondamentalement différentes.
S'il veut respecter son indépendance, le syndicalisme ne peut être porteur de responsabilité de gestion ou de décision au niveau de l'État ou au niveau de l'entreprise. Dans l'entreprise, le syndicat n'est pas l'équivalent ou le substitut de la direction des relations ou ressources humaines.
Enfin, et c'est lié, comment ne pas penser qu'une reconnaissance institutionnelle du syndicalisme responsable, conduisant à un financement public et privé de ce même syndicalisme, serait foncièrement incompatible avec la liberté d'association et d'expression des convictions, avec l'indépendance et, conséquemment, discriminatoire, Un syndicalisme ainsi transformé en institution de service ne pourrait être qu'un rouage du pouvoir, public ou privé, De ce point de vue, l'expérience conduite chez AXA avec le chèque syndical mérite d'être analysée attentivement.
Tout cela explique et conditionne, pour la Cgt-Force Ouvrière, notre demande et notre approche en matière de clarification des compétences et responsabilités du paritarisme. Nous rappelons d'ailleurs que cette demande avait été formulée au patronat en 1997 et qu'elle ne put avoir de suite compte tenu des réticences émises par certains interlocuteurs, non patronaux d'ailleurs.
III - Ce que demande la Cgt-FORCE OUVRIÈRE
En conclusion de ce propos liminaire, que nous avons voulu, autant que faire se peut, précis et relativement bref compte tenu d'enjeux que nous pouvons qualifier de société, nous voulons souligner que la réponse aux inquiétudes posées, le débat contradictoire constituent autant de préalables à tout examen ou analyse saucissonnée qui, au nom du pragmatisme, évacuerait de fait les objectifs et intentions des uns et des autres.
De notre point de vue, débat et transparence doivent être indissociables.
C'est pourquoi, d'ores et déjà, nous réclamons un ordre du jour, débattu, voire contradictoire, et le droit d'utilisation par les organisations syndicales, des moyens techniques d'information des entreprises afin de pouvoir informer, de la manière la plus transparente possible, les salariés de nos débats et analyses respectives.
(Source http://www.force-ouvriere.fr, le 6 février 2000)