Déclaration de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, et interviews à "LCI" et à "RFI", sur la participation de la France à la reconstruction de l'Irak, par le biais de la contribution européenne en attendant la résolution des problèmes de sécurité, Madrid le 24 octobre 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info - Radio France Internationale - Télévision

Texte intégral

P Ganz-. Vous êtes avec nous depuis Madrid, où vous représentez le Gouvernement français à cette conférence des pays donateurs pour la reconstruction de l'Irak. On sait que la France est plutôt réservée sur le contexte politique et militaire dans lequel se déroule cette conférence, sur la nécessité de donner de l'argent très vite à l'Irak dans ce contexte. Permettez-moi cette question M. le ministre, est-ce que vous êtes là simplement pour ne pas laisser une chaise vide ?
- "Non, pas du tout. Nous voulons affirmer notre préoccupation devant l'Irak et les problèmes des Irakiens, et donc nous avons un discours qui porte d'abord sur les conditions politiques qui permettent le retour à la souveraineté de l'Irak. C'est fondamental de donner cette perspective politique. Aujourd'hui, rien n'est fait et la résolution 1511, même si elle marque des intentions, ne marque ni délais ni conditions ni rien de ce qu'il faut pour assurer cette stabilité, cette perspective politique."
Est-ce qu'il n'y a pas une urgence à améliorer le quotidien des Irakiens ?
- "Il y a une urgence à améliorer la sécurité des Irakiens, il y a une urgence à améliorer le quotidien au plan des infrastructures. Bien évidemment, il faut que ces infrastructures puissent se faire, mais encore faut-il pour cela avoir un interlocuteur souverain."
Et ce n'est pas le cas à vos yeux et aux yeux du Gouvernement français ?
- "Non."
Hier, le secrétaire général des Nations unies, K. Annan, a lancé un appel à la générosité vis à vis de l'Irak ; par votre voix, tout à l'heure, est-ce que la France va répondre à cet appel ?
- "La France va répondre qu'elle soutient la position de la Commission européenne, qui a décidé d'apporter 200 millions d'euros avec les conditions qui sont les mêmes que celles que je vous ai dites, à savoir perspectives politiques, à savoir engagement des fonds de manière transparente. Nous sommes sur la ligne de la Commission européenne ; c'est ce que je vais répéter tout à l'heure."
Il y a donc une différence d'approche avec d'autres pays membres de l'Union européenne, par exemple la Grande-Bretagne, qui amène 906 millions de dollars sur trois ans, l'Espagne qui amène, elle, 300 millions de dollars sur quatre ans. On retrouve là les distinctions qu'on a connues au printemps dernier ?
- "Je crois que l'Angleterre apporte des sommes qui sont des consolidations de contributions que l'Angleterre a déjà annoncées, et va peut-être au-delà. Mais pour nous, nous entendons mettre clairement la perspective politique en avant et nous pensons que c'est le bien des Irakiens de le demander comme cela. Néanmoins, nous avons déjà fait beaucoup d'interventions au profit des Irakiens à travers notre aide humanitaire qui a été déclenchée très rapidement, nous avons une coopération culturelle..."
De quelle importance est l'aide humanitaire française ?
- "Elle est de 6 millions d'euros qui ont été immédiatement engagés et qui aident beaucoup pour les problèmes du quotidien."
Ce matin, dans les colonnes du quotidien français Le Figaro, le ministre américain des Affaires étrangères, C. Powell, dit que la France et l'Allemagne serviraient mieux la cause de la communauté internationale - et on voit l'allusion au multilatéralisme voulu par la France - en apportant des contributions additionnelles à ce que fait l'Union européenne, qu'est-ce que vous lui répondez ?
- "Premièrement, quelles sont les conditions d'affectation des 20 milliards que les Etats-Unis vont mettre l'année prochaine ? Deuxièmement, quelle est aujourd'hui la garantie de stabilité, les garanties politiques qui permettent d'enclencher, par exemple, un prêt du FMI ? Et nous ne sommes pas aujourd'hui informés du tout de la méthode de distribution des crédits que les Américains envisagent."
