Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les Députés,
Il y a dans la vie parlementaire des événements où la souveraineté nationale rencontre l'histoire.
Nous sommes aujourd'hui à une date historique pour la France, celle de la réunion de l'Europe.
14 ans après la chute du mur de Berlin, il vous est proposé d'accueillir au sein de l'Union européenne la République tchèque, l'Estonie, Chypre, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, Malte, la Pologne, la Slovénie et la Slovaquie. En ratifiant le traité d'Athènes, je vous propose d'ouvrir le cur de la démocratie européenne.
Nous avons surmonté aujourd'hui la déchirure qui divisait l'Europe et ainsi nous reconstruisons notre continent sur des bases pacifiques.
Il a fallu que tous mêlent vision et volonté. Pour la plupart des dix pays concernés, ce traité est la traduction juridique de la fin du totalitarisme et la garantie qu'il ne pourra pas de nouveau obscurcir leurs espoirs.
Mon gouvernement souhaite que chacun, ici et dans notre pays, prenne conscience de la dimension historique de ce rendez-vous.
Cette nouvelle Europe a besoin d'une mobilisation nationale en France : Pour mieux la comprendre, mieux la construire alors qu'elle change sa géographie et qu'elle travaille à ses nouvelles institutions.
L'Europe a aussi besoin d'une perspective qui doit être, je le crois, la création d'un pôle de stabilité et de démocratie profondément nouveau, fondé non pas sur la volonté de puissance mais sur l'intérêt partagé pour un modèle de civilisation, une politique de l'homme.
Avec le projet de loi qui vous est soumis, monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, nous célébrons l'union de l'Europe, cette terre inconnue que les anciens Grecs situaient au nord de leur pays. Ce projet se fonde, avant l'histoire, avant la géographie, sur une communauté de culture. Quand Chopin jouait à Paris, son cur battait à Varsovie. Quand Erasme enseignait dans notre capitale, il se nourrissait de l'Italie. Quand les marchands du Moyen-âge parcouraient l'Europe, ils diffusaient sur leur route leur savoir-faire et apprenaient aux Européens l'économie naissante.
On pose souvent la question des limites de l'Europe. On veut chercher la réponse dans le relief, dans l'organisation du réseau des fleuves, dans l'expression des langues, dans les multiples rivages. La géographie ne suffit pas à l'Europe.
L'Europe, c'est un état d'esprit, c'est une communauté d'âmes. L'Europe, c'est une pensée qui, depuis les Lumières, est à la recherche du bonheur et de la vérité. L'Europe, c'est une pensée inquiète qui a fait de l'esprit critique une manière d'avancer et de l'homme le cur de son projet politique. L'Europe d'aujourd'hui, c'est d'abord un lieu de culture et de progrès où l'individu est considéré pour son identité, ses potentialités et sa conscience de l'autre.
Cette vision définit aujourd'hui clairement les limites de l'Europe. Cette Europe complexe qui fait notre quotidien est notre victoire face aux déchirements des siècles. Et si l'Europe ne tient pas toujours toutes ses promesses, nous devons la protéger et la faire partager car grâce à elle nous sommes sortis de l'horreur : l'horreur de la guerre et l'horreur de la dictature. " La guerre ouvre toujours les écluses du mal ".
Longtemps en effet, l'Europe, c'était la guerre. La guerre entre les Etats d'abord, puis, les guerres mondiales marquées par la volonté de puissance, la volonté de conquête, la volonté d'extermination qui ont définitivement meurtri l'Europe. En 1946, Edgar Morin écrivait : " l'Europe est un mot qui ment, il n'y a plus d'Europe ".
Grâce aux Pères fondateurs, qui tous - ADENAUER, GASPERI, SCHUMAN, MONNET, - étaient de la génération du feu, l'Europe a inventé un nouveau chemin. Du " debout l'Europe " de Churchill en 1946 à Zurich à la déclaration SCHUMAN de 1950 en passant par le Congrès de La Haye en 1947, les humanistes rescapés de la tragédie de la guerre ont su redonner vie à l'idée européenne, avec l'aide précieuse de nos amis américains. Ils ont compris que " l'Europe ne se fera pas d'un coup, qu'elle se ferait par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait ", comme l'avait pensé Robert Schuman.
