Texte intégral
Je suis heureux de vous voir en cette fin de deuxième journée, puisque je suis arrivé hier en début d'après-midi à Tunis. Je voudrais mentionner que je suis venu en compagnie de deux parlementaires du Sénat français. L'une, Mme Monique Ben Guiga qui est ici, préside au Sénat le groupe d'amitié France/Tunisie et l'autre, Mme Paulette Brisepierre, elle aussi sénateur représentant les Français de l'étranger, nous a rejoints aujourd'hui.
Je voudrais vous dire tout d'abord quelques mots, avant que l'on puisse se livrer au jeu des questions et des réponses, pour me féliciter de ce qui est pour moi la première visite en Tunisie, dans les fonctions gouvernementales qui sont les miennes aujourd'hui, chargé à la fois de la coopération et de la francophonie. J'ai déjà eu maintes occasions de venir et de connaître la Tunisie auparavant mais c'est la première fois que je le fais dans le cadre de ces fonctions.
Puisque, comme je vous le disais, je suis venu accompagné de deux sénatrices et d'une petite délégation, j'ai été très sensible à l'accueil qui nous a été réservé par les autorités tunisiennes : le président Ben Ali et les membres du gouvernement que j'ai pu rencontrer, à commencer par M. Ben Yahia, le ministre des Affaires étrangères, Mme Chtioui, secrétaire d'Etat, et plusieurs autres membres du gouvernement que j'ai pu voir tour à tour ou ensemble, au cours de cette journée et demie passée déjà ici.
Cette visite n'est pas la première visite ministérielle depuis que le gouvernement français de Jean-Pierre Raffarin a été nommé. Sept de mes collègues sont déjà venus depuis lors, dont le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin. D'autres seront amenés également à venir, de même que nous recevons volontiers et fréquemment la visite de nos collègues tunisiens. C'est dire l'étroitesse des liens entre nos deux pays et donc nos deux gouvernements, qui résulte d'une volonté commune de donner à notre relation toujours plus d'efficacité. Cette visite se place également dans la perspective du voyage, plus exactement de la visite d'Etat, que le président de la République française, M. Chirac, doit rendre à la Tunisie, à l'invitation du président Ben Ali, d'ici la fin de l'année.
Je me réjouis de la vigueur et de la qualité des relations bilatérales entre la Tunisie et la France. Je voudrais vous dire en quelques mots sur quelle base repose ce jugement. Tout d'abord, sur le plan politique, il existe entre nos deux pays et entre les dirigeants de nos deux pays une relation de confiance très solide qui donne à cette relation un caractère très particulier.
Nous partageons les mêmes points de vue sur les principaux problèmes que rencontre actuellement le monde : la nécessité de préserver la paix et de privilégier la négociation pour surmonter les désaccords ou régler les crises, que ce soit sur le continent africain, au Proche-Orient ou ailleurs ; le rôle essentiel que doivent jouer les Nations unies dans ce but (préservation de la paix et résolution des conflits) ; la nécessité aussi de lutter contre la pauvreté et les inégalités dans le monde qui créent les conditions favorables aux crises et aux manifestations de mouvements extrémistes. Vous savez que sur ce plan, les analyses du président Ben Ali, qui se sont encore traduites dans des déclarations qu'il a faites et que j'ai lues dans la presse d'aujourd'hui, et la position du président français, M. Chirac, sont tout à fait similaires. Elles traduisent la même analyse et la même conviction qu'il est essentiel que la communauté internationale prenne à bras le corps le problème de la lutte contre la pauvreté, c'est-à-dire du développement des pays pauvres.
Nous sommes encore profondément d'accord et déterminés à le manifester dans les faits, pour renforcer la solidarité dans le cadre euroméditerranéen, à travers le dialogue dit "5+5" - les cinq pays de la bordure nord de la Méditerranée occidentale (Portugal, Espagne, France, Italie, Malte) et les cinq pays de la bordure méridionale de cette portion de la Méditerranée, à savoir Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye. C'est autour de ce dialogue que nous souhaitons pouvoir organiser les relations entre nos pays, pour une multitude de raisons, et de ce point de vue nous saluons la proposition du président Ben Ali d'organiser un sommet des chefs d'Etat dans ce cadre dit 5+5, en fin d'année.
C'est autour de ces grands thèmes que nous pouvons donc constater à quel point nos points de vue, nos sentiments, nos engagements sont identiques en ce qui concerne les grands sujets politiques internationaux.
Sur le plan de la coopération maintenant, vous savez que la France est le premier partenaire de la Tunisie. A l'occasion de cette visite, dans un domaine qui m'est naturellement particulièrement cher, nous avons confirmé et en quelque sorte officialisé, par la signature de nouvelles conventions, une modernisation et un renforcement de notre coopération.
Une nouvelle convention de coopération culturelle, scientifique et technique a été signée pour remplacer la précédente qui commençait à dater parce que les instruments, les modalités, les méthodes de la coopération telle que nous la concevons aujourd'hui ont évolué. En particulier, ces méthodes sont aujourd'hui inspirées d'un souci prédominant du partenariat, c'est-à-dire le choix en commun des actions qu'il convient de privilégier, l'élaboration de priorités, là aussi en commun, et la réalisation des projets ou des programmes dans un même partenariat. C'est donc une convention sur les conditions et l'organisation de notre coopération.
Nous avons aussi signé hier une convention qui va améliorer la situation des Tunisiennes et des Tunisiens qui vivent et qui travaillent en France, en ce qui concerne leur couverture sociale. Grâce à cette convention, la couverture par la sécurité sociale des travailleurs tunisiens non salariés va désormais être assurée. Jusqu'à ce jour, les travailleurs salariés étaient couverts mais pas les différentes professions non salariées et il est tout à fait équitable que ceux qui ne sont pas dans la situation juridique du salariat puissent eux aussi bénéficier de cette couverture sociale.
Nous avons également procédé à la signature d'une convention entre le gouvernement tunisien et l'Agence française de développement, par l'intermédiaire de son directeur à Tunis, qui concentre nos moyens de coopération sur quelques sujets prioritaires. Dans le cas particulier, il s'agit de la formation professionnelle dans laquelle l'AFD s'implique et apporte des financements importants.
Nous avons bien entendu évoqué une série d'autres sujets qui concernent les relations bilatérales franco-tunisiennes y compris l'amélioration des conditions de circulation des personnes entre la Tunisie et la France. C'est un sujet auquel nous sommes sensibles, les uns et les autres, pour la bonne raison qu'il y a en France environ 450 000 Tunisiens qui ont le souci de pouvoir aller et venir en raison de leur famille restée ici. C'est un problème toujours un peu compliqué de gérer ces flux dans les deux sens mais nous sommes très désireux de tout faire pour améliorer la situation.
