Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur les relations franco-portugaises et sur la politique étrangère de la France, Lisbonne le 31 octobre 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage officiel au Portugal du 30 au 31 octobre 2003

Texte intégral

Monsieur l'Ambassadeur,
Mesdames, messieurs les ministres,
Mesdames, messieurs,
C'est avec un vrai bonheur que je suis ici dans une des belles ambassades, d'un des plus beaux pays du monde, l'ambassade de France à Lisbonne. Je remercie très sincèrement chacune et chacun d'entre vous de vous être libérés de multiples occupations pour être présents à ce rendez-vous et je voudrais vous dire combien pour nous, il est important puisque nous cherchons à développer des relations renforcées avec le Portugal. Nous avons avec ce pays, des relations profondes, historiques, que nous n'avons pas toujours mesurées comme étant aussi stratégiques qu'elles devaient être. Parce que l'histoire nous a montré que nous pouvions avoir des divisions ou en tout cas des différences. L'Histoire nous a aussi montré que, dans des grands moments historiques - je pense au siècle des Lumières, je pense au combat des libertés, je pense aux valeurs de la République -, le Portugal et la France ont ce même élan du cur pour aller rechercher un idéal au-delà d'eux-mêmes.
C'est, je crois, très important d'avoir ce patrimoine en commun. Le Portugal et la France aujourd'hui sont alliés dans une Europe qui se déplace vers l'Est, dans une Europe qui n'a pas forcément ni les mêmes valeurs de la géographie, ni les mêmes valeurs de l'histoire. Cette Europe nouvelle, elle est importante et nous la voulons ; nous nous battons pour elle. Mais nous avons besoin de construire, avec le Portugal, une relation de valeurs, les valeurs de notre Histoire et puis aussi une relation de la géographie et pour nous de la périphéricité d'une Europe Atlantique, même si ici il y a un peu plus d'oliviers que chez nous, il y a ce besoin de sentir rassemblés dans cette nouvelle géographie, ce nouveau périmètre de l'Union européenne. Nous avons donc décidé de renforcer nos relations. Depuis la visite, à la fin des années 90 du président Chirac, visite d'Etat importante qui est une étape essentielle de ce développement de l'amitié luso-française, nous avons décidé avec le Premier ministre portugais de stabiliser, de structurer, d'organiser nos relations. Donc, nous avons décidé de faire une réunion, un sommet comme il en existe avec d'autres pays, mais en lui donnant une forme plus vivante, plus ouverte sur la société civile. Nous avons, ensemble, ce matin, travaillé avec le gouvernement portugais, avec les ministres ici présents sur nos relations bilatérales, sur nos projets européens, sur ce que nous avons en commun à débattre.
Nous avons voulu avoir un débat avec les entrepreneurs et je remercie les chefs d'entreprises qui ont participé à cette rencontre, à ces réunions, à la fois les entreprises françaises dirigées par des Français et ces entreprises luso-françaises qui sont ces entreprises médiatrices avec ces dirigeants qui sont biculturels. Je voudrais dire combien la France apprécie non seulement la relation avec le Portugal, mais les relations avec les Portugais y compris avec les Portugais de France qui sont parmi tous ceux qui sont venus d'ailleurs, qui réussissent à la fois ce double pari, ce double défi qui est le rêve, si rarement accessible, de l'intégration et de l'identité. Et les Portugais réussissent, en France, à être à la fois intégrés tout en étant attachés à leur racine, leur culture et leur histoire et intégrés à la République française sans renier leur histoire, sans renier leur identité. C'est cela, le rêve de l'Europe, au fond :cette capacité d'appartenir, mais d'être reconnu pour sa diversité. C'est un des sujets sur lesquels nous travaillons avec nos collègues portugais, pour lesquels au fond, nous avons beaucoup de proximité.
