Tribune conjointe de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Gordon Brown, chancelier de l'échiquier du Royaume-uni, M. Hans Eichel, ministre des finances d'Allemagne dans "Les Echos", "The Financial Times", "Handelsblatt", le 21 mai 2004, sur un programme de réformes économiques à entreprendre en Europe.

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Média : Energies News - Les Echos - Handelsblatt - Les Echos - Presse étrangère - The Financial Times

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Comment l'Europe va pouvoir tirer parti de la reprise mondiale
Alors que le G7 se retrouve pour évaluer la situation économique mondiale et exprimer son inquiétude à l'OPEP sur l'impact de l'augmentation des prix du pétrole, nous estimons que la réforme de l'économie doit être au coeur de l'agenda européen pour la croissance. L'Europe qui vient d'accomplir ce mois-ci un élargissement historique en passant de 15 à 25 membres dispose d'avantages économiques considérables - stabilité, cohésion sociale, investissements dans les infrastructures, multinationales parmi les plus grandes, main-d'oeuvre qualifiée - alliés à la perspective de constituer le plus vaste marché unique au monde, même si le potentiel correspondant reste à exploiter.
Or, depuis quelques années, la croissance européenne est trop faible (la moyenne annuelle s'établissant à 1,7 % depuis 2000) et le chômage trop élevé (le nombre d'Européens sans emploi s'élevant actuellement à 18 millions). L'Europe soit s'efforcer davantage d'atteindre les objectifs ambitieux qu'elle s'était fixés à Lisbonne pour 2010 en matière de productivité et de réforme économique, notamment la création de 21,5 millions d'emplois.
La faiblesse de la croissance est d'autant plus préoccupante que l'Europe doit désormais faire face à une concurrence mondiale soutenue. La mondialisation des produits, des entreprises et des flux financiers oblige de plus en plus l'Europe à s'ouvrir, à se tourner davantage vers l'extérieur et à devenir plus efficace.
Aussi, afin de créer des emplois et de doper la croissance dans ce nouvel environnement mondial, l'Europe doit-elle désormais engager un programme de réformes économiques orientées vers l'avenir, qui s'articule autour de quatre grands axes.
En premier lieu, une Europe tournée vers le monde se doit de libéraliser ses marchés de produits et de services afin de tirer pleinement profit du Marché unique. Les investissements européens en matière de R D ne représentant que 2 % du PIB contre 2,7 % aux États-Unis et 3,1 % au Japon, nous formulerons également des recommandations précises pour favoriser le développement de la recherche et susciter des innovations concrètes à travers l'Europe. Nous présenterons des propositions visant à dynamiser le secteur du capital-risque et à inciter davantage les entreprises à innover en modernisant les règles d'attribution des aides d'État de manière à cibler plus efficacement, entre autres, les déficiences du marché.
Nous allons également démontrer qu'une Europe plus ouverte et tournée vers le monde peut prendre l'initiative pour donner au Cycle de Doha une issue qui soit bénéfique pour les pays en développement comme pour les pays développés. Nous allons de nouveau engager l'Europe et nos pays respectifs dans un dialogue transatlantique que nous espérons fructueux, y compris dans le domaine des normes de comptabilité et d'audit. Dans le cadre des organisations internationales, nous resterons attentifs à la nécessité de traiter les problèmes posés par les places financières non-coopératives, afin d'introduire plus de transparence sur les marchés financiers mondiaux, de renforcer la gouvernance d'entreprise et d'améliorer la surveillance des autorités de réglementation, et partant, de lutter contre le blanchiment de capitaux, les pratiques fiscales dommageables et, chose vitale pour la sécurité du monde, de traiter la question du financement du terrorisme. Nous continuerons par ailleurs de contribuer à l'effort de mobilisation de ressources supplémentaires en vue d'atteindre les Objectifs de développement du Millénaire, notamment en apportant notre soutien aux travaux communs du FMI et de la Banque mondiale en matière d'efficacité de l'aide, de capacité d'absorption, de systèmes d'évaluation fondés sur les résultats ainsi que diverses stratégies et différents mécanismes de financement, tels qu'une facilité de financement internationale.
En second lieu, avec un taux de chômage élevé qui frappe durablement bon nombre de nos concitoyens - dans certains pays européens, jusqu'à 50 % des personnes sans emploi restent au chômage pendant plus d'un an contre seulement 10 % aux États-Unis - l'Europe se doit de conjuguer politiques permettant d'adapter les compétences à la demande, au niveau de la formation initiale et par le biais d'une formation continue plus développée, et politiques d'assouplissement du marché du travail. Ainsi, conformément aux recommandations du Rapport Kok, chaque gouvernement européen doit s'inspirer de l'expérience des autres, oeuvrer davantage en faveur de la formation et de la création d'emplois et renforcer les mesures d'incitation fiscales et financières afin de garantir aux chômeurs un retour plus rapide à l'emploi.
En troisième lieu, il est essentiel qu'une réglementation efficace vienne soutenir la stabilité et le bon fonctionnement des marchés. Mais nous devons faire davantage en Europe pour réformer et supprimer la réglementation inutile et en diminuer le coût pour la croissance, l'entreprise et l'emploi. C'est la raison pour laquelle la réforme de la réglementation sera au coeur du programme des quatre Présidences de l'Europe jusqu'à la fin de 2005, et nous veillerons tous ensemble à ce que tout projet de réglementation soit soumis à une analyse "coûts-avantages" ainsi qu'à un test de compétitivité et à ce que l'utilité de toute réglementation existante soit examinée de la même manière.
En dernier lieu, l'Europe doit s'assurer que le cadre de ses politiques économiques permet de générer une croissance forte et durable.
La surveillance multilatérale exercée grâce au Pacte de stabilité et de croissance a joué un rôle-clé dans la mesure où elle a contribué à renforcer la crédibilité de l'engagement des gouvernements européens en faveur de la discipline budgétaire et où elle a favorisé une plus grande transparence budgétaire dans les États membres. Il est certain que nous avons tous besoin de règles pour guider nos finances publiques. Il est crucial que les États membres continuent d'adresser un signal fort en faveur de la discipline budgétaire en refusant de revenir aux politiques qui ont par le passé fait la preuve de leur caractère insoutenable.
Dans l'appréciation que nous portons sur les finances publiques de chaque pays, il nous faut en outre tenir compte des conditions propres au cycle économique et au cadre structurel et mettre davantage l'accent sur le long terme - niveau de la dette, engagements pris au titre du financement durable de nos régimes de retraite et d'assurance-maladie et amélioration de la qualité des finances publiques. Toutefois les règles communes ne sauraient suffire. Les gouvernements nationaux demeurent responsables de la politique budgétaire et assument cette responsabilité vis-à-vis de leurs concitoyens.
Nous ne devons pas laisser passer l'occasion, pour une Europe en pleine réforme, de bénéficier de la reprise mondiale, mais au contraire la saisir pour relancer la croissance et la création d'emplois. Aussi devons-nous continuer d'oeuvrer tous ensemble en vue de consolider nos finances publiques, en faisant avancer les réformes structurelles qui permettront de gagner en croissance et en emplois et en veillant à ce qu'une Europe davantage tournée vers l'extérieur ait tous les atouts pour réussir à l'ère de la mondialisation de l'économie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 mai 2004)