Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, lors du point de presse avec ses homologues russe et allemand, sur le projet de résolution du Conseil des sécurité de l'ONU concernant l'Irak, Paris le 21 mai 2003.

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Texte intégral

Je souhaiterais vous faire part brièvement de notre position commune au moment ou le Conseil de sécurité achève à New York ses discussions sur le projet de résolution relatif à l'Irak.
Les pays de la coalition qui ont présenté ce projet, Etats-Unis, Grande-Bretagne, Espagne sont revenus aux Nations unies et écoutent leurs partenaires. Nous nous réjouissons de cette volonté d'ouverture et de travail en commun.
Le texte qui est sur la table du Conseil de sécurité est le résultat d'une volonté de compromis. Chacun a fait preuve d'un esprit constructif et ouvert ; nous avons été d'ailleurs, entre nous et avec nos partenaires du Conseil, en contact permanent tout au long des derniers jours.
Au terme de longues discussions, d'importants progrès ont été réalisés même si ce texte ne va pas aussi loin que nous le souhaitions.
Nous avons donc décidé et nous en avons évidemment longuement parlé, de voter pour cette résolution et de travailler à la recherche d'un consensus au sein du Conseil de sécurité :
Parce que nous avons fait le choix de l'unité de la communauté internationale. Cette unité demeure la meilleure garantie de l'efficacité et de la légitimité de l'action que nous devons conduire aujourd'hui avec détermination tant en Irak que dans le reste du Moyen-Orient.
Chacun le voit bien, il y a urgence sur le terrain, en Irak comme dans toute la région du Moyen-Orient. Nous ne devons pas laisser s'établir des foyers d'insécurité qui risquent de porter atteinte à la stabilité et à la paix. De tels dangers, qu'il s'agisse du terrorisme, qu'il s'agisse de la prolifération ou de la crise au Proche-Orient, doivent être combattus sans relâche. C'est pourquoi, compte tenu de cette urgence, nous avons fait le choix de la responsabilité.
Sur de nombreux points, ce projet de résolution, même s'il n'est pas parfait, prend en compte nos préoccupations au niveau des principes mais aussi des modalités d'application :
- Sur le rôle des Nations unies : elles seront étroitement impliquées dans le processus politique, à travers un Représentant spécial nommé par le Secrétaire général des Nations unies et auquel a été confié un rôle concret, précis et indépendant. L'ONU revient ainsi dans le jeu. Nous avons la conviction qu'elle sera demain au centre de l'action internationale, forte de sa légitimité, de son expérience et de ses capacités.
- Sur l'information : le texte prévoit que le Conseil de sécurité sera régulièrement informé par les puissances occupantes ou par le Secrétaire général des Nations unies.
- Sur le respect de la légalité : la résolution inscrit clairement l'action de la coalition dans le cadre du droit international, et notamment des conventions de La Haye et de Genève ;
- Sur la transparence : l'utilisation des recettes du pétrole fera l'objet d'une supervision par un conseil international associant des représentants de l'ONU et des institutions financières internationales ;
- Sur le respect des contrats passés : le texte prévoit une période de six mois pour l'extinction du programme "Pétrole contre nourriture" ;
- Sur le désarmement : le projet de résolution réaffirme le rôle de la CCVINU et de l'AIEA et souligne l'importance d'une confirmation du désarmement en Irak.
Nous avons la conviction que les Nations unies doivent accroître leur place dans le dispositif. Nous pensons également que le processus de transition politique en Irak gagnera en crédibilité et en efficacité si une procédure et un calendrier précis sont définis pour la mise en place d'une administration irakienne légitime et internationalement reconnue.
Au total, nous avons là un texte qui a un double mérite :
- de pouvoir rassembler un très large soutien au sein du Conseil de sécurité,
- de constituer une base solide pour aller de l'avant et mobiliser la communauté internationale.
Les défis qui sont devant nous sont immenses :
- Il faut restaurer la pleine souveraineté de l'Irak et engager sa reconstruction dans le respect de son unité et de son intégrité territoriale ;
- Il faut relancer la dynamique de paix au Proche-Orient en tirant tout le parti possible de la feuille de route ;
- Plus largement, il faut créer les conditions politiques, économiques et culturelles d'une stabilité durable dans la région.
Nous pensons que le peuple irakien doit, aussitôt que possible, pouvoir décider de son avenir et former un gouvernement qui bénéficiera d'une large reconnaissance internationale.
Un an après l'adoption de cette résolution, le Conseil de sécurité devra examiner la situation et identifier les prochaines étapes.
(...)
Q - Monsieur le Ministre, vous venez de dire que le projet de la résolution ne va pas aussi loin que vous le voudriez. Quelles suggestions, quelles demandes de la France ou de l'Allemagne et de la Russie n'ont pas été prises en compte ?
R - Nous l'avons exprimé dans la déclaration préliminaire que je viens de lire. Nous souhaitons un rôle central pour les Nations unies. Nous pensons qu'aujourd'hui les décisions qui ont été prises - et j'ai indiqué un certain nombre de progrès que la résolution a permis de constater - ouvre la voie à un tel rôle mais chacun voit bien que l'urgence, la situation née de l'après-guerre donnent un rôle central aujourd'hui aux forces de la coalition. C'est donc dans ce cadre-là que nous travaillons avec le souci de défendre les principes et les convictions qui sont les nôtres et en même temps de trouver des réponses aux difficultés qui se posent d'ores et déjà. Nous l'avons vu sur les sanctions, nous l'avons vu sur le désarmement, nous l'avons vu sur la définition d'une autorité irakienne légitime. Le projet de résolution marque des progrès très sensibles. Nous avons beaucoup travaillé sur ce texte au cours des derniers jours et nous pensons qu'il y a là un bon compromis qui permet de prendre en compte à la fois l'urgence de la situation sur le terrain, la situation propre des forces de la coalition et en même temps la conviction que nous avons qu'il faut accorder ce rôle aux Nations unies si l'on veut maximiser nos chances de pouvoir réussir en Irak.