Quand je fais le tour d'horizon des grands problèmes internationaux avec le président de la République, avec le Premier ministre, je vois que sur un grand nombre de sujets, nous sommes d'accords et sur les sujets sur lesquels il y a discussions aujourd'hui, c'est sur des problèmes d'organisations européennes pour savoir le nombre de commissaires ou la place exacte de la structure de la présidence du Conseil, par rapport à la présidence de la Commission. Tout ça nous le règlerons. Nous ne voulons pas, nous Français, que l'on fasse de la construction européenne une dialectique entre les grands et les petits pays. Nous avons bâti l'Europe à six avec l'Allemagne et l'Italie, qui pouvaient être considérés comme des grands et avec la Belgique, le Luxembourg et les Pays Bas qui auraient pu être considérés comme des petits. Et finalement ce groupe de six, il est devenu douze, quinze ; il va devenir vingt-cinq le 1er mai et dans cette dialectique de départ, il y a une ambition, une communauté de destin. Il n'y a pas les grands et les petits. Quand nous discutons avec nos amis portugais sur la Commission, on dit "on veut un commissaire", la France accepte qu'à un moment donné il n'y ait pas de commissaire français, parce que nous voulons une structure capable d'efficacité, capable de faire en sorte que les grands dossiers, économiques, sociaux, politiques soient traités rapidement, qu'un dossier comme Alstom - qui a eu son importance et qui a son importance toujours - on puisse le traiter rapidement, à Bruxelles comme à Paris et quand Paris décide vite, on ne veut pas que ça traîne ailleurs. Tout cela demande des instances qui soient rapides, qui soient gouvernables et qui soient capables de décider vite. C'est ce que nous voulons avec une Europe plus politique. Nous souhaitons un Conseil qui soit stabilisé, pas une présidence qui change tous les six mois, une présidence stabilisée avec une responsabilité du Parlement européen, une responsabilité des Parlements nationaux. Sur l'ensemble de ces sujets, nos positions avec le Portugal sont très voisines et nous trouverons, je le pense, un accord, parce que nous voulons, les uns et les autres, aller vite et faire en sorte que la Conférence intergouvernementale, qui prolonge le travail de la Convention, puisse se conclure avant la fin de l'année, de manière à ce que nous puissions véritablement dans cette année 2004, connaître les deux grandes dimensions de nouveaux projets européens, que sont l'élargissement et en même temps l'approfondissement, le nouveau périmètre, les nouvelles institutions , parce qu'on ne gèrera pas un espace à vingt-cinq, globalement un ensemble de pays qui vont se rassembler pour constituer cette Union à vingt-cinq, comme on a pu gérer une Union à quinze.
Il faut donc que nous nous avancions aussi bien sur le périmètre que sur les Constitutions. Dans ce contexte-là, les propositions qui sont formulées par le gouvernement portugais sont nuancées par rapport aux nôtres. Mais, globalement, je ne suis pas inquiet : nous arriverons à des positions communes d'ici la fin de l'année. Sur beaucoup d'autres sujets, je vois des projets importants, je vois des projets de coopération industrielle, je vois des projets de coopération dans les services, la banque, les assurances. Je vois des projets stratégiques : comment faire en sorte que nous puissions construire ces autoroutes de la mer sur l'Atlantique pour éviter que trop de camions aillent sur la route et un peu plus sur la mer et qu'on fasse en sorte que le Portugal puisse avoir accès au cur de l'Europe, non seulement par des canaux de communication interne et terrestre, mais aussi par des communications maritimes ? Il y a un certain nombre de projets ambitieux qui sont aujourd'hui au cur de notre programme entre la France et le Portugal. Je voudrais dire aussi que ces programmes économiques, ces programmes d'infrastructures doivent se prolonger par des programmes culturels, notamment pour les efforts que nous devons faire pour valoriser la culture du Portugal et ce qu'elle peut porter, non seulement comme valeur universelle dans le monde entier - pour cela il faut faire des efforts pour le Portugais en France - et je sais aussi qu'il faut faire des efforts pour le Français au Portugal. Je parlerai avec nos amis de l'Alliance française qui ont quelques inquiétudes, je le sais. Je parlerai avec eux tout à l'heure mais je suis bien conscient de ces sujets et il faut que nous trouvions les solutions, car des pays qui s'aiment ne peuvent pas être étrangers quant à l'effort linguistique réciproque. Et donc c'est un objectif qui nous concerne et qui vraiment intéresse et mobilise le gouvernement.
