Texte intégral
Mr. President,
Distinguished Professors,
Ladies and gentlemen,
I am immensely honoured by the Planet and Humanity Prize awarded to me tonight by the International Geographical Union. I am in a small but distinguished company, since you have so far awarded this prize to only two personalities : Mrs Brundtland, former Norwegian Prime Minister, and U.S. Vice President Al Gore. While this geographical triangle does not yet cover all cardinal points, it is nevertheless unique. I therefore want to thank you from the bottom of my heart for welcoming me in this very closed society of "political geographers". I am really flattered and intimately moved.
My position as a Minister of the French Republic is probably not the only reason for this award, even if the choices required from a Minister of Industry are obviously determined by the natural and human landscape, the surroundings, resources, trade flows or the environment. The "earth" depicted by geographers also determines the possibilities and boundaries of political action.
In awarding this prize, I know you also wanted to pay a tribute to the International Geography Festival at which his Excellency the Korean Ambassador to France did us the honour to represent your country last year. Many of you are acquainted with this event, which has been organised for more than a decade by the city of which I am the deputy mayor, Saint-Dié-des-Vosges. It is always a moment of happiness, enthusiasm, learning and reflection. This unique event is the result of a collective endeavour, and I am extremely pleased to share this prize with all those who contribute to its success, some of whom are with us tonight. I should also like to take this opportunity to invite you to the next International Geography Festival, held from 5 to 8 October, whose main subject will be "Geography and Health".
Mesdames, Messieurs, un éminent universitaire m'a récemment écrit qu'à force de fréquenter des géographes, je l'étais moi-même un peu devenu. Venant d'un homme de science à l'esprit affûté et vraisemblablement peu flagorneur, cette remarque m'a ravi. La géographie était pour moi un plaisir d'honnête homme, une passion, elle est, je le confesse, devenue un prolongement de mon action, l'une de ses composantes et de ses modalités d'expression.
A vrai dire, nul n'entre en politique s'il n'est, peu ou prou, géographe. Siegfried, dont les catégories, certes, sont un peu vieillies, avait été saisi par cette juste vision. Les provinces, les régions, les départements ont une âme. Le mélange de l'homme avec le milieu forme une subtile alchimie aux propriétés qui décrivent plus qu'un paysage. Ainsi, la science qui étudie la surface de la Terre, en tant qu'habitat de l'homme et des espèces vivantes, n'est jamais très éloignée de l'art du gouvernement. La diversité que l'homme politique a pour mission d'unir doit d'abord être identifiée et décrite par le géographe. Pourquoi tel type de culture, tel monument, telle ville, telle communauté, se trouvent-il ici plutôt que là ? De telles questions sont souvent soulevées par le politique ; les réponses, tout ou partie, suggérées par le géographe.
Le philosophe n'est pas loin, non plus, d'avoir son mot à dire car, au coeur de la relation entre l'homme et son milieu, se niche l'épineux problème du déterminisme. La géographie, et c'est l'un de ses traits les plus remarquables, apporte une réponse particulière et innovante à cette grande problématique classique. Si elle sait décrire le réseau dense et complexe de l'interaction des phénomènes, et le célèbre " Nihil est sine ratione " de Leibniz en serait vérifié, elle ne prive par contre jamais l'homme de sa véritable nature : la liberté. L'homme est inséré dans un milieu, localisé dans un espace : il n'en est jamais prisonnier. La géographie est ainsi un anti-déterminisme. Aussi est-elle une science profondément humaine et profondément moderne. Une science de l'humanité.
La géographie ne totalise pas, elle analyse. Elle n'isole pas, elle met en relations. Elle ne systématise pas, elle synthétise. Son esprit est résolument celui de notre époque, soucieux de connaissance sans idéologie et d'explication sans abstraction. A la croisée des disciplines, des chemins et des flux, elle est un effort constant pour expliquer la diversité sans, si j'ose dire, l'enfermer dans un carré magique ou la réduire à une catégorie univoque. Aussi n'est-il pas étonnant que votre savante assemblée ait choisi de concentrer sa réflexion sur ce thème. La géographie, science du monde en mouvement et science en mouvement, n'est-elle pas la plus apte à relater la diversité ?
En même temps, plus que tout autre, le géographe sait relâcher les liens avec ces causes contingentes que sont les entreprises et les destins d'hommes singuliers, les successions de régimes, les conquêtes ou les intrigues politiques, pour se mettre en rapport avec ce qui est plus durable et contient leur raison éloignée. Je songe à l'emplacement des pays, des productions, aux murs, à l'industrie, au commerce, à la population, dans leurs rapports à ces barrières ou à ces voies presque intangibles, immuables, du moins à l'échelle de la vie d'un seul homme, que sont les mers, les océans, les montagnes ou les déserts. La géographie dessine ainsi le déploiement de l'humanité à travers le territoire de la nature. L'histoire, quant à elle, réinstalle cette dimension dans la succession. Aussi est-elle, comme l'a dit justement Kant, une " géographie continuelle ".