Bref, comme vous le voyez, la relation entre la France et la Tunisie est très étroite, très forte. Nous y attachons une très grande importance. La Tunisie est pour nous un pays avec lequel nous avons non seulement des liens historiques mais aussi des liens humains. Je viens de parler de la communauté tunisienne qui vit en France, qui est particulièrement active et bien intégrée dans notre pays. Nous savons aussi combien nombreux sont les Français qui ont des attaches ici, en Tunisie, qu'ils y viennent en touristes ou quelques fois pour s'installer.
Comme je vous le disais, il y a beaucoup de points communs dans la façon dont nous abordons les questions principales du monde actuel. Pour nous, la Tunisie, à la fois attachée fidèlement à ses traditions, à sa grande histoire, à ses valeurs mais aussi tournée vers la modernité dans ce qu'elle a de meilleur, est en mesure d'offrir une synthèse particulièrement utile, je crois, dans le monde actuel. C'est une raison supplémentaire qui fait que nous sommes très heureux de pouvoir encore renforcer ce lien entre nos deux pays et nos deux peuples.
Voici, à titre d'introduction, les grandes lignes concernant cette visite que je vais poursuivre encore demain matin. Si vous le souhaitez, je suis à votre disposition pour tenter de vous apporter quelques précisions sur certains points. Merci beaucoup.
Q - Vous venez d'être reçu par le président Ben Ali auquel vous avez dit avoir remis un message du président Chirac. Pourrait-on savoir à quoi a trait ce message ?
Une deuxième question, si vous le permettez. Est-ce que vous avez parlé au cours de vos entretiens avec les responsables tunisiens de la reprise des émissions de la télévision française en Tunisie ?
R - Sur le premier point, je vais vous décevoir parce qu'il n'est guère d'usage de donner connaissance publiquement d'une lettre qui s'adresse à son destinataire. Ce message comportait évidemment des propos très chaleureux et très amicaux, compte tenu des relations personnelles qui existent entre les deux présidents. Mais quant au contenu plus détaillé, je ne veux pas me livrer à des indiscrétions sur la correspondance entre les deux chefs d'Etat.
Sur l'autre point concernant la télévision, c'est un domaine dans lequel il y a eu plusieurs phases. D'abord il n'y avait rien, ou pas grand chose. Puis il y a eu une période pendant laquelle la deuxième chaîne de télévision française était diffusée largement, par voie hertzienne. Puis cette situation a cessé. Les conditions ont relativement évolué ; les techniques également. Les moyens techniques de diffusion et les chaînes existantes sont aujourd'hui beaucoup plus diversifiés qu'ils ne l'étaient autrefois.
Cela fait partie des sujets dont nous avons pu parler avec mes homologues. Il y a de part et d'autre la volonté de développer une coopération dans le secteur de l'audiovisuel, de l'image et bien entendu de la télévision, mais probablement d'une autre façon que ce qui a pu être fait dans une période antérieure. Il y a des accords possibles en ce qui concerne la production d'émissions ; il y a des accords possibles en ce qui concerne la diffusion d'émissions. Sans doute assisterons-nous dans l'avenir à un certain nombre de développements dans ce domaine mais pas au retour pur et simple à des situations antérieures.
Les choses ont changé et nous les avons abordées sans aucun tabou, plutôt tournés vers l'avenir en pensant à la nécessité pour nos deux pays de sauvegarder leur capacité d'expression par l'image, aussi bien par la télévision que par le cinéma ou par les moyens de communication comme Internet. De toute façon, avoir par l'image des visions diversifiées du monde est important, je crois, pour nous tous. Par conséquent, nous aurons sans doute un certain nombre d'initiatives dans ce domaine. J'ajoute que de nouveaux opérateurs sont apparus. Que ce soit l'opérateur international de la francophonie TV5 ou s'agissant de chaînes qui transitent par voie satellitaire, l'offre s'est beaucoup diversifiée.
Q - En ce qui concerne le dialogue "5+5". Au-delà de la dimension politique proprement dite, sur le plan de la coopération économique, est-ce que cela va se traduire par une sorte de pacte d'intégration de l'UMA, d'autant que tout le monde convient maintenant que Barcelone est en panne et que le dialogue euroméditerranéen se déroule sur le plan bilatéral ? Ce grand rendez-vous se traduira-t-il par un dynamisme économique ou un pacte d'intégration dans le bassin occidental de la Méditerranée ?
R - Le contenu de ce dialogue à "5+5" est effectivement à construire. A l'origine, il y a une volonté politique et je disais tout à l'heure que l'initiative prise par le président Ben Ali de proposer à ses neuf homologues de se réunir au cours d'un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement a précisément cet intérêt de solenniser la démarche mais aussi de proposer des contenus, des contenus politiques, c'est important, mais aussi des contenus économiques, culturels et d'autres, éventuellement.
C'est à nos yeux une orientation très importante des deux côtés. C'est-à-dire du côté du nord du continent africain et du côté du sud du continent européen car rien ne serait pire que de voir l'Europe entraînée par le poids des nouveaux adhérents que sont les pays d'Europe centrale et orientale, amenée à moins se tourner vers ses voisins et partenaires immédiats du Sud. Pour nous qui sommes, disons, à la charnière mais qui accordons une très grande importance, comme vous le savez, à la Méditerranée en tant que trait d'union avec le continent africain - à commencer bien sûr par le Maghreb mais en pensant que derrière le Maghreb il y a le continent africain tout entier -, ce dialogue est très important comme moyen d'équilibrer et de rééquilibrer s'il le faut la construction européenne, comme moyen d'entraîner aussi nos partenaires européens à prendre davantage leur part de l'effort qu'il convient de faire en faveur des pays du Sud, comme on dit pour simplifier.
Alors le contenu est en effet à concevoir. On peut faire preuve, dans ce domaine, de pas mal d'initiative. Je pense que ce contenu pourra être présenté à l'occasion de ce sommet dont nous souhaitons qu'il puisse se tenir.
Q - Nous traversons une période de l'histoire très particulière, après le 11 septembre et surtout après la guerre d'Irak, où les Etats-Unis essaient d'imposer leur hégémonie y compris en Afrique. On a l'impression qu'il y a de plus en plus de compétition franco-américaine en Afrique même. Si c'est vrai, avez-vous l'intention d'accélérer le rythme de la coopération économique pour impliquer davantage les pays africains dans le processus de démocratisation, pour que la démocratisation ait un support économique ?