Ils ont été aidés par la volonté de plusieurs Etats, les six fondateurs, aux premiers rangs desquels se trouvent la France et l'Allemagne.
Je rends ici hommage à ceux qui ont compris que le destin de nos nations passait par la mise en commun de nos énergies créatrices, de notre espérance. Je pense au général de GAULLE et au chancelier ADENAUER, au président POMPIDOU et au chancelier BRANDT, au président GISCARD d'ESTAING et au chancelier SCHMIDT, au président MITTERRAND et au chancelier KÖHL, au président CHIRAC et au chancelier SCHRÖDER.
Sans eux, l'Europe ne serait pas la force de stabilité qu'elle est devenue ; sans eux, l'Europe n'aurait pas franchit toutes les étapes de sa construction dont l'Euro, notre monnaie commune, est à la fois le signe et le sens.
Longtemps pourtant, l'Europe n'a été qu'une province du monde libre. L'Europe était un carrefour, le carrefour de deux rivalités, de deux visions du monde. Jean MONNET disait que " ses frontières étaient fixés par d'autres ". Puis, avec la force d'attraction de la démocratie et de l'économie de marché, l'empire soviétique s'est peu à peu délité et nous sommes rentrés dans une ère de paix. La Communauté européenne a permis de casser tous les Murs. L'Europe de l'Est n'existe plus.
La prédiction de Victor HUGO au Congrès de la paix de 1849 s'est réalisée : " un jour viendra où vous, France, vous Russie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure et vous constituerez la fraternité européenne ".
Depuis 1989, l'Europe choisit ses nouvelles frontières, elle existe par elle-même. Le fleuve Europe a retrouvé son lit et il n'y a de place aujourd'hui que pour un seul rêve, le rêve de la démocratie humaniste. C'est ce rêve qui est devenu réalité pour les nouveaux membres de l'Union : à force de travail, de courage et d'énergie, ils ont réussi à intégrer très rapidement le projet européen et l'acquis communautaire, au-delà de ses défauts bureaucratiques et de ses complexités démocratiques. Ne mésestimons pas cette part d'espérance que porte l'idée européenne et veillons à ce que notre accueil soit à la hauteur de leur espérance.
Allons vers eux, il nous faut faire une part du chemin de leur intégration.Il faut bien sûr rester vigilants : les dramatiques événements des Balkans nous incitent à prendre garde aux résurgences nationalistes, aux conflits identitaires et religieux qui ont longtemps été le quotidien de l'Europe.
Mais, je suis confiant, l'Europe, aujourd'hui, c'est la paix, l'Europe aujourd'hui, maîtrise son destin et se construit progressivement un avenir. La France a toujours eu une vision ambitieuse de l'Europe : l'Europe est pour la France une volonté, celle de faire advenir un modèle de société fondé sur les droits de l'homme, le développement économique et la solidarité.
L'Europe, c'est également un changement d'échelle pour la France à l'heure de la mondialisation qui donne à nos projets la dimension d'un continent. La vision française de l'Europe n'entre pas en contradiction avec la vision que nous avons de notre nation. Il n'y a pas d'antagonisme entre l'Europe et la nation. L'Europe, ce n'est pas une nouvelle nation, l'Europe, c'est une forme inédite et jamais conçue de souveraineté commune entre des nations.
L'Europe de demain, l'Europe en grand, mérite que nous mobilisions notre énergie pour qu'elle réussisse, pour continuer à inventer une organisation nouvelle. Parce que c'est notre intérêt, à nous Français, parce que c'est l'intérêt de l'Europe.
Je ne suis pas sourd pour autant aux interrogations que j'entends sur l'élargissement de l'Europe. Certains s'inquiètent de la concurrence des nouveaux pays, d'autres de l'immigration ; quelques uns auraient préféré le choix de la fermeture, du repli sur soi. Nous, nous avons fait le choix de l'ouverture, la France n'est pas claustrophobe. Je veux rassurer ceux qui s'interrogent. Je me souviens en 1985 de ces images de routes bloquées, de salariés en colère, de Français inquiets à l'idée de l'ouverture de la Communauté européenne à l'Espagne et au Portugal. Aujourd'hui, personne ne regrette cette adhésion.