Vous craignez que ce soit vraiment à l'intérêt unique des entreprises américaines ?
- "L'argent américain ira forcément aux entreprises américaines à mon avis. Mais là n'est même pas la question ; la question est de savoir si la stabilité, la sécurité est suffisante pour que les entreprises puissent effectivement intervenir. Et nous, nous mettons la condition politique en premier parce qu'elle est la garantie du long terme. Aujourd'hui, la situation dans laquelle est l'Irak ne permet pas des engagements à long terme."
Est-ce que cette prudence de la France ne prive pas les entreprises françaises de futurs investissements en Irak ?
- "D'abord, le monde est vaste et les entreprises françaises ont des opportunités d'investissements dans de très nombreux endroits, dans des biens meilleures conditions de sécurité financière et de sécurité physique que ce que représente l'Irak. D'un autre côté, le jour où cette stabilité politique sera assurée, les entreprises françaises ont une réputation et une expérience en Irak qui sera reconnue à juste titre à ce moment-là."
Oui, mais est-ce que nous n'aurons pas pris énormément de retard par rapport à des entreprises espagnoles, américaines, britanniques ?
- "A ma connaissance, aujourd'hui, il n'y a pas beaucoup d'entreprises qui interviennent en Irak, parce que quand je vous parle de problèmes de stabilité politique et de sécurité, ce n'est pas une vue de l'esprit. Cela vaut aussi pour les autres."
Il y avait hier, à Madrid, un forum des entreprises juste avant cette conférence des pays donateurs, qui réunissait, je crois, quelque 300 entreprises du monde entier et 10 françaises seulement. Pourquoi aussi peu de Français, même si ce n'est que pour prendre langue pour le futur ?
- "Par rapport au monde, c'est beaucoup. Mais d'un autre côté, il y a dans le programme "pétrole contre nourriture", des entreprises françaises qui sont engagées ; ce programme s'achève fin novembre. Et nous avons évidemment, dans le programme précédent, qui était garantit par l'ONU, une série d'entreprises françaises qui sont concernées."
Dans un dossier comme celui-ci, est-ce que le ministre du Commerce extérieur que vous êtes ne se trouve pas, je ne dirais pas en "porte-à-faux", mais a des difficultés à défendre les intérêts de l'économie française par rapport aux positions politiques qui peuvent être prises par le Gouvernement ?
- "Il ne faut pas rêver, il n'y a pas de différence entre le point de vue économique et le point de vue politique, c'est le même point de vue, il n'y a qu'un seul Gouvernement dans ce pays. Ensuite, le point de vue économique est tout à fait clair : la sécurité et la stabilité sont nécessaires, et il y a beaucoup de pays au monde. Ma casquette "commerce extérieur" me permet de vous dire que les entreprises qui ont des capacités, des compétences et une expérience à l'international, n'ont pas absolument besoin de l'Irak en priorité. Le problème, c'est comment aider l'Irak. Et pour aider l'Irak aujourd'hui, la meilleure chose c'est d'exiger qu'elle soit stable et qu'elle ait une perspective politique. C'est ce que nous demandons. Et il n'y a absolument aucune antinomie entre un discours économique, qui a besoin de stabilité, et un discours politique qui est simplement l'expression de cette perspective qui nous paraît aujourd'hui nécessaire pour les affaires aussi."
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 31 octobre 2003)
Q - Bonjour François Loos, vous êtes en direct de Madrid. Première question, Kofi Annan a parlé de son impatience dans son discours et apparemment il visait un petit peu la France en disant que la reconstruction de l'Irak ne peut pas attendre la constitution d'un nouveau gouvernement en Irak. Comment recevez-vous ces propos de Kofi Annan ?