R - Vous soulevez là une question tout à fait importante. Il n'y a pas de compétition, au sens péjoratif du terme, entre nous et nos amis américains. S'il y en a une, disons que c'est plutôt une émulation - du moins c'est comme cela que nous le concevons - pour essayer de trouver les meilleures formules concernant la façon dont le monde pourrait être mieux organisé et aussi pour faire en sorte que l'écart entre les pays pauvres et les pays développés puisse être réduit grâce à la mobilisation de tous.
Sur le premier point, c'est-à-dire sur la conception que l'on peut se faire d'un monde meilleur, je pense qu'il est assez sain qu'il puisse y avoir dialogue, pas forcément affrontement. Entre amis, on peut exprimer des points de vue, écouter ce que disent les autres. Vous savez que pour la France mais pour beaucoup d'autres peuples aussi - c'est vrai d'ailleurs de l'ensemble des Etats qui sont réunis au sein de l'Organisation internationale de la francophonie qui compte tout de même plus de cinquante pays ; c'est vrai de beaucoup d'autres aussi qui ne se cachent pas pour le dire -, un monde qui serait régi par un seul centre qui serait le centre dominant sur le plan de l'économie mais aussi, par voie de conséquence, sur le plan politique, stratégique, militaire, culturel, serait un monde sans doute voué à des réveils difficiles parce qu'il susciterait probablement de fortes frustrations. Les civilisations sont diverses, les valeurs sont diverses dans le monde. La question est de les faire vivre ensemble pacifiquement mais de les accepter, de les reconnaître pour ce qu'elles sont avec leur identité. C'est la raison pour laquelle nous avons exprimé cette préférence pour un monde multipolaire. C'est le contraire d'un monde dans lequel toutes ces sociétés, toutes ces civilisations, toutes ces valeurs entreraient en conflit.
Bien évidemment, il s'agit qu'il y ait des règles du jeu et c'est la raison pour laquelle la France tient si fort à ce que l'Organisation des Nations unies soit précisément le lieu qui définisse la légalité internationale et qui assure les relations pacifiques et fructueuses entre ces partenaires que sont les différents pôles existant dans le monde. Voilà, le débat sur ce sujet est ouvert et je pense qu'il faut que chacun écoute l'autre sans caricaturer ses positions.
En ce qui concerne la seconde partie de votre question sur la prise en considération du développement de la démocratie et pas seulement du développement économique et technique, c'est exactement la démarche qui se déroule en ce moment, par la volonté commune des Africains, aussi bien ceux du Nord que ceux d'Afrique subsaharienne, d'Afrique australe ou de la Corne de l'Afrique. Je pense au projet du NEPAD, le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, dont vous savez qu'il comprend un volet très important sous cette expression à la mode qu'on appelle la bonne gouvernance mais qui recouvre des choses extrêmement concrètes : le respect d'un Etat de droit en matière de protection des libertés individuelles et collectives ; une politique active en matière de lutte contre la corruption ; la garantie de la sécurité juridique ; un effort en matière de services sociaux c'est-à-dire système éducatif, système de santé, etc. Soit tout un contexte qui doit accompagner les investissements publics ou privés que les pays développés s'engagent à faire de leur côté.
C'est donc bien cette démarche à laquelle nous nous sommes, nous, fortement engagés mais pas nous seulement puisqu'elle a été soutenue par les pays du G8, y compris les Etats-Unis, - cela a encore été rappelé très clairement lors du Sommet d'Evian, le 1er et le 2 juin - et par nos partenaires africains. Pas seulement les cinq pays ou chefs d'Etat qui ont été les pionniers en matière de NEPAD mais aussi tous ceux qui ont signé cet engagement et qui sont trente-cinq ou quarante maintenant.
Q - Monsieur le Ministre, pouvons-nous dire que la France a une véritable politique maghrébine et, dans l'affirmative, quels sont les pôles majeurs de cette politique, dans un climat de réchauffement et de revitalisation des relations ?
R - Il y a effectivement en France une volonté renforcée de développer les relations que nous avons avec nos voisins du Maghreb, notamment ceux qui nous sont le plus proche pour toutes sortes de raisons, la Tunisie, l'Algérie, le Maroc. Cette volonté de rapprochement est très visible. Elle n'est dirigée contre personne, bien sûr. Au contraire, je crois que tout le monde a bien compris dans quel esprit elle a lieu et je crois qu'elle est partagée, réciproque. Nous souhaitons d'ailleurs aussi que la vocation - si j'ose dire - régionale ou sous-régionale puisse prendre toute sa place dans cette démarche puisque nous avons des relations bilatérales très étroites, et que nous souhaitons de plus en plus étroites, avec les trois pays. Eh bien, si les trois pays eux-mêmes et ceux qui sont autour de nous côté européen peuvent développer ensemble des actions communes, cela nous paraît une dimension supplémentaire tout à fait utile. Mais la volonté de resserrer nos liens est tout à fait réelle, en effet.
Q - Monsieur le Ministre, comment peut-on construire un espace euroméditerranéen alors que le conflit israélo-arabe perdure et que l'on constate que la France ne s'implique pas davantage dans le processus de paix au Proche-Orient, bien qu'elle soit membre du Conseil de sécurité ?
R - Je vous trouve bien sévère. Le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin était sur place, il y a quelques jours encore, à rencontrer des dirigeants palestiniens, des dirigeants israéliens. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de déclaration tous les jours que nous ne sommes pas actifs, bien au contraire.
Nous le sommes d'ailleurs en étroite liaison avec nos partenaires européens et l'Europe, comme vous le savez, est très directement impliquée, à travers ce que l'on appelle le Quartet qui a proposé un plan de sortie de crise connu sous le nom de feuille de route. Naturellement, nous avons participé à l'élaboration de cette démarche et nous faisons tout ce que nous pouvons pour en assurer le succès parce qu'il nous semble qu'il n'y a pas d'autre solution que celle-là. Et j'ai pu observer que sur ce point les autorités tunisiennes avaient un point de vue tout à fait identique. Nous sommes donc aussi actifs que possible, sans chercher à faire du spectacle mais décidés à essayer d'apporter notre pierre à la solution de ce problème qui pèse effectivement très lourdement sur le monde.