Les nouveaux membres de l'Union ne seront pas une menace pour l'emploi en France parce que notre productivité est plus élevée, ils ne seront pas une menace sociale car ils respectent nos règles qu'ils ont acceptées. N'ayons pas peur de ceux qui au fond aspirent à notre modèle social. Le rapprochement se fera par le haut. L'élargissement, c'est un moteur durable pour la croissance et la création d'emplois parce que ces pays qui ont une croissance forte (4 % de prévision) apportent à l'Europe de nouveaux consommateurs. Les entreprises françaises ont d'ailleurs compris leur l'intérêt : chaque année, elles exportent pour plus de 15 Mds vers ces pays, soit quatre fois plus qu'il y a dix ans et nous sommes le troisième exportateur dans cette zone. 1 500 entreprises françaises sont déjà présentes dans ces pays et j'appelle les PME à se lancer sur ces nouveaux marchés. La Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovénie et la Slovaquie, riches à elles cinq de près de 68 M d'habitants, sont pour les entreprises françaises des pays de vieille connaissance. Ce sont des marchés très importants, dans lequel les plus grandes entreprises françaises sont déjà présentes.
Et ils ne doivent pas effrayer nos agriculteurs : le système d'aide directe agricole ne sera élargi que progressivement, dans l'intérêt de tous et dans le respect des principes de la politique agricole commune.
Les Pays Baltes eux nous permettent de construire notre continuité territoriale, de l'Atlantique à la Baltique. Les îles de la Méditerranée enfin, Malte et Chypre, renforcent la dimension méditerranéenne de l'Union. Avec ces pays, l'Europe devient un géant géopolitique et économique. C'est pourquoi, elle n'est plus une variable supplémentaire de notre politique étrangère, mais un élément fondamental de notre politique intérieure.
Je m'adresse à tous ceux ici, sur tous les bancs, qui ont l'Europe en partage. Avec conviction, j'appelle à une mobilisation française pour l'Europe, au-delà de nos clivages nationaux, alors qu'elle se trouve à un moment historique, fondateur mais où elle doit affronter trois défis majeurs.
Le premier défi est démographique : nos nations vieillissent, nous le savons tous. Ensemble, nous devons tirer les leçons de cette situation européenne. Il s'agit d'un défi à la fois sociétal et social.
Le deuxième défi tient à la compréhension du monde : la triple révolution économique, génétique et numérique est à l'origine d'une vision du monde nouvelle. Elle nous appelle à renouveler notre pensée de l'humanisme.Aujourd'hui, " il faut regarder en avant et désobéir à notre propre nostalgie ", la nostalgie d'un monde facile à comprendre, manichéen, où l'Europe était un enjeu entre les Blocs.
Le troisième défi enfin est politique. Paul VALERY disait que " nous autres civilisations, nous savons que nous sommes mortelles " et si nous ne voulons pas que " l'Europe devienne un petit cap du continent asiatique ", nous devons agir. Agir face au terrorisme international qui marque de son empreinte angoissante nos consciences. Agir pour équilibrer les nouvelles puissances économiques comme la Chine et l'Inde et tenir notre rang face aux Etats-Unis et au Japon.
Dans ce monde troublé, l'Europe, si elle veut exister, doit faire entendre sa voix et affirmer son unité. Dans ce contexte, l'élargissement est une chance parce qu'il est une force potentielle supplémentaire. Mais, cette chance exige aussi une réforme profonde des institutions européennes, que nous devons également réussir. Nous devons prendre le chemin nécessaire d'institutions plus efficaces - avec l'extension du vote à la majorité qualifié -, plus incarnée avec un président pour l'Europe, plus proche avec le contrôle de subsidiarité et la possibilité d'implication directe des Européens avec le droit d'initiative citoyenne.
