Texte intégral
R. Arzt-. Ce ne sont pas les justifications qui manquent autour de cette décision du Gouvernement de baisser le taux du Livret A : coup de turbo au logement social, oxygène à la consommation... Ces explications économiques peuvent-elles tenir ?
- "La vraie raison est avant tout une raison budgétaire, puisque l'Etat va ainsi faire une économie d'un milliard d'euros. Nous assistons donc pour cet été à un phénomène quand même extrêmement surprenant : c'est tout à coup l'annonce de la baisse de la rémunération du Livret A. Après avoir assisté à des hausses - je pense à des produits d'utilisation quotidienne pour nous, pour les Français, le timbre Poste, la hausse du ticket de métro, la hausse du prix de l'électricité, également le non remboursement de certains médicaments -, nous venons d'apprendre que le ministre des Finances et le Premier ministre ont décidé de baisser le taux de rémunération du Livret A. 47 millions de français sont ainsi touchés, c'est une décision brutale même si, paraît-il, selon les rumeurs, j'ai pu lire ça ce matin, c'était déjà pensé, réfléchi au sein du Gouvernement. Il n'empêche qu'au coeur de l'été, nous aurions préféré apprendre d'autres nouvelles."
Le fait que le Gouvernement ne touche pas au Livre d'Epargne Populaire, le LEP, qui continuera de rapporter 4,25 % , limite-t-il votre critique quand même ?
- "Mais ce ne sera pas le cas dans un an... Le LEP sera également touché et sera mis à la même sauce que les autres produits qui sont eux touchés dès maintenant."
Il est arrivé que la gauche au pouvoir fasse la même chose, c'est à dire qu'elle décide de baisse de taux. C'est arrivé en 1998, sous le gouvernement Jospin, où c'est passé de 3,5 à 3 % à l'époque. Il y a bien des moments où économiquement cela se justifie ?
- "C'est vrai que le gouvernement Jospin l'a fait, mais nous étions dans une autre période économique. La croissance était de 3 %, ce qui n'est évidemment pas le cas aujourd'hui. Et d'autre part, le Gouvernement avait demandé des contreparties, notamment le blocage des loyers. Aujourd'hui, nous ne voyons pas ces contreparties et nous sommes surtout, j'insiste sur ce point, dans une situation économique qui n'est absolument pas la même. Le Gouvernement n'a plus d'argent, ce n'est un secret pour personne. Il en cherche et il a trouvé cette solution qui est de toucher à l'épargne populaire."
Dans le futur, c'est à dire à partir du mois d'Août de l'an prochain, le taux du Livret A ne sera plus fixé par le Gouvernement : il y aura une indexation automatique, chaque semestre, en fonction d'une moyenne entre l'inflation et les taux d'intérêt à court terme. Cette formule automatique permettra-t-elle de dépassionner le débat ? C'est une bonne chose quand même ?
- "Sûrement que cela permettra de dépassionner le débat. En même temps, je ne sais pas si le fait que le Gouvernement, que le pouvoir politique n'ait plus le moyen d'avoir le moyen cette souplesse justement, de choisir ou pas de jouer sur ce type de taux est une bonne solution. Comme nous le disions tout à l'heure, c'est vrai que cela été fait sous le gouvernement Jospin, mais je vous rappelle que à la fin du trimestre 2000, le taux a été remonté à 3 %. Ce qui prouve que l'on peut effectivement à la fois le baisser, à la fois également le relever en fonction, c'est vrai, de la conjoncture économique. Aujourd'hui, le Gouvernement a fait ce choix là et, ce qui est le plus choquant, c'est qu'il a depuis un an pris des mesures économiques qui sont davantage pour les hauts revenus - je pense notamment à la réforme de l'ISF, de l'impôt sur la fortune, je pense également aussi à la réforme des retraites où nous avons, c'est vrai critiqué, les propositions du Gouvernement qui, finalement, demandaient un effort aux mêmes... Une fois de plus, ce sont encore les plus faibles revenus qui vont participer à l'effort économique. C'est cela surtout qu'il faut souligner, qu'il faut condamner."