Vous avez commencé à m'interroger en me disant : "Est-ce que l'on peut vraiment parler de dialogue euroméditerranéen tant que cela n'est pas réglé ?". Eh bien il faut les deux choses. Il faut régler le problème entre Israël et la Palestine, c'est évident. En même temps, rien n'empêche d'essayer d'avancer sur un certain nombre de sujets et, grâce à cela, de renforcer peut-être le poids de tous ceux qui plaident en faveur de solutions négociées comme le prévoit la feuille de route.
Q - Les Américains ont présenté un projet économique intégral pour la région du Moyen-Orient. Est-ce que l'Union européenne sera obligée d'intégrer ce projet ou va-t-elle continuer à miser sur Barcelone qui piétine et qui n'a rien donné de concret jusqu'ici ?
R - Je ne suis pas en mesure de vous donner là-dessus une réponse précise. Je préfère donc m'abstenir de commenter ce que vous avez dit. C'est vrai, le processus de Barcelone a tardé à trouver véritablement son contenu mais ce n'est pas une raison pour penser qu'il a échoué. Quelquefois les meilleures idées mettent du temps à réussir. Nous le savons bien, nous en Europe qui avons mis beaucoup de temps pour arriver à construire, et avec quelles difficultés, quelque chose qui commence à devenir un peu solide. Et cela n'est pas fini ! Ne soyons donc pas trop impatients avec les processus de construction régionaux !
Q - Monsieur le Ministre, le Maroc et les Etats-Unis ont annoncé leur intention de créer une zone de libre échange d'ici la fin de l'année. Est-ce que cela n'entre pas en flagrante contradiction avec le rapprochement avec l'Union européenne ?
R - Je ne pense pas que cela soit forcément en contradiction. Il faut regarder concrètement quelles en sont les conditions. Est-ce que cela concerne ou non la totalité des secteurs de l'économie marocaine ? Je n'ai pas connaissance du document ; je ne sais pas très bien quelle est la nature exacte des engagements qui sont annoncés. Je pense qu'il faut regarder objectivement comment les choses se passent et quelles sont les adaptations que cela suppose. A priori, cela n'est pas inéluctablement contradictoire avec le rapprochement de l'économie marocaine, ou celle d'autres pays d'ailleurs, avec l'espace européen.
Q - Est-ce que vous ne pensez pas que c'est la conséquence d'une perte de temps et du manque de volonté de l'Union européenne de se rapprocher des Etats du Maghreb ?
R - Non pas forcément, vous savez. Je trouve que l'Union européenne à laquelle on a effectivement pu reprocher dans le passé d'être un peu lente et pas suffisamment attentive à ce qui se passait autour d'elle, notamment au sud de l'Europe mais aussi dans l'espace mondial, a au contraire manifesté dans la période récente une assez forte communication dans le domaine des relations avec les pays ACP d'Afrique, du Pacifique et des Caraïbes et, plus généralement, avec les autres pôles de la planète. Je ne pense donc pas qu'aujourd'hui ce reproche soit fondé.
Il se trouve que j'ai prochainement rendez-vous avec le commissaire européen du développement à Bruxelles et nous avons à l'ordre du jour toute une série de sujets à examiner. Je pensais bien lui parler du Maghreb et des relations euroméditerranéennes à la suite de cette visite ici à Tunis. Je vais le faire mais je sais qu'il est très sensibilisé à ces questions aussi. Je ne crois pas que l'on puisse craindre un manque d'intérêt.
Q - Et la Libye dans cette affaire ?
R - La Libye fait partie de l'UMA. Dans le cadre de l'UMA ou d'une autre manière, elle est un interlocuteur et un partenaire possible. Il n'y a pas de cas particulier à faire à cet égard.
Q - Est-ce qu'en marge de votre visite vous avez rencontré des gens de la société civile, vous ou bien les parlementaires ?
R - En ce qui me concerne, comme je vous l'ai dit, mon voyage est court et très ciblé sur toute une série de sujets. Il ne s'agit pas de problèmes mais de faire avancer toute une série de dossiers avec mes interlocuteurs du gouvernement tunisien. Donc, cette fois-ci, je n'ai pas eu de contacts particuliers sauf par exemple pour visiter telle ou telle réalisation que nous avons menée en commun, Tunisiens et Français, comme par exemple, il y a quelques instants, le centre de formation professionnelle que j'ai visité et auquel a contribué l'Agence française de développement avec des partenaires qui sont des entreprises tunisiennes et des entreprises françaises.
Pour le reste, je n'ai pas cette fois-ci rencontré d'autres interlocuteurs. Ce sera pour une autre fois.
Q - Concernant le sommet "5+5", je voudrais avoir quelques détails concernant le déroulement.
R - Là, je ne vais pas pouvoir vous répondre. C'est une initiative du président Ben Ali ! Je pense que ce sont nos amis tunisiens qui seront en mesure de vous donner les indications sur ces sujets.
Q - Concernant la coopération entre les pays francophones, vous ne trouvez pas qu'elle demeure très limitée, qu'il s'agit plutôt d'une coopération bilatérale entre la France et les autres pays, que ce projet manque de dynamisme et que même la rencontre des chefs d'Etat demeure un rendez-vous protocolaire ?
R - D'abord, c'est déjà intéressant qu'ils puissent évoquer ensemble, très librement, comme c'est le cas dans ce genre de réunions, les questions qui se posent. Mais cela va au-delà parce que la francophonie a longtemps pu recevoir le reproche que vous lui faites mais aujourd'hui, la coopération multilatérale s'est beaucoup développée, bien entendu en commençant par le volet culturel et éducatif. Pour prendre un seul exemple, l'Agence universitaire de la francophonie, l'AUF, est un opérateur très important qui a tissé dans le monde entier un réseau entre les universités. Ça, c'est du concret. Quand on regarde de près ce qui se fait, cela représente pas mal de moyens financiers et cela représente une forte mobilisation. S'agissant de la télévision TV5, après avoir cherché un peu sa voie, elle est aujourd'hui devenue une vraie chaîne internationale francophone et commence - elle le mérite - à être tout à fait prise au sérieux. Et ainsi de suite
Tout cela ne se fait pas en un seul jour mais je pense que le contenu multilatéral de la francophonie s'est développé. Il emprunte aussi d'autres circuits, d'autres canaux. Par exemple, en ce qui nous concerne, le canal de l'Union européenne. La France, à elle toute seule, finance 25% du Fonds européen de développement qui consomme donc une part importante de nos efforts financiers en faveur du développement. Nous avons aussi des participations à une série de programmes internationaux qui sont pilotés par la Banque mondiale, par le Fonds monétaire international, par des agences des Nations unies comme le PNUD. Donc l'action multilatérale s'est énormément développée et je crois que c'est une bonne chose.