Mon gouvernement est autant engagé pour l'approfondissement que pour l'élargissement. Demain, nous serons plus forts de nos nations nouvelles mais aussi de nos institutions nouvelles. Toutefois, l'Europe ne sera au rendez-vous de son destin que si elle continue à innover et c'est ce que la France, sous l'impulsion du Président de la République, a entrepris :
- Avec une relation franco-allemande rénovée, fondée sur la capacité à faire des réformes communes et à formuler des ambitions élevées pour l'Europe.
- Avec des relations euro-américaines nouvelles, fondées sur une capacité de dialogue d'égal à égal et sur la volonté de formuler des ambitions communes pour l'organisation du monde.
- Avec une vision humanisée de la mondialisation, qui fait de la diversité culturelle, de l'aide au développement et du combat contre les épidémies des priorités continentales.
- Avec la volonté enfin de mettre l'Europe au service des Européens. Et pour cela de construire un espace de croissance durable nécessaire pour l'emploi et le progrès social.
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
L'Europe donne un nouveau cours à son histoire. Elle accueille les pays qui ont les plus souffert des fractures du passé et elle les associe à son projet. Mais, il y a aujourd'hui une urgence européenne. L'Union est engagée dans une course de vitesse avec la " gouvernance mondiale ". Pour la paix avec l'ONU, pour la planète avec le protocole de Kyoto, pour le développement avec l'OMC, le monde doit repenser son organisation.
Là est notre projet : faire que l'Europe à 25 soit assez forte pour imposer dans le monde son principe d'équilibre face au principe de hiérarchie. Vaclav HAVEL le dit fortement : " La mission de l'Europe aujourd'hui est de retrouver sa conscience et sa responsabilité,responsabilité non seulement à l'égard de sa propre architecture politique, mais aussi envers le monde dans son ensemble. "
Nous avons aujourd'hui l'occasion de réussir, grâce à la force nouvelle de l'élargissement, ce nouveau projet européen, pour le monde, pour l'Europe et bien sûr pour la France.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 26 novembre 2003)
Mesdames et messieurs les Députés,
Il y a dans la vie parlementaire des événements où la souveraineté nationale rencontre l'histoire.
Nous sommes aujourd'hui à une date historique pour la France, celle de la réunion de l'Europe.
14 ans après la chute du mur de Berlin, il vous est proposé d'accueillir au sein de l'Union européenne la République tchèque, l'Estonie, Chypre, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, Malte, la Pologne, la Slovénie et la Slovaquie. En ratifiant le traité d'Athènes, je vous propose d'ouvrir le cur de la démocratie européenne.
Nous avons surmonté aujourd'hui la déchirure qui divisait l'Europe et ainsi nous reconstruisons notre continent sur des bases pacifiques.
Il a fallu que tous mêlent vision et volonté. Pour la plupart des dix pays concernés, ce traité est la traduction juridique de la fin du totalitarisme et la garantie qu'il ne pourra pas de nouveau obscurcir leurs espoirs.
Mon gouvernement souhaite que chacun, ici et dans notre pays, prenne conscience de la dimension historique de ce rendez-vous.
Cette nouvelle Europe a besoin d'une mobilisation nationale en France : Pour mieux la comprendre, mieux la construire alors qu'elle change sa géographie et qu'elle travaille à ses nouvelles institutions.
L'Europe a aussi besoin d'une perspective qui doit être, je le crois, la création d'un pôle de stabilité et de démocratie profondément nouveau, fondé non pas sur la volonté de puissance mais sur l'intérêt partagé pour un modèle de civilisation, une politique de l'homme.
Avec le projet de loi qui vous est soumis, monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, nous célébrons l'union de l'Europe, cette terre inconnue que les anciens Grecs situaient au nord de leur pays. Ce projet se fonde, avant l'histoire, avant la géographie, sur une communauté de culture. Quand Chopin jouait à Paris, son cur battait à Varsovie. Quand Erasme enseignait dans notre capitale, il se nourrissait de l'Italie. Quand les marchands du Moyen-âge parcouraient l'Europe, ils diffusaient sur leur route leur savoir-faire et apprenaient aux Européens l'économie naissante.