A propos des retraites, la session parlementaire s'achève à la fin de cette semaine. Et le ministre des relations avec le Parlement, J.-F. Copé, reproche à la gauche de ne pas avoir formulé de contre-proposition aux réformes que le Gouvernement a lancées...
- "Nous avons pourtant mené un débat très long, puisque le même ministre d'ailleurs le reprochait, reprochait à l'opposition de bloquer..."
"Très long", c'est à dire que vous avez fait de l'obstruction....
- "Nous n'avons pas fait d'obstruction. Nous avons fait des contre-propositions, nous avons déposé beaucoup d'amendements... Je cite une proposition qui a été martelée de notre part et sur laquelle nous n'avons eu aucune réponse, parce que je rappelle quand même que si le débat sur les retraites a été si long, c'est aussi parce que du côté du Gouvernement, il n'y a eu aucun amendement de repris, il n'y a eu aucune discussion possible. Tout simplement, je pense à l'emploi, car comment payer les retraites si nous avons de plus en plus de chômeurs ? Or nous ne voyons pas depuis un an, ni d'ailleurs pour le futur, de vrais plans pour l'emploi, de vrais plans de relance pour l'emploi. La seule réponse que fait le Gouvernement, c'est parler de baisse d'impôts, de baisse des charges ..."
Vous êtes pas contre les baisses d'impôts ?!
- " ... comme si cela avait créé des emplois dans ce pays. En même temps, ils abandonnent les emplois-jeunes par exemple."
Plus politiquement, dans le mouvement qui est contre la réforme des retraites, auprès des enseignants, auprès des intermittents, on a vu la présence de l'extrême gauche. J.-F. Copé dit d'ailleurs que F. Hollande a l'obsession de courir après l'extrême gauche. L'extrême gauche est un problème pour vous désormais ? Et comment le gérez-vous ?
- "Pourquoi courir après l'extrême gauche, puisque l'extrême gauche ne mène à rien ? A quoi cela servirait-il ? C'est un mot que nous entendons depuis à peu près six mois de la part des ministres de ce Gouvernement, de la part de la majorité en place, qui voit dans tous les mouvements sociaux qui ont lieu depuis que ce Gouvernement essaye de mettre en place des réformes, la main de l'extrême gauche et qui pense que les socialistes courent derrière. Nous n'avons pas besoin de courir derrière, nous avons notre propre expression. Nous sommes, c'est vrai, dans l'opposition. Il faut que le Gouvernement accepte l'opposition, il faut que le gouvernement entende d'autres voix, d'autres propositions. Il n'a pas voulu le faire avec les organisations syndicales, il ne veut pas le faire avec l'opposition politique. Pourtant, nous sommes encore là."
Est-ce que, vu du Parti socialiste, il y avait une part de continuité entre le processus Matignon qu'avait lancé L. Jospin à propos de la Corse et la démarche de N. Sarkozy ? Est-ce que c'est la fin de ce processus avec le "non" au référendum ?
- "La fin du processus Matignon a sonné il y a un an, lorsque L. Jospin a quitté la politique. Il est vrai - et nous l'avons dit - que la réforme proposée par N. Sarkozy était dans la droite ligne des accords de Matignon, mais il est clair que ce dialogue a été mal conduit à la fois par le Ministre de l'Intérieur, qui pourtant s'est rendu huit fois en Corse, mais aussi par le Premier Ministre et aussi par le Président de la République qui, lorsqu'il s'est exprimé, a été assez confus par rapport à la question qui était posée aux Corses. Et c'est le "non" qui l'a emporté. Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est que le dialogue puisse reprendre, c'est vraiment l'urgence. Et puis, bien sûr, je tiens à le dire, le rétablissement de l'état de droit n'est ni de gauche ni de droite, il faut le rétablissement de l'état de droit. Mais il faut surtout, comme le disait d'ailleurs l'ancien Premier ministre L. Jospin, poursuivre ce triptyque, c'est-à-dire la sécurité, le développement économique de l'île et surtout le dialogue."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 juillet 2003)