Je vous remercie de votre attention
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1 juillet 2003)
Je voudrais vous dire tout d'abord quelques mots, avant que l'on puisse se livrer au jeu des questions et des réponses, pour me féliciter de ce qui est pour moi la première visite en Tunisie, dans les fonctions gouvernementales qui sont les miennes aujourd'hui, chargé à la fois de la coopération et de la francophonie. J'ai déjà eu maintes occasions de venir et de connaître la Tunisie auparavant mais c'est la première fois que je le fais dans le cadre de ces fonctions.
Puisque, comme je vous le disais, je suis venu accompagné de deux sénatrices et d'une petite délégation, j'ai été très sensible à l'accueil qui nous a été réservé par les autorités tunisiennes : le président Ben Ali et les membres du gouvernement que j'ai pu rencontrer, à commencer par M. Ben Yahia, le ministre des Affaires étrangères, Mme Chtioui, secrétaire d'Etat, et plusieurs autres membres du gouvernement que j'ai pu voir tour à tour ou ensemble, au cours de cette journée et demie passée déjà ici.
Cette visite n'est pas la première visite ministérielle depuis que le gouvernement français de Jean-Pierre Raffarin a été nommé. Sept de mes collègues sont déjà venus depuis lors, dont le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin. D'autres seront amenés également à venir, de même que nous recevons volontiers et fréquemment la visite de nos collègues tunisiens. C'est dire l'étroitesse des liens entre nos deux pays et donc nos deux gouvernements, qui résulte d'une volonté commune de donner à notre relation toujours plus d'efficacité. Cette visite se place également dans la perspective du voyage, plus exactement de la visite d'Etat, que le président de la République française, M. Chirac, doit rendre à la Tunisie, à l'invitation du président Ben Ali, d'ici la fin de l'année.
Je me réjouis de la vigueur et de la qualité des relations bilatérales entre la Tunisie et la France. Je voudrais vous dire en quelques mots sur quelle base repose ce jugement. Tout d'abord, sur le plan politique, il existe entre nos deux pays et entre les dirigeants de nos deux pays une relation de confiance très solide qui donne à cette relation un caractère très particulier.
Nous partageons les mêmes points de vue sur les principaux problèmes que rencontre actuellement le monde : la nécessité de préserver la paix et de privilégier la négociation pour surmonter les désaccords ou régler les crises, que ce soit sur le continent africain, au Proche-Orient ou ailleurs ; le rôle essentiel que doivent jouer les Nations unies dans ce but (préservation de la paix et résolution des conflits) ; la nécessité aussi de lutter contre la pauvreté et les inégalités dans le monde qui créent les conditions favorables aux crises et aux manifestations de mouvements extrémistes. Vous savez que sur ce plan, les analyses du président Ben Ali, qui se sont encore traduites dans des déclarations qu'il a faites et que j'ai lues dans la presse d'aujourd'hui, et la position du président français, M. Chirac, sont tout à fait similaires. Elles traduisent la même analyse et la même conviction qu'il est essentiel que la communauté internationale prenne à bras le corps le problème de la lutte contre la pauvreté, c'est-à-dire du développement des pays pauvres.
Nous sommes encore profondément d'accord et déterminés à le manifester dans les faits, pour renforcer la solidarité dans le cadre euroméditerranéen, à travers le dialogue dit "5+5" - les cinq pays de la bordure nord de la Méditerranée occidentale (Portugal, Espagne, France, Italie, Malte) et les cinq pays de la bordure méridionale de cette portion de la Méditerranée, à savoir Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye. C'est autour de ce dialogue que nous souhaitons pouvoir organiser les relations entre nos pays, pour une multitude de raisons, et de ce point de vue nous saluons la proposition du président Ben Ali d'organiser un sommet des chefs d'Etat dans ce cadre dit 5+5, en fin d'année.
C'est autour de ces grands thèmes que nous pouvons donc constater à quel point nos points de vue, nos sentiments, nos engagements sont identiques en ce qui concerne les grands sujets politiques internationaux.
Sur le plan de la coopération maintenant, vous savez que la France est le premier partenaire de la Tunisie. A l'occasion de cette visite, dans un domaine qui m'est naturellement particulièrement cher, nous avons confirmé et en quelque sorte officialisé, par la signature de nouvelles conventions, une modernisation et un renforcement de notre coopération.
Une nouvelle convention de coopération culturelle, scientifique et technique a été signée pour remplacer la précédente qui commençait à dater parce que les instruments, les modalités, les méthodes de la coopération telle que nous la concevons aujourd'hui ont évolué. En particulier, ces méthodes sont aujourd'hui inspirées d'un souci prédominant du partenariat, c'est-à-dire le choix en commun des actions qu'il convient de privilégier, l'élaboration de priorités, là aussi en commun, et la réalisation des projets ou des programmes dans un même partenariat. C'est donc une convention sur les conditions et l'organisation de notre coopération.
Nous avons aussi signé hier une convention qui va améliorer la situation des Tunisiennes et des Tunisiens qui vivent et qui travaillent en France, en ce qui concerne leur couverture sociale. Grâce à cette convention, la couverture par la sécurité sociale des travailleurs tunisiens non salariés va désormais être assurée. Jusqu'à ce jour, les travailleurs salariés étaient couverts mais pas les différentes professions non salariées et il est tout à fait équitable que ceux qui ne sont pas dans la situation juridique du salariat puissent eux aussi bénéficier de cette couverture sociale.
Nous avons également procédé à la signature d'une convention entre le gouvernement tunisien et l'Agence française de développement, par l'intermédiaire de son directeur à Tunis, qui concentre nos moyens de coopération sur quelques sujets prioritaires. Dans le cas particulier, il s'agit de la formation professionnelle dans laquelle l'AFD s'implique et apporte des financements importants.
Nous avons bien entendu évoqué une série d'autres sujets qui concernent les relations bilatérales franco-tunisiennes y compris l'amélioration des conditions de circulation des personnes entre la Tunisie et la France. C'est un sujet auquel nous sommes sensibles, les uns et les autres, pour la bonne raison qu'il y a en France environ 450 000 Tunisiens qui ont le souci de pouvoir aller et venir en raison de leur famille restée ici. C'est un problème toujours un peu compliqué de gérer ces flux dans les deux sens mais nous sommes très désireux de tout faire pour améliorer la situation.