On pose souvent la question des limites de l'Europe. On veut chercher la réponse dans le relief, dans l'organisation du réseau des fleuves, dans l'expression des langues, dans les multiples rivages. La géographie ne suffit pas à l'Europe.
L'Europe, c'est un état d'esprit, c'est une communauté d'âmes. L'Europe, c'est une pensée qui, depuis les Lumières, est à la recherche du bonheur et de la vérité. L'Europe, c'est une pensée inquiète qui a fait de l'esprit critique une manière d'avancer et de l'homme le cur de son projet politique. L'Europe d'aujourd'hui, c'est d'abord un lieu de culture et de progrès où l'individu est considéré pour son identité, ses potentialités et sa conscience de l'autre.
Cette vision définit aujourd'hui clairement les limites de l'Europe. Cette Europe complexe qui fait notre quotidien est notre victoire face aux déchirements des siècles. Et si l'Europe ne tient pas toujours toutes ses promesses, nous devons la protéger et la faire partager car grâce à elle nous sommes sortis de l'horreur : l'horreur de la guerre et l'horreur de la dictature. " La guerre ouvre toujours les écluses du mal ".
Longtemps en effet, l'Europe, c'était la guerre. La guerre entre les Etats d'abord, puis, les guerres mondiales marquées par la volonté de puissance, la volonté de conquête, la volonté d'extermination qui ont définitivement meurtri l'Europe. En 1946, Edgar Morin écrivait : " l'Europe est un mot qui ment, il n'y a plus d'Europe ".
Grâce aux Pères fondateurs, qui tous - ADENAUER, GASPERI, SCHUMAN, MONNET, - étaient de la génération du feu, l'Europe a inventé un nouveau chemin. Du " debout l'Europe " de Churchill en 1946 à Zurich à la déclaration SCHUMAN de 1950 en passant par le Congrès de La Haye en 1947, les humanistes rescapés de la tragédie de la guerre ont su redonner vie à l'idée européenne, avec l'aide précieuse de nos amis américains. Ils ont compris que " l'Europe ne se fera pas d'un coup, qu'elle se ferait par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait ", comme l'avait pensé Robert Schuman.
Ils ont été aidés par la volonté de plusieurs Etats, les six fondateurs, aux premiers rangs desquels se trouvent la France et l'Allemagne.
Je rends ici hommage à ceux qui ont compris que le destin de nos nations passait par la mise en commun de nos énergies créatrices, de notre espérance. Je pense au général de GAULLE et au chancelier ADENAUER, au président POMPIDOU et au chancelier BRANDT, au président GISCARD d'ESTAING et au chancelier SCHMIDT, au président MITTERRAND et au chancelier KÖHL, au président CHIRAC et au chancelier SCHRÖDER.
Sans eux, l'Europe ne serait pas la force de stabilité qu'elle est devenue ; sans eux, l'Europe n'aurait pas franchit toutes les étapes de sa construction dont l'Euro, notre monnaie commune, est à la fois le signe et le sens.
Longtemps pourtant, l'Europe n'a été qu'une province du monde libre. L'Europe était un carrefour, le carrefour de deux rivalités, de deux visions du monde. Jean MONNET disait que " ses frontières étaient fixés par d'autres ". Puis, avec la force d'attraction de la démocratie et de l'économie de marché, l'empire soviétique s'est peu à peu délité et nous sommes rentrés dans une ère de paix. La Communauté européenne a permis de casser tous les Murs. L'Europe de l'Est n'existe plus.
La prédiction de Victor HUGO au Congrès de la paix de 1849 s'est réalisée : " un jour viendra où vous, France, vous Russie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure et vous constituerez la fraternité européenne ".
