Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à LCI le 21 octobre 2003, sur les propositions d'amendement de l'UDF pour le budget 2004 et la préparation des élections régionales de 2004.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser-. Vous arrivez tout droit de l'Assemblée nationale où vous avez passé une bonne partie de la nuit pour le débat budgétaire, dont la séance vient d'être levée. Vous n'avez pas obtenu gain de cause du Gouvernement, vous réclamiez le maintien de l'Allocation spécifique de solidarité et A. Lambert, le ministre du Budget, a maintenu la proposition du Gouvernement de transformer cette allocation en Revenu minimum d'activité. C'est cela ?
- "Oui, l'Allocation spécifique de solidarité est l'allocation que reçoivent les chômeurs en fin de droits. Ils ont travaillé cinq ans, dans les dix dernières années, au moins un an sur deux, et on leur donne - écoutez bien ! - 13,69 euros par jour. Et c'est cette somme-là, cette allocation qui est une allocation de subsistance, que l'on cible aujourd'hui. C'est vraiment complètement injuste. Alors, on nous dit qu'ils vont avoir accès au RMA, ce qui n'est pas vrai. Je veux dire que le RMA n'est pas une allocation, c'est un contrat de travail. D'abord, cela n'existe pas encore... Mais quand cela existera, cela suppose que l'on a trouvé une entreprise, que l'on est embauché et que l'on a trouvé une collectivité locale pour payer la moitié de votre salaire à peu près. Cela veut donc dire : un, bien sûr, que ce sont les collectivités locales qui paieront, les départements et pas l'Etat ; mais deux, que le problème est résolu. Mais pour des dizaines de milliers, ils n'auront droit à rien, même pas au RMI."
Cela concerne pour l'instant 130.000 personnes.
- "La première année, cela concernera, quand cette disposition sera votée, au bout du compte, 300.000 personnes. Qu'est-ce que l'on cherche ? On cherche, un, à les rayer des statistiques du chômage, parce qu'en France, quand vous êtes au RMI, vous n'êtes plus dans les statistiques du chômage, et deux, à faire payer par les départements et pas par l'Etat la charge que cela représente. Eh bien, je dis qu'au moment où on veut baisser les tranches supérieures de l'impôt sur le revenu, ce ne sont pas ces populations-là, ces Français-là qu'il faut cibler. Ce n'est pas juste et, comme tout le monde l'a dit, [...] toutes les associations qui s'occupent d'insertion et de précarité, c'est extrêmement dangereux, parce que c'est un pas de plus vers la précarité et - je vais employer un mot qui n'est plus à la mode - vers la "fracture sociale"."
La fracture sociale va apparemment redevenir à la mode, puisque J. Chirac doit en parler cette après-midi, mais je voudrais revenir un instant sur cette allocation. Le Gouvernement dit que c'est une incitation pour que les gens retravaillent et ne se contentent pas d'allocations et d'assistanat. Vous ne croyez pas à cette argumentation ?
- "On peut peut-être, dans un certain nombre de cas, améliorer les choses. Mais qu'en face de cette amélioration, que je souhaiterais, on voit des dizaines de milliers de personnes réduites à n'avoir plus rien, même pas le RMI, alors je dis que ce n'est pas digne d'un pays comme la France."
Vous imaginez que le Gouvernement veut jeter des dizaines de milliers de personnes dans la rue, comme cela ?!
- "Ce n'est pas exactement ce que le Gouvernement cherche. Je pense qu'il cherche des économies et à alléger artificiellement les statistiques du chômage. Mais vous voyez bien l'injustice que cela représente et le caractère incompréhensible, illisible de la politique suivie. On nous dit que l'on baisse les impôts, le lendemain on augmente le gazole - et vous savez à quel point nous nous sommes battus - et puis on touche à l'allocation de fin de droits des chômeurs... Le Gouvernement devrait écouter ce que les Français lui disent. Par exemple, on augmente le tabac sans mesure, 50 % d'augmentation. Ce n'est pas la consommation que l'on va baisser ; on va augmenter la contrebande et le fait, dans un département comme le mien, les Pyrénées-Atlantiques, que les Français aillent aller acheter dans le pays voisin, de l'autre côté de la frontière, des cigarettes qui coûteront deux fois moins cher. Il me semble que le Gouvernement gagnerait beaucoup, au lieu de s'enfermer dans ses certitudes, de n'écouter personne et de ne vouloir voir qu'une seule tête, à écouter ce que les Français lui disent et ce que les mouvements politiques qui ne sont pas parti gouvernemental ont à lui dire. Je suis sûr que sa politique en serait beaucoup améliorée."