R - Nous aussi nous sommes impatients de voir la formation d'un gouvernement irakien souverain. Il s'agit aujourd'hui de redonner une véritable perspective politique aux Irakiens.
Q - Le Figaro titre ce matin : "l'Amérique veut faire payer les autres". C'est votre sentiment ?
R - Aujourd'hui, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale vont faire des annonces. Il y a de l'argent en réalité. Le problème est de savoir qui le gère et comment il est géré. Nous sommes, nous, persuadés qu'il faut d'abord enclencher le processus politique et que l'argent des organisations internationales doit être géré de façon tout à fait transparente. Rien de cela ne se présente aujourd'hui et c'est ce que nous demandons.
Q - Cela veut dire que vous avez du mal, en ce moment, à mobiliser, on va dire, l'énergie des acteurs économiques et en l'occurrence celle des entreprises françaises tant que les questions politiques ne seront pas réglées ?
R - Nous participons à cette conférence parce que nous soutenons aussi la Commission européenne qui a décidé d'apporter 200 millions d'euros pour 2004 et nous considérons que ceci correspond à une participation utile de l'Europe au programme de reconstruction. Ceci dit, les conditions politiques ne sont pas remplies et donc nous allons l'exprimer ce matin.
Q - Pour être concret, quelles sont les entreprises françaises engagées dans cet effort de reconstruction et à quelle hauteur sera l'engagement de la France ?
R - Nous participons simplement à la contribution européenne. En Irak, les besoins existent dans tous les domaines d'infrastructures, à la fois les infrastructures routières, les infrastructures concernant les télécoms, l'eau. Mais avant tout, il faut régler le problème de la sécurité, la façon de mettre en uvre les fonds internationaux, de façon transparente, ce qui aujourd'hui n'est pas assuré, et c'est cela que nous demandons./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 octobre 2003)
Monsieur le Président,
Messieurs les Membres du Conseil de gouvernement irakien,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Chefs de délégation,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
La France remercie l'Espagne pour l'occasion qu'elle fournit à l'ensemble de la communauté internationale de témoigner de son attachement et de son engagement pour la reconstruction de l'Irak. Celle-ci est une tâche essentielle pour les Irakiens, pour la stabilité de leur pays et de leur environnement régional, dans un contexte où cette région du monde est déjà traversée par de multiples fractures. De même que nous voulons parvenir à un Irak libre, uni, démocratique et en paix avec ses voisins, de même avons-nous tous intérêt à voir l'Irak, dont le peuple a trop souffert après tant d'années de guerres, de dictature et d'embargo, s'engager sur la voie de la stabilité et de la prospérité.
Les interventions qui ont ouvert cette conférence ont parfaitement souligné l'acuité et l'importance des besoins et des aspirations du peuple irakien. Pour y répondre efficacement, pour que la communauté internationale puisse être à la hauteur de l'enjeu, la France avait suggéré une approche politique fondée sur un point de départ nécessaire : l'affirmation du principe de souveraineté et la maîtrise de leur destin par les Irakiens.
La France a voté en faveur de la résolution 1511 qui est une étape positive mais non suffisante. Nous aurions préféré, en particulier, que ce texte fixe des échéances plus contraignantes et plus rapprochées pour le transfert de responsabilités, ainsi que pour la transition politique. Un gouvernement provisoire irakien pleinement souverain constituerait l'interlocuteur dont la communauté internationale a besoin pour s'investir dans la durée en Irak. Néanmoins, la France a souhaité privilégier l'unité du Conseil de sécurité et rester à l'écoute des besoins exprimés par les Irakiens. Elle entend continuer à travailler, avec l'ensemble de la communauté internationale, au redressement de l'Irak et à se mobiliser pour faire face aux enjeux de la reconstruction, en premier lieu pour répondre aux besoins du peuple irakien. C'est dans cet esprit que la France n'a cessé d'agir depuis le conflit, en apportant une aide humanitaire à l'Irak, en relançant certaines actions de coopération, et en participant aujourd'hui, avec une approche constructive et ouverte, à cette conférence.