Bref, comme vous le voyez, la relation entre la France et la Tunisie est très étroite, très forte. Nous y attachons une très grande importance. La Tunisie est pour nous un pays avec lequel nous avons non seulement des liens historiques mais aussi des liens humains. Je viens de parler de la communauté tunisienne qui vit en France, qui est particulièrement active et bien intégrée dans notre pays. Nous savons aussi combien nombreux sont les Français qui ont des attaches ici, en Tunisie, qu'ils y viennent en touristes ou quelques fois pour s'installer.
Comme je vous le disais, il y a beaucoup de points communs dans la façon dont nous abordons les questions principales du monde actuel. Pour nous, la Tunisie, à la fois attachée fidèlement à ses traditions, à sa grande histoire, à ses valeurs mais aussi tournée vers la modernité dans ce qu'elle a de meilleur, est en mesure d'offrir une synthèse particulièrement utile, je crois, dans le monde actuel. C'est une raison supplémentaire qui fait que nous sommes très heureux de pouvoir encore renforcer ce lien entre nos deux pays et nos deux peuples.
Voici, à titre d'introduction, les grandes lignes concernant cette visite que je vais poursuivre encore demain matin. Si vous le souhaitez, je suis à votre disposition pour tenter de vous apporter quelques précisions sur certains points. Merci beaucoup.
Q - Vous venez d'être reçu par le président Ben Ali auquel vous avez dit avoir remis un message du président Chirac. Pourrait-on savoir à quoi a trait ce message ?
Une deuxième question, si vous le permettez. Est-ce que vous avez parlé au cours de vos entretiens avec les responsables tunisiens de la reprise des émissions de la télévision française en Tunisie ?
R - Sur le premier point, je vais vous décevoir parce qu'il n'est guère d'usage de donner connaissance publiquement d'une lettre qui s'adresse à son destinataire. Ce message comportait évidemment des propos très chaleureux et très amicaux, compte tenu des relations personnelles qui existent entre les deux présidents. Mais quant au contenu plus détaillé, je ne veux pas me livrer à des indiscrétions sur la correspondance entre les deux chefs d'Etat.
Sur l'autre point concernant la télévision, c'est un domaine dans lequel il y a eu plusieurs phases. D'abord il n'y avait rien, ou pas grand chose. Puis il y a eu une période pendant laquelle la deuxième chaîne de télévision française était diffusée largement, par voie hertzienne. Puis cette situation a cessé. Les conditions ont relativement évolué ; les techniques également. Les moyens techniques de diffusion et les chaînes existantes sont aujourd'hui beaucoup plus diversifiés qu'ils ne l'étaient autrefois.
Cela fait partie des sujets dont nous avons pu parler avec mes homologues. Il y a de part et d'autre la volonté de développer une coopération dans le secteur de l'audiovisuel, de l'image et bien entendu de la télévision, mais probablement d'une autre façon que ce qui a pu être fait dans une période antérieure. Il y a des accords possibles en ce qui concerne la production d'émissions ; il y a des accords possibles en ce qui concerne la diffusion d'émissions. Sans doute assisterons-nous dans l'avenir à un certain nombre de développements dans ce domaine mais pas au retour pur et simple à des situations antérieures.
Les choses ont changé et nous les avons abordées sans aucun tabou, plutôt tournés vers l'avenir en pensant à la nécessité pour nos deux pays de sauvegarder leur capacité d'expression par l'image, aussi bien par la télévision que par le cinéma ou par les moyens de communication comme Internet. De toute façon, avoir par l'image des visions diversifiées du monde est important, je crois, pour nous tous. Par conséquent, nous aurons sans doute un certain nombre d'initiatives dans ce domaine. J'ajoute que de nouveaux opérateurs sont apparus. Que ce soit l'opérateur international de la francophonie TV5 ou s'agissant de chaînes qui transitent par voie satellitaire, l'offre s'est beaucoup diversifiée.
Q - En ce qui concerne le dialogue "5+5". Au-delà de la dimension politique proprement dite, sur le plan de la coopération économique, est-ce que cela va se traduire par une sorte de pacte d'intégration de l'UMA, d'autant que tout le monde convient maintenant que Barcelone est en panne et que le dialogue euroméditerranéen se déroule sur le plan bilatéral ? Ce grand rendez-vous se traduira-t-il par un dynamisme économique ou un pacte d'intégration dans le bassin occidental de la Méditerranée ?
R - Le contenu de ce dialogue à "5+5" est effectivement à construire. A l'origine, il y a une volonté politique et je disais tout à l'heure que l'initiative prise par le président Ben Ali de proposer à ses neuf homologues de se réunir au cours d'un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement a précisément cet intérêt de solenniser la démarche mais aussi de proposer des contenus, des contenus politiques, c'est important, mais aussi des contenus économiques, culturels et d'autres, éventuellement.
C'est à nos yeux une orientation très importante des deux côtés. C'est-à-dire du côté du nord du continent africain et du côté du sud du continent européen car rien ne serait pire que de voir l'Europe entraînée par le poids des nouveaux adhérents que sont les pays d'Europe centrale et orientale, amenée à moins se tourner vers ses voisins et partenaires immédiats du Sud. Pour nous qui sommes, disons, à la charnière mais qui accordons une très grande importance, comme vous le savez, à la Méditerranée en tant que trait d'union avec le continent africain - à commencer bien sûr par le Maghreb mais en pensant que derrière le Maghreb il y a le continent africain tout entier -, ce dialogue est très important comme moyen d'équilibrer et de rééquilibrer s'il le faut la construction européenne, comme moyen d'entraîner aussi nos partenaires européens à prendre davantage leur part de l'effort qu'il convient de faire en faveur des pays du Sud, comme on dit pour simplifier.
Alors le contenu est en effet à concevoir. On peut faire preuve, dans ce domaine, de pas mal d'initiative. Je pense que ce contenu pourra être présenté à l'occasion de ce sommet dont nous souhaitons qu'il puisse se tenir.
Q - Nous traversons une période de l'histoire très particulière, après le 11 septembre et surtout après la guerre d'Irak, où les Etats-Unis essaient d'imposer leur hégémonie y compris en Afrique. On a l'impression qu'il y a de plus en plus de compétition franco-américaine en Afrique même. Si c'est vrai, avez-vous l'intention d'accélérer le rythme de la coopération économique pour impliquer davantage les pays africains dans le processus de démocratisation, pour que la démocratisation ait un support économique ?