Finalement, ce que vous déplorez surtout, c'est que l'on ne vous écoute pas assez, qu'on ne vous reçoit pas assez, qu'on ne prenne pas assez conseil auprès de vous ?
- "Excusez-moi, ce n'est pas de moi ni de l'UDF qu'il s'agit ! Ce que je dis là, il y a des millions de Français qui le pensent. Il suffit de regarder chacune des enquêtes d'opinion, qui décroche un peu plus, pour s'en rendre compte. J'ai un souvenir précis du temps du gouvernement Jospin : le gouvernement Jospin s'est complètement perdu en disant tous les jours que le bilan était excellent, alors que les Français pensaient le contraire. Est-ce que l'on ne peut pas écouter les Français sur les problèmes dont je viens de parler, sur le gazole, sur le tabac, sur l'allocation de fin de droits des chômeurs ? Il me semble qu'il y aurait place pour un dialogue et une compréhension réciproque. Aujourd'hui, on n'a que surdité et obstination dans des décisions déjà prises."
Vous faites allusion aux sondages, mais il va y avoir un vrai sondage, grandeur nature, avec les élections régionales et cantonales au mois de mars. Est-ce que, à la lumière de ce qui se passe avec la discussion budgétaire, vous allez aller tout seul à ces élections ? C'est une décision qui n'est peut-être pas prise ?
- "C'est une décision qui n'est pas prise mais que nous avons à prendre... Cette décision est simple : est-ce que, comme depuis 25 ans, on fait UDF-UMP ensemble dès le premier tour, ou bien, sachant que les élections ont deux tours, on propose une autre voie aux Français, un moyen de dire en même temps qu'il faut un renouvellement des équipes, des générations nouvelles qui arrivent aux responsabilités, et de dire au Gouvernement "attention, vous êtes en train de faire fausse route" ? Dans le débat politique français, il y a besoin d'une expression politique nouvelle, il y a besoin d'une offre politique nouvelle. Et sur le champ politique français, l'UDF est le seul mouvement politique qui puisse aujourd'hui apporter cette expression politique nouvelle."
La décision est quasiment prise ?
- "Non, c'est une décision qui, vous le voyez bien, est lourde de conséquences. Nous allons donc la mûrir et la prendre comme nous le faisons toujours à l'UDF, démocratiquement."
Quand allez-vous prendre cette décision ?
- "Nous désignerons nos chefs de file le 5 novembre, c'est donc dans quelques jours. Et nous prendrons cette décision stratégique à la toute fin du mois de novembre ou au tout début du mois de décembre..."
En attendant de prendre cette stratégique, vous devez en prendre une autre, qui est le vote ou non du budget, du moins de sa première partie, les recettes. Cette décision va être prise quand ?
- "Nous avons proposé trois amendements, un sur les impôts, un sur le gazole pour qu'on renonce à son augmentation, un sur l'ASS. Si aucun de ces trois amendements n'est pris en compte, le groupe UDF s'abstiendra sur le budget."
Vous parlez de l'ASS, mais la transformation de l'ASS en RMA ne vous satisfait pas ? Cela voudrait donc dire qu'aucun des trois amendements n'est pris en compte ?
- "Non, [parce que] cela veut dire que la majorité de ceux qui touchent l'ASS aujourd'hui se retrouvera sans rien. Pour ceux qui auront la chance d'avoir une entreprise et un contrat de travail, tant mieux, très bien. Mais c'est pour les autres que je demande qu'on maintienne cette allocation de solidarité, qui est un peu de sécurité dans une vie très exposée à la précarité."
Donc, dans l'état actuel, vous vous abstenez ?
- "On verra en tout cas cet après-midi ce que le Gouvernement va en dire. Pour l'instant, il n'y a pas de progrès notable."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 octobre 2003)