Nous sommes là donc vraiment engagés dans un partenariat important avec le gouvernement du Portugal et nous aurons la rencontre retour qui aura lieu bientôt en France et nous l'avons fixée justement sur les questions du savoir, les questions des technologies, de la recherche, de l'innovation, de tout ce qui peut être cette valeur ajoutée humaine, cette intelligence qu'il nous faut mettre dans l'économie et que les Portugais et les Français peuvent développer ensemble. C'est cela notre travail et donc je voulais d'abord, comme premier message, vous dire que la France aime le Portugal. Et que nous avons avec le Portugal de grandes proximités, moi qui ait été pendant très longtemps élu des régions de l'Atlantique, qui ait milité pour l'arc Atlantique, je ne suis pas indifférent ni à Lisbonne évidemment, mais ni à Tavira, ni à Coimbra, ni à Porto et à bien d'autres sites que je connais bien et qui sont des forces importantes de cette identité portugaise. La France dans ce contexte-là, veut être un moteur de l'Europe notamment avec l'Allemagne - mais pas seulement avec l'Allemagne - pour être au XXIe siècle l'un des moteurs de ce nouveau continent qui doit vivre à l'aise dans le XXIe siècle.
C'est pour cela que nous avons engagé en France une politique de réformes importantes, difficiles, mais qu'il faut mener malgré la difficulté des temps. Il fallait faire la réforme des retraites. Il faut sortir la France de ces impasses qui sont pour elles des facteurs de blocage énorme si nous ne sommes pas capables de les surmonter : quand vous avez de moins en moins de gens qui paient et de plus en plus de gens qui touchent. Il y a bien un moment où ça s'arrête ; et c'est ce qui s'est passé pour les retraites, il a fallu construire sur le temps et à 2020. Nous avons réglé avec des étapes intermédiaires pour pouvoir régler ce sujet et libérer la France de cette impasse. Nous voulons libérer la France de l'impasse de l'assurance maladie et de ses déficits, déficits qui pèsent lourds sur notre avenir et nous voulons régler ces sujets. Nous le ferons après avoir mis en place les instances de concertation. Après avoir élaboré à la fin de l'année un diagnostic, nous proposerons, pour le début de l'année prochaine, au printemps et avant l'été, la capacité de faire en sorte que la France réforme son système de santé et d'assurance maladie pour être, là aussi, libérée d'une impasse.
Nous avons d'autres sujets importants qui sont engagés : nous avons engagé une réforme importante sur la décentralisation ; nous engageons des réformes importantes pour changer la condition des personnes handicapées dans notre pays. Il faut là, vraiment, que la France se modernise. Il faut revoir notre loi de 1975 qui, maintenant, date, qui a été une loi innovante à son époque, mais qui maintenant est une loi qui date. Il faut pour les personnes âgées une action plus engagée, plus rigoureuse, plus chaleureuse. On ne peut pas accepter que la France puisse connaître un autre été aussi meurtrier que celui qu'elle a connu l'été dernier. Pour cela, il faut mobiliser des moyens, il faut construire des vraies réformes, des réformes d'ambition et nous travaillons sur ce sujet pour que la France assume ses responsabilités et puisse tenir son rôle dans le monde.
Aujourd'hui, la parole de la France est entendue dans le monde. Le président de la République, on l'a vu à plusieurs reprises, a pu faire en sorte que notre parole soit entendue à l'ONU, en Afrique et ailleurs. Porteuse de paix, porteuse de valeurs, porteuse de droit, la France aujourd'hui milite pour que le droit international soit la règle de nos relations internationales et que l'ONU soit la source du droit. Nous militons pour que l'on puisse faire en sorte que le monde soit mieux équilibré et que nous soyons tous militants d'un monde du respect : pas un monde unipolaire, un monde multipolaire. Je n'attaque personne ici. Ce n'est pas parce que la France au rugby bat les Etats-Unis que nous avons quelque agressivité contre quiconque. Nous sommes simplement, d'abord pour gagner au rugby et ensuite et au football y compris en 2004, ici au Portugal, en finale contre le Portugal, certes. Mais pour le reste ce qui compte c'est vraiment que nous puissions défendre ces valeurs qui sont celles de la France et notamment celles d'un équilibre mondial qui puisse au fond aujourd'hui répondre aux inquiétudes de tous ceux qui ont peur de la mondialisation.