R - Vous soulevez là une question tout à fait importante. Il n'y a pas de compétition, au sens péjoratif du terme, entre nous et nos amis américains. S'il y en a une, disons que c'est plutôt une émulation - du moins c'est comme cela que nous le concevons - pour essayer de trouver les meilleures formules concernant la façon dont le monde pourrait être mieux organisé et aussi pour faire en sorte que l'écart entre les pays pauvres et les pays développés puisse être réduit grâce à la mobilisation de tous.
Sur le premier point, c'est-à-dire sur la conception que l'on peut se faire d'un monde meilleur, je pense qu'il est assez sain qu'il puisse y avoir dialogue, pas forcément affrontement. Entre amis, on peut exprimer des points de vue, écouter ce que disent les autres. Vous savez que pour la France mais pour beaucoup d'autres peuples aussi - c'est vrai d'ailleurs de l'ensemble des Etats qui sont réunis au sein de l'Organisation internationale de la francophonie qui compte tout de même plus de cinquante pays ; c'est vrai de beaucoup d'autres aussi qui ne se cachent pas pour le dire -, un monde qui serait régi par un seul centre qui serait le centre dominant sur le plan de l'économie mais aussi, par voie de conséquence, sur le plan politique, stratégique, militaire, culturel, serait un monde sans doute voué à des réveils difficiles parce qu'il susciterait probablement de fortes frustrations. Les civilisations sont diverses, les valeurs sont diverses dans le monde. La question est de les faire vivre ensemble pacifiquement mais de les accepter, de les reconnaître pour ce qu'elles sont avec leur identité. C'est la raison pour laquelle nous avons exprimé cette préférence pour un monde multipolaire. C'est le contraire d'un monde dans lequel toutes ces sociétés, toutes ces civilisations, toutes ces valeurs entreraient en conflit.
Bien évidemment, il s'agit qu'il y ait des règles du jeu et c'est la raison pour laquelle la France tient si fort à ce que l'Organisation des Nations unies soit précisément le lieu qui définisse la légalité internationale et qui assure les relations pacifiques et fructueuses entre ces partenaires que sont les différents pôles existant dans le monde. Voilà, le débat sur ce sujet est ouvert et je pense qu'il faut que chacun écoute l'autre sans caricaturer ses positions.
En ce qui concerne la seconde partie de votre question sur la prise en considération du développement de la démocratie et pas seulement du développement économique et technique, c'est exactement la démarche qui se déroule en ce moment, par la volonté commune des Africains, aussi bien ceux du Nord que ceux d'Afrique subsaharienne, d'Afrique australe ou de la Corne de l'Afrique. Je pense au projet du NEPAD, le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, dont vous savez qu'il comprend un volet très important sous cette expression à la mode qu'on appelle la bonne gouvernance mais qui recouvre des choses extrêmement concrètes : le respect d'un Etat de droit en matière de protection des libertés individuelles et collectives ; une politique active en matière de lutte contre la corruption ; la garantie de la sécurité juridique ; un effort en matière de services sociaux c'est-à-dire système éducatif, système de santé, etc. Soit tout un contexte qui doit accompagner les investissements publics ou privés que les pays développés s'engagent à faire de leur côté.
C'est donc bien cette démarche à laquelle nous nous sommes, nous, fortement engagés mais pas nous seulement puisqu'elle a été soutenue par les pays du G8, y compris les Etats-Unis, - cela a encore été rappelé très clairement lors du Sommet d'Evian, le 1er et le 2 juin - et par nos partenaires africains. Pas seulement les cinq pays ou chefs d'Etat qui ont été les pionniers en matière de NEPAD mais aussi tous ceux qui ont signé cet engagement et qui sont trente-cinq ou quarante maintenant.
Q - Monsieur le Ministre, pouvons-nous dire que la France a une véritable politique maghrébine et, dans l'affirmative, quels sont les pôles majeurs de cette politique, dans un climat de réchauffement et de revitalisation des relations ?
R - Il y a effectivement en France une volonté renforcée de développer les relations que nous avons avec nos voisins du Maghreb, notamment ceux qui nous sont le plus proche pour toutes sortes de raisons, la Tunisie, l'Algérie, le Maroc. Cette volonté de rapprochement est très visible. Elle n'est dirigée contre personne, bien sûr. Au contraire, je crois que tout le monde a bien compris dans quel esprit elle a lieu et je crois qu'elle est partagée, réciproque. Nous souhaitons d'ailleurs aussi que la vocation - si j'ose dire - régionale ou sous-régionale puisse prendre toute sa place dans cette démarche puisque nous avons des relations bilatérales très étroites, et que nous souhaitons de plus en plus étroites, avec les trois pays. Eh bien, si les trois pays eux-mêmes et ceux qui sont autour de nous côté européen peuvent développer ensemble des actions communes, cela nous paraît une dimension supplémentaire tout à fait utile. Mais la volonté de resserrer nos liens est tout à fait réelle, en effet.
Q - Monsieur le Ministre, comment peut-on construire un espace euroméditerranéen alors que le conflit israélo-arabe perdure et que l'on constate que la France ne s'implique pas davantage dans le processus de paix au Proche-Orient, bien qu'elle soit membre du Conseil de sécurité ?
R - Je vous trouve bien sévère. Le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin était sur place, il y a quelques jours encore, à rencontrer des dirigeants palestiniens, des dirigeants israéliens. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de déclaration tous les jours que nous ne sommes pas actifs, bien au contraire.
Nous le sommes d'ailleurs en étroite liaison avec nos partenaires européens et l'Europe, comme vous le savez, est très directement impliquée, à travers ce que l'on appelle le Quartet qui a proposé un plan de sortie de crise connu sous le nom de feuille de route. Naturellement, nous avons participé à l'élaboration de cette démarche et nous faisons tout ce que nous pouvons pour en assurer le succès parce qu'il nous semble qu'il n'y a pas d'autre solution que celle-là. Et j'ai pu observer que sur ce point les autorités tunisiennes avaient un point de vue tout à fait identique. Nous sommes donc aussi actifs que possible, sans chercher à faire du spectacle mais décidés à essayer d'apporter notre pierre à la solution de ce problème qui pèse effectivement très lourdement sur le monde.
Vous avez commencé à m'interroger en me disant : "Est-ce que l'on peut vraiment parler de dialogue euroméditerranéen tant que cela n'est pas réglé ?". Eh bien il faut les deux choses. Il faut régler le problème entre Israël et la Palestine, c'est évident. En même temps, rien n'empêche d'essayer d'avancer sur un certain nombre de sujets et, grâce à cela, de renforcer peut-être le poids de tous ceux qui plaident en faveur de solutions négociées comme le prévoit la feuille de route.