Cette attitude s'est déjà traduite, dans les dernières semaines :
- par notre plein soutien à la proposition de contribution sur le budget de l'Union européenne de 200 millions d'euros présentée par la Commission européenne au nom de l'Union, qui constitue un montant approprié pour la période de court terme jusqu'à fin 2004 ;
- par notre soutien à l'intervention des institutions financières internationales en Irak, qui correspond bien à leur finalité de développement, et qui doit se concevoir dans le cadre normal d'utilisation de leurs outils ;
- par notre accord de principe à la mise en place d'un ou plusieurs fonds fiduciaires multilatéraux gérés par la Banque mondiale et le PNUD, ayant vocation à intervenir dans tous les secteurs prioritaires de la reconstruction.
Nous serons cependant attentifs à ce que l'articulation entre ce ou ces instruments et le fonds de développement puisse être prévue et clairement définie. De même, l'usage des ressources pétrolières qui abondent le Fonds de développement pour l'Irak géré par l'Autorité doit faire l'objet d'audits conduits par les mécanismes de transparences définis par la résolution 1483 du 22 mai dernier et rappelés par la résolution 1511 adoptée la semaine passée. Il nous semble ainsi essentiel que soit totalement assurée la transparence dans la gestion de l'aide internationale et du Fonds de développement pour l'Irak, qui devront être étroitement coordonnés.
Au-delà de ces engagements, nous jugeons de la plus haute importance de travailler à la stabilisation de l'économie irakienne et à la satisfaction des aspirations du peuple irakien. Il nous paraît souhaitable à cet égard que des efforts particuliers soient consacrés au secteur parapétrolier, dont dépendent pour l'essentiel la reprise des exportations et le financement de la reconstruction. Compte tenu des besoins humanitaires et de l'ampleur des réparations à réaliser, les interventions dans les infrastructures lourdes doivent être également réalisées en priorité, notamment dans les domaines de l'eau, son assainissement et sa distribution, et de l'électricité, autant de secteurs identifiés par les autorités provisoires irakiennes. C'est conformément à ces objectifs que la France a déjà apporté son soutien aux efforts du peuple irakien, par la fourniture d'une aide d'urgence dans le secteur de l'eau, de la santé et de l'éducation, sans préjudice des actions également entreprises par notre coopération culturelle, universitaire, ou en faveur du patrimoine historique de l'Irak. Les entreprises françaises pourront effectuer des travaux de réparation de première urgence et contribuer à accélérer le processus de réhabilitation des infrastructures afin de satisfaire les besoins de la population, ce qui contribuera à la normalisation de la situation.
La France continuera de mettre ses experts à disposition des agences internationales ; elle est disposée à engager des actions de formation au profit des cadres irakiens civils, notamment dans le cadre de jumelages administratifs ou de programmes humanitaires.
Le moment venu, et comme les autorités françaises l'ont indiqué, d'autres types d'action pourront être envisagés. La France se prépare notamment à ce que son agence bilatérale de coopération, l'Agence française de développement, puisse prendre toute sa part au développement futur de l'Irak : elle pourrait intervenir dans un premier temps sur des opérations urgentes d'assistance et de réhabilitation des réseaux d'eau et d'électricité irakiens.
Enfin, dans le cadre du Club de Paris, dont elle assure la présidence, la France prépare activement avec les autres créanciers une négociation sur la dette irakienne, comme les ministres des Finances du G7 en sont convenus. La France est prête à envisager dans ce cadre, un traitement adapté de la dette de l'Irak, compatible avec la capacité de financement du pays.
Nous avons ainsi l'ambition de prendre toute notre place, dans le respect des principes que nous avons défendus avec constance auprès de nos partenaires, dans la reconstruction d'un Irak souverain et démocratique, mais aussi attaché à la modernisation de son économie et au bien être de sa population.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 octobre 2003)