Depuis 1989, l'Europe choisit ses nouvelles frontières, elle existe par elle-même. Le fleuve Europe a retrouvé son lit et il n'y a de place aujourd'hui que pour un seul rêve, le rêve de la démocratie humaniste. C'est ce rêve qui est devenu réalité pour les nouveaux membres de l'Union : à force de travail, de courage et d'énergie, ils ont réussi à intégrer très rapidement le projet européen et l'acquis communautaire, au-delà de ses défauts bureaucratiques et de ses complexités démocratiques. Ne mésestimons pas cette part d'espérance que porte l'idée européenne et veillons à ce que notre accueil soit à la hauteur de leur espérance.
Allons vers eux, il nous faut faire une part du chemin de leur intégration.Il faut bien sûr rester vigilants : les dramatiques événements des Balkans nous incitent à prendre garde aux résurgences nationalistes, aux conflits identitaires et religieux qui ont longtemps été le quotidien de l'Europe.
Mais, je suis confiant, l'Europe, aujourd'hui, c'est la paix, l'Europe aujourd'hui, maîtrise son destin et se construit progressivement un avenir. La France a toujours eu une vision ambitieuse de l'Europe : l'Europe est pour la France une volonté, celle de faire advenir un modèle de société fondé sur les droits de l'homme, le développement économique et la solidarité.
L'Europe, c'est également un changement d'échelle pour la France à l'heure de la mondialisation qui donne à nos projets la dimension d'un continent. La vision française de l'Europe n'entre pas en contradiction avec la vision que nous avons de notre nation. Il n'y a pas d'antagonisme entre l'Europe et la nation. L'Europe, ce n'est pas une nouvelle nation, l'Europe, c'est une forme inédite et jamais conçue de souveraineté commune entre des nations.
L'Europe de demain, l'Europe en grand, mérite que nous mobilisions notre énergie pour qu'elle réussisse, pour continuer à inventer une organisation nouvelle. Parce que c'est notre intérêt, à nous Français, parce que c'est l'intérêt de l'Europe.
Je ne suis pas sourd pour autant aux interrogations que j'entends sur l'élargissement de l'Europe. Certains s'inquiètent de la concurrence des nouveaux pays, d'autres de l'immigration ; quelques uns auraient préféré le choix de la fermeture, du repli sur soi. Nous, nous avons fait le choix de l'ouverture, la France n'est pas claustrophobe. Je veux rassurer ceux qui s'interrogent. Je me souviens en 1985 de ces images de routes bloquées, de salariés en colère, de Français inquiets à l'idée de l'ouverture de la Communauté européenne à l'Espagne et au Portugal. Aujourd'hui, personne ne regrette cette adhésion.
Les nouveaux membres de l'Union ne seront pas une menace pour l'emploi en France parce que notre productivité est plus élevée, ils ne seront pas une menace sociale car ils respectent nos règles qu'ils ont acceptées. N'ayons pas peur de ceux qui au fond aspirent à notre modèle social. Le rapprochement se fera par le haut. L'élargissement, c'est un moteur durable pour la croissance et la création d'emplois parce que ces pays qui ont une croissance forte (4 % de prévision) apportent à l'Europe de nouveaux consommateurs. Les entreprises françaises ont d'ailleurs compris leur l'intérêt : chaque année, elles exportent pour plus de 15 Mds vers ces pays, soit quatre fois plus qu'il y a dix ans et nous sommes le troisième exportateur dans cette zone. 1 500 entreprises françaises sont déjà présentes dans ces pays et j'appelle les PME à se lancer sur ces nouveaux marchés. La Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovénie et la Slovaquie, riches à elles cinq de près de 68 M d'habitants, sont pour les entreprises françaises des pays de vieille connaissance. Ce sont des marchés très importants, dans lequel les plus grandes entreprises françaises sont déjà présentes.
Et ils ne doivent pas effrayer nos agriculteurs : le système d'aide directe agricole ne sera élargi que progressivement, dans l'intérêt de tous et dans le respect des principes de la politique agricole commune.
Les Pays Baltes eux nous permettent de construire notre continuité territoriale, de l'Atlantique à la Baltique. Les îles de la Méditerranée enfin, Malte et Chypre, renforcent la dimension méditerranéenne de l'Union. Avec ces pays, l'Europe devient un géant géopolitique et économique. C'est pourquoi, elle n'est plus une variable supplémentaire de notre politique étrangère, mais un élément fondamental de notre politique intérieure.