Je voudrais vraiment vous dire que du fond de moi-même, je suis convaincu que la France a tous les atouts pour faire face aux défis qui lui sont posés. Evidemment, quand on se regarde, quand on voit nos problèmes, quand on voit nos difficultés, on s'inquiète. Mais quand on se compare -ce que je fais à longueur d'année -, on se rassure et il y a des forces aujourd'hui qui sont en France, des forces de la création, des forces de la mobilisation, des forces de la générosité et de la solidarité qui donnent à la France la possibilité de faire face aux défis qui sont les siens. Il faut surtout chasser de nos esprits toutes les peurs. La peur c'est le début de la défaite ; quand on commence à avoir peur, c'est que l'idée adverse commence à vous pénétrer. La France ne doit pas avoir peur de l'avenir. Quand je vois des idéologues qui font leur fortune sur le déclin et d'autres qui voudraient faire leur fortune sur l'arrogance la France n'est ni déclinante, ni arrogante. La France a le goût de l'avenir. La France a la volonté de faire face avec courage, face aux difficultés, à l'ensemble des défis qui lui sont posés. La France a tous les moyens aujourd'hui de faire face à ses difficultés. Alors surtout, vous qui êtes les ambassadeurs de la France, vous avez beaucoup de collègues, monsieur l'ambassadeur, vous qui êtes ceux qui portez au fond de votre cur, ce petit drapeau bleu, blanc, rouge partout dans le monde et ici au Portugal, nous vous sommes reconnaissants d'avoir confiance en la France, cette confiance dans l'ouverture, cette confiance dans le respect des autres.
Je souhaite une France d'ouverture et des sécurités, nous nous battons pour les sécurités, nous avons renforcé notre défense nationale, nous renforçons nos fonctions régaliennes. Cette France là vous y participez et je voudrais vraiment vous dire qu'elle est aujourd'hui vraiment déterminée à assumer son destin sans peur. La peur est la source des idées sombres, et donc combattons tous ceux qui sont inquiets, combattons tous ceux qui ont peur de ne pas faire face. Les jeunes générations règleront des difficultés que nous n'avons pas pu régler éventuellement ; les jeunes générations trouveront, elles aussi, la capacité d'innovation et de création. Aujourd'hui que ce soit sur les sujets économiques, que ce soit sur les sujets scientifiques, que ce soit sur les sujets sociaux, la France a la possibilité de faire face à l'avenir et cela, elle peut le faire grâce notamment à toutes ces Françaises et tous ces Français que vous représentez qui, hors de France, défendent les talents de la France. C'est pour ça que je suis venu vous dire, du fond du cur ,un grand merci. C'est à vous que l'on doit cette capacité de rayonnement de notre pays. C'est à vous que l'on doit cette confiance en l'aventure, au respect des autres. C'est à vous que l'on doit cette présence de la France dans le monde, qui est un élément essentiel de notre pays, qui est au cur même de notre identité nationale. La France n'a pas été bâtie pour être repliée sur elle-même. C'est une France ouverte qui est celle qui nous anime et qui est celle au fond qui correspond à notre destin. Alors merci à vous toutes et à vous tous de participer à cette dynamique de l'ouverture. J'assistais récemment aux célébrations que méritait A. Dumas. et là il y avait une belle citation qui venait de V. Hugo, qui disait : "A. Dumas est un semeur de civilisation. Partout dans le monde il a semé l'idée française." Merci, mesdames et messieurs de semer ici au Portugal l'idée française.

(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 6 novembre 2003)