Je ne sais comment vous apprécierez finalement cette tentative, ou plutôt cette tentation ontologique, que je viens d'esquisser au sujet de votre discipline. J'ai voulu approcher ce qu'elle est en elle-même, apprivoiser son essence, circonscrire son périmètre certes très évolutif. Car la géographie diffuse à travers toutes les autres disciplines, comme elle en est irriguée.
Mon propos n'a aucune prétention académique : il est plutôt celui, spontané, d'un praticien. Les territoires sont en effet l'espace naturel d'évolution et de jugement du politique, le noeud habituel des problèmes qu'il doit affronter. L'administration, et sa raison instrumentale si bien dévoilée par Weber, ont inventé pour cet exercice une science d'espèce : l'aménagement du territoire. Il faudrait sans doute à ses institutions quelques géographes de plus. L'espace administratif gagnerait à s'humaniser.
D'autant plus que notre monde subit une série de redoutables paradoxes qui pourraient affoler la boussole de plus d'un explorateur. L'unité humaine se trouve en effet déséquilibrée en divers points d'ancrage et de fixation, de délibération et de décision, d'exécution et d'action - local, national, global -, en même temps que se construit par dessus les têtes et les montagnes un espace continu et infini, celui de l'univers virtuel de la communication.
A bien des égards, cet éparpillement nouveau, ce mélange accentué de la diversité et de ses richesses, renforcent la mission des géographes. Lorsqu'il s'agit, quotidiennement, de répondre à des questions comme " à quelle échelle créer telle institution, où arrêter les frontières de telle organisation, comment relier tels niveaux de décision ? ", la géographie, si elle ne saurait être l'ultime pierre de touche de la décision politique, se révèle un remarquable schème de compréhension et d'orientation.
Les pionniers de la géographie étaient des explorateurs, des découvreurs, des défricheurs. Si aujourd'hui, l'homme a fait plus d'une fois le tour entier de la planète, il n'a pas encore achevé de la déchiffrer et de " vivre dans sa diversité ". Cette diversité est une richesse, un patrimoine, une valeur. Pour la comprendre, il faut la connaître et la reconnaître. La géographie nous le permet. Aussi son projet est-il, au XXIe siècle plus que jamais, absolument indispensable et actuel.
(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 29 août 2000).
Distinguished Professors,
Ladies and gentlemen,
I am immensely honoured by the Planet and Humanity Prize awarded to me tonight by the International Geographical Union. I am in a small but distinguished company, since you have so far awarded this prize to only two personalities : Mrs Brundtland, former Norwegian Prime Minister, and U.S. Vice President Al Gore. While this geographical triangle does not yet cover all cardinal points, it is nevertheless unique. I therefore want to thank you from the bottom of my heart for welcoming me in this very closed society of "political geographers". I am really flattered and intimately moved.
My position as a Minister of the French Republic is probably not the only reason for this award, even if the choices required from a Minister of Industry are obviously determined by the natural and human landscape, the surroundings, resources, trade flows or the environment. The "earth" depicted by geographers also determines the possibilities and boundaries of political action.
In awarding this prize, I know you also wanted to pay a tribute to the International Geography Festival at which his Excellency the Korean Ambassador to France did us the honour to represent your country last year. Many of you are acquainted with this event, which has been organised for more than a decade by the city of which I am the deputy mayor, Saint-Dié-des-Vosges. It is always a moment of happiness, enthusiasm, learning and reflection. This unique event is the result of a collective endeavour, and I am extremely pleased to share this prize with all those who contribute to its success, some of whom are with us tonight. I should also like to take this opportunity to invite you to the next International Geography Festival, held from 5 to 8 October, whose main subject will be "Geography and Health".
Mesdames, Messieurs, un éminent universitaire m'a récemment écrit qu'à force de fréquenter des géographes, je l'étais moi-même un peu devenu. Venant d'un homme de science à l'esprit affûté et vraisemblablement peu flagorneur, cette remarque m'a ravi. La géographie était pour moi un plaisir d'honnête homme, une passion, elle est, je le confesse, devenue un prolongement de mon action, l'une de ses composantes et de ses modalités d'expression.
A vrai dire, nul n'entre en politique s'il n'est, peu ou prou, géographe. Siegfried, dont les catégories, certes, sont un peu vieillies, avait été saisi par cette juste vision. Les provinces, les régions, les départements ont une âme. Le mélange de l'homme avec le milieu forme une subtile alchimie aux propriétés qui décrivent plus qu'un paysage. Ainsi, la science qui étudie la surface de la Terre, en tant qu'habitat de l'homme et des espèces vivantes, n'est jamais très éloignée de l'art du gouvernement. La diversité que l'homme politique a pour mission d'unir doit d'abord être identifiée et décrite par le géographe. Pourquoi tel type de culture, tel monument, telle ville, telle communauté, se trouvent-il ici plutôt que là ? De telles questions sont souvent soulevées par le politique ; les réponses, tout ou partie, suggérées par le géographe.