Je m'adresse à tous ceux ici, sur tous les bancs, qui ont l'Europe en partage. Avec conviction, j'appelle à une mobilisation française pour l'Europe, au-delà de nos clivages nationaux, alors qu'elle se trouve à un moment historique, fondateur mais où elle doit affronter trois défis majeurs.
Le premier défi est démographique : nos nations vieillissent, nous le savons tous. Ensemble, nous devons tirer les leçons de cette situation européenne. Il s'agit d'un défi à la fois sociétal et social.
Le deuxième défi tient à la compréhension du monde : la triple révolution économique, génétique et numérique est à l'origine d'une vision du monde nouvelle. Elle nous appelle à renouveler notre pensée de l'humanisme.Aujourd'hui, " il faut regarder en avant et désobéir à notre propre nostalgie ", la nostalgie d'un monde facile à comprendre, manichéen, où l'Europe était un enjeu entre les Blocs.
Le troisième défi enfin est politique. Paul VALERY disait que " nous autres civilisations, nous savons que nous sommes mortelles " et si nous ne voulons pas que " l'Europe devienne un petit cap du continent asiatique ", nous devons agir. Agir face au terrorisme international qui marque de son empreinte angoissante nos consciences. Agir pour équilibrer les nouvelles puissances économiques comme la Chine et l'Inde et tenir notre rang face aux Etats-Unis et au Japon.
Dans ce monde troublé, l'Europe, si elle veut exister, doit faire entendre sa voix et affirmer son unité. Dans ce contexte, l'élargissement est une chance parce qu'il est une force potentielle supplémentaire. Mais, cette chance exige aussi une réforme profonde des institutions européennes, que nous devons également réussir. Nous devons prendre le chemin nécessaire d'institutions plus efficaces - avec l'extension du vote à la majorité qualifié -, plus incarnée avec un président pour l'Europe, plus proche avec le contrôle de subsidiarité et la possibilité d'implication directe des Européens avec le droit d'initiative citoyenne.
Mon gouvernement est autant engagé pour l'approfondissement que pour l'élargissement. Demain, nous serons plus forts de nos nations nouvelles mais aussi de nos institutions nouvelles. Toutefois, l'Europe ne sera au rendez-vous de son destin que si elle continue à innover et c'est ce que la France, sous l'impulsion du Président de la République, a entrepris :
- Avec une relation franco-allemande rénovée, fondée sur la capacité à faire des réformes communes et à formuler des ambitions élevées pour l'Europe.
- Avec des relations euro-américaines nouvelles, fondées sur une capacité de dialogue d'égal à égal et sur la volonté de formuler des ambitions communes pour l'organisation du monde.
- Avec une vision humanisée de la mondialisation, qui fait de la diversité culturelle, de l'aide au développement et du combat contre les épidémies des priorités continentales.
- Avec la volonté enfin de mettre l'Europe au service des Européens. Et pour cela de construire un espace de croissance durable nécessaire pour l'emploi et le progrès social.
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
L'Europe donne un nouveau cours à son histoire. Elle accueille les pays qui ont les plus souffert des fractures du passé et elle les associe à son projet. Mais, il y a aujourd'hui une urgence européenne. L'Union est engagée dans une course de vitesse avec la " gouvernance mondiale ". Pour la paix avec l'ONU, pour la planète avec le protocole de Kyoto, pour le développement avec l'OMC, le monde doit repenser son organisation.
Là est notre projet : faire que l'Europe à 25 soit assez forte pour imposer dans le monde son principe d'équilibre face au principe de hiérarchie. Vaclav HAVEL le dit fortement : " La mission de l'Europe aujourd'hui est de retrouver sa conscience et sa responsabilité,responsabilité non seulement à l'égard de sa propre architecture politique, mais aussi envers le monde dans son ensemble. "
Nous avons aujourd'hui l'occasion de réussir, grâce à la force nouvelle de l'élargissement, ce nouveau projet européen, pour le monde, pour l'Europe et bien sûr pour la France.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 26 novembre 2003)