Q - Les Américains ont présenté un projet économique intégral pour la région du Moyen-Orient. Est-ce que l'Union européenne sera obligée d'intégrer ce projet ou va-t-elle continuer à miser sur Barcelone qui piétine et qui n'a rien donné de concret jusqu'ici ?
R - Je ne suis pas en mesure de vous donner là-dessus une réponse précise. Je préfère donc m'abstenir de commenter ce que vous avez dit. C'est vrai, le processus de Barcelone a tardé à trouver véritablement son contenu mais ce n'est pas une raison pour penser qu'il a échoué. Quelquefois les meilleures idées mettent du temps à réussir. Nous le savons bien, nous en Europe qui avons mis beaucoup de temps pour arriver à construire, et avec quelles difficultés, quelque chose qui commence à devenir un peu solide. Et cela n'est pas fini ! Ne soyons donc pas trop impatients avec les processus de construction régionaux !
Q - Monsieur le Ministre, le Maroc et les Etats-Unis ont annoncé leur intention de créer une zone de libre échange d'ici la fin de l'année. Est-ce que cela n'entre pas en flagrante contradiction avec le rapprochement avec l'Union européenne ?
R - Je ne pense pas que cela soit forcément en contradiction. Il faut regarder concrètement quelles en sont les conditions. Est-ce que cela concerne ou non la totalité des secteurs de l'économie marocaine ? Je n'ai pas connaissance du document ; je ne sais pas très bien quelle est la nature exacte des engagements qui sont annoncés. Je pense qu'il faut regarder objectivement comment les choses se passent et quelles sont les adaptations que cela suppose. A priori, cela n'est pas inéluctablement contradictoire avec le rapprochement de l'économie marocaine, ou celle d'autres pays d'ailleurs, avec l'espace européen.
Q - Est-ce que vous ne pensez pas que c'est la conséquence d'une perte de temps et du manque de volonté de l'Union européenne de se rapprocher des Etats du Maghreb ?
R - Non pas forcément, vous savez. Je trouve que l'Union européenne à laquelle on a effectivement pu reprocher dans le passé d'être un peu lente et pas suffisamment attentive à ce qui se passait autour d'elle, notamment au sud de l'Europe mais aussi dans l'espace mondial, a au contraire manifesté dans la période récente une assez forte communication dans le domaine des relations avec les pays ACP d'Afrique, du Pacifique et des Caraïbes et, plus généralement, avec les autres pôles de la planète. Je ne pense donc pas qu'aujourd'hui ce reproche soit fondé.
Il se trouve que j'ai prochainement rendez-vous avec le commissaire européen du développement à Bruxelles et nous avons à l'ordre du jour toute une série de sujets à examiner. Je pensais bien lui parler du Maghreb et des relations euroméditerranéennes à la suite de cette visite ici à Tunis. Je vais le faire mais je sais qu'il est très sensibilisé à ces questions aussi. Je ne crois pas que l'on puisse craindre un manque d'intérêt.
Q - Et la Libye dans cette affaire ?
R - La Libye fait partie de l'UMA. Dans le cadre de l'UMA ou d'une autre manière, elle est un interlocuteur et un partenaire possible. Il n'y a pas de cas particulier à faire à cet égard.
Q - Est-ce qu'en marge de votre visite vous avez rencontré des gens de la société civile, vous ou bien les parlementaires ?
R - En ce qui me concerne, comme je vous l'ai dit, mon voyage est court et très ciblé sur toute une série de sujets. Il ne s'agit pas de problèmes mais de faire avancer toute une série de dossiers avec mes interlocuteurs du gouvernement tunisien. Donc, cette fois-ci, je n'ai pas eu de contacts particuliers sauf par exemple pour visiter telle ou telle réalisation que nous avons menée en commun, Tunisiens et Français, comme par exemple, il y a quelques instants, le centre de formation professionnelle que j'ai visité et auquel a contribué l'Agence française de développement avec des partenaires qui sont des entreprises tunisiennes et des entreprises françaises.
Pour le reste, je n'ai pas cette fois-ci rencontré d'autres interlocuteurs. Ce sera pour une autre fois.
Q - Concernant le sommet "5+5", je voudrais avoir quelques détails concernant le déroulement.
R - Là, je ne vais pas pouvoir vous répondre. C'est une initiative du président Ben Ali ! Je pense que ce sont nos amis tunisiens qui seront en mesure de vous donner les indications sur ces sujets.
Q - Concernant la coopération entre les pays francophones, vous ne trouvez pas qu'elle demeure très limitée, qu'il s'agit plutôt d'une coopération bilatérale entre la France et les autres pays, que ce projet manque de dynamisme et que même la rencontre des chefs d'Etat demeure un rendez-vous protocolaire ?
R - D'abord, c'est déjà intéressant qu'ils puissent évoquer ensemble, très librement, comme c'est le cas dans ce genre de réunions, les questions qui se posent. Mais cela va au-delà parce que la francophonie a longtemps pu recevoir le reproche que vous lui faites mais aujourd'hui, la coopération multilatérale s'est beaucoup développée, bien entendu en commençant par le volet culturel et éducatif. Pour prendre un seul exemple, l'Agence universitaire de la francophonie, l'AUF, est un opérateur très important qui a tissé dans le monde entier un réseau entre les universités. Ça, c'est du concret. Quand on regarde de près ce qui se fait, cela représente pas mal de moyens financiers et cela représente une forte mobilisation. S'agissant de la télévision TV5, après avoir cherché un peu sa voie, elle est aujourd'hui devenue une vraie chaîne internationale francophone et commence - elle le mérite - à être tout à fait prise au sérieux. Et ainsi de suite
Tout cela ne se fait pas en un seul jour mais je pense que le contenu multilatéral de la francophonie s'est développé. Il emprunte aussi d'autres circuits, d'autres canaux. Par exemple, en ce qui nous concerne, le canal de l'Union européenne. La France, à elle toute seule, finance 25% du Fonds européen de développement qui consomme donc une part importante de nos efforts financiers en faveur du développement. Nous avons aussi des participations à une série de programmes internationaux qui sont pilotés par la Banque mondiale, par le Fonds monétaire international, par des agences des Nations unies comme le PNUD. Donc l'action multilatérale s'est énormément développée et je crois que c'est une bonne chose.
Je vous remercie de votre attention
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1 juillet 2003)