Le philosophe n'est pas loin, non plus, d'avoir son mot à dire car, au coeur de la relation entre l'homme et son milieu, se niche l'épineux problème du déterminisme. La géographie, et c'est l'un de ses traits les plus remarquables, apporte une réponse particulière et innovante à cette grande problématique classique. Si elle sait décrire le réseau dense et complexe de l'interaction des phénomènes, et le célèbre " Nihil est sine ratione " de Leibniz en serait vérifié, elle ne prive par contre jamais l'homme de sa véritable nature : la liberté. L'homme est inséré dans un milieu, localisé dans un espace : il n'en est jamais prisonnier. La géographie est ainsi un anti-déterminisme. Aussi est-elle une science profondément humaine et profondément moderne. Une science de l'humanité.
La géographie ne totalise pas, elle analyse. Elle n'isole pas, elle met en relations. Elle ne systématise pas, elle synthétise. Son esprit est résolument celui de notre époque, soucieux de connaissance sans idéologie et d'explication sans abstraction. A la croisée des disciplines, des chemins et des flux, elle est un effort constant pour expliquer la diversité sans, si j'ose dire, l'enfermer dans un carré magique ou la réduire à une catégorie univoque. Aussi n'est-il pas étonnant que votre savante assemblée ait choisi de concentrer sa réflexion sur ce thème. La géographie, science du monde en mouvement et science en mouvement, n'est-elle pas la plus apte à relater la diversité ?
En même temps, plus que tout autre, le géographe sait relâcher les liens avec ces causes contingentes que sont les entreprises et les destins d'hommes singuliers, les successions de régimes, les conquêtes ou les intrigues politiques, pour se mettre en rapport avec ce qui est plus durable et contient leur raison éloignée. Je songe à l'emplacement des pays, des productions, aux murs, à l'industrie, au commerce, à la population, dans leurs rapports à ces barrières ou à ces voies presque intangibles, immuables, du moins à l'échelle de la vie d'un seul homme, que sont les mers, les océans, les montagnes ou les déserts. La géographie dessine ainsi le déploiement de l'humanité à travers le territoire de la nature. L'histoire, quant à elle, réinstalle cette dimension dans la succession. Aussi est-elle, comme l'a dit justement Kant, une " géographie continuelle ".
Je ne sais comment vous apprécierez finalement cette tentative, ou plutôt cette tentation ontologique, que je viens d'esquisser au sujet de votre discipline. J'ai voulu approcher ce qu'elle est en elle-même, apprivoiser son essence, circonscrire son périmètre certes très évolutif. Car la géographie diffuse à travers toutes les autres disciplines, comme elle en est irriguée.
Mon propos n'a aucune prétention académique : il est plutôt celui, spontané, d'un praticien. Les territoires sont en effet l'espace naturel d'évolution et de jugement du politique, le noeud habituel des problèmes qu'il doit affronter. L'administration, et sa raison instrumentale si bien dévoilée par Weber, ont inventé pour cet exercice une science d'espèce : l'aménagement du territoire. Il faudrait sans doute à ses institutions quelques géographes de plus. L'espace administratif gagnerait à s'humaniser.
D'autant plus que notre monde subit une série de redoutables paradoxes qui pourraient affoler la boussole de plus d'un explorateur. L'unité humaine se trouve en effet déséquilibrée en divers points d'ancrage et de fixation, de délibération et de décision, d'exécution et d'action - local, national, global -, en même temps que se construit par dessus les têtes et les montagnes un espace continu et infini, celui de l'univers virtuel de la communication.
A bien des égards, cet éparpillement nouveau, ce mélange accentué de la diversité et de ses richesses, renforcent la mission des géographes. Lorsqu'il s'agit, quotidiennement, de répondre à des questions comme " à quelle échelle créer telle institution, où arrêter les frontières de telle organisation, comment relier tels niveaux de décision ? ", la géographie, si elle ne saurait être l'ultime pierre de touche de la décision politique, se révèle un remarquable schème de compréhension et d'orientation.
Les pionniers de la géographie étaient des explorateurs, des découvreurs, des défricheurs. Si aujourd'hui, l'homme a fait plus d'une fois le tour entier de la planète, il n'a pas encore achevé de la déchiffrer et de " vivre dans sa diversité ". Cette diversité est une richesse, un patrimoine, une valeur. Pour la comprendre, il faut la connaître et la reconnaître. La géographie nous le permet. Aussi son projet est-il, au XXIe siècle plus que jamais, absolument indispensable et actuel.
(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 29 août 2000).