Q - Monsieur le Ministre, je voulais vous demander, vous avez, tous les trois, été tellement fermes avant la guerre contre cette guerre. Est-ce que vous n'avez pas l'impression maintenant de vous plier un peu devant un fait qui vous est on vous a fait la guerre, maintenant, vous êtes obligés de légitimer quelque part cette guerre qui a été faite ?
R - Je réponds brièvement avant de laisser la parole à mes deux collègues. Vous le voyez dans ce texte, il n'y a, à aucun moment, de légitimation de la guerre. Nous voulons nous tourner vers l'avenir. Je l'ai dit, il y a une urgence. Face à l'urgence, nous sommes convaincus de la nécessité de l'unité de la communauté internationale et de la nécessité de faire preuve de responsabilité. C'est pour cela qu'au terme de la discussion que nous avons engagé pour faire admettre les principes fondamentaux auxquels nous nous rallions, ainsi que les points centraux que nous croyons importants dans cette résolution, nous estimons que le compromis auquel nous sommes arrivés, constitue un compromis susceptible de permettre à la communauté internationale, d'avancer véritablement sur le terrain dans le souci de la reconstruction de l'Irak.
Q - Monsieur le Ministre. Ce consensus dont vous venez de parler. Comment va-t-il contribuer à l'apaisement des relations entre vos trois pays et les Etats-Unis à l'approche du Sommet d'Evian ?
R - Vous me permettrez de parler pour la France et évidemment mes collègues répondront chacun pour ce qui les concerne. Aujourd'hui, la question centrale sur la scène internationale, c'est comment faire en sorte de ramener davantage de stabilité, davantage de justice, davantage de sécurité. On le voit bien, la situation créée par le regain de terrorisme, la situation en Irak d'instabilité et d'incertitude, la situation au Proche-Orient qui est évidemment, là encore, une source d'inquiétude pour nous tous, c'est cela qui est au cur de nos préoccupations. Les relations avec les Etats-Unis, je le dis parce que ce sont pour moi, comme pour mes collègues, des relations de travail quotidiennes, sont évidemment marquées par le souci de contribuer à régler cette situation internationale préoccupante. Il n'y a pas en ce qui concerne la France, et je crois pouvoir le dire aussi pour mes collègues, de préoccupations et nous l'avons dit dans cette question irakienne, ce n'est pas une question entre la France ou entre l'Europe et les Etats-Unis. C'est une question de savoir quelle vision nous avons de l'ordre international, quelle vision nous avons des Nations unies et nous sommes heureux de constater, au terme de cette réflexion, le travail qui a été fait sur cette résolution. M. Fischer le rappelait justement, beaucoup a été fait, beaucoup de progrès ont été faits au cours de ces derniers jours sur ce projet de résolution et encore aujourd'hui, nous nous en réjouissons parce que nous sommes convaincus que c'est par l'unité, c'est par la responsabilité partagée que nous avons le plus de chance de pouvoir contribuer à un meilleur ordre international.
Q - On a entendu parler d'un "deal" avec les Américains au Conseil de sécurité pour qu'en contrepartie de votre acceptation du projet américain concernant l'Irak, les Américains acceptent de proposer la feuille de route au vote du Conseil de sécurité. Est-ce que vous pouvez confirmer cette démarche ?
R - Il n'y a, évidemment, aucun échange de ce type qui a été envisagé. L'idée que vous évoquez a pu être émise, d'une avalisation par le Conseil de sécurité. Ce qui est sûr, et c'est un des points que nous allons évoquer ce soir, lors de notre dîner, c'est que la feuille de route, la situation au Proche-Orient, la perspective du processus de paix est au cur de nos préoccupations. Nous sommes tous désireux de relancer ce processus. Il y a eu la publication de la feuille de route. Nous voulons maintenant sa mise en uvre et nous sommes convaincus que tout doit être fait par chacun des grands acteurs de la région. Evidemment Israël, évidemment les Palestiniens, tous ceux qui peuvent accompagner ces avancées sur le chemin de la paix, doivent se mobiliser. C'est le cas des Européens. Nous en avons parlé longuement lors du Conseil Affaires générales de lundi. C'est le cas dans le cadre des relations très étroites que nous avons avec la Russie. Il y a une mobilisation et véritablement la conviction, compte tenu des dangers et des incertitudes de cette région, que nous devons véritablement faire face à l'exigence indispensable qui consiste à appuyer ce processus de paix. Il y a un profond malaise aujourd'hui dans la région, un sentiment d'insécurité et nous avons tous évidemment déploré, marqué notre consternation devant les attentats qui se sont multipliés en Israël. De la même façon, nous prenons en compte le sentiment profond d'injustice qui existe chez les Palestiniens. Nous devons avancer et être mobilisés. Et je serai moi-même dès dimanche en Israël et lundi dans les Territoires.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mai 2003)